Chapitre 5
Stiles déposa avec lassitude le verre désormais vide sur la table basse. Deux jours étaient passés et il n'allait pas vraiment mieux. Il tenait debout, c'était sûr, mais il était toujours malade et particulièrement faible. S'il continuait de s'occuper de la meute, Deaton l'avait toutefois déchargé d'une tâche : la viande. C'était lui qui l'amenait quand il pouvait et accordait à Stiles le droit de laisser les canidés sortir un peu plus souvent. Il lui avait enjoint de ralentir sur le ménage et sur les repas pour son père. Stiles ne l'écoutait qu'à moitié mais la meute avait toutefois constaté qu'il avait un petit peu diminué la longueur de ses tâches, faisait un peu plus de pauses.
Depuis l'incident et la sédation de Stiles, la meute était plus calme. On lui demandait moins de jouer et Malia restait dans son coin. Les seules fois où elle allait le voir, elle clopinait, la queue entre les jambes, les oreilles baissées et quémandait seulement une caresse de temps à autres. Caresse que Stiles lui accordait toujours avec un sourire fatigué. Il ne lui en voulait pas le moins du monde.
Cet après-midi-là, Stiles prit de quoi tenter de faire baisser sa fièvre et, après s'être assuré que tous ses amis avaient bien mangé, il s'enroula dans une couverture et s'allongea sur le canapé. Aux regards inquiets et curieux des loups, il répondit qu'il faisait juste une petite pause qui ne durerait pas plus de quelques minutes.
Elle avait finalement duré des heures, car Stiles s'était tout bonnement endormi, épuisé. Et c'est la sonnerie de son téléphone qui le réveilla et qui le brisa en début de soirée. Les loups et la coyote virent le changement drastique dans son odeur, ses traits se tendre, son souffle se faire court. Bredouillant qu'il reviendrait plus tard, Stiles s'en alla à vingt-heures trente-quatre et conduisit malgré sa faiblesse, qui faillit lui causer un accident.
Les jours qui suivirent furent pire. Si Stiles était simplement épuisé physiquement précédemment, là, il était... Mort de fatigue, littéralement. Il avait changé son rythme et venait au manoir la nuit, plus le jour. Personne n'y comprenait rien et Stiles, qui n'avait aucune idée quant aux questionnements intérieurs de sa meute, ne s'embêtait pas à évoquer ce qui détruisait à petits feux. Qui comprendrait ? Qui le soutiendrait ? Ses amis étaient sous forme animale, aucun d'entre eux ne pouvait l'aider. Il était seul, définitivement seul et avait pour obligation de continuer de s'occuper d'eux, quoi qu'il arrive. Que s'était-il donc passé pour le mettre dans un tel état d'épuisement et de déni ?
Son père était mourant.
Il s'était pris une balle durant une intervention, une balle qui lui avait fait de gros dégâts au niveau de l'abdomen. Il en avait reçu une à l'épaule, aussi. Et alors qu'il était plongé dans un profond coma, Stiles mourait lentement de chagrin. Il ne prenait absolument pas soin de lui, ne s'accordait pas beaucoup de temps pour dormir...
Et s'effondra de nouveau au manoir en pleine nuit.
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Deaton regardait l'hyperactif avec une inquiétude non feinte après l'avoir examiné. Enfin, il se tourna vers les loups qui trépignaient d'impatience. C'était Isaac qui avait vu Stiles s'évanouir dans un des nombreux couloirs du manoir, et qui avait appuyé sur le fameux bouton d'urgence laissé par le vétérinaire.
- Je sais que ce n'est pas de votre faute, dit-il à l'attention des loups derrière lui. Cette fois, c'est de la sienne. Il perd complètement pied. Il ne peut pas continuer de suivre le nouveau rythme qu'il s'est imposé. En tout cas, pas dans ces conditions.
Son regard fatigué passa sur les loups.
- Il va vraiment falloir trouver une solution pour vous sortir de cette situation ou bien il risque d'en payer les frais.
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Scott glapit en laissant tomber sa tête poilue sur la cuisse de Stiles, qui dormait profondément. Deaton lui avait administré quelques médicaments et même fait une petite transfusion de nutriments. L'hyperactif en manquait cruellement, parce qu'il oubliait un peu trop souvent de se nourrir, malgré quelques prises de conscience éphémères. Il lui arrivait, parfois, de manger une pomme ou un bout de pain, un carré de sucre lorsqu'il trouvait que se nourrir était inutile.
Il était là, dans ce lit qu'il retrouvait de plus en plus souvent, épuisé. Sa vie partait en vrille et il n'en contrôlait, pour ainsi dire, plus aucun aspect. Le problème de la meute, ça pouvait aller. Mais son père... Non, là, ça faisait beaucoup et devenait vraiment difficile à supporter, autant qu'il était complexe de concilier ses longues visites en soins intensifs et ses tâches auprès de la meute. Et puisque Stiles n'avait personne à qui parler de ce qui lui arrivait, il perdait pied, littéralement, se laissait aller. Il sombrait dans les abysses de son existence, jusqu'à s'oublier lui-même. Et les loups le voyaient bien sûr. Depuis quelques jours, c'était clair et net. Ils aimeraient pouvoir faire quelque chose, mais quel était leur champ d'action sous leur forme animale ? A part grogner, glapir et se frotter affectueusement contre lui, ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Derek, de son côté, se démenait pour essayer de lui faire comprendre qu'il devait se reposer et qu'il les inquiétait : c'était peine perdue. Non seulement Stiles était aveugle à tout type de signaux, mais en plus, leur forme animale avait ses limites. Elle était purement et simplement handicapante. Comment pouvaient-ils tenter de lui faire comprendre quoi que ce soit alors qu'il ne prenait même plus la peine de les regarder dans les yeux. Autre fait alarmant, s'il avait été très rapide pour les différencier au début, il semblerait qu'il ne prenne même plus la peine de faire la différence entre les différents loups et la coyote. A vrai dire, il évitait de les appeler tout court. S'il ne le faisait pas, nul doute qu'il se tromperait.
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Il était trois heures du matin et les loups entendirent nettement la porte d'entrée s'ouvrir et se fermer. Derek et Isaac se levèrent et s'en allèrent à la rencontre de Stiles... Qui les ignora complètement. Il passa son chemin, l'air hagard, des traces de larmes passées sur ses joues. Elles avaient séché mais leurs sillons étaient là, tenaces, témoins de ce qu'il ressentait. Ses cernes n'étaient pas bien mieux : noirs et bien larges. C'était à se demandé comment il avait réussi à partir le matin de la veille et à conduire à nouveau cette nuit-là pour revenir ici. La meute s'était inquiétée parce qu'il avait la récente habitude de revenir le soir. Là, il avait plusieurs heures de retard et cela ne faisait que leur confirmer ce que Deaton leur avait dit quelques jours plus tôt.
Stiles perdait complètement pied dans sa vie.
Le vétérinaire avait essayé de lui parler à de nombreuses reprises mais l'hyperactif était là sans vraiment l'être. Il avait hoché la tête, sans vraiment écouter ses conseils d'homme avisé. Il avait toujours un peu de fièvre et sa fatigue continuait de s'accumuler sans qu'il fasse grand-chose pour l'atténuer. C'était comme s'il se laissait détruire par ce qui le rongeait sans essayer de se battre pour garder la tête hors de l'eau. Oh, il avait bien essayé, au début, mais ce temps était révolu.
Sans jeter un seul regard aux deux loups qui le suivaient, les autres s'étant réveillés mais n'ayant pas osé approcher, Stiles alla dans la cuisine. Derek se réjouit intérieurement : si l'adolescent pensait à manger, c'était bon signe. Il déchanta cependant bien vite en voyant qu'il avait dépassé le frigo et la corbeille de fruits sans y jeter un seul coup d'œil. L'hyperactif s'arrêta devant l'évier, plein à craquer de la vaisselle qu'il avait laissé là, les fois où il pensait à manger. Il retroussa ses manches, dévoilant des avant-bras trop blancs et amaigris, tout autant que son visage leur parut d'autant plus émacié, à peine éclairé par la vieille lumière de la cuisine. Et, sans un mot pour les loups qui l'observait, il se mit à faire la vaisselle. Pourtant, l'on entendait son cœur qui battait trop vite, sa respiration hachée. Il allait mal et transpirait, comme toujours, l'épuisement. Alors, pourquoi continuait-il ? Derek couina aussi fort qu'il le put pour attirer son attention. Isaac l'imita, comprenant où il voulait en venir, le tout en se rapprochant. Stiles sembla ne pas les entendre et redoubla même d'ardeur pour nettoyer cette vaisselle récalcitrante. Sauf qu'il y mit de la rage, beaucoup de rage, si bien qu'il se coupa mais n'y fit pas attention. Si bien qu'il se mit à pleurer mais n'y fit pas attention. Si bien qu'il éclata en sanglot et ne s'arrêta que lorsque ses larmes l'empêchèrent complètement de voir ce qu'il faisait. Il craquait en présence de deux membres de la meute sans réellement s'en rendre compte. Les mains encore pleines de savon, il les ramena à son visage et recula d'un, puis de deux pas avant de progressivement se sentir partir, encore. Allait-il tomber ? Il n'en savait rien et pour être honnête, il s'en fichait. Il n'entendit pas les nombreux glapissements des loups, ni l'espèce de cri de surprise que poussa l'un d'eux alors qu'une lumière aveuglante surgit à ses côtés.
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Stiles avait froid. Il tremblait. Sur son front, il y avait quelque chose d'humide et il sentit qu'on le recouvrait de quelque chose de léger mais de chaud à la fois. Ses joues étaient mouillées, comme s'il pleurait encore mais il n'en avait cure. Sa peine était trop grande et... Et quoi ? Il n'était même pas vraiment conscient, comment pourrait-il se soucier de l'image qu'il pouvait renvoyer ? Une grande main essuya ses larmes avec un mouchoir avant d'aller vérifier si le pansement qui avait été appliqué sur son doigts ne se décollait pas.
Stiles entrouvrit les yeux et les leva sur une silhouette qu'il connaissait. Ladite silhouette était penchée sur lui et semblait focalisée sur quelque chose.
- Je deviens fou, souffla-t-il.
Sa gorge le brûlait. Était-ce parler qui provoquait cette sensation d'irritation intense ou manquait-il simplement d'eau ? En tous les cas, il devait sans doute être tombé bien bas pour l'imaginer lui, à son chevet.
- Tais-toi, s'il te plaît.
La voix s'était voulue dure, mais n'en déplaise à son propriétaire, elle ne l'était pas vraiment selon Stiles, qui trouvait son hallucination étrangement douce et bienveillante, bien qu'improbable. Songer à Scott ou Isaac aurait été bien plus crédible. Imaginer un Derek approximatif penché sur lui était une preuve de sa folie naissante.
- J'ai toujours su... Que j'avais un pète au casque, murmura-t-il, comme pour lui-même.
Stiles referma les yeux car ses paupières étaient trop lourdes, lorsqu'il entendit un soupir. Il était si mal en point qu'il était incapable de savoir s'il s'agissait du sien ou de celui de son hallucination.
- Tu es juste idiot.
L'hyperactif, les yeux clos, hocha faiblement la tête. D'accord. Son illusion n'avait pas tort. Et encore une fois, sa voix ne fut pas aussi dure et sèche qu'elle n'aurait dû l'être pour accompagner ces mots censés le descendre. Il sentit un contact léger et bref, comme une caresse sur sa joue si pâle et creusée. Stiles avait définitivement perdu la tête. Pour imaginer Derek Hale avoir un geste doux et affectif envers lui, il fallait qu'il ait un sacré problème. Le Nogitsune était-il en train de le posséder à nouveau ? Si tel était le cas, il aurait moins de mal à se donner que la première fois : en plus d'être détruit, Stiles était épuisé, incapable de se battre et de résister à l'envahisseur. Pour autant, s'il le pensa très fort, il ne le formula pas à voix haute.
- Repose-toi. Dors. Tu n'as rien à faire.
Oh, si, il avait tant à faire avant de retourner voir son père. Il n'arrivait plus à faire de simples siestes : il était si fatigué que quelques minutes ne suffisaient plus à l'aider. Il lui fallait des heures et ces heures, c'était du temps perdu. Stiles se devait d'être prêt et présent dès l'ouverture du service où se trouvait son géniteur, toujours dans le coma.
- J'vais être en retard pour les visites... Murmura-t-il encore, sans chercher à être clair envers son interlocuteur imaginaire.
- Tu ne vas être en retard pour rien du tout. Dors, Stiles. Tout va bien.
De toute manière, Stiles ne put pas résister au sommeil bien longtemps : ses yeux ne lui obéissaient plus depuis déjà plusieurs minutes et cette voix si rassurante ne l'aidait pas à se bouger les fesses. Et cette chaleur autour de sa main... C'était nouveau ça, non ? Alors maintenant, les hallucinations visuelles et auditives ne suffisaient plus ? Il fallait qu'il perde conscience de ce qui était réel au niveau du toucher ? S'il avait été complètement conscient, Stiles aurait simplement hoché les épaules. A la place, il replongea dans un profond sommeil.
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