Chapitre 22


Il lui disait d'aller lentement, de prendre son temps. De ne pas s'inquiéter, de ne pas avoir peur. Il avait passé un bras autour de lui et l'aidait à avancer tout en l'étreignant si fermement que Stiles savait qu'il ne pourrait pas tomber. Ses mains, elles étaient propres. Lavées quelques instants plus tôt par les siennes, pas beaucoup plus grande. Et pourtant, même si Derek avait frotté pour faire partir tout le sang, Stiles avait l'impression qu'il lui en restait encore, ici et là. Il était comme... Incrusté dans sa peau. Invisible, mais indélébile. Si Stiles n'était pas complètement présent, il avait toutefois conscience qu'il n'avait, objectivement, plus rien. Mais une autre partie de lui, toujours sous le choc, n'arrivait pas à se faire à l'idée que tout ce qu'il ressentait n'était que le contrecoup de ce qu'il avait vécu un peu plus tôt. Les images tournaient en boucle dans son esprit, vivaient derrière son regard parfois fixe, parfois allant et venant au gré de l'affolement qui le prenait.

- Isaac, souffla-t-il, la gorge serrée.

L'étreinte sur lui se raffermit et il se concentra pour avancer, mettre un pied devant l'autre. A quelques mètres de lui se trouvait la porte ouverte de cette chambre dans laquelle il dormait souvent ces temps-ci. Stiles plissa les yeux, pour essayer de mieux la voir : sa vue restait atrocement floue.

- Deaton s'occupe de lui.

Stiles ne saurait déterminer si la voix de son Derek était réellement douce ou si c'était son timbre qui lui faisait cet effet-là, mais... Le fait est que s'il en avait besoin, il n'arrivait toutefois pas à faire taire cette angoisse qui faisait durer cet état de choc au point qu'il se sache incapable d'avancer seul. La fatigue mise à part, son corps ne répondait que partiellement à cause de ce fatras d'émotions qui l'alourdissaient. Et Derek en tenait compte. Il ne cherchait pas à le faire aller plus vite, à le presser. S'il ne le portait pas, c'était parce qu'il savait que Stiles pouvait y arriver et il avait l'impression qu'il avait besoin d'être en quelque sorte... Stimulé. Pour rester là, à peu près conscient, avec lui. L'angoisse qui suintait par chaque pore de sa peau était bien trop forte pour qu'il puisse l'ignorer : nul doute que d'une manière ou d'une autre, l'état d'Isaac l'avait traumatisé. Si Derek était aussi extrêmement inquiet, il arrivait toutefois à relativiser, pour la simple et bonne raison qu'il avait foi en Alan Deaton, qu'il savait qu'il réussirait à faire quelque chose. De toute façon, à leur échelle, ils ne pouvaient rien faire d'autre ici qu'attendre. Derek avait tout un tas de choses à faire et aller voir les autres loups en faisait partie : son odorat avait capté un nombre d'émotions suffisamment indésirables pour le titiller – il fallait qu'il sache d'où elle venait. Cependant, il s'agissait de quelque chose qui pouvait attendre.

Stiles, pas vraiment.

De son côté, l'hyperactif ne saurait définir avec précision le moment où il bascula, où sa tête rencontra l'oreiller. Le fait est qu'il ferma presque instantanément les yeux, épuisé aussi bien mentalement que physiquement. S'il voulait dormir ? Non et à vrai dire, il lutta contre la vague qui le submergeait déjà. Il ne fallait pas qu'il s'endorme, c'était mal.

- Repose-toi, entendit-il vaguement.

Stiles balbutia faiblement quelques petites choses, des mots que lui-même ne comprit pas vraiment – tout son commençait à se faire lointain. Mais il savait qu'il ne voulait pas partir aussi loin que l'était le monde des rêves alors qu'il se devait d'attendre des nouvelles d'Isaac. Après tout, il avait son sang sur les mains : il devait s'assurer que ça irait, que les choses n'allaient pas s'envenimer. Appeler Deaton aussi tôt le démangea au point qu'il cède rapidement à ce que son esprit demandait sans relâche. Il rouvrit péniblement les yeux et articula une question, fort simple, à laquelle Derek, assis au bord du lit, répondit par un soupir.

- Ton téléphone est en bas et je ne compte pas redescendre. Tu n'en as pas besoin, Stiles.

Et l'hyperactif de rétorquer que si. Qu'il le lui fallait. Qu'il devait savoir si Isaac avait toutes les chances de s'en sortir ou non.

Mais il n'avait pas suffisamment d'énergie pour passer outre l'avis de son hallucination bien-aimée. Alors s'il insista, ce fut avec une mollesse sans équivoque : son corps était doucement en train de lâcher et son adrénaline, de le quitter. Elle l'avait longtemps... Trop longtemps maintenu debout.

- Isaac va s'en sortir sans problème, il est entre les meilleures mains qui soient.

- C'est les tiennes, les meilleures.

Pour être honnête, Stiles commençait à ne plus réellement savoir ce qu'il disait mais il avait sorti ces mots avec un naturel désarmant. Possible qu'il confonde et mélange tout, possible qu'il soit lentement en train de dérailler en même temps que sa conscience débutait sa chute pour laisser la place à son pendant contraire. C'était comme si se retrouver là, dans cette chambre, avec son Derek... Ouvrait cette vanne qu'il s'évertuait à garder fermée. Comme si cet ensemble de paramètres était le déclencheur d'un repos non désiré.

Stiles avait beaucoup de choses à penser et son cerveau avait bien l'intention de lui rappeler tous ces mots qu'il avait prononcés, tous ces gestes qu'il aurait pu faire pour éviter qu'Isaac se retrouve dans cet état à l'issue incertaine. Alors forcément, il ne se rendait pas bien compte des mots qu'il venait de prononcer avec un tel instinct qu'il laissait Derek bouche bée. Mais comment pouvait-il le savoir ? Il ne le regardait plus : ses paupières s'étaient fermées à nouveau. Si Stiles ne voulait pas se reposer, son corps ne lui laissait vraisemblablement pas le choix.

Ainsi, Stiles ne sut s'il rêva le contact, cette main sur la sienne. Ces doigts qui la serraient doucement. C'était quelque chose qu'il désirait toujours au fond de lui, quelque chose dont il ne parlait jamais.

A part cette fois-ci.

- Reste avec moi, souffla-t-il.

Parce qu'il ressentait l'égoïste besoin d'avoir son Derek à ses côtés, de se dire qu'il ne serait pas seul lorsqu'il rouvrirait les yeux. Il s'agissait d'une chose qu'il n'était pas certain de pouvoir supporter si cela arrivait, alors... Il essayait de faire en sorte d'avoir la mainmise sur cet aspect-là de sa vie – au moins un peu. Pour un temps qu'il désirait indéfini.

- Parce que tu penses que je peux m'en aller ? Entendit Stiles.

- J'ai peur de perdre le peu que j'ai, répondit mollement l'hyperactif, tout en profitant de ce contact possiblement imaginaire.

S'il s'endormait et qu'il apprenait à son réveil qu'Isaac ne s'en était pas sorti, il n'y aurait peut-être que son hallucination pour l'empêcher de faire une connerie. Stiles n'était pas du genre suicidaire, mais les évènements récents l'avaient suffisamment cassé pour que son esprit s'ouvre à de nouveaux horizons – et pas les meilleurs. A part le fruit de son imagination, qui pourrait s'opposer à une pulsion aussi soudaine que celle qui avait la force de le pousser à s'emparer d'un couteau ? Certainement pas ses amis, à qui il avait parlé d'une telle façon qu'il considérait lui-même le pardon comme inenvisageable. Quel que soit le contexte, ce qu'il avait dit dépassait l'entendement et... Avait été fait pour blesser. Ainsi, l'hyperactif avait honte de ses propos et comprendrait tout à fait que l'indifférence à son égard puisse se transformer en une ignorance volontaire.

Mais il se savait égoïste et ne pouvait ignorer ce besoin qu'il avait de trouver quelque chose pour ne pas perdre les pédales et... Durer le plus longtemps possible. Être là pour ses amis, même s'il leur avait on ne peut plus mal parler, revêtait encore plus d'importance qu'auparavant. Et Stiles ne se le pardonnerait jamais, si Isaac venait à mourir ou bien à avoir des séquelles de ce qui était au départ une balade futile en forêt. Une fois qu'il irait un peu mieux, Stiles durcirait les règles au manoir et limiterait les sorties à certains moments et à un certain périmètre : il ne pouvait pas se permettre de prendre de nouveaux risques de ce genre. Il faudrait qu'il pense à contacter Chris, aussi, histoire de ratisser la forêt et chasser ces chasseurs du naturel.

Stiles avait définitivement beaucoup de choses à faire, mais... Pas l'énergie d'en réaliser une seule pour le moment. Il le reconnaissait, son corps était épuisé : n'était-ce pas pour cela qu'il tremblait encore un peu, alors même qu'il avait l'impression que la main de Derek tenait encore la sienne ?

- Tu ne me perdras pas.

Et ces mots, aussi simple soient-ils, suffirent à le faire lâcher prise, à basculer hors de sa conscience, loin du manoir, de chacun des loups, de tout. Parce qu'au fond de lui, Stiles savait ce qu'il en était vraiment.

Il avait confiance en lui.

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