Chapitre 2- Faire attention aux loups - réécrit


Iris

OK, Amphi B4. Mais où est ce foutu amphi B4 ? ! Ils ne peuvent pas mettre une indication, comme à Portland ?

Trois fois que je repasse dans ce même couloir et pas d'amphi à l'horizon. Je jette un coup d'œil à l'écran de mon téléphone. 8 h 57. J'ai trois minutes pour arriver à l'heure.

Un étudiant plongé dans sa conversation téléphonique passe près de moi en parlant fortement à son interlocuteur, tout en gesticulant.

– Eh !

Je l'interpelle sans aucun tact, aussi pressée que mes fesses dans ce jean.

– Tu sais où est l'amphi B4 ? lui demandé-je en reprenant mon souffle.

Il me regarde de haut en bas en éloignant le combiné de son oreille. L'un de ses sourcils blonds se relève alors qu'il me répond :

– Désolé, je ne m'appelle pas Michael Scofield. Je n'ai pas de plan tatoué sur la peau.

C'est qui ce con ?

Devant mon incompréhension, il soupire d'un air théâtral et reprend en faisant claquer sa langue.

– Tu sais, dans Prison Break ? Mais tu sors d'où, toi ? Je plisse les yeux.

– J'ai l'air de vouloir parler série ? L'amphi ? redemandé-je en me retenant de l'insulter.

L'étudiant soupire une nouvelle fois.
– Prochaine intersection, tourne à droite.

– Merci, marmonné-je en m'éloignant alors qu'il reprend sa conversation comme si de rien n'était.

Eh bien, on peut dire que les étudiants ont l'air chaleureux ici ! Je trouve enfin mon bonheur en arrivant devant la porte de l'amphi.

Je reprends ma respiration et replace une mèche de mes cheveux courts pour ne pas ressembler à une asthmatique à moitié morte.

J'ouvre enfin la porte et découvre un immense amphithéâtre, complètement plein. Merde. Heureusement que la professeure n'est pas encore arrivée.

Je remarque deux places vides au milieu de l'amphi. Bizarre. Certains étudiants sont carrément assis sur les marches mais laissent ces places libres ? Peut-être que les sièges sont cassés ?

– Excusez-moi, chuchoté-je en faisant se relever les élèves de la rangée pour rejoindre une des places.

Malgré mon sourire d'excuse, une étudiante me foudroie du regard lorsque je lui marche sur le pied.

Miraculeusement, je finis par arriver à destination sans avoir tué personne. Je me laisse tomber sur une chaise et grimace en sentant le bois heurter mes fesses de plein fouet. Bon, c'est en bon état mais niveau confort, on repassera. En même temps, les amphis à l'université de Portland ne sont pas vraiment mieux. L'Oregon ne me manquera pas pour ça.

Deux personnes du rang devant moi se retournent carrément pour me dévisager. Quoi, il y a un truc qui cloche sur mon visage ? Ils fixent la place restée vide à ma gauche, puis celle où je suis assise, et chuchotent avant de me tourner à nouveau le dos. Je sens un troisième regard sur moi. De l'autre côté de la dernière place restée vide, se trouve une sublime métisse qui m'analyse discrètement. Elle relève un sourcil et je suis à deux doigts de lui demander si je suis assise sur une place maudite ou un truc du genre. En remarquant mon propre regard, elle me jette un petit sourire avant de sortir ses affaires de son sac.

Les gens sont très étranges, ici.

Je pousse un soupir et sors mon ordinateur. Près de moi, les étudiants se relèvent pour permettre à un retardataire de s'installer sur la dernière place libre.

– Si je te dis que c'est ma place, est-ce que tu vas encore m'insulter ?

Je cache mon trouble en découvrant monsieur Danger Public, une expression énigmatique sur le visage.

C'est pas vrai.

– Qu'est-ce que tu fous là ? soufflé-je.

J'essaye de faire abstraction de ses yeux bleu et bleu taché de brun, véritables aimants à emmerdes si vous voulez mon avis.

Je me concentre sur le logo de sa casquette posée sur le haut de son crâne, cachant en partie sa masse de chevelure noire. Le type croise ses bras, moulés dans son tee- shirt gris en coton. Les veines ressortent sur ses avant-bras et je tente de ne pas m'attarder dessus.

La métisse assise juste à côté de lui retient un petit rire avant de reporter son attention sur l'écran de son téléphone. C'est sans doute une amie à lui.

– Je pourrais te poser la même question, reprend Danger Public un peu plus fortement. Tu me suis ?

Ma bouche s'ouvre en grand alors que je plisse les yeux. Quel culot. Il me coupe juste avant que je puisse répondre :

– Ça ne me gêne pas. Je n'avais pas beaucoup de rousses qui me suivaient.

En voyant son petit sourire, signe qu'il se fout ouvertement de ma gueule et de mes cheveux, j'enrage intérieurement mais essaye de ne rien laisser paraître.

Je redresse mes épaules et me penche vers lui.
– Waouh, ton humour égale presque ton incapacité à te garer.

J'ignore le petit rire rauque qui sort de la poitrine de mon voisin. Les deux personnes assises juste devant nous se retournent à nouveau et me fixent, comme si j'étais folle de lui parler comme ça. J'ai à peine le temps de m'interroger sur leur air outré que la porte de l'amphi s'ouvre à grand fracas.

Une petite femme d'une cinquantaine d'années, lunettes sur le nez, marche vers le bureau devant nous, un carton sous le bras.

Un type entre juste derrière elle, un sourire aux lèvres en apercevant sans doute certains de ses amis parmi les étudiants installés.

– Une minute plus tard et je ne vous aurais pas accepté, annonce la professeure d'une voix tranchante au gars qui perd soudainement son air ravi.

Le silence se fait peu à peu parmi les étudiants tandis que la femme semble chercher quelque chose dans son carton. Même mon voisin semble se calmer, comme si cette femme était le diable en personne.

Elle abandonne sa tâche en souriant et relève la tête pour s'adresser à nous. Son regard est terriblement direct pendant qu'elle nous analyse.

– Bienvenue dans mon cours de science criminelle. J'espère que vous avez passé de bonnes vacances d'été et j'en profite pour vous rappeler qu'elles sont terminées. Vous êtes nombreux à être en troisième année et à venir de différentes filières. Certains me connaissent car j'enseigne également le droit pénal depuis de nombreuses années. Je suis le professeur Richards. J'insiste bien sur le

« professeur ». Je sais que beaucoup d'élèves appellent leurs enseignants par leur simple nom de famille, mais ne faites pas cette erreur si vous voulez sortir vivants de mon cours. Je ne suis pas votre amie.

– Bordel, chuchoté-je à la fin de sa phrase, aussi bien choquée qu'impressionnée par son aisance orale.

– Elle fait toujours son petit effet, murmure mon voisin. Un peu plus terrifiante que toi.

– J'ignorais que je venais d'engager une conversation, chuchoté-je furieusement. – Eh bien, tu viens juste de le faire, rouquine.

Alors que je soupire, la professeure écrit son nom sur l'unique tableau présent derrière son bureau imposant.

– Ils font des cours pour apprendre à gérer sa colère, me suggère le brun insupportable d'un air innocent.

Je me tourne vers lui en plissant les yeux et lui chuchote discrètement :

– Je n'ai pas besoin de contrôler ma colère. J'ai simplement besoin que les gens arrêtent d'être cons.

Il ne semble pas vraiment touché par ma nouvelle insulte, hausse simplement une épaule et bâille sans aucune gêne. Il passe ensuite une main sur sa courte barbe avant de replacer sa casquette.

– Certains n'ont pris la science criminelle qu'en option, reprend Mme Richards. Je me sens visée quand elle dit cela et reporte mon attention sur elle.

– D'autres m'ont en matière obligatoire. Peu importe, je compte sur vous pour vous dépasser tout le long du semestre. Si vous en êtes en troisième année, c'est que vous en avez dans le cerveau, certes. Mais cela ne veut pas dire que vous pouvez vous reposez sur vos connaissances. La clé du succès, c'est le savoir, jeunes gens. Et l'argent, mais il s'agit là d'un autre sujet.

Quelques rires fusent alors qu'elle pince ses lèvres couleur carmin. Puis elle s'assied sur le coin de son bureau, sous les yeux des centaines d'étudiants.

– Au cours de l'année, vous aurez plusieurs travaux à réaliser. La science criminelle est une matière passionnante mais complexe. Plusieurs travaux de groupes vous seront demandés, en plus des examens finaux. Si vous ne vous sentez pas capable d'affronter une certaine charge de travail, désinscrivez-vous dès aujourd'hui.

Un type dans les premiers rangs fait une remarque, que je n'entends pas de ma place. Mais la professeure Richards semble l'entendre car elle penche la tête sur le côté en soupirant.

– Je vais être claire avec vous, on ne se met pas en duo ou trio selon le physique des uns et des autres. Alors non, jeune homme, vous n'allez pas choisir votre partenaire en fonction de la taille de ses seins. Et les filles ne choisiront pas un partenaire masculin en fonction de la taille de son pénis, mais de son cerveau. Bien que certains semblent en être dépourvus.

D'autres rires fusent et un petit sourire me vient. Eh bien, elle ne semble pas si démoniaque que ça. Sacrée bonne femme ! Je sens que les lundis de cette troisième année vont être... intéressants.

Je continue de sentir le regard de mon voisin sur moi mais je l'ignore ouvertement.

Après quelques minutes, la métisse assise juste à côté de lui l'interpelle discrètement, détournant son attention pour le reste du cours.

En fin d'après-midi, je sors de mon cours de psychologie cognitive, perdue dans mes pensées. Cette journée était éprouvante. Je suis épuisée et la seule envie que j'ai est de plonger dans mon lit et d'y rester jusqu'à demain matin. Avoir l'air d'une personne normale, d'une étudiante lambda, est plus compliqué que ce que je pensais. Voilà deux semaines que je suis arrivée à Denver, livrée à moi-même. Et pourtant, je ne regrette pas ma décision de quitter Portland. J'en avais besoin.

Personne n'a réellement compris mon envie de partir, de mettre de la distance entre mon passé et moi. La vérité, c'est que j'étais incapable de rester là-bas. Je m'y suis efforcée pendant des mois mais je n'y arrivais plus. J'avais le besoin dévorant de fuir pour me reconstruire ailleurs.

Denver est une grande ville – et c'est un euphémisme – avec à peu près trois millions d'habitants. Des milliers d'étudiants qui me sont encore tous inconnus, tout comme l'est leur ville. Mais c'est surtout à des milliers de kilomètres de Portland, de mon ancienne vie et, j'ignore pourquoi, cette information m'aide à me sentir un peu plus légère, comme si le poids de la réalité n'était pas aussi fort ici.

Je me demande ce que fait ma sœur à cet instant. Vivre avec notre tante est dur pour elle. Je sais qu'elle préférerait être avec moi mais je n'ai pas réussi à obtenir sa garde après la mort de nos parents. Peut-être que j'aurais donc dû rester à Portland, essayant de la voir quand je le pouvais. Mais j'étais incapable de rester dans cette ville qui me rappelait tant de mauvaises choses. Pas après tout cela. Pas pour le moment.

J'entends des cris un peu plus loin, qui semblent sortir d'une enceinte géante. J'arrive près de la pelouse. Une partie de la vaste étendue verte est occupée par une quinzaine d'étudiantes qui sont apparemment en train de manifester. Je m'arrête pour regarder comme plusieurs autres personnes, l'une de nous se mettant à filmer.

Je plisse les yeux et lis l'une des pancartes qu'une grande blonde est en train de porter :

« Nous ne laisserons pas un destructeur de la féminité nous diriger. »

Je rigole doucement en découvrant une autre pancarte. Je comprends enfin de qui les étudiantes parlent.

« Le mieux à faire pour toi, c'est de changer la couleur de ton fond de teint, Trump. »

Je ne peux qu'être d'accord avec elles. Je lève un sourcil quand deux filles enlèvent leurs tee-shirts. L'une des deux se retrouve en soutien-gorge alors que l'autre est directement seins nus.

La première fille, celle qui ouvre la marche, hurle des insanités. Ses longs cheveux noirs brillent au soleil et elle les rejette sur son épaule, dégageant son visage couleur chocolat au lait. C'est alors que je la reconnais, c'est la métisse qui était installée près du connard aux yeux vairons, lors du cours de ce matin.

Elle passe près de moi, et s'arrête en voyant mon petit sourire quand je découvre qu'elle a un pénis dessiné au feutre blanc sur le front.

– Mon dessin te déplaît ? me demande-t-elle sans ménagement en redressant la tête, me fixant de ses yeux sombres.

Je relève les mains en signe de paix mais ne peux m'empêcher de fixer le faux phallus.

– Tu as tout mon soutien, lui dis-je d'un air d'encouragement.

Cela semble être la bonne réponse car elle me fait un clin d'œil et se penche vers moi.

– Je pense aussi. Même si, en me découvrant, mon homme va sûrement me quitter. Mais tu sais ce qu'on dit : « un de perdu, dix de retrouvés ».

Je fais mine de réfléchir en posant mon index sur le bas de mon menton.

– Perso, répliqué-je, j'ai jamais vu dix mecs arriver en disant « bonjour joli cœur, on est les mecs du dicton ».

La métisse rigole doucement en me dévoilant une rangée de dents et semble m'analyser de haut en bas, comme si elle m'évaluait. Après quelques secondes, elle me tend une main :

– T'es une marrante. Je suis Yeleen. 

– Iris, lui réponds-je poliment.

– T'es la nana qui s'est assise près de moi sur les places réservées, dans l'amphi de criminologie.

Je relève un sourcil, pas certaine d'avoir compris le sens de ces mots.

– Comment ça « réservées » ? Depuis quand on réserve des places d'amphi quand ce dernier est blindé ?

Elle hausse simplement les épaules pour toute réponse et je réalise enfin de quoi elle parle, ou plutôt de qui. Le danger public aux yeux vairons. Alors quoi, parce qu'il s'est attribué des places, les gens l'écoutent ? Mais qui c'est, ce type ?

– Attends, tu parles du type imbu de lui-même qui s'est ramené en décrétant que j'avais pris sa place ?

Je rigole faussement et elle me fixe un peu plus attentivement, intriguée par ma réaction.

– Tu sais vraiment pas qui c'est, hein... T'es nouvelle ?

– Ouais, je viens de débarquer. Et non, je ne sais pas qui c'est. Mais je m'assois où je veux, réservation ou non.

Yeleen penche sa tête sur le côté, les deux sourcils relevés.

– T'as du cran. Ça faisait longtemps qu'une petite nouvelle ne lui avait pas parlé comme ça. J'aime ça.

– Et donc... c'était qui ?

Son regard si perturbant hante une nouvelle fois mes pensées et je secoue la tête pour les faire dégager.

– Tu suis quel cursus ? reprend-elle finalement en ignorant ma question.

– Psycho. En troisième année.

Elle siffle comme si elle était impressionnée.

– Et tu restes avec la professeure Richards ? Bon courage. Moi, j'ai décidé de me désinscrire dès qu'elle a parlé de charge de travail !

Elle se tourne subitement vers les filles qui manifestent toujours un peu plus loin.

– Arrêtez de montrer vos seins, bordel ! On ne fait pas un strip-tease pour tous ces blaireaux. Toi, s'adresse-t-elle à l'un des spectateurs, arrête de mater ces filles ou je te coupe ce qui pend entre tes jambes.

Son manque de tact me plaît.

Yeleen se tourne une nouvelle fois vers moi. En remarquant mon regard scrutateur, elle plisse les yeux :

– Eh, madame la psychologue, je sens que tu m'analyses. 

– Désolée, c'est presque involontaire.

J'ai la manie d'essayer de décrypter le comportement des gens qui m'entourent. Mais parfois, je me plante.

Une fille appelle Yeleen. 

– Je dois y aller.

Elle commence à s'éloigner puis s'arrête un instant, me jetant un dernier coup d'œil.

– Fais gaffe aux « loups » sur le campus, Iris. 

– Aux loups ?

Mais aucune réponse ne me parvient alors qu'elle s'éloigne en faisant un doigt à l'un des types qui filme toujours les autres étudiantes seins nus. 

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