Chapitre 17
C'était peut-être un peu égoïste, mais Derek avait eu besoin d'un petit temps pour lui. Une pause, un interlude. De quoi calmer colère et tristesse, joie et souffrance. S'il en voulait à Stiles ? Pas vraiment. Pas du tout, en fait. En tout cas, son indiscrétion ne le surprenait pas, car il connaissait l'hyperactif et son côté fouineur. Pour autant, cette fois-ci était presque touchante parce que Stiles... Avait voulu lui faire plaisir. Si l'idée ne lui déplaisait pas, elle le surprenait grandement, pour la simple et bonne raison... Eh bien, qu'on ne pensait généralement pas à lui. Oh, il ne s'en plaignait pas, loin de là ! Il avait pris l'habitude de n'être qu'un homme de l'ombre, celui qui aidait, qui apportait son soutien de temps à autres, sans rien demander en retour. Il n'était pas du genre de ceux qui s'en allaient demander de la reconnaissance à chaque bonne action réalisée. En fait, lui n'en voulait carrément pas, car il trouvait totalement normal d'aider son prochain, et ainsi de suite.
Alors forcément, les aveux de Stiles avaient de quoi le surprendre et avec du recul... Ils lui réchauffaient doucement le cœur. Oui, de savoir qu'il avait touché aux affaires jusque-là inviolées de sa famille lui faisait un mal de chien et en même temps... Avec ses mains, il avait redonné une seconde vie à la passion méconnue de sa mère. D'ailleurs, qu'il sache manier le crochet l'étonnait fortement : il ne lui semblait pas que cette activité soit très populaire auprès de la gent masculine, mais... Il s'agissait d'une bonne surprise supplémentaire, d'autant plus que du peu qu'il en avait vu, Stiles possédait une excellente dextérité. Dextérité qu'il ne lui soupçonnait pas. De manière générale, il l'avait toujours connu un peu lourd, maladroit, pressé... Ses gestes étaient toujours brouillons et presque tremblants tant il cherchait à aller vite généralement, tant et si bien qu'il faisait régulièrement des bêtises, en cours ou lors de réunions au loft. Mais la manière dont il faisait passer le crochet entre les mailles était stupéfiante tant ses gestes rayonnaient de fluidité. Ce souvenir dansait dans son esprit et s'acharnait à balayer colère et douleur, tristesse et rancune. Disons qu'il l'aidait à se calmer, parce qu'il émanait dudit souvenir une douceur indéniable dont il n'était pourtant pas familier.
Une douceur qui l'empêcha complètement de lui en vouloir, finalement.
C'est elle qui lui permit, quelques temps plus tard, de reprendre le chemin qui menait au manoir. La lourdeur du chagrin qui ne le quittait pas était toujours là, mais elle était moindre par rapport à ce qui avait commencé à le gagner. D'ailleurs, il finit par s'en vouloir d'être parti aussi abruptement. Néanmoins, Derek savait qu'il n'aurait pas pu faire autrement tant ce qu'il avait eu sur le cœur était fort. Alors oui, il avait eu besoin d'un temps mort, c'était vital. Respirer. Ne penser qu'à lui et surtout... Ne pas imposer son humeur. Maintenant qu'elle était plus lisse et qu'il la contrôlait mieux, il pouvait revenir sans aucun problème. D'ailleurs, il faudrait qu'il discute avec Stiles, histoire de s'excuser quant à son léger emportement mais également d'essayer de faire en sorte qu'il ne touche plus aux affaires de sa famille. Disons que Derek voulait bien accepter l'émergence du crochet et de la laine allant avec, mais il n'était pas encore prêt pour le reste. Il lui faudrait un peu de temps. L'on avait tendance à croire que les années avaient allégé sa peine, mais ce n'était qu'en partie vrai seulement. Le temps faisait son œuvre, oui. Néanmoins, le silence qu'il s'imposait depuis le début à ce sujet le ralentissait dans sa réalisation. En d'autres termes, il sabotait sa propre guérison mentale parce qu'il ne savait pas faire autrement. Et puis, à qui parlerait-il, de toute façon ? Certainement pas son oncle qui, de toute manière, partageait sa peine pour l'avoir vécue également. Ils n'en discutaient jamais et cela leur allait très bien comme cela. Pourtant, ce n'était pas forcément la meilleure chose à faire.
Tout en marchant, il réfléchit à la manière dont il pourrait aborder le sujet avec l'hyperactif. Une chose était certaine, il devrait privilégier la douceur. Même s'il ne s'était pas complètement emporté, Derek savait qu'il l'avait blessé. En somme, il avait bien l'intention de se rattraper et de lui montrer qu'il ne lui en voulait pas. Néanmoins, il ne put s'empêcher de redouter la réaction qu'aurait l'hyperactif à son retour. Le bouderait-il ? Connaissant le bougre, c'était possible. Cependant, Derek l'imaginait plus faire comme s'il ne s'était rien passé. Ça, c'était du Stiles tout craché. Quelle était sa devise, déjà ? Ah, oui. Ignorer le problème jusqu'à ce que celui-ci disparaisse. L'avantage qu'avait Derek, c'était d'avoir des sens surnaturels qui lui permettaient de gagner du temps : pas besoin de réfléchir, il savait directement quand l'humain était sincère ou non. Autant dire que c'était pratique.
En tout cas, commencer par des excuses lui paraissait être la meilleure des idées. Derek n'était pas particulièrement doué dans le domaine de la parlote, alors... Sans doute aviserait-il sur le tas, après avoir présenté ses excuses. Puis de toute manière, il était plus doué avec les gestes qu'avec les mots... Peut-être que lui préparer un bon repas ou lui mettre un peu plus de matériel de crochet à disposition lui ferait plaisir ? Après tout, Stiles n'avait pas tout sorti des cartons... Juste le minimum. Et même s'il ne retouchait pas aux affaires de sa famille, Derek pourrait toujours faire une petite course en empruntant la Jeep de l'humain... Et lui ramener quelque chose, des pelotes, ou un accessoire qui pourrait lui servir... En fait, à cet instant, le loup était prêt à lui offrir n'importe quoi, juste pour lui faire retrouver le sourire, lui faire oublier la colère qu'il avait pu ressentir à son égard. Parce qu'au fond, il ne l'avait pas méritée, d'autant plus que sa curiosité partait d'un bon sentiment. Pour une fois, il n'avait pas fouillé dans son passé pour connaître son histoire : non, juste pour trouver un moyen de lui faire plaisir. Et ça, c'était inédit. Il en avait le cœur réchauffé même s'il essayait de ne pas se réjouir trop non plus. Même si le jeune homme avait été sincère sur le moment, il pouvait avoir changé d'avis depuis. C'était possible, surtout connaissant l'énergumène. Il avait l'esprit si vif que ses idées fusaient et variaient au fil du temps. Et puis parfois, il oubliait, tout simplement. Derek ne lui en voudrait pas du tout si c'était le cas. Il essayait simplement de ne pas se faire une fausse joie. Il avait retiré cette leçon de son passé et il continuait de l'appliquer pour se protéger.
Mais lorsque le manoir entra dans son champ de vision, Derek sentit aussitôt une sorte de malaise le gagner. Une certaine tension l'accompagna rapidement. Et puis, enfin, il les entendit.
Les couinements de ses amis. Et puisqu'il était lui-même de nature lupine, la traduction lui parvint instantanément. Si ces petits bruits ne signifiaient rien en tant que tels, ils traduisaient des émotions et sentiments clairs. Inquiétude. Peur. Douleur. La tension et le malaise se transformèrent en une alarme, un signal d'urgence. Derek accéléra brutalement le pas jusqu'à courir et entrer dans le manoir en trombe. Là, il aperçut directement Isaac qui venait à sa rencontre. Le loup lui indiqua la direction à suivre d'un mouvement de tête. Derek suivit son indication et passa au milieu des animaux perturbés jusqu'à débouler dans la cuisine... Où Stiles, qui ne l'avait pas entendu arriver, s'évertuait à frotter comme un dingue le plan de travail. Cette vision, aussi simple soit-elle, suffit à tétaniser un instant Derek sur place. Parce que l'hyperactif était pâle comme un linge et semblait, physiquement, être revenu à la case départ tant sa vitalité semblait l'avoir déserté. Son regard paraissait absent mais ses gestes étaient empreints d'une rage folle. Son odeur ? Oui, elle suintait la souffrance et la colère. Quelque chose de fort, qui le poussait à agir. A côté de cela, il y avait son équilibre qui semblait on ne peut plus précaire, les tremblements légers de ses mains, ses jambes qui ne paraissaient pas si sûres dans leurs appuis, et son souffle erratique. Derek eut alors un déclic et attrapa la main de l'hyperactif, le forçant à s'arrêter, à lâcher son chiffon. Presque aussitôt, le châtain releva son regard ambré et l'ancra dans celui, bleu-vert, de Derek. Mais il le baissa rapidement et tenta de reprendre son mouvement comme si de rien n'était. Le cœur du loup rata un battement et il resserra sa main sur la sienne. Stiles força pour faire abstraction de cet obstacle et continuer sa tache, mais... Derek était inflexible. Pour autant, l'hyperactif ne releva pas la tête vers lui.
- Arrête ça tout de suite et regarde-moi, lui intima le loup d'un ton qui se voulut posé.
Sous sa main, celle de Stiles tremblait. Le châtain secoua la tête. Derek fronça les sourcils et décida de venir de son côté, sans le lâcher. En fait, il finit par se placer carrément derrière lui. D'ailleurs, une certaine fragrance métallique lui chatouillait les narines depuis un moment mais il choisit en priorité de se concentrer sur ce qu'il entrevoyait... Et qui ne lui plaisait pas du tout. Depuis quand Stiles l'ignorait-il ? Était-ce à cause de la manière dont il s'était emporté ? Aurait-il dû retenir davantage sa colère ? Il avait fait de son mieux, mais il fallait croire que ce n'était pas suffisant et honnêtement... Il pouvait le comprendre. Il savait ne pas être facile à vivre et était conscient que ses réactions étaient parfois un peu abruptes – même si celle-ci s'était avérée plutôt modérée.
- Lâche-moi, entendit-il finalement.
Le ton était sec, la voix un peu faible. Si Derek ne le sentait pas déjà épuisé, il en aurait eu la confirmation avec ces mots articulés péniblement.
- Non.
Autant être honnête.
- Laisse-moi. Je suis occupé.
- Tu es épuisé.
Malgré son immense fatigue qui ne cessait de grandir, Stiles se retourna avec une vivacité étonnante vers Derek, qui l'encadra en posant ses mains sur ce qu'il s'évertuait à nettoyer quelques secondes plus tôt. Il coinçait le châtain entre lui, et le plan de travail. Autant dire que même plus en forme, Stiles n'aurait eu aucune échappatoire.
- C'est quoi ton problème ?! Fit Stiles, le regard empli de colère.
Derek contint l'irritation qui montait doucement en lui. Sans doute était-ce le moment où il était censé s'excuser... Alors, c'est ce qu'il fit directement :
- Ecoute, je suis désolé pour tout à l'heure, ça te va ? Je suis désolé d'avoir réagi de cette façon et...
- Je m'en fous de ça, le coupa l'hyperactif, dont le cœur battait de plus en plus vite. Arrête juste ça. Arrête de t'amuser avec moi !
Il avait presque crié, presque. Mais puisqu'il n'avait pas l'énergie pour cela, il avait simplement fait de son mieux pour parler le plus fort possible. Et déjà, il se retrouvait essoufflé. Néanmoins, plus que son ton, ce furent ses mots qui rendirent Derek perplexe. Qu'était-il arrivé à l'hyperactif ? Pourquoi se montrait-il si vindicatif à son égard ? Son instinct lui souffla que ses excuses ne servaient à rien, qu'il se trompait sur toute la ligne. Il y avait autre chose. Les sourcils froncés, il lui dit simplement d'un ton ferme :
- Je ne m'amuse pas avec toi.
- Si, souffla Stiles en baissant la tête. Tu ne fais que ça. Je devrais même pas te répondre, je... Tu n'es pas là. Tu es une hallucination, tu n'existes pas. Bordel, quand est-ce que je vais me rentrer ça dans le crâne !
Déjà, ses jambes commençaient à flageoler et ses mains... Derek sut finalement d'où venait la fragrance métallique qu'il avait sentie un peu plus tôt. La coupure lui paraissant peu profonde, il la relégua au second plan pour l'instant. A l'heure actuelle, il avait d'autres priorités... Donc celle de le ramener dans la chambre. S'échinait-il ainsi depuis qu'il était parti ? Derek préférait ne pas y penser, d'autant plus qu'il regrettait déjà sa petite sortie. Certes, il avait eu besoin d'un temps mort, mais... Stiles était instable.
- Je suis réel, articula lentement Derek après lui avoir relevé le menton de sorte à pouvoir le regarder dans les yeux. C'est ça que tu dois te rentrer dans le crâne.
- Non, rétorqua l'hyperactif, non, tu ne l'es pas ! Tu disparais quand j'ai besoin de toi et tu réapparais... Tu réapparais comme ça, à un moment random, juste... Juste pour me torturer, comme si je me savais pas assez taré comme ça !
Derek n'eut même pas envie de répondre tant la douleur qui transparaissait dans les mots de l'hyperactif lui broyait le cœur.
Après quelques secondes à reprendre son souffle, Stiles reprit d'une voix tremblante :
- J'ai pas la force de supporter un nouvel abandon, une nouvelle absence. Je veux juste... Que tu disparaisses pour de bon. Que ce soit définitif. Là, si j'accepte que tu reviennes dans ma tête... Quand tu partiras à nouveau, je ne m'en remettrai pas et ça je... Je ne peux pas me le permettre. Il faut que tu sortes de ma tête une bonne fois pour toute.
Derek poussa un profond soupir et fit en sorte de maximiser le contrôle qu'il avait sur ses émotions même si le jeune homme face à lui ne lui rendait pas la tache facile. C'était même carrément le contraire tant ses mots tranchants lui faisaient mal. Le problème ? Il commençait à le cerner, oui, mais ce qu'il retenait par-dessus tout, c'était la manière dont Stiles avait interprété son absence et ce simple fait lui fit ressentir combien on l'avait abîmé. Si Stiles lui avait brièvement parlé, quelques jours plus tôt, de son ressenti par rapport à la meute et qu'il avait effectivement abordé le sujet de sa solitude, Derek était loin de se douter qu'elle irait l'influencer à ce point-là.
Alors, ses mains quittèrent le plan de travail. Ni une ni deux, il prit le jeune homme épuisé et essoufflé dans ses bras et décida de l'emmener à l'étage sans prononcer un mot, avec un air indéchiffrable. De son côté, Stiles geignit, tenta de le faire lâcher prise tout en retenant les larmes qui apparaissaient peu à peu dans ses yeux ambrés que la colère avait quittés. Comment continuer d'être en colère alors que la réapparition de son hallucination lui avait tout simplement brisé le cœur ? Pire que ça. Au départ, il avait essayé de l'ignorer... Pour tenter de se persuader qu'elle n'existait pas, qu'elle n'existait plus. C'était mieux pour sa colère, pour sa santé mentale en elle-même. Il s'agissait de la raison pour laquelle il avait voulu entretenir cette ire, histoire de se concentrer plus facilement et de rediriger son énergie – bancale – vers son objectif principal qui tenait en trois mots : se faire pardonner.
Oui mais encore une fois, Stiles était trop faible, même pour soulager sa conscience qui lui renvoyait son hallucination personnelle en plein visage. Alors voilà, il pourrait essayer de résister, de se donner les moyens de la faire plier. Que fit-il à la place ? Rien. Rien à part se laisser aller dans ces bras illusoires. C'est donc sans surprise qu'il craqua au moment où son Derek le déposa sur le lit, incapable de se retenir. Peut-être parce que les quelques heures passées seul avaient suffi à lui montrer qu'il n'avait plus rien pour lui, que le seul but de son existence était de servir à ses amis avant de partir et que tout ce qui pouvait hypothétiquement lui arriver de positif ne durerait pas. Mais voilà que Derek était de retour. Voilà qu'il le prenait à nouveau dans ses bras.
Et Stiles sut qu'il était complètement foutu lorsqu'il se pressa contre son hallucination en tremblant. Il n'acceptait toujours pas sa présence, mais... Il en avait cruellement besoin malgré tout. Néanmoins, une chose était certaine : si son Derek disparaissait à nouveau, c'était fini. Tout était fini.
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