JUST HOLD ON




(Ivana si tu lis ceci, j'espère que tu apprécieras la scène que j'ai écrite pour toi. C'est mon petit cadeau de Noël ahah. xx)



-Tu préfères mourir brûlé ou noyé ?

Je relève la tête de mon carnet. Harry est allongé sur le canapé, la tête sur les jambes de Noah pendant que Sam et Agathe sont assis par terre à se rouler un joint. Depuis tout à l'heure ils s'amusent à se poser des questions sans queue ni tête allant de « Tu as dejà fait un plan à trois ? » à « C'était quoi ta matière préférée au lycée ? » et là, c'est Harry qui doit répondre. Je l'observe silencieusement faire comme si la question ne l'intéressait absolument pas. Il joue avec les doigts pleins de bagues de Noah, l'air de chercher une réponse à la fois détachée et assez spirituelle. 

-Aucun des deux. Je crois que je préfèrerais mourir après avoir fait l'amour. 

Je replonge la tête dans mon carnet. Je dessine des petites étoiles en noir sur le bord et puis au milieu, je note sa phrase comme une relique secrète. Je fais toujours ça. Noter ce que dit Harry, je veux dire. J'ai déjà un carnet entier consacré à lui et que j'apprends par cœur pour avoir toujours ses mots dans un coin de ma mémoire et aussi un peu pour avoir l'impression de posséder un morceau de son âme. Noah m'a dit que c'était bizarre et un peu malsaint, que je l'adore à ce point. Mais quand je l'ai raconté à Harry il a dit qu'il trouvait ça mignon alors je continue. 

Quand Sam et Agathe se mettent à fumer je quitte la pièce parce que je ne supporte pas vraiment l'odeur de l'herbe. C'est trop... Gras. Ca me donne envie de vomir. Je vais dans la cuisine et je me sert un petit morceau de la bûche de Noël qu'on était censés garder intacte pour demain. On est tous venus – moi, Harry, Sam, Noah et Agathe – pour fêter Noël au chalet, au milieu de la montagne. Je les connais tous depuis la prépa. Moi je suis plus jeune parce que j'ai sauté une classe au collège mais eux étaient déjà amis au lycée. Je suis « rentré » dans leur groupe quand j'ai commencé à sortir avec Harry. Sinon avant, j'étais un peu tout seul. C'est nul d'être tout seul. C'est encore plus nul de détester l'odeur du joint et de se retrouver à manger de la bûche dans une cuisine silencieuse pendant que tes amis s'amusent.

Je retourne au salon, en entrebaîllant la porte. Ils ne sont plus en train de se poser des questions et Harry est debout devant la cheminée. Son regard croise presque immédiatement le mien et il me sourit gentiment : 

-T'étais où Lou ? 

-Dans la cuisine. 

-Viens. 

Il tend la main. 

Au début j'étais vraiment mal à l'aise quand Harry m'a présenté à ses amis, je ne savais pas du tout comment me comporter et quoi dire, juste parce que je n'ai jamais été très doué pour ça. Je suis un hyper timide, le genre à rougir jusqu'aux oreilles quand on lui dit bonjour alors rien que l'idée d'embrasser mon copain devant toute la classe me donnait des sueurs froides. Maintenant ça va. En fait je m'en fous, parce que je me suis mis à penser que la chose la plus importante dans ma vie c'était seulement Harry et seulement lui. Les autres, c'est vraiment le dernier de mes soucis. 

Je me blottis dans ses bras et on s'embrasse un peu. 

-T'as mangé du chocolat toi, il murmure.

-Non. De la bûche. 

-C'était interdit.

-C'est pour ça que j'en ai pris.

Harry lève les yeux au ciel mais je vois bien qu'il a du mal à se retenir de sourire. J'embrasse le coin de sa fossette et puis je lui lâche la main. 

-On fait ce qu'on avait dit ce soir ?

Il hoche très lentement la tête.

-Oui. Tu n'es pas fatigué ?

-Non, mais j'ai envie de prendre une douche avant. Tu me rejoins là-haut ?

-D'accord. 

Il me sourit encore.  

Harry a des sourires très doux, des sourires qui donnent envie de pleurer et de l'aimer plus fort encore et des sourires que je dessine dans tous les sens sur les pages de mon carnet, pour ne pas les oublier. 

Je monte là haut. Le chalet est tout petit alors moi et Harry on a pris la chambre du haut, sous les combles, pendant que Sam, Noah et Agathe dorment sur des lits de camp dans le salon. Le plafond est bas alors je suis obligé de baisser un peu la tête pour tenir debout, alors que je ne suis déjà pas très grand. Je récupère mes affaires de toilettes et je sors sur le palier. Dans le fond, il y a une toute petite salle de bain. Je m'enferme, j'allume la lumière et je mets en route l'eau de la douche pour qu'elle ait le temps de chauffer. Je me déshabille. 

Entre les effluves de savon et de vapeur et mon corps qui s'adoucit, je pense à Harry et à la couleur de ses paupières lorsque j'embrasse sa bouche. Je pense à ses veines en transparence sur son corps et à sa façon de se recroqueviller sur lui-même lorsqu'il boit du thé. Je pense à sa bouche trempée dans du jus de framboise, à ses mains pleines de nœuds quand on les touche et à ses bagues aux pierres noires qui sont comme des yeux obsédants. Je revois samedi dernier, Harry encore endormi dans notre lit et le petit matin allongé sur son corps et puis moi arrivant avec mon sac plein de viennoiseries et me disant qu'on ne peut pas aimer un être humain plus que je l'aime lui. 

Je me pense tout seul sans lui et ça n'existe pas, ou plus. C'est impensable et j'ai peur. 

Je sors de la douche. 

J'ai la bouche qui pleure sans bruit alors je m'assois par terre enroulé dans la serviette de bain et j'attends un peu. Je me force à respirer plus régulièrement, et à chasser son visage de mon esprit. C'est dur quand il est absolument partout. 

Pourquoi est-ce que je pense déjà à toi comme à un mort qu'on voudrait reléguer dans un coin sombre de sa mémoire pour cesser d'avoir mal ? Je t'aime et tu es vivant tes baisers laissent une chaleur sur mes joues j'ai encore le souvenir de ta voix qui danse dans mon crâne, je t'aime et tu es vivant tu es vivant tuesvivantuesviv 

-Lou ?

Je sursaute. Harry tape trois petits coups à la porte et mon cœur est en équilibre.

-J'peux entrer ? 

-Euh. Non. Je m'habille.

-Je t'ai déjà vu tout nu il me semble.

Je ne réponds pas. Je crois qu'il comprend que je n'ai vraiment pas envie qu'il entre parce qu'il n'insiste pas et j'entends son pas qui s'éloigne. Je me relève et je me sèche. J'ai les mains qui tremblent un peu, comme à chaque fois que je suis extrait d'une de ces torpeurs. Ca m'arrive régulièrement depuis quelques mois, j'en fais même des cauchemars ce qui est... Stupide. Je ne sais même pas pourquoi mon cerveau part en vrille comme ça à imaginer le pire. Parfois je me déteste vraiment. Enfin.

Je finis pas sortir de la salle de bain. Harry est dans le couloir, comme je m'y attendais, les sourcils un peu froncés. Il me sourit très gentiment.

-Ca va mieux ? 

-J'allais très bien.

J'ai répondu un peu séchement mais il ne quitte pas son air doux. Je suppose qu'il est habitué à mes mauvaises humeurs, sans forcément pouvoir les comprendre. 

-Comme tu veux.

Je détourne le regard et je vais dans la chambre. J'entends le rire un peu aigu de Noah dans le salon et Harry doit penser la même chose que moi puisqu'il murmure derrière mon dos :

-Je leur ai dit qu'on était fatigués. Ils ne m'ont pas cru mais bon au moins, je suis certain qu'il ne viendront pas dans la chambre. 

Je m'assois sur le lit et je fouille dans ma valise, en retirant un gros pull en laine blanc et un jogging. Harry s'assoit à côté de moi sans un mot. 

Avant nous étions tellement heureux tous les deux. Ce n'est pas que nous ne le sommes plus, mais que nous avons perdu cette légèreté facile qui nous faisait nous embrasser cachés dans des cabines d'essayage, manger des croissants dans le lit et en mettre partout, faire l'amour sous la douche, partir en week-end au bord de la mer et courir nu dans les vagues en pleine nuit, aller danser sous la pluie les soirs d'orages... Toute cette rage de vivre et cette envie d'aimer plus fort que les autres qui a maintenant disparu pour laisser place à une tristesse toujours palpable, une colère sous-jacente qui recouvre nos deux peaux et qui s'attise dès que nous sommes seuls et que nous nous touchons trop vite. Nous avons perdu quelque chose qui était comme un courant d'air frais et j'ai la sensation que quoi qu'il arrive, c'est à tout jamais. 

Je prends la main d'Harry posée sur le draps et je la serre quelques instants contre la mienne. Je sais qu'il a tout autant peur que j'ai peur, et que ce n'est pas se taire et faire comme ci ce n'était pas là qui y change quelque chose. J'ai la gorge coupée par une tristesse qui vient du plus profond de moi, une tristesse sourde qui ne résonne jamais mais qui prend de plus en plus de place et me fait mal au ventre. 

-Je t'aime.

Dans l'ombre, je vois sa bouche se couvrir d'un léger sourire et ses pomettes s'assombrir. Tu es beau. Tu es beau comme aucun être humain n'est beau et je sais que tout le monde dit ça à la personne qu'il aime mais c'est parce que l'amour ce n'est rien d'autre qu'être le seul à voir l'inexplicable beauté de l'autre. Je te vois moi. Dans le noir comme en plein jour, il y a quelque chose de toi qui me renverse et fait battre mon cœur en ailes d'oiseaux.

-Je t'aime aussi Lou. 

-Pour toujours ? 

Il n'y a pas de réponse à ça. Il m'embrasse doucement sur la tempe, ses lèvres appuient sur ma peau et y laissent un fantôme inutile.

Il se relève. J'enfile mon pull. 

On attend un peu ensuite. On s'allonge tout les deux sur le lit et on reste juste l'un contre l'autre, à écouter les bruits que font Noah, Sam et Agathe dans le salon. J'écoute la respiration d'Harry à travers l'épaisseur de son sweat et j'essaye de la retenir dans un coin de ma tête pour pouvoir encore l'entendre toute ma vie lorsque j'en aurais besoin. Harry joue avec mes doigts et j'aime la sensation de sa paume qui glisse le long de mes phalanges, et revient caresser le dos de ma main. Je souffle :

-Est-ce que c'est loin ?

-Non. Pas trop... Il faut prendre le sentier et puis c'est derrière les arbres. J'y allais avec mon père quand j'étais gosse. J'avais l'impression d'avoir monté l'Everest quand on y arrivait. 

J'imagine Harry à cinq ans, tenant la main à son père à travers sa moufle, maladroit dans sa combinaison de ski et grimpant le versant de la montagne en se sentant l'âme d'un aventurier. 

-Pourquoi c'est important d'y aller ? 

Il met quelques secondes avant de répondre mais j'entends le sourire dans sa voix :

-Peut-être... pour la magie. 

Moi aussi, ça me fait sourire. Et la lourdeur des sentiments disparaît un peu pour laisser place à quelque chose de beaucoup plus doux, comme un début d'amour qui ne sait pas encore qu'il aura une fin tragique. Harry me caresse encore la main en murmurant les paroles d'une chanson d'enfance et je me laisse envelopper dans cette atmosphère de bonheur un peu con. 

Je m'endors.








Tes yeux se voilent

écoutent les étoiles

tout est calme

reposé

entend-tu les clochettes tintinnabuler ?

Et demain matin

petit garçon

tu trouveras dans tes chaussons

tous les jouets dont tu as rêvé

petit garçon il est l'heure d'aller te coucher.









-Lou ?

Je sursaute. 

Il fait nuit noire et la chambre est plongée dans l'obscurité. Je vois à peine la silhouette d'Harry debout au bord du lit. 

-Il est 2h. Je crois qu'ils dorment aussi en bas parce que je n'entends plus rien alors, euh... On y va ? Sauf si-

-Non ! Je suis prêt. C'est toi qui m'as endormi avec ta chanson.

Harry rigole un peu et me lance ma veste. Il doit un froid glacial dehors alors on a anticipé et pris ce qu'il fallait pour ne pas mourir de froid au bout de cinq minutes. J'enfile mes chaussures de neige, mes gants, et Harry prend notre gros sac à dos. On se glisse hors de la chambre comme des adolescents en train de faire le mur pour la première fois, sur la pointe des pieds et un petit morceau de peur figé dans l'estomac, et on descend l'escalier le plus silencieusement possible. Agathe, Sam et Noah dorment tous les trois derrière le canapé, enroulés dans leurs sacs de couchage. Harry remonte la fermeture éclair de sa veste et enfile son bonnet sur ses boucles un peu folles avant d'ouvrir la porte. 

Il fait glacial.

Le froid me pique immédiatement les joues et mes yeux se remplissent de larmes qui ne coulent pas. Harry se retourne vers moi, tellement emmitouflé que je ne lui vois plus que les yeux. D'un signe de la main, il me montre les arbres et j'ai envie de lui faire remarquer qu'on ne voit même pas le tracé du chemin mais il à l'air tellement heureux d'être là que je souris simplement et que je prends sa main gantée dans la mienne.

De toute façon, je pourrais te suivre les yeux fermés jusqu'au fond de l'océan, et te laisser remplir ma poitrine d'eau salée sans jamais te lâcher. 

On marche doucement, pas de géants qui s'enfoncent dans la poudreuse. Mon corps se réchauffe peu à peu, et mes muscles deviennent des élastiques éprouvés par le froid. La nuit est immensément claire, avec une lune rousse qui auréole la neige comme la couronne d'un ange et nous sert de faisceau de lumière naturel. Je fais de la fumée en respirant, des petits nuages qui s'échappent dans le vent et me font au cœur comme des morceaux de ma poésie intérieure qui s'envolent. 

-Haz ?

-Oui ? 

On avance déterminés, les yeux un peu plissés pour les protéger du froid. On est des aventuriers de la neige solitaire, mais je n'oublie pas. 

-Tu as vu le film J'ai tué ma mère ?  

-De Dolan ? Oui. Pourquoi ? 

La main d'Harry est chaude autour de la mienne, ne me lâche jamais.

-Tu vois cette scène où le garçon dit à sa mère « Qu'est ce que tu ferais si je mourais aujourd'hui ? ».

Harry avance un peu moins vite, et son propre petit nuage de poésie intérieur s'échappe au dessus de ses boucles. Il murmure dans le silence qui fait comme un écho infime : 

-Oui. Elle répond « Je mourrais demain. » 

On se sert la main plus fort. On ne parle plus, mais nos pas craquent dans la neige. On monte la colline, la mort aux trousse quelque part derrière nous, mais on ne la laisse pas gagner. On est plus fort à deux, et puis l'amour ça gagne toujours. On oublie. Le blanc de la neige partout autour de nous, sur les cimes des sapins, sous nos corps en mouvement et dans la clarté des étoiles fait comme un voile protecteur sur toutes les blessures. Plus rien n'existe d'autre que nos souffles dans le silence de la nuit, et nos mains amoureuses qui ne se lâcheront jamais. 

On atteint le premier petit sommet et Harry s'arrête de marcher. Son visage resplendit comme celui d'un gamin, ce gamin qui se cache sous son cœur d'adulte mal façonné. Il me montre les rochers à notre droite. 

-C'est juste derrière. Viens.

Il se met à courir. J'ai du mal à le suivre avec mes jambes qui s'enfoncent jusqu'aux genoux dans la neige et quand j'arrive de l'autre côté il a déjà abandonné le sac à dos et il se tient debout au bord du lac glacé. Je m'arrête pour reprendre mon souffle, subjugué. C'est magnifique. Pas seulement Harry pour une fois, mais absolument tout. Le lac est très grand, et son eau gelée est presque bleue à la lumière blanche de la lune, scintillante comme des cristaux de glace. Les sapins tout autour forment des ombres noires, gigantesques et protectrices. Harry se retourne, un sourire occultant tout le reste peint sur son visage. 

-Alors ? 

-C'est... Magique. 

Il lève un sourcil, l'air de dire « je te l'avais bien dit » et je lui tire la langue. Harry va ouvrir le sac à dos et en tire nos patins à glace. Deux mois qu'on s'entraîne pour pouvoir venir faire ça. Enfin que Harry m'entraîne surtout, parce que lui est vraiment gracieux naturellement alors que moi... Ce n'est pas encore trop ça. 

-La glace est solide au moins ? 

-Evidemment. Elle fait au moins 3 mètres d'épaisseur. Il n'y a rien à craindre. D'ailleurs plein de gens y viennent pendant la journée.

Je m'assois dans la neige et j'enfile mes patins. Ce n'est vraiment pas pratique mais au bout de cinq minutes, je suis prêt à fendre la glace. Harry m'attend, déjà debout sur le lac, les yeux levés vers le ciel. J'arrive à petits pas peu assurés, et je lui prends doucement la main.

-Qu'est-ce que tu regardes amour ? 

-Rien. Les étoiles. Je ne suis jamais venu ici la nuit. 

Comme on habite en ville, le ciel est toujours gêné par les lumières des lampadaires ou des néons des magasins. Ici, il est immense et infini, perlé de milliards de petites gouttes lumineuses. Je me sens ridiculement petit face à ce spectacle, et j'ai presque le vertige à m'imaginer englouti par le ciel entier. 

On avance lentement sur la glace, Harry semblant tester sa solidité malgré ce qu'il vient de m'assurer. Je ne suis pas très à l'aise mais main dans la main avec lui, je trouve ça agréable. On glisse de plus en plus souplement, albatros aux ailes longues se déployant l'une contre l'autre, le vent dans les cheveux et le ciel encre marine surplombant la glace. Harry est vraiment doué et il me lâche rapidement la main pour patiner de plus en plus vite autour de moi. Son rire glisse comme une petite flamme bleue sur le lac, et il tourbillonne à m'en donner le tournis. J'ai souvent la vague à l'âme et l'impression que nous n'allons pas tenir debout tous les deux, qu'un coup de vent un peu trop fort sur le bordel de nos vies va tout faire basculer et que ni l'un ni l'autre ne sera assez solide pour encaisser le choc ; mais en voyant Harry se fondre avec la glace, danser comme on ne dansera jamais sur terre, avec le corps entier qui se métamorphose, qui devient oiseau hirondelle colibri et les joues rouges de froid et de joie, j'ai envie d'espérer, pour nous et tout les autres à qui la vie n'a pas souri, et j'ai envie de me dire que rien n'est impossible, et qu'il existe dans le cœur du monde une magie inexplorée, si on y croit très fort. 

Je danse avec Harry. Nous sommes deux flocons de neige aux ventres remplis de vent et aux mains qui scintillent en se frôlant. Nous sommes le froid et la glace et la brûlure de l'amour mêlés. Je nous voit minuscules, sur un lac gigantesque d'un bleu transparent, je nous vois rire en nous tenant la main, et glisser sur des mètres d'eau qui ne cèderont pas. Je nous vois tomber à cause du froid et nous relever dans la chaleur de l'autre. Je nous vois vivre en pleine nuit, défier la gravité du monde et nous embrasser sous des milliers d'étoiles.

La chaleur des lèvres d'Harry sur les miennes, presque violettes de froid. J'ai le ventre anesthésié et je me sens aussi léger qu'un courant d'air. Est-ce que je vais m'envoler si tu me lâches la main ? Et si c'était ça, notre destin, partir comme deux morceaux de rien et se laisser porter par le courant du ciel ? J'aimerais bien essayer mais je suis trop bien dans la chaleur de tes bras. 

On fait un petit tour beaucoup moins vite, et Harry me montre toutes les montagnes autour de nous, en me racontant des histoires à leur propos et en les nommant. Le papa d'Harry savait raconter pleins de belles choses, et je crois que Harry a ça de lui, ce petit don de pouvoir fasciner dès qu'il ouvre la bouche, de rendre la moindre petite chose merveilleuse. 

Je l'écoute jusqu'à commencer à avoir trop froid pour tenir debout. Harry patine encore un peu, et je vais l'attendre assis dans la neige. Je sors du sac à dos notre thermos et je bois un peu de chocolat chaud. Harry a enlevé sa grosse doudoune pour être un peu plus à l'aise et je l'observe, silhouette fine au milieu de l'immensité glaciale. Je l'aime bordel. Je l'aime et c'est injuste, et assis là maintenant, le cul dans l'humidité, j'ai l'impression que tout ce qui me faisait planer quelques minutes auparavant, n'était que l'espoir débile de mon cerveau euphorique. Mon Harry, aussi blanc que neige, avec la beauté d'un soleil en éclipse. Peut-être que c'est le monde qui te mérite pas.   

Il finit par descendre de la glace. Une neige fine commence à tomber du ciel, et se pose sur la laine verte de son bonnet.

-Pas trop froid ? 

-Mes poumons vont bientôt tomber mais ça va. 

Il rit un peu. Le froid rend sa peau quasiment transparente, et fait apparaître les tâches de rousseur brunes habituellement invisibles qui s'étalent sur son nez. Lui aussi grelotte parce qu'à force de tomber, de la neige s'est forcément imbibée sur nos vêtements. On remet vite nos après-ski et Harry reprend le sac à dos et ma main dans la sienne. Pendant quelques instants, on regarde le lac gelé avec le même silence. Le fantôme d'Harry tourne encore sur la glace, petite luciole incandescente à la blancheur fantomâtique, et je me promets de me souvenir de cet endroit comme celui on nous avons été heureux et libre peut-être pour la dernière fois. 

Harry fait demi-tour et je le suis, sans un regard en arrière. Le chemin jusqu'au chalet me semble plus long qu'à l'aller et j'ai presque envie de m'arrêter et de tirer sur le bras d'Harry pour le forcer à rebrousser chemin.

Eh, si nous faisions un trou dans la glace et que nous nous laissions couler ? Je veux bien mourir si c'est avec toi et si c'est pour te serrer dans mes bras pour l'éternité. Nous serions les amants du lac, ceux qui sont morts parce qu'ils ne pouvaient faire autrement car chacun de leurs pas dans la neige alourdissaient la vie. 

Mais je ne dis rien. Je marche, un pied devant l'autre, le ventre si vide qui devient à nouveau si lourd, et l'envie lancinante de fondre en larmes qui revient. 

Le chalet est déjà en vue à travers les branches sombres des sapins. Harry ralentit un peu, ses doigts s'accrochent au mien. Il y a quelque chose de désespéré dans notre façon même de se tenir à l'autre avec désinvolture, comme si ce n'était pas fait exprès, comme si nous n'avions pas envie de tomber ensemble dans la poudreuse, et d'attendre l'aube bleue jusqu'à n'avoir plus d'autre souffle que celui de la neige dans la bouche. 

On atteint la porte.

Harry cherche la clé dans sa poche et je me retourne pour regarder le ciel. Il est couvert d'étoiles. J'en choisis une au hasard. Je fais un vœu. Je le fais très fort, je lui donne toute mon âme à ce vœu là, et je m'en fous d'être ridicule, ce soir c'est la nuit de Noël et j'ai besoin de quelque chose, d'un signe, d'une lumière, de Jésus qui frappe au carreau, peu importe, mais j'ai besoin de sentir qu'il y a quelque chose dans ce monde qui ne nous abandonnera pas. Je ne crois pas en Dieu mais je veux bien croire en quelque chose d'unique et d'inespérée. 

Evidemment il ne se passe rien.

Harry ouvre la porte et on se glisse dans le chalet. Le feu dans l'âtre est presque éteint, seules brillent encore les dernières cendres sous la bûche calcinée. Quelqu'un ronfle derrière le canapé et Harry murmure silencieusement « Agathe ». Ca nous fait sourire et on remonte l'escalier aussi doucement que possible, jusqu'à notre chambre. Harry laisse tomber le sac avec un soupir de soulagement. 

-J'ai trop froid. 

On se déshabille en vitesse, ôtant nos vêtements humides et on se jette l'un contre l'autre dans les draps. Il n'y a rien d'autre que de la tristesse dans chacun de nos gestes. Sa main qui se pose sur ma bouche, ses doigts qui caressent mes lèvres et ses yeux brillants de quelque chose qui ne m'appartient pas et qui fait brûler mon ventre et le rend douloureux. 

J'embrasse ses phalanges et il se blottit contre moi, sa tête niché dans mon cou. J'ai mal au cœur de toute la poésie que nous avons accumulés et qui n'a maintenant plus aucun sens. Fin du rêve. Je retrouve ta peau froide et tes larmes immobiles appuyées contre mon épaule. 

Je me souviens des premières fois où nous faisions la mort, et où ton corps m'apparaissait comme un secret infranchissable que je n'osais toucher. Maintenant tu es nu contre moi et je connais tes frissons et tes douleurs, je sais où ta peau sera chaude et où elle aura besoin d'être réchauffée. Je connais le creux au bas de ton dos où s'accumule la sueur quand nous faisons l'amour, la rondeur de tes épaules et le duvet sur le bas de ton ventre. Je sais tout ça et je sais aussi ta cage thoracique, tes os, ton cœur qui palpite, ton estomac comme un petit poing serré de colère, la douleur rentré dans chacun de tes atomes. Tu n'as pas de secret pour moi et c'est peut-être pour ça que je t'aime comme si tu étais une partie de mon âme, que je t'aime à m'en bouffer le ventre lorsque tu vas mal, que je t'aime et que chacune de tes larmes s'infiltrent dans ma peau comme une goutte de pluie dans la terre. Je me sens lourd de toute ta douleur, d'une lourdeur de monde d'après orage, et nous avons la couleur métallique de la tempête peinte sur nos visages. Je me souviens du temps où le soleil éclairait tous les pores de ta peau, je t'en pris mon amour, dis moi qu'il est encore là, qu'il est caché quelque part dans les rides au coin de tes yeux, qu'il est niché dans la chaleur de ta nuque et qu'il va brusquement ressortir pour chasser la tempête. Dis moi que nous sommes des imbéciles et que rien n'occulte la lumière, que le monde est une vaste plaisanterie et que comme dans un conte, à la fin de ces lignes nous seront heureux et avec plein d'enfants. Dis moi un mot qui voudrait dire que toi aussi t'y crois encore, parce que j'ai trop mal et moi j'en peux plus de te voir devenir transparent.

Harry ne dit rien mais moi je deviens fou à faire tourner en boucle les mêmes mots dans ma tête et j'ai peur qu'il se soit endormi comme ça, en me laissant terrifié au bord de la nuit alors je le secoue doucement : 

-Haz ? 

-Oui ?

Il ne dort pas. On se sépare un peu. Des cheveux sont collés contre sa joue et je lui enlève délicatement. 

-J'ai envie de parler. 

-De quoi ? 

-Je ne sais pas, de tout ce que tu veux. Parle moi.

Je pose ma tête contre sa poitrine et il me caresse lentement les cheveux. 

-Tu ne veux pas m'embrasser plus tôt ? 

Ca me fait sourire. 

-Non. Ensuite si tu veux, mais là j'ai envie de parler. 

-Tu as tout le temps envie de parler.

-C'est parce qu'après j'ai peur d'oublier ta voix.

Les doigts d'Harry coulent lentement sur mes tempes. 

-C'est stupide. Même si je te parle beaucoup, tu finiras quand même par oublier. 

-Je sais que non.

-Si tu veux...

On reste un moment silencieux et puis je finis par murmurer, le regard rivé sur la petite fenêtre ouverte sur la nuit. 

-Dis... Est-ce que tu veux vraiment mourir après avoir fait l'amour ?

-Ce serait bien non ? 

-J'sais pas. 

-Louis, à chaque fois qu'on fait l'amour on meurt un peu. C'est ce qui est beau. Il y a quelque chose de nous qui disparaît entre les mains de l'autre et qu'on ne retrouvera plus jamais. L'orgasme, c'est une petite mort. 

Harry continue de me parler mais je ne l'écoute plus. Dans le ciel, une minuscule étoile vient d'apparaître, un peu plus rousse que les autres, un peu plus lumineuse. J'ai le cœur qui bat plus fort parce quand je la regarde, je sais que ce n'est pas par hasard, que cette étoile là, c'est le signe que j'attendais. Et peut-être que ça ne veut rien dire du tout et que je suis totalement fou mais je n'en ai rien à foutre. Entre les flocons de neige de plus en plus épais, il y a une étoile qui vient de naître et qui est pour nous. Il y a quelque chose dans sa lumière intemporelle qui réchauffe ma peau entière  et je sais. 

On fait l'amour ensuite. On fait l'amour doucement, l'un contre l'autre et l'un en l'autre, on fait l'amour et la peau de neige d'Harry se couvre de la lumière rousse de l'étoile. Je l'embrasse partout, je respire son odeur, il a quelque chose d'irréel et de magique et je crois qu'il s'en rend compte parce que ses yeux brillent un peu plus fort quand il me regarde. Il y a ses doigts qui dévalent entre mes cuisses, qui font comme des étincelles froides sur ma peau et je tremble. Harry se penche, sa bouche est tiède contre la mienne.

-Tu le ressens toi aussi ? 

Je hoche la tête et je m'agrippe à ses épaules. C'est inexplicable. Ma main entre les boucles de ses cheveux et son corps qui se perle d'une lumière nouvelle, presque bleue. J'ai envie de lui dire mais c'est peut-être moi qui devient fou parce qu'un être humain n'a pas la peau qui brille, jamais, ça n'existe pas, et c'est peut-être parce que ça n'existe pas que c'est réel, j'en sais rien. 

On fait l'amour et c'est merveilleux, c'est merveilleux de respirer ton odeur, de poser ma langue sur une peau si semblable à la mienne et pourtant si différente, c'est merveilleux de toucher tes côtes presque vides et de les sentir se remplir d'un air réparateur, de te sentir trembler quand je te touche là, de t'écouter gémir tout contre mon oreille, j'ai la peau qui glisse entre les draps, je suis collant de sueur mais rien n'est dégoûtant, rien n'est dégoûtant parce que c'est toi au dessus de moi, c'est toi qui a pris la couleur du lac glacé, c'est ton nom que j'expire et qui roule sur ma langue ce sont tes cuisses tes hanches tes genoux ton ventre tes coudes ta colonne vertébrale et j'embrasse tout je les prends dans mes mains tu es là tu es vivant tu es en train de mourir mais ce n'est plus la même mort qu'avant car maintenant tu brûles dans le noir cette mort là c'est juste une petite mort et des centaines de personnes sont en train d'en mourir en même temps que nous, eux aussi ont le cœur accroché aux étoiles eux aussi ont tout le corps qui se liquéfie en tremblant, eux aussi ont la tête qui tourne et veulent arracher leur cœur de leur poitrine pour l'empêcher de prendre entièrement feu eux aussi eux aussi 

harry 

je meurs 

je meurs entre tes mains mais ça n'a rien à voir avec une mort froide qui m'ôterait tout

je meurs d'amour pour toi

je meurs mon cœur est un brasier incandescent et ma peau n'a plus que ton odeur sur elle

je meurs serre moi encore entre tes mains ton bassin qui ne se détache plus du mien

je meurs et tu as la peau qui luit dans le noir tu es 

ma lumière que j'avais perdu

et qui se cachait juste au creux d'une

minuscule étoile

je meurs

de la petite mort 

de l'orgasme

avec toi

Je me réveille quand l'aube est encore blanche. 

Harry dort, peau de porcelaine contre les draps. Je tends la main, je touche son épaule qui se couvre d'une chaleur rose. Quelque chose a changé dans l'atmosphère autour de nous, quelque chose a repris de sa douceur. Je n'ai plus mal au ventre et plus envie de pleurer et pour la première fois depuis des mois, depuis la première visite à l'hôpital, depuis les doigts tremblants d'Harry sur la feuille des résultats d'analyse, j'ai la certitude absolu qu'il ne va pas mourir, qu'il va guérir et que l'année prochaine nous reviendrons main dans la main faire de la patinoire sur le lac gelé.

En bas, j'entends le murmure des voix de Sam, d'Agathe et de Noah. En bas c'est Noël, dans quelques minutes ils vont venir frapper à la porte pour nous réveiller, et encore après j'offrirais à Harry l'appareil photo dont il rêvait tant depuis des mois et on rira ensemble. 

J'embrasse doucement l'épaule de Harry. J'embrasse son odeur mélangée à la mienne et puis je fronce les sourcils. Je soulève ses cheveux. 

Au creux de sa nuque, un petit grain de beauté brun en forme d'étoile brille encore doucement.












fin


[Oui la fin n'est absolument pas crédible, mais MOI J'Y CROIS A LA MAGIE DE NOEL. Plein d'amour et à l'année prochaine :p.]

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