Live-Zirkus 0.2
Nouvelle petite partie aléatoire de mon roman Live-Zirkus et je tiens à vous prévenir d'avance, cette partie est quelque peu longuée (moins que la prochaine mais bon, prévoyez une petite boisson) et les âmes sensibles sont priées de s'abstenir. Bonne lecture.
--------------------------------------
Il avait froid... Il avait chaud... Il avait encore froid... puis il avait à nouveau chaud... Et ainsi de suite... Un changement constant de sa température corporelle. Il ne pouvait pas dire s'il avait froid ou chaud. Il n'en avait pas la moindre idée. Pendant un instant il grelottait et la seconde d'après il suait à grosses gouttes, puis cela recommençait, encore et encore. Une boucle infernale. Cependant, son souci de température n'était rien à côté des éclairs de douleur qui traversaient son corps à intervalles irréguliers bien qu'il était immobile. Enfin, immobile était un bien grand mot puisqu'il était paralysé. Il sentait le sang qui s'était étalé autour de lui - signe qu'il était au sol depuis un moment - coller au peu de peau intacte qui lui restait. La seule bonne nouvelle, s'il pouvait considérer cela comme une bonne nouvelle, était qu'il n'était plus suspendu. De toute façon, s'il serait resté encore dans cette position ses mains auraient fini par rester dans les chaînes puisque actuellement elles ne devaient tenir que grâce à l'os qui n'avait pas été rongé par l'acier. Enfin, ce n'était encore qu'une supposition.
Il ne connaissait pas l'état actuel de son corps. Il ne sentait plus le bout de ses membres antérieurs depuis que quelqu'un - probablement un garde - l'avait posé sur le sol de sa cellule. Ce même sol froid ne calmait pas les bouffées de chaleur l'agressant ou rendait encore plus douloureuses les vagues de froid le submergeant. Il ne voyait plus. Il n'entendait plus. Il ne pouvait que ressentir et penser. C'était tout. Peut-être avait-on tout simplement éteint les lumières de l'étage ? Ou bien était-il devenu aveugle ? A quoi pouvait-il bien ressembler maintenant ? Il ne se souvenait même plus de ce que lui avait dit Jay' avant qu'il ne sombre. C'était le trou noir. Puis, depuis combien de temps était-il ici ? C'était comme si son calvaire lui avait fait perdre toute notion du temps. Était-ce plusieurs heures ? Jours ? Ou mois ? Non... impossible. Mais rien n'y faisait. Il avait beau se creuser la tête, il ne pouvait donner une quelconque indication temporelle et son échéance était proche. Très proche. Combien de temps lui restait-il avant que l'on ne lui ravisse son corps ?
Un mois et vingt jours..., chuchota une voix grave dans son esprit.
Il sursauta et ouvrit soudainement les yeux en prenant une grande bouffée d'air suffocant passant âprement dans sa gorge irritée comme s'il sortait d'une longue apnée. Il fut alors secoué d'une quinte de toux sèche le faisant crachoter du sang, les larmes aux yeux. Avec cette petite reprise de conscience, une douleur inhumaine l'accompagna, irradiant le moindre de ses muscles restants en une fraction de seconde. Il se mordit difficilement ses lèvres déjà à moitié dévorées de sa précédente torture pour éviter de crier sa souffrance. Il avait l'impression qu'un train lui était passé dessus. Il avait la sensation que le moindre de ses os étaient en miettes. Enfin, même s'il espérait que ce soit faux. Il essaya de remuer sans grand succès et ne put que retenir des grimaces de douleurs. Il avait déjà connu des douleurs mais jamais de cette ampleur. En plus, être allongé à plat ventre, torse nu, avec des blessures plutôt importantes et ayant possiblement eu le temps de s'infecter n'aider en rien. Il se sentait collé au sol de pierres froides à cause de la mare de sang dans laquelle il baignait et qui avait séchée. La sensation était horrible. C'était comme si on voulait l'écorcher vif au moindre mouvement. Mouvement qu'il ne tenterait pas même si il le pouvait.
Avec le peu de force qu'il avait récupéré - suite à son évanouissement, il se permit de parcourir sa cellule du regard avec un champ de vision assez limité étant donné qu'il n'osait pas remuer la tête de peur de se rompre le cou au premier faux-pas. Il était installé de façon à faire face à un angle de sa prison adjacent à un mur de pierre et les barreaux d'entre lesquels provenait une faible lueur brumeuse n'aspirant guère confiance. Des filets de sang encore rouge maculaient le sol et les parois qui n'étaient pas spécialement propres auparavant indiquaient que sa torture était encore récente. Quelques lambeaux de ses vêtements traînaient devant lui le forçant à se questionner sur ce qu'il avait encore sur le dos et les grognements bestiaux extérieurs des autres prisonniers parvinrent douloureusement à sa tête. Avec un effort surhumain, il bougea la tête de quelques millimètres pour avoir une vue d'ensemble sur le couloir de son étage.
Toujours faiblement éclairé, probablement par une ampoule à moitié grillée qui clignotait quelques fois, offrant une teinte grisâtre et uniforme sur les murs sales et aux pierres se descellant par endroit. Un lieu semblant être dénué de vie si on omettait les grondements ou chuchotements de prisonniers dans un temps qui était élastique. Aucun prisonnier n'en avait la moindre notion. Ici, chacun mangeait les repas à l'heure qu'il voulait comme pour dormir. Après, personne ne se battait par chance à cet étage. Les douleurs des tortures étaient bien trop fortes pour laisser une once de force pour lutter. Ce lieu était mort. Et étrangement silencieux par la même occasion. Il se contredisait tout seul au final. Il ne pouvait même plus savoir s'il y avait du bruit ou non autour de lui. L'impression de devenir fou était en train de le submerger.
Le jeune garçon promena son regard de cendre sur le couloir dont le sol était à son grand désarroi constellé de traces apparaissant ocres sous la faible luminosité. Il ne devait pas être le seul à avoir souffert ces dernières heures probablement. Il lâcha un bruit voulant être un soupir qui se mua en une espèce de souffle rauque et entendit la porte de sortie, celle plus communément appelée du « paradis » par les détenus, au bout du couloir s'ouvrir dans un long grincement qui lui aurait arraché un gémissement de douleur par-rapport à sa lourde migraine due à sa torture récente s'il n'avait pas eu la gorge aussi douloureuse après avoir autant crié.
Le tap tap régulier au rythme presque militaire des chaussures cirées devint rapidement insoutenable pour les deux tiers des prisonniers qui poussèrent des grognements au passage de leur supérieur lorsque celui-ci passa devant leur cellule en faisant tinter ses clefs à sa ceinture, lui attirant les insultes de quelques jaloux. Le maton traversa tout le couloir, faisant son petit tour de garde habituel et lançant quelques remarques déplaisantes aux habitants des geôles qui se retinrent avec peine de lui cracher dessus pour réponse.
Le garçon ne partagea pas la haine de ses camarades d'étage envers le nouveau venu mais laissa ses muscles douloureux se contracter difficilement en entendant les bruits de pas se rapprocher dangereusement de lui. Il s'arrêta presque de respirer lorsque ceux-ci se stoppèrent devant ses barreaux et que de belles bottes noires luisantes en cuir apparurent dans son champ de vision. S'il n'était pas paralysé, il aurait bougé pour s'éloigner et il se crispa quand il entendit le bruit d'un trousseau que l'on saisit et une voix quasiment criarde fit avec ironie :
- Alors c'est ça le petit chouchou du patron ? Ridicule...
La voix semblable à celle d'une chanteuse d'opéra lui faisait perdre toute crédibilité et quelques rires gras résonnèrent dans l'étage ne craignant nullement une punition en retour. Le jeune homme quant à lui laissa un mince sourire incurver ses lèvres qui se métamorphosa bien vite en une grimace suite à la souffrance due aux muscles faciaux endoloris à cause de l'ancien port de la muselière d'acier. Il entendit le bruit d'une clef que l'on rentre dans une serrure et le « clic » caractéristique du déverrouillage de celle-ci. Le grincement sinistre de la porte de sa cellule que l'on ouvre laissa un frisson parcourir l'entièreté de son corps meurtri.
- Et en plus ça ose faire le mort ? Face à moi ? Pff...
S'il en aurait eu la force, l'adolescent aurait réagi aussitôt avec insolence pour rétorquer quelque chose surtout lorsque deux mains calleuses lui saisirent avec fermeté ses frêles épaules lui arrachant un gémissement plaintif malgré lui. Il se sentit tiré vers le haut et son corps à moitié dénudé se retrouva arraché du sol collant lui faisant pousser un hurlement cassé de douleur. L'impression d'avoir la peau, ou plutôt ce qui en restait, de chauffée à blanc. Il sentait son sang battre sous son épiderme et couler des plaies sur son torse. Il venait presque de se faire écorcher vif ! Des larmes naquirent rapidement aux coins de ses yeux sous la douleur et il mordit ses lèvres déjà à moitié dévorées pour empêcher le moindre sanglot de sortir. Son corps n'était qu'un amas de douleur. Une boule de souffrance sanguinolente. Ses os étaient en miettes. Il n'était que rouge.
Le maton le souleva comme une plume sans une once de délicatesse le contraignant à se faire violence pour ne pas crier de nouveau avant de se faire jeter contre un mur de sa cellule où il cracha du sang sous l'impact. Il glissa en un semblant de position assise, tel un pantin désarticulé, la tête penchant sur le côté, fixant d'un regard vide la porte ouverte face à lui, de l'hémoglobine écarlate au possible coulant à la commissure de ses lèvres. Sonné, l'esprit commençant à divaguer, sa vue s'obscurcissa. Il en avait plus qu'assez de ne plus pouvoir se défendre, surtout qu'il était encore sur le point de s'évanouir si cela continuait voire de mourir en se vidant de son sang. Quelle mort triste. Non. Ridicule. Si seulement il pouvait ne pas être aussi faible.
Besoin d'aide ? fit une voix malicieuse dans sa tête lui faisant serrer sa mâchoire en la reconnaissant.
Il entrouvrit la bouche à la recherche d'air frais dans cet atmosphère poisseuse et toussa silencieusement presque à en cracher ses cordes vocales. Il n'en pouvait plus de souffrir à longueur de journée. Puis surtout, jamais, au grand jamais il n'accepterait son aide. Encore plus si ce n'était que pour guérir plus vite que la norme. Cela lui attirait de nouvelles tortures puisqu'il avait compris que le but de cette Celesteela était de le réduire en pièce sans pour autant le tuer. Donc le mettre aux portes de la mort était autorisé. Il essaya tant bien que mal de réguler sa respiration à grande peine et sa vue se voila. Il allait encore partir. Peut-être serait-ce pour de bon ?
- Les cafards d'aujourd'hui, siffla la voix de fillette de l'homme qui était toujours là avant de cracher juste à ses pieds, ne survivent plus longtemps. Que c'est malheureux, rajouta-t-il sur un ton purement ironique.
Sur ses bonnes paroles, le maton finit par sortir en faisant claquer la porte derrière lui avant de la verrouiller presque aussitôt. Les autres habitants de l'étage ne s'étaient guère tus entre-temps et les insultes et autres reprirent de plus belle. Alors que le tap tap régulier des chaussures en cuir sur le sol en pierre résonna à nouveau lorsque le gardien s'éloigna, un rire, un rire sinistre à en glacer le sang ne tarda pas à s'élever le faisant s'arrêter net.
- Qu'est-ce qu'il y a de drôle Jay' ? fit la voix suraiguë avec sérieux.
L'éclat d'hilarité continua pendant quelques secondes avant de cesser en saccadant pour qu'une voix terriblement suave ne réponde avec malice :
- Toi, le fameux Blacephalon, n'achève pas un mec à l'agonie ? On aura tout vu !
- Veux-tu que je demande à la belle Celesteela de revenir pour s'occuper de toi ? Elle s'en fera une joie.
Les bruits de pas avaient fait volte-face et le gardien s'avança vers la cellule face à celle du blessé.
- À tes risques et périls, gronda avec amusement la voix du prisonnier.
- Elle sera heureuse d'avoir eu la chance de torturer deux si beaux cafards en si peu de temps.
- Et toi de bouffer les restes.
- Ferme-la l'éventreur.
- Hou ! Que j'ai peur !
Le ton enfantin que venait d'employer le prénommé Jay' stoppa les chaussures dans un crissement désagréable devant la cellule et l'ombre du prisonnier apparut, deux grandes mains saisissant les barreaux. Un éclat doré croisa celui noir du gardien et ils se regardèrent en chien de faïence. Les mains du détenu descendirent le long des barreaux avec discrétion pendant que le contact visuel ne cessait jusqu'à ce que la voix fluette ne lance avec froideur :
- Oui. Tremble.
Le dit Blacephalon se retourna et les mains repassèrent entre les barres d'acier, revenant vers leur propriétaire avec un étrange éclat argenté tandis que les bruits de pas reprirent avec lenteur, mesuré avec finesse pour ne pas trahir le moindre signe de son agacement contenu. La porte de l'étage que l'on se doutait d'un acier inoxydable claqua avec violence, attirant les gloussements de certains prisonniers. Le rire de Jay', semblant être le « patron » de cet étage, résonna encore plus que celui des autres avec ce fond sinistre. C'était un véritable bonheur de mettre un gardien en rogne. Surtout quand il s'agissait de Blacephalon. Une attraction. L'une des seules choses pouvant divertir leurs journées bien mornes qui se ressemblaient toutes.
Dans sa cellule, le jeune garçon aux cheveux noirs et blancs constellés de mèches rouges par son sang gémissait pitoyablement de douleur. Il tentait de se relever ou du moins de se redresser du mieux qu'il pouvait. Le moindre de ses muscles hurlaient au supplice sous l'effort et son mal de tête ne cessait d'empirer sous les rires des autres détenus. Il abandonna rapidement ses tentatives plus que vaines lorsqu'il vit avec stupeur l'état de ses poignets en tendant non sans peine ses bras meurtris devant lui. De sa vue obscurcie par la douleur, il distingua d'abord grossièrement deux formes difformes allongées rougeâtres et violacées avant de pouvoir reconnaître ses avant-bras. Ils étaient couturés de plaies sanguinolentes et tâchés d'hémoglobine séchées alors que des plaques violâtres à l'allure menaçante s'étalaient à une vitesse affolante. Puis son regard monta jusqu'au bout de ses membres et ce qu'il réussit à distinguer lui arracha un cri muet d'effroi. Ses mains étaient toujours là - certes pas en très bon état -, mais ses poignets avaient quasiment disparus, enfin, ils étaient si réduits que cela créaient un creux. Les os étaient mis à nu. Le sang les colorait certes mais ils étaient on ne peut plus visibles, luisant d'un éclat fantomatique. Les chaînes lui avaient réellement dévoré la chair autour !
Il se fit violence pour ne pas vomir ses tripes, qui n'étaient plus depuis longtemps, sous cette vision d'horreur et se contenta de fermer les yeux, le teint livide. Il ne s'était en aucun cas attendu à des blessures d'une telle gravité. Autour de lui, les bruits devinrent chuchotements et ravalant la bile qui remontait dans sa gorge, il ferma les paupières avec force, se forçant à se plonger dans le noir, les images de sa précédente torture ne cessant de repasser devant ses paupières closes.
Lorsqu'il rouvrit les yeux avec difficulté quelques temps plus tard, tout était beaucoup plus calme autour de lui. Seuls quelques murmures incertains demeuraient. Un possible couvre-feu était probablement tombé sur l'étage. Cependant la lumière ambiante n'avait pas changé et rendait la peau pâle du blessé telle de la porcelaine si on faisait abstraction des tâches inquiétantes apparaissant ocres. Il ne bougea pas et ne fit pas la moindre tentative pour. Il n'en avait pas la force. Ses membres tremblaient toujours et étaient ankylosés - peut-être à cause de la position dans laquelle il se trouvait. Le sang ayant séché depuis tirait sur son épiderme sensible et il ne put lâcher qu'un souffle douloureux en laissant son regard de cendre errer sans but. Il n'avait envie de rien. A part mourir ? Enfin, il ne savait...
Il avait malgré tout une vue sur le couloir et plus particulièrement sur la cellule du fameux Jay' face à la sienne qui avait parlé un peu plus tôt. Sa vision trouble réussissait à voir que celui-ci était assis, le dos contre les barreaux, ses cheveux corbeaux sortant par mèches entre les barres de métal. Il distinguait avec peine ses épaules se soulevant lentement au rythme de sa respiration indiquant probablement qu'il dormait. L'adolescent aurait aimé lui parler, même s'il ne savait pourquoi et ni s'il en aurait été capable. Peut-être juste pour une simple question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'il avait croisé son regard.
Soudainement, les épaules du brun frémirent comme s'il avait senti ce regard curieux peser sur son dos avant de dire d'une voix mystérieuse avec une adresse surprenante :
- Alors ? On ne clamse pas ?
Le ton moqueur employé fit tressaillir le torturé qui serra les dents si bien que ses lèvres fraîchement cicatrisées se remirent à saigner. Il n'ouvrit même pas sa bouche pour répondre faute de sa mâchoire encore endolorie alors qu'un goût métallique ô que devenu bien trop familier depuis ces dernières heures lui emplit sa cavité buccale. S'il aurait pu, il aurait craché volontiers cet immonde liquide chaud tant il était devenu écœurant.
- On ne répond pas ? lança le brun, le ton toujours goguenard.
Un nouveau silence répondit accompagné de la respiration encore sifflante quelque peu douloureuse de l'adolescent. Chaque inspiration était une nouvelle torture et il avait l'impression que l'air lui déchirait les poumons.
- Je n'ai pas le choix alors, souffla Jay' avec une certaine lassitude empreinte de mystère.
Le frottement de tissu qui se fit entendre indiqua au blessé que son interlocuteur venait de bouger voire de se lever puis le tintement familier d'un trousseau de clef ne tarda pas à se faire entendre le faisant écarquiller les yeux. Sa vue se précisant de plus en plus depuis quelques secondes lui permit enfin de distinguer nettement la fine silhouette musclée du brun et il l'observa avec une surprise non dissimulée enfoncer une clef étincelante dans sa serrure qu'il déverrouilla dans un « clac » retentissant. Ce bruit bien que trop rare mais si plaisant attira les regards et les commentaires envieux de plusieurs curieux et de certains jaloux.
La porte s'ouvrit finalement dans un grincement sinistre sous les murmures d'extases de plusieurs prisonniers. Le claquement des pieds nus du brun sur le sol en pierre qui jouait avec les clefs ne tarda pas à se faire entendre et arracha des sourires par-ci par-là tandis que quelques personnes lui demandèrent de leur ouvrir. Amusé, Jay' leur répondit en faisant tinter joyeusement le trousseau de la liberté. Il traversa en quelques pas le couloir pour se retrouver devant la cellule de l'adolescent qu'il toisa durement de ses yeux d'or alors que l'ombre se projetant le faisait apparaître plus meurtri et pâle qu'avant.
- Je peux ? demanda l'adulte avec son sourire habituel sans tenir compte des injures ou protestations que crachèrent les détenus jaloux.
Le blessé ne prit même pas la peine de répondre, n'en ayant pas la force et puis sachant que le plus âgé allait n'en faire qu'à sa tête en se remémorant la scène entre lui et le maton survenue plus tôt. Effectivement, celui-ci prit le silence pour une réponse affirmative puisqu'il ne se gêna pas pour déverrouiller la porte. Il l'ouvrit avec lenteur comme pour créer un certain suspense ou juste pour éviter de se faire remarquer et entra. A peine il eut fait un pas à l'intérieur de la cage qu'une terrible odeur de putréfaction l'assaillit et son pied nu entra en contact avec une substance poisseuse qui lui tira une grimace de dégoût. Fronçant le nez, il contourna la flaque qu'il dissimulait avec son ombre et constata qu'elle était d'une sublime teinte écarlate comme la majorité des fluides maculant la pièce si on omettait les restes de repas renversé et les dégueulis.
Une vraie boucherie..., ne put se retenir de penser le brun avec une expression de surprise non feinte.
Il en avait vu des tortures, des mecs à l'agonie, des lambeaux de chair, du sang dans cette cellule prévue pour les « joujoux » de Celesteela depuis le temps qui était ici. Il avait même eu l'occasion d'en vivre des horreurs mais aussi de rencontrer l'Enfer à l'état brut. Un tintement familier attira son attention et son regard croisa les chaînes vermeilles pendant du plafond qui s'entrechoquaient avec une certaine timidité lui rappelant de doux mauvais souvenirs. Il s'avança avec hésitation vers le jeune garçon recroquevillé contre le mur tel un animal blessé même s'il ressemblait plus à un pantin décharné qu'autre chose. Il frémit presque en voyant que le torturé n'était encore qu'un simple adolescent.
Le voir dans cet état aurait probablement révolté une personne normale mais lui il se contenta d'inspirer profondément avant de s'agenouiller auprès de lui. Le plus jeune leva vers lui un regard voilé meurtri en l'ayant vu venir à ses côtés et tressaillit douloureusement en croisant deux pépites dorées. Il avait l'impression de faire face au regard de la personne avec laquelle il partageait son corps s'il oubliait les cheveux bruns qui encadrait le visage de l'homme. C'en était troublant. Très troublant. Il ne put retenir le frisson qui le parcourut surtout lorsqu'il sentit une main ferme se poser sur son épaule.
Ce simple contact humain lui parut brûlant, lui qui se sentit désormais pris dans un étau glacé constant. Cependant, il ne dit rien, ayant peur de s'arracher encore plus les cordes vocales puis ayant encore du mal à faire le moindre mouvement, même le plus simple. La main se mit alors à le secouer avec une poigne puissante si bien que cela lui arracha un gémissement muet plaintif.
- Alors ? On a mal ? fit le brun avec un ton joueur qui irrita au possible le blessé.
Celui-ci siffla entre ses dents et tenta vainement avec le peu d'énergie qu'il avait de se défaire de cette emprise bien que son corps protesta vivement aussitôt. Il en avait plus qu'assez d'être aussi faible et il voulait qu'on le laisse tranquille, qu'il puisse récupérer en paix bien qu'il se doutait que la plupart de ses plaies voire toutes allaient finir par s'infecter et qu'il allait crever tel un misérable rat dans ce trou. De son côté, le brun s'amusa de la réaction de l'adolescent même s'il aurait pu le prendre en pitié au lieu de le brusquer. Au moins, il était encore vivant et semblait avoir un minimum d'attache à la vie. C'était bon signe. Or, un traitement aussi horrible était inhumain sur un si jeune garçon. Et ensuite on osait dire que c'était eux, les prisonniers, qui avaient perdu leur humanité ? La bonne blague. De même, qui était encore humain dans cette prison à part lui à la rigueur ? Il y avait peut-être cet enfant - même s'il louchait avec suspicion sur son bras gauche dont l'aspect n'aspirait pas confiance et qui était étrangement sombre, fait qui n'était certainement pas dû au sang. Il soupira et retira sans pudeur son haut de prisonnier en piteux état sous le regard qu'il put qualifier de surpris du plus jeune - le voile de douleur qui le recouvrait ne permettait pas de deviner avec certitude les émotions le traversant.
- Ne bave pas, le taquina-t-il en entreprenant de déchirer son haut en bande irrégulières.
Le blessé tira difficilement la langue de façon puérile entre ses lèvres sanguinolentes avant de détourner la tête comme il pouvait. Il était vrai que Jay' était très bien taillé pour quelqu'un qui serait dans cette prison depuis plusieurs années constata-t-il en jetant un œil à son interlocuteur au bout de quelques secondes. Les muscles abdominaux étaient dessinés avec finesse comme les biceps de ces bras pas trop gros, juste assez pour un jeune adulte. Jeune adulte ? Quel âge pouvait avoir le brun ? Il faisait jeune encore. Dans tous les cas, pour un prisonnier, il arrivait à rester en bon état. Même les cicatrices sur son torse, plutôt impressionnantes, ne devenaient que lignes blanchâtres et légèrement boursouflées sous la pâle lumière du lieu.
L'adolescent finit par sursauta lorsqu'il sentit la main de Jay' saisir son bras gauche qu'il tenta de retirer presque aussitôt, une expression d'horreur peignant son visage. Mais il ne réussit à cause de la poigne de fer de l'adulte lui arrachant une grimace de douleur.
- Tu te calmes tout de suite gamin, lança avec un ton sec le brun sans desserrer son emprise. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour que ce bras soit dans cet état - et je ne veux pas savoir - mais autant le cacher sinon il va attirer les regards.
Le jeune se calma presque aussitôt en comprenant où il voulait en venir et se laissa malgré lui faire avec moins de résistance mais encore réticent. Il ne comprenait pas pourquoi Jay' avait été jusqu'à voler les clefs de cellule pour venir le voir. Ils étaient en prison - et pas n'importe laquelle -, pas à l'école buissonnière quand même. Ils étaient censés rester emprisonnés chacun de leur côté et ne pas pouvoir se balader à tout va. Il grogna lorsqu'on lui serra la bande autour de son bras. Ce n'était pas parce qu'on lui cachait ce bras maudit qu'il ne risquait pas l'infection. Il ne savait même pas où avait traîné l'ancien vêtement de son soigneur improvisé et de toute façon, rien n'était très hygiénique en ce lieu. Il gémit en sentant les doigts chauds descendre le long de son membre en le recouvrant de tissu et se crispa lorsqu'ils arrivèrent vers son poignet qui le lançait douloureusement avant de se mordre difficilement la lèvre inférieur.
Jay' arrêta tout geste quand il vit l'état de la jonction entre les mains et les avant-bras du jeune garçon. C'était horrible à voir. Même en ayant vu des horreurs tout au long de sa vie, il ne pouvait s'empêcher de faire une grimace. Les poignets étaient rongés jusqu'à l'os et il pouvait déjà voir le pus, liquide jaunâtre, qui s'était formé sur les chairs meurtries à vif. Un fin sourire étira les lèvres du brun alors qu'il se détourna quelques secondes pour prendre le verre d'eau - du plateau repas - et se servir du peu restant de son contenu pour humidifier les bandages de fortune. Ce gamin n'était pas un simple gamin ordinaire. Déjà, il se retrouvait au last level, dédié aux pires raclures de la planète et ce n'était pas pour un vol d'étalage ou un petit meurtre que l'on y allait. Ensuite, il avait ce bras étrangement mais naturellement difforme qu'il avait pu remarquer en le cachant. Enfin, pour qu'il soit torturé ainsi et en gardant la vie sauve par Celesteela, c'était qu'il n'était pas n'importe qui. Cette sorcière ne laissait ses victimes vivantes soit pour s'amuser de leur longue et douloureuse agonie, soit quand on lui en avait donné l'ordre. Qui était ce gamin à la fin ?
- Comme t'appelles-tu ? demanda Jay' en humidifiant les contours d'un des poignets meurtris avant de les entourer de bandes avec une certaine délicatesse.
L'adolescent se crispa légèrement sous le contact froid qui lui fit - malgré sa température élevée - mal et ouvrit sa bouche pour parler mais aucun son n'en sortit le frustrant et tirant un petit rire moqueur de son interlocuteur. Il recommença et cette fois-ci sa voix lui parvint, presque méconnaissable et étrangement lointaine.
- Aaron...
- D'accord, acquiesça le brun en nouant le tissu au poignet gauche. Nationalité anglaise je suppose donc.
- Comme toi...
Jay' sourit à la faible remarque et entreprit de nettoyer le torse du plus jeune avec vigueur en faisant malgré tout attention aux nombreuses plaies. Il remarqua que certaines suintaient de sang frais et que d'autres avaient les bords légèrement jaunies, signe du début d'une infection. Il continua jusqu'à retirer toutes les croûtes séchées, ce qui fit grimacer Aaron sous les tiraillements. Petit à petit, une peau diaphane se révéla, couturée de plaies rouges datant de sa précédente torture, tatouée de tâches aux couleurs du ciel et aux multiples cicatrices, zébrures blanches. Le brun aurait presque pu avoir pitié pour l'étendue des blessures marquant un si jeune enfant.
Il banda comme il put le torse fin et ciselé du plus jeune et lui fit signe de se retourner. Le regard noir que lui lança celui-ci sous la demande le fit rire lorsqu'il se rappela rapidement de son état quelque peu critique. Il poussa un juron et se pinça l'arête du nez avec lassitude avant de lancer, assez mal à l'aise :
- Bon. Ça ne te dérange pas si je te porte pour te changer de sens pour que je m'occupe de ton dos ?
Silence.
- Sinon je te retourne d'un coup sec.
Aaron écarquilla les yeux, sachant qu'il était on ne peut plus sérieux, et se laissa tomber en avant contre le brun, résigné. De toute façon, s'il voulait être un minimum soigné, il n'avait pas le choix, au diable sa dignité. Pour le moment, il voulait juste que sa douleur disparaisse. Certes, il était égoïste mais bon, il n'était qu'un enfant s'il voulait prendre le côté tragique de la chose. Il sentit un bras surpris le réceptionner et il se permit de détendre ses muscles. Peut-être qu'un simple coup du destin allait lui sauver la vie aujourd'hui...
Jay' rattrapa son colis avec étonnement et l'entoura tout de suite d'un bras protecteur pour éviter qu'il ne lui échappe. Il ne s'attendait pas à ce qu'Aaron cède aussi facilement à la vue de son caractère qui semblait assez fier. Il croyait qu'il avait plus de résistance mais il était possible que le gamin soit au bout du rouleau. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'il se faisait torturer comme il avait pu le remarquer avec les nombreuses cicatrices ornant son torse. Quelle tristesse pour un simple enfant.
Il prit un autre morceau de tissu humide avec son bras libre et se mit à frotter avec une certaine vigueur son dos lacéré de lignes écarlates dues au fouet de la tortionnaire en prenant garde de ne pas trop appuyer. Il sentait par moment l'adolescent se crisper contre lui quand il passait sur certaines plaies plus ouvertes que d'autres ou infectées et donc ralentissait ses gestes à ce moment. Ils n'échangeaient aucun mot. Ils n'en avaient pas besoin. Les gestes étaient suffisants pour le moment. Ils se comprenaient avec ça. Puis Jay' savait très bien ce que ressentait Aaron en ce moment. Il avait été lui-même un enfant lorsqu'il était arrivé ici, il connaissait la douleur d'une torture si puissante lorsque l'on est si jeune. Il avait l'impression de se revoir en l'adolescent. Un miroir. C'était ce qu'il ressentait. D'être face à un miroir. Si seulement quelqu'un était aussi venu lui tendre la main à ce moment... avant la dernière note... Il ne serait pas devenu ainsi alors...
Il continua sa tâche avec assiduité, faisant attention aux plaies encore fragiles ou sanguinolentes et frottant avec un peu plus de force sur le sang séché qui avait coulé. Petit à petit, les marques que le fouet avait tracées apparurent plus nettement et il fronça les sourcils avec lassitude en devinant les futures rayures blanches qui barreront ce dos albâtre lorsque la cicatrisation se sera effectuée. Une vieille cicatrice brillante, plutôt imposante du côté gauche finit par attirer son regard. Il la suivit et constata qu'elle passait par-dessus l'épaule gauche pour partir disparaître sous l'aisselle et qu'une autre toute aussi marquée entourait avant que la peau ne commence à noircir quelques millimètres après.
- Que c'est malheureux..., soupira Jay' avant de prendre des bandes. Et merde, rajouta-t-il en remarquant qu'Aaron s'était assoupi contre son torse. Génial...
Il continua de le tenir contre lui, finissant de le nettoyer avec peine, un soupire franchissant la barrière de ses lèvres de temps en temps. Ce fut lorsqu'il commença à bander son dos avec lenteur pour éviter de le réveiller quand quelque chose attira son attention. Ses doigts passèrent sur quelque chose en relief mais cela ne ressemblait pas à une cicatrice. Il pourrait même dire que cette sensation de toucher ne lui était pas inconnue. Pris d'une soudaine panique, il redressa son fardeau et se pencha un peu par-dessus son épaule pour avoir une vue imprenable sur son dos. Malgré la semi-obscurité ambiante, il ne peina à voir la source de sa curiosité. Cette tâche noire empiétant son omoplate gauche sur laquelle il avait ses doigts. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise si bien qu'ils auraient pu sortir de leur orbite.
Non... ? Lui aussi... ! Il l'avait... !
-------------------------------------------------
Je vous mets ça ici avec une loooooonnnngue journée de cours/révisions, autant vous dire que je suis claquée avec une migraine mortelle. Je n'ai pas pris la peine de relire cette partie donc s'il y a eu des fautes vous m'en voyez profondément navrée. D'ailleurs, pour ceux qui connaissaient le récit lorsqu'il était entier sur Wattpad (à moitié mais c'est un détail) et que des incohérences vous perturbent, n'hésitez pas à venir me voir en privé.
Autrement, il s'agit de la suite logique de la partie 0.1 postée il y a deux-trois semaines et ouais, c'est pas gai mais qui a dit que j'aimais écrire de jolies choses ? L'histoire de Live-Zirkus en elle-même est sombre et en changement perpétuel (bien que je ne l'ai plus touché depuis près d'un an). Et non, désolée mesdemoiselles, mais il n'y a aucune romance entre Jay' et Aaron si des éléments ont pu porter à confusion.
Bref, c'était une partie que j'avais écrite en première lors d'un long cours de maths sur les tableaux de variation si je me souviens bien (fort intéressant mais que je ne comprenais rien). Je m'étais éclatée sur l'écriture de cette partie honnêtement et n'hésitez pas à me donner votre avis bien que ce récit fut un échec cuisant dans ma carrière d'écrivaine amatrice. (Sorry, je n'ai ni une plume des plus ravissantes ni une imagination réellement débordante)
Petit cadeau pour ceux qui ont réussi à lire tout le passage :
Comme vous avez pu le constater ce sont quelques pages sur lesquelles j'ai écrit ce moment (comptabilisant 10 pages recto-verso) et vous pouvez constater avec les nombreuses ratures, reprises, comment je bouge énormément la chose avant de passer sur l'écran (et je ne vous raconte pas alors pour mes fictions, c'est un calvaire). En espérant que cela vous ait plu.
Des bisous~
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top