Chapitre 8


Stiles compta et recompta, encore et encore. Il en manquait un mais ce n'était pas possible. Et pourtant, c'était bel et bien le cas, il en manquait bel et bien un. Mathématiquement, ça paraissait logique. Mais mentalement, ça ne passait pas. C'était forcément une erreur. Alors il recommença pour la septième fois sous le regard soucieux d'une bonne dizaine de loups, ainsi que Derek, parfaitement humain. Il s'était dit que le mettre devant le fait accompli en lui faisant vérifier le nombre de ses amis sous forme animale finirait par lui faire comprendre l'évidence. Oui, mais Stiles était buté. Pire encore, il se croyait fou, si bien que le Hale avait eu bien du mal à le convaincre de faire ce qu'il lui disait. Il se souvenait fort bien de l'air vaincu et résigné de Stiles : obligé d'obéir à une prétendue hallucination, quelle blague... Il était atteint, oui, mais pas dans le sens qu'il le pensait. L'hyperactif avait tant donné de sa personne sans rien dire et sans faire attention à lui-même qu'il avait l'impression de perdre la tête alors qu'il... Il était simplement épuisé, que ce soit physiquement ou mentalement. Sa fièvre, très haute un peu plus tôt, avait commencé à baisser, mais ce n'était pas suffisant : il en avait encore.

- ... Cinq, six, sept...

N'y tenant plus, Derek se leva et se posta devant l'hyperactif, lui cachant la vue et l'empêchant de continuer. Stiles pesta bruyamment en traitant son hallucination de tous les noms d'oiseaux les moins violents qu'il connaissait.

- Bordel, tu fais chier, je dois recommencer ! S'emporta-t-il, tentant de paraître réellement en colère.

Mais il n'était pas crédible. Il voulait avoir l'air énervé, ne serait-ce que pour que son illusion... Prenne peur et le laisse tranquille. C'était tout ce qu'il avait trouvé pour essayer de se prouver à lui-même qu'il ne manquait personne, ou alors qu'il était complètement dingue et que... Il ne savait plus, bordel. Il ne savait plus ce qu'il voulait. Il était perdu et n'avait aucune idée de la manière dont il pourrait se sortir de cette situation. Et puis, se montrer en colère, c'était bien plus reluisant que de mettre en lumière sa faiblesse plutôt énorme. Mais c'était raté. Il tremblait, son odeur parlait pour lui et il... Il ne perdait plus pied, il avait perdu pied.

- C'est la septième fois, Stiles, lâcha enfin Derek d'une voix qu'il voulait ferme. Ça suffit.

- Non, ça suffit pas, t'es pas dans le compte ! S'affolait toujours autant l'hyperactif.

- Et ce n'est pas en recomptant encore et encore que je vais m'y ajouter, rétorqua le loup.

Il s'accroupit alors devant Stiles qui ne pouvait cesser de le regarder. Maintenant, il se sentait obligé de le faire. Et puis, à quoi bon continuer de résister ? Il était déjà fichu. Il parlait à un produit de son imagination, lui répondait, lui obéissait, alors le regarder... Ce n'était pas grand-chose de plus.

- Tes calculs sont bons, Stiles, tenta de le rassurer Derek, désespéré. Je ne suis plus un loup.

- Tu n'existes pas, soupira l'hyperactif, encore. Je te vois juste parce que... J'imagine que ça me rassure.

Derek soupira et se prit la tête dans les mains, désespéré.

xxx

L'hallucination de Stiles était quand même sacrément réaliste. Elle était aussi vachement douée en cuisine. Ces pâtes à la sauce tomates étaient également fortement odorantes, elles réveillaient ses narines tout autant que son estomac. En fait, les gargouillis qui prenaient son ventre en otage avaient brûlé le silence tout relatif du manoir à de nombreuses reprises. Derek avait donc choisi de lui préparer quelque chose et le traîner de force dans la cuisine pour qu'il se nourrisse. Stiles n'avait même pas essayé de résister. Pourquoi faire ? Autant voir jusqu'où le traînerait sa folie. Il y avait tout de même une chose de véridique dans cette histoire : Stiles avait faim. Enfin, son corps avait faim. Il avait beau sentir que son ventre se serrait en des contractions légères mais répétées, il n'avait aucun appétit et n'arrivait pas à se dire qu'il devait manger. Après tout, il tenait encore debout, non ?

- Mange.

L'ordre n'était même pas dit de manière sèche ou autoritaire. C'était une demande poussée, comme une supplication. Et ce simple fait renforçait cette idée que Derek ne pouvait pas être réel. Le Hale qu'il connaissait n'était pas gentil avec lui. Il n'avait absolument aucun intérêt à l'être. Tout ce que Stiles pouvait lui apporter en général, c'était des informations et rien d'autre. Et là, il n'avait rien à lui donner, tout comme il n'y avait aucune affaire surnaturelle à résoudre. Son raisonnement tenait donc le coup : Derek était seulement une hallucination pour le moins réaliste.

Stiles baissa le regard sur son assiette. La nourriture le narguait, belle et appétissante. Il n'avait aucune envie de manger. Absolument aucune. C'était une chose dont il savait pouvoir se passer, tant qu'il ne dépassait pas un certain stade. Ledit stade était d'ores et déjà désuet mais ça, il ne s'en rendait pas vraiment compte. Encore une fois, il tenait debout, ce qui voulait, à ses yeux, dire que ça allait. Pourtant, son ventre lui lançait des tas de signes, comme il essayait de lui montrer qu'il en avait besoin, de cette nourriture, lui qui en manquait tant. Où était donc passé le léger sursaut de lucidité qu'il avait eu un peu plus tôt en se levant ? Il s'était dit qu'il fallait qu'il mange un petit quelque chose parce que se déplacer s'était avéré difficile. Là, il était assis et c'était... Son hallucination qui l'avait aidé à marcher et à s'installer. Donc c'était forcément plus facile de se dire que ça allait en étant assis. Mais cette assiette... Elle était attirante, quand même. Imagination ou pas, Stiles ne pouvait pas rester là sans rien faire, sans essayer de... Manger, que ce soit de manière physique ou métaphorique.


Face à lui, Derek avait le front plissé d'inquiétude. Pour le moment, il abandonnait sa mission « prouver à Stiles qu'il était réel ». C'était peine perdue pour l'instant, l'hyperactif était encore trop mal pour se rendre compte de choses comme celle-ci et son côté têtu ressortait clairement, mais pas pour les bonnes choses. Le plus important actuellement pour le loup, c'était de faire manger l'adolescent, de lui faire reprendre des forces. Il fallait l'empêcher de continuer à se laisser dépérir comme il le faisait. Alors, l'emmener ici et lui préparer quelque chose était une évidence. AU moins, il savait qu'il mangerait quelque chose de bon et puis, il l'avait à l'œil. Autant en profiter, tant que l'indomptable hyperactif l'écoutait un minimum... Oh, Derek ne lui demanderait pas de tout manger : il savait pertinemment que ce serait impossible. Stiles s'était trop privé pour pouvoir ingurgiter une assiette entière pour l'instant. Toutefois, le reste serait mangé plus tard, qu'il en soit sûr. Derek n'aimait pas le gaspillage.

- Allez, Stiles, le poussa doucement le loup.

L'hyperactif le regarda un instant, perdu, avant de fixer à nouveau son regard sur son assiette, songeur. En soi, il n'avait toujours pas envie de manger, mais si même sa tête se mettait à lui faire apparaître une hallucination pour l'obliger à se nourrir... C'était peut-être parce qu'il était tombé plus bas qu'il le pensait. Oh et puis, qu'est-ce que ça lui coûtait ? Plus vite il obéirait, plus vite son esprit le laisserait tranquille, en toute logique. Comme pour le Nogitsune, il suffisait d'arrêter de résister pour que les choses aillent naturellement, peu importe le sens. Alors, il porta la fourchette à sa bouche et mâcha. La sensation était étrange, comme si le concept de nourriture lui était déjà étranger alors que son dernier « repas » ne lui semblait pas si lointain que ça. A moins que le temps lui soit déformé. Après tout, il ne dormait pas beaucoup et passait sa vie à alterner entre sa meute et son père... Il ne regardait plus vraiment les heures et ne faisait plus attention au nombre de jours qui s'écoulaient depuis un moment. Stiles dut alors faire des efforts pour avaler sa bouchée et cela lui prit du temps, tant il n'en avait plus l'habitude. Plus ou moins concentré sur sa tâche, l'hyperactif ne vit pas le soupir de soulagement fébrile poussé par le loup-garou assis face à lui. Loup-garou qui avait dû attendre une bonne dizaine de minutes avant que l'adolescent ne se décide à prendre une bouchée. C'était inespéré, tant il avait semblé ne pas vouloir manger, tant il avait rechigné pour aller à la cuisine. Tant son corps avait été faible, au point que Derek l'avait presque porté, plus qu'il ne l'avait aidé à marcher. Si Stiles commençait à peine à entrevoir sa propre faiblesse, Derek se la prenait de plein fouet et elle lui faisait mal. La seule chose qu'il restait encore chez le fils du shérif, c'était son côté têtu. Le reste avait purement et simplement disparu. C'était comme si le Stiles qu'il connaissait n'était plus qu'un souvenir.

Stiles abandonna la partie au bout de la quatrième bouchée, qui lui fut la plus difficile, et Derek le félicita doucement, même si le cœur n'y était pas. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait gardé là, vissé à cette table, jusqu'à ce qu'il ait au moins mangé la moitié de son assiette, mais... C'était déjà un début et le loup était conscient qu'il ne pouvait pas forcer Stiles à faire plus que cela pour le moment. Alors que l'hyperactif se levait pour débarrasser son assiette et ranger la cuisine, il fut pris d'un vertige qui l'obligea à prendre appui sur la table. Ses jambes, elles, tremblaient. Il ne se sentait pas bien. En toute logique, il devrait aller se reposer, se coucher pour récupérer un peu, mais il lista à voix haute ce qu'il avait à faire, comme pour se donner du courage alors qu'il ne savait même pas quelle heure il était.

- ... Nettoyer la cuisine, passer un coup au salon, aller voir papa, euh... Laver les coussins, et... J'sais plus, merde...

Il avait les yeux fermés, s'appuyait à la table d'une main, l'autre se pressait contre son front qui lui semblait douloureux.

- Non, Stiles, tu ne vas rien faire, entendit-il.

- Bien sûr que si...

- Non. Tu vas dormir, te reposer, prendre soin de toi.

- Inutile... Souffla l'hyperactif.

Il entendit alors un soupir et se sentit doucement soulevé de terre. Encore une hallucination alors que son corps se détendait, porté par il ne savait quoi.

- Tellement inutile que tu t'endors tout seul, murmura Derek pour lui-même, la gorge nouée et les yeux reflétant une tristesse sans nom.

Et c'était réel. Stiles était en train de s'endormir dans ses bras alors qu'il le portait pour l'emmener à l'étage. Tant pis pour la cuisine, le nettoyage et tout ce qu'il y avait à faire. Derek ne s'inquiétait pas pour la meute, en bas, qui ne se débrouillait pas si mal seule. Il leur avait mis à l'avance toute la nourriture nécessaire à leur disposition et avait laissé la porte arrière ouverte pour qu'ils puissent tous sortir faire leurs besoins lorsqu'ils le désiraient. Derek, lui, mettait la priorité sur Stiles. Cette fois, il allait rester avec lui.

A vrai dire, il ne comptait plus le lâcher.

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