Chapitre 24


Stiles détestait ce genre de moments. Il aimait dormir et c'était d'autant plus vrai lorsque son épuisement ne lui laissait pas le choix... Mais il connaissait son sommeil et plus particulièrement ses différents stades. Celui qui se situait juste avant son véritable réveil était le pire : c'était là où il flottait dans sa propre tête, où sa conscience reprenait lentement du service. Son activité d'ores et déjà énergivore, donnait l'impression au jeune homme qu'il s'épuisait avant même d'avoir correctement repris connaissance. Ainsi, il perçut son corps comme plus lourd qu'à l'accoutumée, ses paupières également... Et se demanda vaguement s'il ne devrait pas faire un effort pour ouvrir les yeux. Néanmoins, lorsqu'il essaya, la réussite ne fut pas au rendez-vous : tout juste réussit-il à bouger la tête.

Si Stiles détestait donc ce stade en particulier, celui-ci restait toutefois très parlant quant à son état lorsqu'il s'éveillerait vraiment : autant dire qu'il aurait du mal à se lever lorsque le moment serait venu. Il se questionna vaguement. Était-ce un mal ? Ne pouvait-il pas s'accorder un peu de répit ? Et puis, les souvenirs remontèrent graduellement à la surface. D'abord, une montagne de loups se formèrent dans la brume de son esprit, et l'un d'entre eux se détacha de la masse. Il avait la patte et le flanc en sang.

Le souffle de Stiles se coupa un instant. Il ouvrit les yeux dans un sursaut si brusque que son cœur manqua un battement, avant de partir dans une danse des plus irrégulières. S'il ne sortait pas d'un cauchemar, la vision qu'il venait d'avoir en jouait parfaitement le rôle. Mais elle lui rappelait ce qu'il avait osé oublier durant un temps qu'il ne saurait estimer. Alors avant toute chose, il essaya de se calmer, car déjà, le voilà qui se mettait à trembler, victime de sueurs froides qu'il n'avait pas encore remarquées. Maladie ? Folie ? Angoisse ? Stiles ne saurait dire ce qui lui prenait, ce qui le mettait dans cet état de choc si particulier. Parce qu'il pouvait bouger et il sentait que s'il le désirait, il pourrait parler, mais... Il y avait ce truc qui paralysait son esprit et figeait chacune de ses réflexions.

Alors oui, peut-être qu'il céda à la panique.

Face à lui, il y eut du mouvement. La porte de la chambre s'ouvrit. Stiles croisa un regard qu'il connaissait bien, se redressa tant bien que mal... Et accepta de tout son être l'étreinte que son Derek lui offrit. Pire encore, il la quémanda, n'hésita pas à serrer le tissu du t-shirt du loup-garou sans se demander s'il risquait ou non de lui faire mal en lui pinçant la peau... Il laissa la chaleur surnaturelle l'envahir, les bras de son hallucination le serrer contre lui tandis que, de son côté, il s'évertua à retrouver une respiration normale. Dans sa tête, il n'y avait que des images au goût de sang.

- Isaac... Souffla-t-il.

Il y pensait avec une intensité folle, craignant chaque seconde qui passait, regrettant chaque instant de son sommeil. La culpabilité d'être là, en sécurité, sain et sauf lorsqu'il savait Isaac grièvement blessé, coincé dans un corps d'animal avec un métabolisme lupin plus lent que d'ordinaire...

- Deaton s'occupe de lui, entendit-il.

Cette voix chaude qui caressait sa peau, cette même voix qu'il craignait tout autant qu'il l'aimait... Elle fit fondre ses maigres défenses, lâcher prise et avouer l'évidence, l'une de celles qu'il se bornait à nier depuis un moment :

- J'y arrive pas, peina-t-il à articuler, j'y arrive pas...

Et ça lui faisait peur, n'enrayait en rien cette angoisse qui progressait vivement, participait à paralyser la part rationnelle de son être. Elle lui faisait perdre pied et effaçait presque la chaleur qui semblait véritablement provenir du corps si tangible de son hallucination. Celle-là même qui ne le lâchait pas... Qui sembla raffermir son étreinte sur lui. Stiles sentit ses yeux s'embuer et laissa son front se poser sur l'épaule de Derek.

- J'arrive pas... A assurer comme je le devrais... Murmura-t-il, les doigts de plus en plus crispés sur le tissu du haut du loup.

Par chance, il ne pouvait voir dans sa position l'expression de son hallucination qui, au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient, au fur et à mesure qu'il avouait enfin son impuissance face à la situation... Se décomposait. Car malgré ces derniers jours... Derek n'avait pas l'habitude de voir Stiles dans un tel état. D'assister à son effondrement mental. Il l'avait connu mal, épuisé... Mais jamais il ne l'avait entendu avouer ses faiblesses de la sorte. Stiles était... C'était le genre à s'entêter, à tout faire pour réussir malgré les difficultés. Evidemment que la situation était difficile, évidemment qu'il n'aurait pas dû avoir à s'occuper de tout le monde tout seul... Evidemment que l'on n'aurait pas dû le laisser s'épuiser de cette façon.


Evidemment qu'il allait finir par craquer pour de bon.

Car ce qu'il avait accepté de lui montrer jusque là n'était rien par rapport à ce qu'il lui avouait cette fois-ci. Ces mots, aussi simples soient-ils, étaient révélateur d'un état psychologique impensable.

L'impression qu'il allait le perdre s'insinua dans son esprit à une rapidité folle. Si Derek se savait suffisamment lucide pour savoir que ce n'était pas le cas, il gardait en tête que le risque... Existait toujours. Et c'était exactement pour cette raison qu'il devait se montrer bien plus vigilant qu'auparavant. Être plus actif, moins passif.

Le protéger de ses propres pensées et croyances qui lui pourrissaient l'esprit.

- Tu t'en sors très bien, réussit à prononcer Derek.

Il avait la gorge serrée et l'envie, le besoin de garder l'hyperactif contre lui, de le réchauffer, de sécher ses larmes... Lui montrer qu'il n'était pas tout seul et que la mission qui lui avait été confiée était simplement trop importante pour lui seul – et pas parce qu'il était humain.

Stiles s'était juste trop donné et à côté... On ne l'avait pas aidé. Derek lui-même n'en avait pas fait assez.

- Tu dis n'importe quoi, murmura l'hyperactif d'une voix étranglée.

- Je te retourne le compliment, maugréa Derek, la gorge toujours aussi serrée.

Le loup-garou n'avait pas l'intention de le convaincre maintenant, ce n'était pas là la priorité. Stiles ne le croirait jamais dans cet état, alors Derek attendrait qu'il se calme. En attendant, il n'avait rien de plus à faire que rester avec lui, lui prodiguer toute cette affection dont il avait si cruellement besoin. La même affection que Stiles n'espérait plus silencieusement, qu'il quémandait désormais directement par ses mots et gestes désespérés.

- Pourquoi j'y arrive pas... ?

Sa voix, quasiment inaudible, n'avait pas fini de briser le cœur de Derek qui, rendu quelque peu fébrile par la situation présente, peinait à savoir comment réagir efficacement. Ainsi, il n'eut pas le temps de réfléchir à ses mots, qu'il se devait de sélectionner rigoureusement, que Stiles reprenait déjà la parole :

- Lydia y serait arrivée. Elle aurait géré tout le monde et avec elle... Personne ne serait parti dans la forêt, aucun loup ne se serait pris la moindre balle... Isaac ne serait pas blessé.

Même au travers d'un murmure, sa voix était complètement brisée, montrant là la pente dangereuse sur laquelle se trouvait l'humain. Toujours aussi sévère envers lui-même, il était clair qu'il ne se pardonnerait pas de sitôt cet évènement... Qui n'était pas vraiment de son fait. Il ne pouvait objectivement pas gérer une meute entière seul, surtout si celle-ci était sous forme animale et agissait, par conséquent, sous l'influence de cette part-ci. Il l'avait fait – au détriment de sa santé. Alors Derek laissa une main caresser ses cheveux. Si le geste ne lui était naturel, il avait besoin de faire état de sa présence, de lui apporter tout le soutien dont il avait besoin.

- Arrête de te sentir responsable et de te comparer à Lydia. Tu n'es pas elle, elle n'est pas toi. Tu ne sais pas comment elle se serait débrouillée... Tu n'as aucune idée dont les choses auraient pu se passer avec elle car tu n'es pas elle et elle n'est pas toi. Tu es toi, et tu es largement suffisant.

- Je ne suis rien, fit soudainement Stiles en secouant la tête en se serrant davantage contre lui. Je suis rien...

Il prit quelques secondes pour reprendre son souffle, avant de continuer de sa voix éraillée, la joue contre l'épaule de Derek, le regard vide :

- Mais je dois continuer, je dois assumer... Parce que j'ai fait quelque chose de mal et que je ne peux pas partir...

Plus vraiment là, Stiles parlait d'un air absent. C'était comme s'il se confiait tout en s'imaginant que Derek n'était plus là... Comme s'il ignorait sciemment qu'il pouvait entendre ses paroles et lui répondre, comme s'il allait jusqu'à nier son hallucination, le fait qu'elle existe au moins dans sa tête. Car autour de lui, tout disparaissait, le laissant en tête à tête avec ses réflexions nées du choc, de la douleur, de la culpabilité d'être là tout en sachant Isaac aux portes de la mort.

- ... Sans avoir réparé ce que j'ai fait.

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