Chapitre 4: Nouveau départ


Elena

La sensation de gêne ne m'a pas quittée de la nuit et de la journée qui a suivi. En cette veille de vacances, j'ai consommé les cours avec la hâte d'en finir, puis, contrairement à ce que j'avais soutenu, je me suis rendue au miroir d'eau. Émilie n'était pas là. Au fond de moi, je me suis sentie soulagée. J'ai la sensation que c'est gâché entre nous. Évidemment, je n'ai pas averti Lucie. Elle est catégorique. Selon elle, Émilie est malsaine.

J'arrive à passer outre ce détail dans la mesure où, dans les mêmes conditions, on aurait pu dire de moi que je l'étais.

Je me fais la promesse de revenir à mon retour de vacances, en espérant qu'elle aille bien. C'est fou qu'on n'ait pas échangé nos numéros. À croire que nos rencontres furtives étaient tellement vraies qu'elles ont été éphémères, figées dans le temps, sans possibilité d'évoluer.

Finalement, l'idée d'aller à Paris chez mon père me donne une perspective. Bordeaux est trop imprégné de Tyron. Il faut que je sorte d'ici. Lucie a été plus que ravie d'apprendre que j'abdiquais. C'est elle qui a prévenu mon père et le billet m'a été envoyé dans l'heure qui a suivi. Signe que je lui manque certainement. Il me manque lui aussi. L'amour familial, chaud et réconfortant me manque. Lucie est là, mais je ne peux pas l'accaparer sans arrêt. Son travail lui impose une lourde charge mentale et puis elle voit un mec, j'en suis certaine. Mon départ demain matin tombe donc bien. Elle sera dispensée de ses têtes-à-têtes avec un zombie rescapé de l'amour fake et pourra reprendre sa vie de célibattante assumée.

Mes vêtements sont étalés sur le lit. Mes yeux font des allers-retours entre eux et mon bagage. Ce n'est pas gagné. Si Olivia était là, elle trouverait certainement la solution à mon problème. Quand je repense à la dernière fois où j'ai dû faire mes valises, un pincement au cœur se fait ressentir. J'ai l'impression qu'il y a des années qui se sont écoulées depuis que j'ai quitté l'appartement parisien de mon père. Beaucoup de choses se sont passées en si peu de temps.

D'ailleurs, en pensant à mon père, je vais devoir lui téléphoner pour lui confirmer mon heure d'arrivée. Pas de message d'alerte de la compagnie aérienne sur un quelconque retard. Mais d'abord, je dois terminer de fourrer toutes ces fringues dans le peu de place qu'il reste. Mission suicide.

Finalement, après une heure de bataille et après avoir enlevé la moitié de ce que je voulais emporter, j'ai enfin terminé. La valise est fermée sans que je n'aie besoin de m'asseoir dessus, un exploit quand on me connaît. Cette année, étant donné mon moral, je me contente du minimum. Et puis, pas mal de fringues m'attendent chez moi. Je n'ai pas tout emporté en emménageant ici.

Après avoir avalé une soupe de nouilles avec Lucie, je monte me coucher. Au fond de mes draps propres, je m'empare de mon téléphone. Objet devenu anxiogène. J'ai toujours peur que l'un d'eux tente de me contacter avec un autre numéro. Cette sale bande d'hypocrites.

J'appuie sur la touche appel et patiente. Je n'ai pas parlé à mon père depuis ma rupture avec Tyron. J'espère qu'il ne va pas remarquer la tristesse du timbre de ma voix.

— Bonsoir, Elena.

— Salut, papa. Je ne te dérange pas ?

— Jamais ma fille.

J'ai bien envie de lui rafraîchir la mémoire de la dernière fois où il a dû venir en urgence, alors qu'il était en pleine consultation, parce que j'avais oublié les clés de l'appartement. J'en ai entendu parler pendant des jours. Mais je me ravise, il faut que j'aille de l'avant et cesse de mettre de l'huile sur le feu auprès des personnes qui m'aiment vraiment.

— Ça va ?

— Oui, papa, ça va.

— Tu as l'air fatiguée.

Il me connaît peut-être mieux que je pensais.

— Oui, je le suis, mais ça va. Les derniers partiels ont été intenses. C'est toi qui viens me récupérer demain ?

— Oui, j'ai décalé mes rendez-vous...

Waouh ! m'exclamé-je intérieurement.

— Onze heures à CDG. Ah et Lucie ne pourra pas venir cette année.

— Je sais, elle m'a prévenu qu'elle partait au soleil cette année. Elle a rencontré quelqu'un tu crois ?

La réflexion de mon père me prend de court.

— Heu... je crois qu'elle voit un mec, affirmé-je en restant évasive sur le sujet.

Je ne vais quand même pas parler du plan cul de ma tante, avec mon père, qui est accessoirement son ex-beau-frère ? Si ?

— Tout va bien, Linou ?

— Oui, oui, excuse-moi. Tu disais ?

Il a dû sentir ma gêne, car il détourne la conversation.

— Que c'est bon pour moi. Olivia est en formation toute la journée, alors...

À l'autre bout du fil, je l'entends respirer un peu plus fort.

— Alors, si tu veux, on pourra déjeuner dehors rien que tous les deux... comme... enfin, si tu es d'accord... je ne t'oblige à rien, Elena.

Mon père gêné ? C'est une première. Son manque d'assurance me touche beaucoup. J'ai dû être une sacrée sale gosse pour qu'il craigne que je refuse de passer du temps en sa compagnie. Je réalise que j'ai été bien plus que ça. J'ai été une Émilie, pas aussi camée, mais borderline, certainement.

— Cela me ferait vraiment plaisir, papa. Toi et moi, comme avant.

Le silence envahit la ligne. Lui et moi avons nos pensées tournées vers celle qui n'est plus là.

Je me racle la gorge.

— Et puis... j'ai pas mal de choses à te raconter.

Ça aussi, c'est nouveau.

Mon père rit.

— Il paraît, oui ! Tyron, c'est ça ?

Mon cœur se brise une énième fois. Combien de fois ça peut se briser, un cœur ?

— C'est sa mère, Camille, qui me l'a dit. Je travaille avec elle.

J'avais zappé cette information. Peu importe. Je constate juste qu'il n'y a pas eu de mise à jour de l'information.

— Tu sais, papa... c'est assez compliqué... mais c'est terminé.

— Elena, je suis désolé.

— Alors, si jamais j'ai des sautes d'humeur, tu sauras pourquoi...

Ma voix est tremblante. C'est la première fois depuis longtemps que j'accepte de montrer ma vulnérabilité à mon père. Et puis, au moins, lui et Olivia seront prévenus. Ils auront le temps de préparer leurs petites cuillères pour me ramasser.

— Écoute, Oli et moi, on est là pour toi et on t'attend avec une tonne de chocolats. Ça va aller. On va soigner ton petit cœur.

— Tu as plus l'habitude de réparer les cerveaux, plaisanté-je dans une tentative d'éloigner la boule qui s'incruste dans ma gorge.

— Bon alors, ton cœur et ton cerveau. Ça doit mouliner là-dedans.

Ce qu'il dit me donne envie de pleurer de réconfort. Comment j'ai pu être aussi odieuse avec eux ? Tout est désormais très clair, comme si un démon avait cessé de me posséder. Tyron aura été mon exorciste...

— Il me tarde de rentrer et de vous revoir.

— Nous aussi. Olivia a décidé d'entamer un marathon de cuisine. Je crois que l'on peut ouvrir une succursale de l'épicerie du Bon Marché.

Je ris en imaginant notre cuisine envahie par tout un tas d'aliments.

— Je verrai ça demain. Bisous, papa.

— Je t'embrasse, Elena.

La conversation avec mon père a été des plus surprenantes. Moins formelle que d'habitude. Une complicité et une tendresse disparues depuis des années ont ressurgi sans que je n'y sois préparée. Mes yeux tombent sur un cadre accroché au mur où l'on y voit ma mère dans les bras de mon père et ma tante au bord de la mer.

— Tu me manques, maman.

Est-ce qu'on est sur le point de retrouver ce bonheur d'une manière différente ? Profiter de ces petits bonheurs que la vie nous offre et les partager en pensées avec ceux qui nous ont quittés ?

C'est avec ces questions et un espoir naissant que je sombre dans un sommeil des plus profonds.  

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