Live-Zirkus 0.6
Son corps chutait lentement en arrière comme au ralenti, une longue chute paraissant interminable, les secondes s'écoulant péniblement, le sablier de sa misérable vie se terminant maintenant. Un liquide vermeil se répandit par gouttes épaisses devant ses yeux écarquillés, des perles étincelantes aux tailles diverses mêlées à quelques longs filets rouges. Un ballet écarlate éclatait dans le ciel clair, certes désordonné mais magnifique, d'une beauté à couper le souffle. Souffle coupé, l'air bloqué devant cela dans sa gorge, gorge nouée, et ses longs cheveux blonds passèrent devant elle. Les fils d'or dansèrent librement, légèrement, se joignant avec joie au spectacle pourpre. Son regard d'ordinaire pétillant avait viré à un rose des plus atypiques, se recouvrant lentement mais sûrement d'un délicat voile reflétant sans la moindre imperfection ce qui se déroulait devant lui.
L'impact brutal de son dos contre le bitume glacé de l'aurore ne lui fit rien, son corps rebondissant même quelque peu comme secoué de spasmes. Elle ne pouvait plus bouger, ses membres ne lui répondirent pas et une pluie tiède et poisseuse vint s'abattre sur elle avant qu'une douce chaleur ne vienne se répandre dans sa poitrine. Sa chevelure s'étala autour de sa tête comme une auréole éclatante, la transformant en ange dans ses derniers instants.
Un ange...
Une fumée s'échappait encore du canon de l'arme qui lui avait tiré dessus et tous les témoins de la scène s'étaient tus après la violente détonation. Ils avaient regardé la femme repoussée par l'impact de la balle fatale, la touchant en plein cœur, ils l'avaient regardé s'étendre sur le sol, ils avaient regardé ce fluide vital fuir ce corps qui s'apprêtait à rejoindre des ténèbres glaciales. Immobile, paralysé, sous le choc de ce qui venait de se déroulait, le jeune homme brun ferma lentement sa bouche qui s'était entrouverte sous la surprise. Le sang qui avait quitté son visage, le rendant d'une pâleur affligeante, afflua soudainement à toute allure dans ses veines douloureusement lorsque ses pupilles bleues se posèrent sur la femme à terre. Ce fut un déclic brusque et son regard s'assombrit progressivement, ses poings se serrant si bien que ses jointures blanchirent sous le regard inquiet du jeune homme roux à ses côtés. Sa bouche tout à coup sèche s'ouvrit difficilement, la gorge nouée, dévorant cette scène du regard, se la gravant éternellement dans sa mémoire. Aucune parole ne franchit la barrière de ses lèvres sur le moment, son souffle lui manquant, son souffle mourant sous la forme de panaches blancs.
... c'est ce que j'aurais voulu être...
Les yeux roses étaient rivés sur l'immensité du ciel se colorant peu à peu comme s'il allait l'absorber. L'étrange chaleur qui s'était répandue dans son dos l'enlaçait désormais comme des bras familiers, des bras sûrs dans lesquels elle savait qu'elle pouvait se reposer pleinement. Depuis combien de temps n'avait-elle plus connu ce sentiment étrange de béatitude ? Bien trop longtemps... Et un souffle âpre mêlé à un étrange liquide poisseux franchit la barrière de ses fines lèvres rosées, un goût métallique qu'elle connaissait très bien emplissant sa bouche. Alors c'était comme ça que se finissait son histoire... Une colombe traversa l'immense océan bleu, passant devant ses yeux sans qu'elle la voit, concentrée les derniers grains de sable s'écoulant lentement dans le sablier.
... pour toi...
Le jeune homme brun ne prêta pas attention aux regards pleins de pitié se posant sur lui ni à la main maintenant familière de son lié se posant sur son épaule. Mue d'une volonté inconnue, sous le regard glacial du tireur, ses jambes se mouvèrent, l'amenant jusqu'aux côtés du corps de cette personne qu'il connaissait depuis le début de son existence. Des souvenirs enfouis au plus profond de sa mémoire l'inondèrent, ses genoux tremblèrent, cédant sous son propre poids, le laissant s'écrouler misérablement. Ses poings s'éraflant sur le goudron, un mot s'échappa alors de sa bouche, un mot qui lui arracha les cordes vocales à son passage, un mot qu'il n'aurait jamais cru prononcer sur ce ton...
- Mesprit...
Sa vision se floutant brusquement, ses yeux larmoyants remontèrent le long de ce corps féminin qui l'avait tant étreint au cours de ces années, ce même corps qui désormais ne le ferait plus même s'il l'implorait de toutes ses forces. Il détailla difficilement les contours fins de ce visage pâle. Ces lèvres roses qu'il avait senti un nombre de fois incalculable se poser que ce soit sur son front ou ses joues... Ces sourcils délicatement tracés qu'il avait vu se froncer maintes fois soit d'amusement, de colère, d'inquiétude, de tristesse, de joie... Ces longs fils dorés l'auréolant avec douceur qui avaient de trop nombreuses fois caressés son visage lorsqu'elle passait devant lui, puis ses yeux... Il les avait toujours trouvé beaux comparés aux seins qu'il trouvait d'un simple bleu bateau. Ourlés d'un délicat éventail blond apparaissant quasiment blanc, l'habituel somptueux mélange de bleu et de vert dans lequel il aimait se noyer après ses cauchemars lorsqu'il était plus jeune avait laissé place à un rose subtile tirant sur un mauve pâle vers l'iris. Ces yeux qu'il avait toujours trouvé magnifiques l'étaient encore aujourd'hui malgré tout et il était persuadé qu'ils auraient été encore plus beaux s'ils n'étaient pas recouverts d'un étrange voile laiteux. Le voile de la mort.
... Je désirais simplement...
D'une main tremblante qu'il ne lui connaissait pas, les phalanges écorchées, il la passa lentement, comme s'il s'agissait d'une chose fragile pouvant se briser à tout instant, sur sa joue. Cette joue qu'il avait vu tant de fois rosir de honte, d'embarras, de gêne lui semblait bien pâle, la peau presque diaphane au point qu'il puisse voir les veines dans lequel le sang avait cessé de circuler. Ses doigts timidement caressèrent cet épiderme déjà froid et les yeux brûlant, les larmes traçant de longs sillons humides le long de ses joues, il fit :
- Dis-moi que ce n'est pas vrai... Tu me fais une blague n'est-ce pas... ?
... être ton ange gardien...
Elle avait joué, joué durant des années ce double-jeu dangereux avec lequel elle savait qu'elle jouait sa vie. Pourtant, cela ne l'avait pas empêché d'aller jusqu'au bout. Elle avait donné son maximum pour lui offrir le meilleur même si elle s'était trouvée de bien trop nombreuses fois absentes. Et là... elle savait qu'elle allait être absente pour toujours. Le retour en arrière n'était pas permis. Est-ce qu'elle avait des regrets ? Aucun. Des remords ? Probablement, mais cela lui importait peu. Elle avait tout donné. Elle avait été jusqu'à donner sa vie pour lui donc elle pouvait très bien partir le cœur léger. Les bras chauds l'enlaçant se serrèrent davantage et d'étranges griffes vinrent lui ouvrir la poitrine. Non, elle n'avait pas mal, elle n'avait plus mal, à quoi bon cela lui servirait-il de souffrir ? Rien du tout... Sa mission avait été menée à bien. Même si elle se savait sur un sol plat elle se sentait étrangement basculer dans un liquide glacial la recouvrant entièrement. Sa perte allait peut-être le faire grincer des dents comme à son habitude mais au moins elle avait pu le sauver. C'était tout ce qui lui importait depuis le début puisque cette voie était celle sur laquelle elle s'était engagée en toute connaissance de cause. Bien qu'elle arrivait encore difficilement à penser, son esprit s'embrumait de plus en plus et ses pensées s'entremêlaient. Elle se sentait partir dans cette eau froide venant des profondeurs de la terre la recueillir malgré cette brûlure ardente dans sa poitrine. Ses sens s'amenuisaient les uns après les autres. C'était la fin. Il ne fallait pas être devin pour le prédire. Quel bon tireur ce Isaac décidément, il devait sauter joie actuellement depuis le temps qu'il voulait lui faire la peau. Ses paupières s'alourdissaient, elle avait envie de dormir mais il lui semblait impossible de les fermer. Tant pis, ce n'était pas ça qui allait l'empêcher de se reposer.
Fixant toujours ce ciel bleu qu'elle ne voyait plus depuis longtemps, le dernier grain de sable finit sa course, glissant avec aisance sur le verre du sablier, rejoignant ses confrères dans ce désert couvert de sang.
--------------------------------------------
Je n'ai pas grand-chose à vous dire concernant cette partie qui est plutôt courte et qui d'ailleurs n'est pas passée par une phase manuscrite au préalable. J'ai directement rédigé cette scène dans les mémos de mon portable un soir dans le train pour aller à l'appartement l'an dernier (quand ma fac n'était pas encore à 500km). C'est triste, je sais, mais c'était prévu ainsi... J'ai essayé de retranscrire une certaine beauté dans la mort de Mesprit et c'est à vous de me dire ce dont vous en avez pensé et ce que vous avez ressenti au cours de cette brève lecture.
Cette partie constitue une des dernières scènes de Live-Zirkus et chapeau à celui ou celle qui aura trouvé le nom de tous les personnages mentionnés ici. Ce n'est pas facile, surtout pour ceux n'ayant pas eu la chance de lire le récit à l'époque où il fut publié.
Petit point anecdotique : J'ai certes rédigé cette scène dans le train (j'avais presque deux heures à tuer et au final j'en avait eu trois... la SNCF on vous aime...) mais j'avais comme musique de fond les thèmes bien tristes de Detective Conan pour ceux qui connaissent. Cela m'avait plutôt bien inspiré, surtout que je cherchais une certaine beauté à donner dans la mort de ce personnage (qui devait mourir).
Encore merci à ceux qui prennent le temps de lire les passages de cette histoire et sur ce, je m'en vais retourner à mes révisions.
Des bisous~
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top