Chapitre 7-Chef de meute - réécrit
Iris
– OK, tu es prête ? me demande Buck en contournant le bar pour me rejoindre.
Il n'attend pas ma réponse et me tend un plateau sur lequel sont posées quatre bières. Je le récupère en essayant de ne rien renverser.
– Quoi ? Attends, je commence le service directement ?
– Tu ne pensais pas que j'allais te mettre derrière le bar ? On ne sait jamais, tu es bien capable de couper une bière à l'eau et je n'ai pas envie de me faire engueuler par Billy.
Je lève les yeux au ciel. Buck sourit doucement, creusant son unique fossette au niveau de la joue gauche.
– Allez, mignonne, va charmer ces grands bonshommes.
Je retiens un juron face à son surnom stupide. Ses quelques années de plus semblent lui faire croire qu'il peut m'appeler comme bon lui semble. Mais c'est mon premier soir au Denver's Bar et je ne veux pas me faire renvoyer après cinq minutes de travail.
J'inspire profondément et me dirige vers la table que je suis censée servir. J'ai l'avantage de ne pas être timide, ou du moins de savoir cacher ma timidité sous un air de dur à cuire. Je parviens à la table où sont assis quatre bikers du coin, tous plus sérieux les uns que les autres. Ils me grognent un rapide bonsoir et je ne perds pas de temps pour rejoindre le bar.
Buck est en train de servir une jolie blonde qui semble sous son charme. Une fois qu'elle s'éloigne avec sa consommation, je frappe ma main sur le comptoir et pose le plateau vide dessus, une expression de triomphe sur le visage.
– Allez, mignon, donne-moi la prochaine commande !
Buck se tourne vers moi, les sourcils relevés.
– Tu n'as tué personne en chemin ?
Je me retiens de lever à nouveau les yeux au ciel alors qu'il me prépare une deuxième commande.
La porte du bar s'ouvre, une étudiante du cours de psychologie cognitive entre, rapidement suivie de deux autres filles. Le Denver's Bar semble rassembler un peu toute la population de la ville le samedi soir, en particulier les étudiants. La plupart se trouvent près des deux tables de billard au fond de la pièce. Mon regard se perd sur eux et c'est un tout autre étudiant qui me vient en tête. Un souvenir beaucoup trop envahissant s'impose à moi : un grand brun trempé me fixant de ses yeux vairons alors que la pluie s'abat sur nous.
Je me gifle mentalement. Il a fallu que Tucker vienne à mon secours pour que je le trouve presque – et j'insiste bien là-dessus – sympathique. Tandis qu'il me scrutait dans les moindres détails l'autre jour, mon corps ne semblait pas pressé de s'échapper, comme ravi de rester paralysé sous le joug de son regard hypnotique.
Attendez, est-ce que je viens vraiment d'avoir cette pensée stupide ? Bordel, sortez- moi de là avant que je devienne une héroïne de romans à l'eau de rose !
Une main hâlée se dresse devant mon visage. Buck fait claquer ses doigts à deux centimètres de mon visage.
– Eh, bougonné-je en reculant.
– T'es toujours là ? me demande-t-il. T'écoutais pas du tout ce que je disais.
Je redresse le menton, posant une main sur la poche arrière de mon jean serré.
– Bien sûr que si.
– Alors amène ce plateau à la table que je viens de t'indiquer, me taquine-t-il en me tendant les consommations.
Je me tourne vers la foule. Merde, de quelle table est-ce qu'il vient de me parler ? J'entends un rire dans mon dos.
– Au bout à droite !
– Je le savais, marmonné-je entre mes dents, en avançant vers les sept étudiants regroupés autour d'une petite table de quatre personnes.
Après avoir tendu un Coca-Cola à un blond à la forte mâchoire qui ne cesse de me fixer étrangement, je me presse de servir les autres pour échapper à son regard intéressé. Je sens ses yeux brûler mon dos alors que je traverse la pièce, rejoignant le bar tout en replaçant une courte mèche de cheveux courte derrière mon oreille. Est-ce qu'on se connaît ? Non, il ne me dit rien.
La porte d'entrée s'ouvre une nouvelle fois. Je pousse un soupir quand T-J entre dans le bar, une main dans la poche, l'autre tirant la natte d'une grande brune qui l'accompagne. Sarah. Yeleen entre juste derrière lui, un grand type sur les talons, le regard braqué sur son téléphone. Mes yeux s'attardent derrière eux. Dieu soit loué, aucune trace de Tucker...
Le regard des étudiants du bar se tourne vers eux. Certains les saluent tandis que d'autres les observent seulement. C'est dingue comme Yeleen et sa bande attirent l'attention au milieu des fêtards. Ils doivent sans doute savoir qu'ils ont affaire à la fameuse Meute.
Je tourne le dos aux nouveaux arrivants. Buck m'observe derrière le comptoir. Avec un air taquin sur le visage, il pointe du doigt la table que rejoignent les T-J et compagnie. Je me retiens de fusiller du regard mon nouveau collègue et sors le petit calepin coincé dans la poche arrière de mon jean.
Ce n'est que lorsque j'arrive à quelques pas de leur table que Yeleen, qui tripote les cheveux du grand type à côté d'elle, me remarque enfin. Le gars qui l'accompagne détourne son attention dans ma direction. Vu sa carrure, je suppose qu'il pratique un sport de compétition et doit être une vraie machine sur le terrain. La jolie métisse m'adresse un grand sourire quand j'atteins la table.
– Bonsoir, commencé-je.
T-J tourne la tête dans ma direction, ses sourcils blonds se relevant avec surprise.
– Ma meilleure amie !
Je plisse les yeux en ouvrant le calepin :
– Arrête de m'appeler comme ça, T-J, je suis pas ta meilleure amie.
Mon air bougon l'amuse et je n'arrive pas à paraître fâchée contre lui. Son expression de pseudo-malheureux me fait presque sourire. M'atteint.
Il rigole doucement en croisant les bras :
– Et sinon quoi ?
Je fais claquer mon stylo avec un air de psychopathe.
– Sinon, je te crève les yeux.
– Mais alors je ne pourrai plus regarder ces deux petites mandarines qui se dressent devant moi ?
Yeleen et les autres se retiennent de rire alors que je fronce les sourcils. De quoi est-ce qu'il... En voyant son regard s'attarder sur ma poitrine, je comprends.
Mes yeux lui lancent des éclairs quand je rétorque :
– Eh bien, on se comprend entre fruits.
– Entre fruits ?
– Mes seins, les mandarines. Et je suis sûre que tes couilles ressemblent à deux petites prunes.
Il arrête soudainement de rire alors que les autres sont hilares. Yeleen reprend pour détendre l'atmosphère :
– Tu travailles ici depuis quand ?
– C'est mon premier soir en fait.
– J'ai travaillé quelques mois ici, intervient le gars à côté d'elle. Le salaire est pas phénoménal mais Billy est cool, tu verras. Je suis Trey, se présente-t-il en posant sa main sur l'épaule de Yeleen.
Je comprends rapidement qu'ils sont ensemble. – Iris, réponds-je.
– Enfin bon, pour un salaire pas phénoménal autant travailler ailleurs, intervint Sarah en pinçant les lèvres d'un air dégoûté.
Je me tourne vers elle et penche la tête sur le côté.
– Pourquoi venir ici si le lieu ne te convient pas ?
Je déteste son ton condescendant mais je me retiens de l'injurier à voix haute. La première chose que ma mère m'a apprise est qu'il ne faut pas juger une personne sur son apparence. C'est ce que m'ont confirmé mes cours de psychologie, mais c'est parfois dur...
Sarah regarde ses amis comme s'ils étaient la cause de sa venue. Je ne m'attarde pas plus longtemps et prends leur commande, avant de continuer d'une voix qui, je l'espère, semble tout à fait désintéressée :
– Ce sera tout... ?
– Heu oui... Quatre boissons... quatre personnes, me répond Yeleen, perdue.
– Nous n'attendons personne. Personne ne va nous rejoindre ce soir, insiste T-J en retenant un petit sourire.
Je hausse une épaule en ignorant son air beaucoup trop scrutateur et m'éloigne de leur table. Je ne le laisse pas me parler une nouvelle fois de leur petite sauterie. Les étudiants de l'université le font assez comme cela. Toute la journée, je les ai entendus en parler, se demandant s'ils allaient oser y aller. Même à la putain de bibliothèque où le silence est pourtant le mot d'ordre.
Quelques minutes plus tard, leurs boissons servies, je rejoins Buck qui m'accorde ma première pause.
– Je t'offre un shot, m'annonce-t-il.
L'horreur doit sûrement s'afficher sur mon visage et je tente de cacher rapidement mes émotions.
– Je... Non, merci.
– Allez, en tant que nouvelle employée, tu as le droit à un seul et unique verre quand tu es en service.
– Je ne bois pas, répliqué-je, la gorge nouée.
– Tu n'aimes pas l'alcool ? me taquine-t-il en posant ses coudes sur le comptoir. Laisse-moi te rappeler que tu es serveuse dans un bar. Un verre, c'est rien.
Je le fixe silencieusement. C'est quoi le rapport ? Et de quoi se mêle-t-il d'abord ?
Un verre, ce n'est pas rien. Parce qu'un verre en entraîne un autre. Et alors vous êtes dans la merde et vous faites de la merde. Je sais de quoi je parle. Un flash désagréable me revient, comme un électrochoc. Une seule et unique image se dresse dans ma tête, tournant en boucle.
Je sors de ma léthargie et un frisson désagréable remonte le long de mon épine dorsale alors que j'avale difficilement ma salive.
– Non merci, refusé-je un peu plus fermement avant d'aller récupérer le paiement du premier groupe d'étudiants. En arrivant à leur table, le blond de tout à l'heure ne cesse encore une fois de me bouffer des yeux. Ne voit-il pas que je ne réponds absolument pas à ses putains de regards énamourés ? Alors qu'il me tend un billet de vingt, je me penche et le pince entre mon index et mon pouce. Son autre main s'enroule autour de mon poignet.
– Est-ce que t'es nouvelle ? – Enlève ta main, grogné-je.
L'un de ses potes rigole dans sa barbe comme un imbécile. Le blond ne bouge pas d'un centimètre. Il continue de me fixer et c'est clairement gênant. Ses doigts me serrent, presque douloureusement, mais je ne laisse rien paraître sur mon visage.
Je suis gentille – enfin la plupart du temps – et ce soir est mon premier soir de boulot, mais hors de question que j'attende la bouche en cœur qu'un connard me lâche. Je m'apprête à l'insulter, voire à lui donner un coup de tête à mes risques et périls, quand une voix grave claque dans mon dos.
– Y a un problème ?
Je reconnais parfaitement cette voix mais je ne bouge pas. Je ne suis pas une petite chose fragile. La vie m'a donné beaucoup de coups et je ne me suis jamais cassée, alors ça ne risque pas d'arriver ce soir. Le blond détourne enfin le regard pour s'intéresser à Tucker et se décompose. Il me lâche avec un air résigné.
– Je me suis trompé, rigole-t-il doucement d'un air d'excuse.
– L'erreur est humaine. Beaucoup d'humains sont des erreurs, terminé-je d'un ton doucereux.
Et tu en es une, grogne ma conscience.
Je n'attends pas une seconde, récupère ma monnaie et me retourne pour m'éloigner, alors que ses potes et lui quittent la table. Le blond passe près de moi. J'aperçois Tucker lui murmurant quelque chose au passage mais je n'arrive pas à entendre. Son corps est complètement tendu, comme s'il s'apprêtait à sauter sur quelqu'un.
– Qu'est-ce que tu lui as dit ?
– Ça va ? me demande-t-il d'une voix basse mais puissante, sans me répondre.
– Bien sûr, je gérais la situation, j'avais pas besoin de ton aide.
Tucker fixe la porte derrière laquelle le blond disparaît en me jetant un dernier coup d'œil.
– Matt est un fils de pute.
Ma bouche s'ouvre de surprise face à la dureté de ses mots. Ses deux poings sont serrés et le haut noir à manches longues qu'il porte ne cache en rien ses muscles tendus.
– Tu le connais ?
– Écoute, reprend-il en passant sa main sur ses joues mal rasées, reste loin de lui.
Sa phrase résonne comme un ordre à mes oreilles et ne laisse aucune place à une réponse. Je n'ai même pas le temps de réagir qu'il s'éloigne et rejoint ses amis de l'autre côté de la salle. Ses larges épaules l'aident à se frayer un passage entre les personnes qui commencent à se laisser aller à quelques mouvements de danse. Mes yeux descendent d'eux-mêmes le long de ses jambes moulées dans un jean brut.
Je fixe ses fesses sans retenue avant de me gifler mentalement.
Après quelques secondes, T-J tourne la tête dans ma direction, perdant son sourire alors que Tucker semble lui bougonner quelque chose. C'est quoi leur problème ? Le blond hoche la tête avec sérieux comme s'il buvait les paroles de Tucker avec avidité. Ce dernier croise les bras, ne faisant aucun effort pour s'intégrer à une possible conversation. Mais quand il ouvre la bouche une seconde, ses voisins de table lui accordent toute leur attention. On dirait presque qu'il dégage une aura autour de lui, attirant tous les regards, comme s'il régnait sur cette petite parcelle de territoire.
Et là, je comprends.
Je viens de trouver le chef de meute.
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