Chapitre 6-Percutons nous - réécrit
Iris
– Eh, madame la psychologue ! crie-t-on dans mon dos.
Je m'arrête brusquement au milieu du réfectoire, sous quelques regards aussi perdus que moi. Je me tourne vers la voix féminine, me demandant si c'est bien moi qu'on appelle, et mes yeux tombent sur de magnifiques cheveux sombres – Yeleen. La métisse agite sa main dans ma direction et, même de là où je me trouve, je vois ses yeux sombres brillant de joie. La fille assise à sa table se tourne vers moi, l'air inquisiteur, alors que je m'avance vers elles.
– Pas de pénis dessiné en blanc sur ton front aujourd'hui ? la taquiné-je avec un air théâtral.
Elle plisse ses yeux et m'envoie une frite en se moquant du regard des autres. Son attitude me plaît, je dois l'avouer.
– Assieds-toi avec nous, me propose Yeleen.
Je remarque quelques regards envieux portés sur nous. Étrange...
Je jette un coup d'œil à l'extérieur, à mon pauvre sandwich et à leur table. Ne réfléchissant pas, j'accepte sa proposition avec un haussement d'épaules. Déjeuner avec elles ne me semble pas être si affreux.
– Je suis Sarah, m'annonce la jolie brune assise près de Yeleen alors que je m'installe en face d'elle.
– Iris.
Ses yeux bleus contrastent avec sa peau bronzée et, à mon grand étonnement, elle me tend la main. Mon regard se perd sur la Rolex accrochée à son poignet.
Yeleen croque une autre frite puis lève les yeux au ciel.
– Arrête d'avoir l'air si officiel, rigole-t-elle en fixant Sarah, tu ressembles à une de ces connasses de pom-pom girl.
Un rire sort de ma bouche alors que la brune prend un air offusqué.
– J'ai l'air de vouloir tortiller mon cul sur un terrain en faisant semblant d'être heureuse ?
Elle me jette un regard amusé.
– Pardonne-moi, j'essayais juste d'avoir l'air civilisé.
– Alors, continue Yeleen en s'intéressant à moi, qu'est-ce que tu faisais toute seule comme une âme en perdition ?
Je jette un coup d'œil à mon sandwich.
– Je ne suis pas toute seule ni en perdition ; je suis simplement venue me remplir le ventre avant que la faim me pousse à voler le goûter de l'un de ces petits étudiants.
Les deux filles éclatent de rire.
– Tu parles, soupire Sarah, j'aimerais bien me trouver un petit étudiant pour moi aussi. J'en ai marre d'être en couple avec le célibat, si vous voyez ce que je veux dire...
– Je croyais que tu voyais ce gars de l'équipe de base-ball ? demande Yeleen avec un air conspirateur.
Sarah hausse l'une de ses épaules délicates en piquant sa salade avec sa fourchette. – Je préfère encore rester célibataire.
– Je pourrais te faire passer cette envie.
La voix de T-J retentit juste derrière elle.
– La ferme, grogne Yeleen en lui jetant une frite.
Il attrape la frite au vol et l'engouffre dans sa bouche avec un grognement amplifié.
Lorsqu'il remarque ma présence, ses yeux s'écarquillent.
– Ma meilleure amie ! crie-t-il.
– Pitié arrête avec ça, soufflé-je en retenant un sourire.
Sarah et Yeleen observent T-J faire le tour de la table et s'asseoir près de moi.
– Tu connais ce petit con ? rigole la métisse après quelques secondes.
– On est meilleurs amis, affirme T-J sans que je puisse placer un mot.
Je secoue la tête. J'articule silencieusement « pas du tout » en direction des deux filles.
T-J se penche vers moi.
– Je serai sage, promis. Je n'ai pas envie de mourir.
Je relève un sourcil vers lui.
– Qui te tuerait ?
Son air canaille ne me dit rien qui vaille, mais il ne me répond pas. – Alors... continué-je, vous êtes amis tous les trois ?
Ils hochent la tête, Sarah prenant la parole :
– Je les supporte depuis trois ans à mon plus grand désespoir... Aïe ! s'exclame-t- elle quand Yeleen lui donne un coup sous la table. On fait tous partie de la même bande de potes.
Je m'immobilise en essayant de comprendre ses mots. De la même bande de potes ? Je me souviens de T-J distribuant des prospectus quelques jours plus tôt.
– Vous faites tous partis de la... Meute ?
Ils hochent la tête en chœur, ce qui est assez déstabilisant.
Bordel, attendez, il a fallu que je tombe sur le groupe de Danger Public ? Je suis destinée à croiser la foutue route de Tucker pour le reste de mes études ou quoi ? !
Je comprends enfin le regard que m'ont jeté quelques personnes quand je me suis assise quelques minutes plus tôt, et l'envie dans leurs yeux. Ils doivent se demander ce que je fous ici. Et moi je me demande pourquoi T-J et Yeleen ont l'air de si bien m'accueillir alors que les places à leurs côtés sont censées être si chères ?
Je suis presque prête à récupérer mon sandwich et à m'échapper rapidement quand Sarah me pose une question.
– Qu'est-ce que tu étudies ?
– Je suis en troisième année de psychologie. Je dois y all... commencé-je en reculant ma chaise.
– Oh... Intéressant ! me coupe Sarah. Peut-être que tu m'aideras à comprendre le comportement de mon connard de beau-père, rigole-t-elle doucement.
T-J se penche et pose ses coudes sur la table.
– Elle a cours de science criminelle avec Tucker.
Sarah arrête de rigoler et fixe le blond en fronçant les sourcils.
– Ah ouais ?
Elle se tourne ensuite vers moi.
– Vous vous connaissez ?
Son attitude totalement opposée à celle qu'elle avait un instant plus tôt me fait réfléchir.
Je choisis mes mots :
– Pas vraiment.
C'était sans compter sur T-J qui intervient, ravi de rajouter son grain de sel.
– En fait, ouais ils se connaissent. Tucker a crevé l'autre jour. Elle l'a ramassé comme un petit animal blessé sur la route.
Je lui donne un coup de coude.
Sarah essaie de garder l'air aimable mais les signes ne trompent pas. Son regard est extrêmement sérieux alors qu'elle hoche la tête. J'ai la fâcheuse manie de relever tous les petits détails qui font notre personne, et ce qui transpire de ses pores ne ressemble pas du tout à de l'amabilité.
Y aurait-il quelque chose entre eux ?
Aussitôt, je sens que mon corps est sur la réserve. Yeleen grignote ses frites et reprend pour T-J.
– Alors, où est Tucker ?
T-J me jette un coup d'œil avant de répondre : – Il règle un truc avec Dan.
Il n'en dit pas plus mais les filles semblent comprendre car elles acquiescent d'un air entendu, me laissant dans l'incompréhension. Mais ce n'est pas comme si cela devait m'intéresser, pas vrai ?
Je me retiens quelques secondes mais les questions sortent finalement d'elles- mêmes :
– Alors, c'est quoi ce délire de Meute ? C'est plus qu'un groupe de potes ?
Je l'avoue, j'en pose plus que je ne le voulais, mais la curiosité me pousse à le faire.
– Ouais. T'es en face des rois du campus, ma belle, réplique T-J.
Je relève les sourcils. Ce n'est pas du tout mon délire, ceux qui se prennent pour les rois du monde ou je ne sais quoi. Yeleen secoue la tête et fait disparaître cette impression négative en coupant son ami :
– Je sais comment on est vus par tout le monde ici mais, promis, on n'est ni les rois du monde ni des gros snobs tyranniques ! Après, si ces crétins veulent nous laisser les meilleures places dans les amphis et nous cirer les pompes, on ne va pas s'en plaindre.
T-J paraît offusqué une seconde avant de se pencher dans ma direction :
– Mais bien sûr qu'on est les rois du monde et des gros snobs tyranniques, on n'arrive pas au sommet en jouant aux Bisounours. Ici c'est la loi du plus fort, il faut savoir leur montrer qui est le chef.
Je penche ma tête sur le côté.
– Eh ben, ça donne vachement envie de rejoindre la dictature façon T-J...
Yeleen donne un coup de coude au jeune homme blond pour montrer son désaccord.
– N'écoute pas ce débile. Je t'assure qu'on est plutôt cool.
– Et comment vous avez créé votre « groupe » ?
La grande métisse avale ce qu'elle avait dans la bouche avant de me répondre :
– En première année, j'ai fait la connaissance de Tucker et T-J. On a commencé à traîner ensemble sans se mélanger aux autres, juste nous trois. Puis Sarah nous a rejoints, et quelques autres que tu ne connais pas.
– Et on a commencé à organiser les fêtes du siècle, poursuit T-J, les yeux brillants. Sans limite. Aucun interdit. Le monde de la nuit s'est offert à nous. Peu d'étudiants pouvaient y participer. Des rumeurs ont commencé à courir et on a laissé faire. C'était assez marrant... Et puis ça a pris de l'ampleur au fur et à mesure des mois.
Des fêtes sans limites... Je sais que je n'ai pas le droit d'être attirée par tout ça. Je n'en ai pas le droit si je veux garder ma vie entièrement stable.
– Mais une rumeur est pourtant vraie, termine Yeleen. Si tu touches à l'un d'entre nous, on te détruit. Peu importe qui est la personne qui s'en est pris à notre pote. Si tu fais du mal à l'un de nous, tu as affaire aux autres. C'est peut-être ça notre force. Nous sommes soudés.
Et je comprends enfin le sens du nom. La Meute.
Je me demande ce que veut dire la phrase sur le prospectus. Ils laissent de
nouvelles personnes rentrer dans le groupe ? Pourquoi ? Mais je ne leur pose pas de nouvelle question.
Je ne cherche pas de groupe de potes. Je veux juste... vivre en paix, me construire une nouvelle vie sur laquelle mon passé n'aura aucune emprise.
– Alors, de quel joueur de l'équipe de base-ball vous étiez en train de parler avant que j'arrive ? reprend T-J en étouffant un bâillement avant de fixer les restes de mon sandwich. Tu vas finir ?
– De personne, s'exclament en chœur Yeleen et Sarah alors que je tends mes restes à T-J.
– Allez les filles, soyez sympa, supplie-t-il presque, la bouche pleine.
– Pour que tu ailles trouver ton petit coéquipier et me ridiculiser ? grogne Sarah. Non merci.
T-J hausse les épaules et prend un air innocent :
– Solidarité masculine, j'y peux rien, chérie.
– Tu es dans l'équipe de base-ball ?
Il hoche la tête en avalant sa dernière bouchée.
– Alors, tu as réfléchi ? Tu vas venir à notre petite sauterie la semaine prochaine ? – Je suis pas sûre qu'elle soit un agneau, le coupe Yeleen avec un petit rire.
Alors que je m'apprête à leur répondre négativement, mon portable sonne. Le numéro de ma tante s'affiche. Merde !
Je me lève précipitamment. – Je dois y aller, salut !
Je n'attends pas leur réponse et décroche précipitamment en quittant la cafétéria. – Allô ? demandé-je en reprenant mon souffle.
Au même moment, un éclair foudroyant frappe le campus. Attendez... Ne me dites pas que j'ai laissé la capote du toit de ma voiture ouverte, hein ? Ne me dites pas qu'il va flotter juste pour que ma journée devienne complètement nulle à chier ?
– Agnès vient de sortir de l'hôpital, m'annonce ma tante.
– Quoi ? crié-je au milieu du couloir, juste avant de poser la main sur ma bouche. Quoi, comment ça ? ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? C'est grave ? Je vais prendre un avion, je peux...
– Non, tout va bien, mais Agnès a fait une crise d'hystérie. Je ne savais pas quoi faire.
Un coup de tonnerre retentit. Pas le choix, je rebrousse chemin et me dirige vers le parking.
– Alors tu l'as emmenée à l'hôpital ? craché-je pendant ce temps à Emma. – Que voulais-tu que je fasse ? me demande-elle d'un ton sévère.
– La calmer ! La mettre dans un endroit calme. T'asseoir à côté d'elle, lui parler. Lui faire comprendre qu'elle n'est pas prisonnière de son passé mais bien libre de son présent. Bordel, ce n'est qu'une petite fille !
J'entends Emma soupirer à travers le combiné. J'accélère le pas, désormais furieuse.
– Je ne savais pas quoi faire, murmure finalement ma tante.
J'inspire profondément. Je sais que c'est dur pour elle, de se retrouver avec une gamine sur les bras pendant quelque temps. Je le sais bien.
– Écoute, je... La prochaine fois, appelle-moi et passe-la-moi, d'accord ? Je vais lui parler dès que je peux.
– Très bien, termine-t-elle. Je lui demanderai de t'appeler ce soir.
Elle raccroche sans attendre ma réponse. Je ferme les yeux et ravale un juron une nouvelle fois. J'arrive enfin à la porte de sortie et la pousse, tout en fourrant ce maudit portable dans mon sac.
C'est à ce moment-là que je bute contre un torse masculin.
Mon portable atterrit par terre et je manque de tomber alors que l'homme ne bouge pas d'un centimètre. Une main se pose fermement sur ma hanche droite, me stabilisant.
Le regard toujours fixé au sol, je me baisse pour ramasser mon téléphone. – Fait chier, grogné-je.
Mais, Dieu merci, il n'a aucune rayure !
– Ça va ? me demande une voix masculine.
Toujours accroupie, je retiens un grognement en reconnaissant la voix de Tucker. Sérieusement ? Je crois que le ciel est contre moi aujourd'hui.
– J'ai l'air d'aller bien ? bougonné-je dans ma barbe en rangeant mon portable, le mettant en sécurité pour de bon.
Je me redresse et il plisse doucement ses yeux si particuliers, qui ont l'air légèrement humides. Une odeur de savon se dégage de son corps quand il croise les bras, et mon regard s'égare sur ses biceps sous sa veste. Stop ! Je n'ai aucune envie que mon stupide esprit soit troublé à cet instant. Ça suffit les conneries.
Toujours énervée, j'avance vers ma voiture. Très bien, il ne pleut pas encore, c'est une chance.
– Je vais bien aussi, me nargue-t-il. Tu devrais regarder où tu marches la prochaine fois, rouquine.
Je me tourne, furibonde. Ce n'est absolument pas le moment de me faire chier, mon beau.
– C'est toi qui m'es rentrée dedans, craché-je presque. Et mes cheveux, soufflé-je en m'approchant de lui. Ils t'emmerdent profondément.
Il penche légèrement la tête, apparemment ravi de ma réponse. Ou plutôt ravi que j'entre dans la joute verbale. J'ai l'impression que son but est de me faire sortir de mes gonds. Sans moi, les gars.
Alors que ses yeux se mettent à briller à l'instant où il trouve une réponse adéquate, je pince les lèvres.
– Crois-moi, je suis pas d'humeur.
Il doit voir sur mon visage que je ne plaisante pas. Il s'approche un peu plus et fixe la mèche rousse sur mon front, comme s'il voulait l'analyser de plus près. C'est quoi son problème ? !
– Tu vas bien ?
Sa voix rauque est sérieuse désormais.
Par principe, je ne recule pas. Je garde mes yeux dans les siens alors que mon corps se tend. C'est mon stupide esprit qui fait à nouveau des siennes.
– Tu crois que si ça n'allait pas, je te le dirais ? lui demandé-je.
Tucker sourit doucement et je remarque que sa lèvre inférieure est un peu plus charnue que celle du haut. Il passe sa langue dessus, comme s'il se retenait de parler.
Quelque chose s'écrase en plein milieu de mon front. Je le touche du bout du doigt – de la pluie. Non ! Tandis que l'averse commence, Tucker me pousse vers l'entrée du bâtiment.
– Merde, grogne-t-il, rentrons avant de ressembler une nouvelle fois à des chiens mouillés.
Les étudiants qui étaient dehors se précipitent également pour rentrer, certaines filles poussant de petits cris au passage.
Tucker s'apprête à se mettre à l'abri mais remarque que je marche dans le sens contraire.
– Qu'est-ce que tu fous ? crie-t-il dans ma direction d'une voix grave. Sous des trombes d'eau de plus en plus puissantes, je hurle :
– Ma voiture !
Je me précipite vers ma Chevrolet alors que la pluie s'abat sur le cuir usé à l'intérieur. Cette voiture, c'est un peu tout ce qu'il me reste de mon père. Jamais, jamais je la laisserai se faire détruire. Je vais pas la laisser couler comme ce débile de Jack Dawson !
– Bordel, jure-t-on derrière moi. Stupide nana.
J'entends des pas frapper le sol derrière moi alors que j'y arrive enfin. Je me jette sur le siège du conducteur qui prend également l'eau, et met le contact. La capote du toit remonte un petit peu, juste avant de s'arrêter. Elle est coincée.
– Non, non, allez, ma belle, gémis-je presque alors que mes cheveux collent à mon visage.
– On dirait que la pluie essaye de nous envoyer un message, s'exclame Tucker en arrivant près de moi.
– Mais qu'est-ce que tu fous ? grogné-je. Va te mettre à l'abri, espèce d'idiot.
Malgré la pluie, je remarque le petit sourire qui s'affiche sur son visage, mais il s'efface rapidement quand je commence à claquer des dents, complètement trempée. Tucker ouvre sa veste et me la jette.
– Couvre-toi, m'ordonne-t-il en s'asseyant sur le siège passager et essayant de trouver le mécanisme manuel du toit.
Stupéfaite, je ne bouge pas d'un millimètre tandis qu'il le force manuellement. L'eau dégouline sur ses bras en plein effort. Je me rapproche de lui et, sans réfléchir, positionne le vêtement au-dessus de nos deux têtes. Nos corps sont trempés mais nos têtes à l'abri, provisoirement.
– Allez, le supplié-je presque, et ses yeux accrochent soudainement les miens.
Un nouveau coup de tonnerre retentit alors que la capote se décide enfin à coopérer. Le toit se ferme doucement.
Néanmoins, Tucker ne bouge pas, un air énigmatique sur le visage. Pourquoi est-il venu m'aider alors que, d'habitude, il s'amuse à m'énerver ? Je n'arrive pas à l'analyser et mon cerveau en ressort frustré. Ce type est vraiment trop complexe.
Mais la complexité n'est-elle pas ce qui rend les choses plus attirantes ?
Non, non, non. N'importe quoi. Je n'ai pas besoin de complexité dans ma vie ! Je recule et lui plaque sa veste désormais trempée sur le torse.
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