Chapitre 23


Regarder Stiles dormir avait quelque chose de rassurant. Derek ne le fixait que depuis quelques petites secondes, mais c'était ce qu'il arrivait à constater malgré tout. Les battements de son propre cœur ralentissaient, son angoisse discrète s'apaisait un peu. Pourtant, l'hyperactif avait lâché prise depuis une bonne petite heure et au départ... Derek n'avait rien fait d'autre que de s'allonger à côté de lui et de fixer le plafond, incapable ni de dormir, ni de faire quoi que ce soit de constructif. Techniquement, il était censé aller voir ses compères coincés sous leur forme lupine et il avait tout un tas de raison de sortir de cette chambre. Il y avait en particulier leur odeur... Elle était mauvaise, et il la sentait d'ici. Peut-être la fragrance acide était-elle liée à ce qu'il s'était passé, aux coups de feu, à la blessure d'Isaac... Mais Derek était persuadé qu'il y avait autre chose.

Ce n'était pas pour autant qu'il avait envie de s'occuper de cette histoire maintenant.

Surveiller le repos de Stiles lui paraissait en quelque sorte... Plus urgent. C'était dingue de voir à quel point son avis sur lui avait changé en quelques temps et de constater comment une situation aussi spécifique que celle-ci avait pu révéler le véritable état de Stiles au grand jour. Cette propension qu'il avait de s'occuper des autres tout en se laissant couler avait de quoi inquiéter. Et c'était parce qu'il était seul que ce comportement autodestructeur s'était vu aussi facilement, mais également pour la simple et bonne raison qu'il pensait sa meute complètement aveugle – ce qui n'était pas complètement faux. Alors, il s'était laissé aller... Et l'on avait fait attention à lui. Ironique, non ?

Derek, de son côté, avait posé son regard de loup cyan sur lui dès l'instant où il les avait tous installés au manoir. S'il n'avait pas constaté l'ampleur du problème tout de suite, il en avait toutefois décelé la présence assez vite.

Alors aujourd'hui, il ne voulait plus faire la même erreur, d'autant plus... Que cet idiot ne l'avait pas écouté. Il était sorti malgré son ordre de rester ici : il s'était mis en danger... Pour les autres. Encore. Toujours. Derek mentirait s'il disait ne pas être en colère, mais il ne serait pas honnête non plus en affirmant qu'il arrivait à lui en vouloir. La première émotion qui l'avait d'ailleurs traversé en apercevant Stiles dans la forêt ne se rapprochait d'aucune forme d'ire que ce soit.

Il se souvenait parfaitement de la terreur qui l'avait envahi. C'était après qu'il avait vu rouge et qu'il avait eu envie de lui hurler dessus pour lui faire comprendre qu'il n'aurait jamais dû sortir du manoir. Qu'encore une fois, il avait ou négligé, ou minimisé le danger – avec Stiles, la frontière entre ces deux concepts était véritablement mince. Ferait-il un jour montre d'un semblant d'instinct de survie ou fallait-il que Derek l'enferme à clé dans une des chambres du manoir pour être certain qu'il ne puisse sortir en son absence ? Le loup-garou devait-il s'assurer personnellement de sa sécurité ? C'était affolant. Affolant et désespérant. Ce qui l'avait retenu de lui hurler ces mots à la figure ? Sa terreur, sa stupeur, son inquiétude. Pour lui. Pour Théo, Jackson, Isaac. Mais surtout pour sa présence inopinée, indésirable. Derek savait l'humain intelligent et débrouillard. Il refusait toutefois de lui faire prendre le moindre risque, surtout dans son état. Stiles restait largement affaibli par sa négligence et ça, ce n'était pas une chose qu'il prenait à la légère.

Alors oui, le regarder dormir avait ce « truc » apaisant, rassurant. Derek commençait à sérieusement détester le fait de le savoir immobile plus de quelques minutes tant cela ne lui ressemblait pas et en même temps... Il savait que c'était ce qu'il lui fallait. Du repos, du repos, et encore du repos. Quand comprendrait-il qu'il devait passer avant tout le reste ? Vouloir aider et rendre service à autrui restait louable, mais c'était une chose qui se révélait inutile si l'on s'oubliait au point... De se rendre malade. Stiles était exactement dans ce cas-là.

Derek poussa un profond soupir et craqua : il passa un bras autour du corps de l'humain pour le rapprocher de lui. L'étreindre avec une douceur quelque peu brutale, mais qui ne suffit pas à le réveiller. C'était quelque chose d'instinctif qui ne pouvait plus véritablement retenir. Stiles lui avait véritablement fait peur. Dans son sommeil, celui-ci ne rechigna pas suite à ce mouvement soudain, bien au contraire : la façon dont il se blottit plus confortablement encore contre Derek voulait dire bien des choses. Le loup-garou, quant à lui, peinait à se détendre malgré tout. S'il savait Isaac entre de bonnes mains, Théo et Jackson à l'intérieur du manoir et Stiles en sécurité et entre ses bras... Il gardait son ressenti en lui. Peur et colère continuaient de se côtoyer malgré tout et Derek attendrait patiemment qu'elles s'étiolent jusqu'à disparaître complètement. Parler à quelqu'un, se confier ? Pas son truc. De toute façon, il n'en avait pas envie. S'il s'écoutait, il désignerait un loup pour veiller sur tous les autres, de sorte à n'avoir à rester qu'ici, avec Stiles. Près de cet idiot qui n'accordait pas grande importance à sa propre vie et qui la laissait se détruire à petit feux... Pour aider les autres. C'était toujours cette réflexion, ce constat-là qui revenait sur la table. Derek serra la mâchoire et raffermit son étreinte sur l'humain. Son loup intérieur réclamait du contact pour se rassurer, il le lui donnait sans rechigner.

- Il va vraiment falloir que je t'apprenne à être égoïste, laissa-t-il échapper.

Sa voix était basse, semblable à un chuchotement. Elle berçait Stiles dont le sommeil qui succédait à l'inquiétude et à la peur était plus apaisé que jamais. Comme s'il était inconsciemment à l'aise, à sa place. Qu'il se savait protégé, en sécurité. Pour rien au monde il ne changerait de position, s'éloignerait de Derek. Le sommeil avait cela de pratique qu'il mettait momentanément en pause le cours de ses pensées les plus nocives. De toute façon, il avait trop poussé son corps : celui-ci avait finalement repris les commandes.

Jamais Stiles ne dormit-il autant qu'il ne le fit ce jour-là. L'on savait son épuisement physique, mais l'on ne l'imaginait pas mental. Pourtant, il l'était de la même façon. Fatigué, ciselé par cette indifférence qui l'avait détruit et cette attention qui avait remplacée celle-ci. La disparition des trois loups, l'état catastrophique d'Isaac ? La voilà, la goutte qui avait fait déborder le vase avec une violence telle qu'il ne s'en remettrait pas de sitôt. Ainsi, il dormait un peu plus profondément que d'habitude, le nez dans le cou de celui dont il continuait de douter : car Derek était à la fois sa chance de survie, et sa Némésis. Mais sa présence, plus que toute autre, le détendait malgré lui. Ferme et douce à la fois. Massive, rassurante. Tangible. Rien ne vint alors troubler le sommeil de l'humain, ce qui lui donna la possibilité de se reposer véritablement pour la première fois depuis un bon moment.

Car la destruction latente dont il était victime avait eu son point culminant en ce jour. Ce type de cassure avait parfois du bon : il rasait tout sans distinction, il faisait mal et permettait parfois de repartir plus ou moins de zéro. En l'occurrence, ce ne serait pas le cas de Stiles.

Mais cette rupture invisible était le début de quelque chose que l'hyperactif commencerait à expérimenter dès son réveil.

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