Chapitre 28
- Quand tu es parti pour retrouver Isaac, Théo et Jackson... Tu m'as demandé de rester là, de ne pas bouger d'ici.
Derek, qui sentait que la discussion risquait d'être longue, décida de s'assoir à côté de Stiles, lequel s'évertuait à ne pas le regarder. Il se triturait les doigts de stress. Il était clair que repenser à ce jour funeste ne lui faisait pas du bien, mais il avait besoin d'en parler, de tout lui expliquer. S'agissait-il d'un moyen de se décharger de ce qu'il avait vécu, ressenti ? Derek ne saurait le dire, mais il jugeait la chose fort probable et la considérait comme bonne. Il fallait que Stiles se confie – et il se surpris à être heureux d'être celui à qui il choisissait de parler. L'ancien alpha se rappela toutefois d'un fait et pas des moindres : l'humain à côté de lui continuait de le prendre pour une hallucination. Il ne pensait pas s'adresser à Derek, l'ancien alpha mal luné, mais à une illusion sortie tout droit de son âme souffrante, façonnée par elle et pour elle. En outre, il devait avoir choisi de se libérer uniquement parce qu'il savait que l'homme à ses côtés n'avait rien de réel. C'était en tout cas ce que Derek se disait. Il faisait au mieux pour rester lucide par rapport à la situation.
- Moi, je ne pouvais pas accepter de rester ici pendant qu'Isaac et les autres... Souffraient. Je n'arrivais pas à accepter cette idée. Pourquoi moi je devrais rester en sécurité alors qu'ils étaient sans doute terrifiés ? Isaac avait hurlé, tu avais reconnu son cri... Ça et les coups de feu, ça tournait en boucle dans ma tête. Je ne pouvais pas rester là.
Garder le silence fut difficile pour Derek tant ses mots le faisaient réagir. Le fait est qu'il avait besoin que l'humain se vide... Alors il attendit la suite. De toute façon, il n'était pas surpris par la façon dont les choses s'étaient déroulées. En effet, Stiles était un électron libre qui écoutait rarement ce qu'on lui disait et qui, lorsque ses amis étaient dans le mal, passait outre les ordres et conseils les plus basiques. En résumé, son instinct de survie quelque peu vacillant s'était fait la belle pour ce qui lui paraissait juste. En soit, c'était tout à son honneur, mais il avait encore une fois pensé aux autres avant de penser à lui-même. Il aurait pu prendre une balle, ou coincer son pied dans un de ces pièges à loups que ces enfoirés de chasseurs de gibier plaçaient ça et là dans la forêt. Cette pensée renforça en Derek un quelque chose qui laissait de plus en plus s'exprimer ces derniers temps. Bordel... Il n'était rien de plus qu'un humain. Un humain.
- Ils m'ont retenu. Ils ont plus ou moins tous... Voulu me retenir, souffla Stiles, ailleurs. Je ne sais pas pourquoi... Je n'ai pas compris leur intérêt à faire ça. Mais ils me faisaient perdre du temps et... Il fallait que je sorte, que je retrouve les autres. Je suis... Je suis responsable d'eux tous, pas de quelques-uns. Il faut que je sois à la hauteur et que je les protège. Je suis nul à ça, je ne suis pas fait pour ça. Mais je devais sortir.
C'est à ce moment-là que Derek le sentit se tendre complètement et triturer ses doigts avec plus de ferveur encore. De son côté, le loup-garou se mordit l'intérieur de la joue. Il n'aimait vraiment pas quand Stiles se dévalorisait et le problème, c'est qu'il faisait cela de plus en plus. L'ancien alpha ne l'avait en tout cas jamais autant entendu se descendre que depuis que la meute était sous sa forme animale. Il voyait bien une raison à cela, une raison que Stiles avait sous-entendue à plusieurs reprises.
L'indifférence dont il avait longtemps souffert en silence.
Il était persuadé qu'aucun des membres de la meute ne l'écoutait vraiment, et il se le disait sans doute davantage depuis ce moment. Comme si leurs propres préoccupations rendaient les siennes inutiles, peu méritantes de leur attention. Pourtant, Derek savait que ce n'était pas le cas.
Il lui tardait que tous retrouvent leur forme humaine pour qu'ils montrent à Stiles à quel point il avait tort.
Lui-même ne cessait d'essayer. Stiles lui avait récemment fait part de son ressenti et ce, à plusieurs reprises, concernant sa valeur. Il lui avait dit se savoir inférieur aux autres de par son statut. Au vu de la façon dont Derek se rappela de la peur qu'il avait eue pour lui, il était clair qu'il se trompait. Il était important, bien plus qu'il ne le pensait.
C'est avec un naturel désarmant que Stiles, soupirant d'un air fatigué, laissa sa tête reposer sur l'épaule du loup-garou. Le contact, léger mais non négligeable, lui fit un bien fou, un bien qu'il choisit de garder pour lui. Une hallucination ne dégageait pas une telle chaleur, mais soit. Il mit ses doutes de plus en plus forts de côté. Il avait besoin de cette présence, de cette chaleur surnaturelle qui lui donnait l'impression de pouvoir arrêter la progression de son propre froid intérieur.
- Je n'ai pas été cool avec eux, peut-être même horrible, mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour leur échapper que de dire des mots qui blessent. Des choses qui... Avaient pour vocation de leur faire mal.
L'avouer lui serrait le cœur parce qu'il savait pertinemment qu'il aurait pu s'y prendre autrement. Il lui aurait fallu du temps pour réfléchir, ce qu'il n'avait pas à ce moment-là. Puis un peu de son ressentiment était ressorti, quelque chose... Qu'il avait eu bien du mal à contrôler. Le fait est qu'il avait eu de bonnes raisons pour s'exprimer de la sorte, mais que sa façon de faire avait été très mauvaise.
- Ils ne voulaient pas me laisser partir, répéta-t-il, la gorge serrée, après une longue pause.
Les dégâts qu'il avait causés, Stiles les pensait irréparables. Il se mettait à leur place et s'imaginait mal pardonner la personne qui aurait osé déclamer des choses pareilles à son encontre. Leur mettre sur le dos une responsabilité qu'il considérait comme sienne et qu'il ne souhaiterait à personne tant elle était lourde... C'était mal.
- Qu'est-ce que tu leur as dit ? Entendit-il.
Qu'il était agréable de sentir cette chaleur et de savoir au fond de lui-même que cette épaule ne se déroberait pas. Un soutien comme celui-ci, il en avait rêvé pendant des mois.
Dommage qu'il l'obtienne au moment où il voulait partir. La boule au ventre à cette idée, il garda pour lui. Le fait est qu'il la voyait comme une évidence... Et que ce phénomène-là ne cessait de s'accentuer.
Il serait mieux sans eux et eux, sans lui.
Le potentiel vrai Derek compris – oui, ses réflexions à son sujet évoluaient légèrement.
- Je leur ai dit que s'il arrivait malheur à Isaac, Théo ou Jackson... Ce serait de leur faute. Je leur ai dit sans hésiter même si je ne le pensais pas vraiment. C'est moi qui suis responsable d'eux et pas l'inverse. Pourtant je leur ai dit, parce qu'ils faisaient tout pour me retenir.
Il y avait dans sa voix tout le désespoir que ses mots ne suffisaient pas à traduire. Sa douleur, elle était trop dure à transposer de cette façon, à la limite de l'indescriptible. « Je leur ai dit, je leur ai dit, je leur ai dit. » Il avait fait plus que dire, au final. Il leur avait imposé une partie de sa souffrance dans le seul but de pouvoir aller secourir les trois loups absents – une erreur qu'il ne saurait réparer sans faire davantage de casse. Il était nul pour ces choses-là, en particulier lorsqu'il se retrouvait ainsi faible et démuni. La mesure, ce n'était pas son truc et la preuve en était qu'en voulant faire au mieux pour sa meute, il s'était épuisé et rendu malade.
- Sauf qu'au final ce qu'il s'est passé, ça reste de ma faute, souffla-t-il. C'est de ma faute si Isaac a été blessé. Je n'ai pas été assez prévoyant, pas assez... Tout. Et en plus de ça, je les ai tous blessés parce qu'ils m'empêchaient de sortir.
Légère pause. Il avait mal au ventre tant la culpabilité le rongeait.
- Je n'arrive pas à être celui qu'il faut. Je ne peux pas l'être.
Sa gorge nouée donnait à sa voix quelques trémolos d'un pathétique inouï. Il imagina malgré lui son départ sans difficulté, net et sans bavure, d'une discrétion nécessaire. Il ne préviendrait personne, laisserait peut-être un petit mot, bien moins violent que ceux qu'il avait prononcés quelques jours plus tôt. Il ne leur reprocherait rien, dirait simplement que c'était mieux pour tout le monde, ne s'étalerait pas sur ce qu'il ressentait par souci de pudeur.
Dans un désir de continuer sur sa lancée, d'être honnête jusqu'au bout, Stiles échappa l'autre partie de la vérité qu'il gardait en lui et qui le minait tout autant que le reste.
- J'ai honte, Derek. J'ai honte mais je ne regrette pas et je pense que si c'était à refaire... Je n'aurais peut-être rien changé.
Comme si ces mots horribles, il devait fatalement les dire. Hurler à travers eux cette colère secrète due au fait que la seule fois où on le protégeait était lorsqu'il fallait le laisser tenter d'aller sauver leurs trois compères en danger. Pour lui, ça n'avait pas de sens. Sur le moment, ça l'avait en quelque sorte rendu fou, cristallisant sa colère sous la forme de ce venin qui les avait tous paralysés.
- Ou peut-être que j'aurais dit autre chose, continua-t-il, le regard vide. Mais dans tous les cas, je les aurais blessés.
Il n'était même pas capable d'affirmer que la chose serait involontaire tant il n'était pas certain de dire la vérité.
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