Chapitre 16
Stiles avait tout défait, tant et si bien que la pelote avait repris sa taille et sa grosseur initiales. Était-ce parce qu'il avait enchaîné les erreurs au point de devoir recommencé ? Absolument pas. Une erreur, ça se corrigeait : il suffisait de défaire les mailles lésées, puis de les crocheter à nouveau.
Non, c'était surtout une question d'humeur, de mood. Et le sien était mauvais.
Alors, il avait tout envoyé balader et s'était replié sur lui-même dans cet endroit qui lui servait de chambre. Cet endroit qu'il aurait tout fait pour quitter quelques jours plus tôt, mais dont il ne voulait désormais plus sortir avant un moment. La culpabilité le minait, au point de s'insinuer dans chaque pore de sa peau, rongeant peu à peu cette bonne humeur bancale qu'il avait acquise. Retrouver l'univers du crochet lui avait fait un bien fou, mais la mauvaise humeur évidente – et justifiée – de Derek avait tout fait valdinguer, tant et si bien que Stiles avait défait tout ce qu'il avait crocheté. Il avait bien essayé de passer outre et de recommencer à faire quelque chose, à réfléchir à ce qu'il pourrait faire comme cadeau précis pour l'ancien alpha, mais les pensées désagréables fusaient, l'empêchaient d'être complètement lucide. En fait, il n'arrivait plus à s'imaginer reprendre le petit outil et confectionner mille et une chose avec.
Parce que même si la tendance de l'illusion se confirmait de plus en plus, Stiles s'en voulait. Il était clair que le véritable Derek l'aurait égorgé sur place et n'aurait pas juste eu l'air agacé. Il avait bien sûr été plus que cela, mais jamais il ne se serait contenu en sa présence. Humain ou pas, Derek lui aurait réservé le même sort qu'à n'importe qui. Fouiller dans les affaires restantes de sa famille était un affront que Stiles comprenait. Néanmoins si c'était à refaire, il ne s'en empêcherait pas. Parce que son objectif était toujours le même : il était juste incapable de le réaliser pour l'instant tant la culpabilité le minait. Quitte à cohabiter avec une hallucination, autant bien s'entendre avec elle. Le retour à la réalité serait difficile dans tous les cas, alors tant qu'à faire, mieux valait bien s'entendre avec elle.
Et à force de ruminer, Stiles eut une idée. Sans suspens, elle était mauvaise. Elle partait d'un bon sentiment, certes, mais elle restait indéniablement la chose à ne pas faire dans son état. Stiles allant mieux, il se sentait capable de la réaliser. Néanmoins, il se surestimait, comme à son habitude et avait décidé de ne pas écouter son corps. Ce qui se mit à compter le plus pour lui lorsqu'il daigna enfin se lever après deux bonnes heures en solo ne fut pas sa forme ni l'état de son corps.
Non, c'était de se faire pardonner.
Honnêtement, Stiles n'était pas obligé de chercher à faire cela, mais l'habitude dictait sa réflexion. Une habitude créée par l'indifférence générale et les reproches que l'on adressait généralement au seul humain de la meute.
Stiles réussit à affronter l'épreuve des escaliers en y allant tout doucement. Etonné de ne pas avoir Derek venir à sa rencontre, il eut toutefois la boule au ventre et se refusa de penser que l'hallucination s'était finalement dissipée. Il pouvait accepter cette réalité, il en était capable, mais il lu faudrait du temps et... Une certaine préparation mentale. Or là, il le prenait de court. Néanmoins, Stiles musela son angoisse d'avoir définitivement perdu son Derek et arriva à bon port sans perdre l'équilibre une seule fois. Il avait pris son temps et malgré la rudesse de la pente des escaliers, il avait réussi. Loin de s'en réjouir car rongé par cette culpabilité grandissante et son stress qu'il bridait comme il le pouvait, Stiles traversa le manoir. Son corps était encore faible, mais ses jambes le portaient et à l'heure actuelle... C'était tout ce qui comptait. A nouveau, un schéma malsain se formait dans sa tête : s'il était capable de marcher et de se déplacer seul, cela signifiait à ses yeux qu'il pouvait reprendre le cours de son existence là où il l'avait laissée. Le cadeau futur de Derek attendrait. A nouveau, il espéra que son hallucination ne s'était pas complètement envolée. Il ressentait réellement le besoin de se faire pardonner avant qu'elle ne disparaisse pour de bon.
- Derek ? L'appela-t-il d'une voix pas si assurée que cela, et un peu rauque également.
Ne plus parler aussi souvent qu'auparavant rendait sa voix un peu plus grave, plus graveleuse, un peu plus difficile à sortir. Les mots ne coulaient plus sur sa langue avec la facilité qu'il s'était connue. Là encore, il ne s'agissait que d'un nom mais déjà, Stiles semblait avoir atteint son quota du moment. Perturbé de ne pas avoir de réponse, il se mit à chercher le loup dans tout le manoir et la douleur qui l'envahit de ne pas l'y trouver le cloua un instant sur place, si bien qu'il ignora les glapissements misérables de Scott, puis ceux, réellement peinés, d'Isaac et Jackson. Malia restait en retrait depuis l'incident de l'autre jour, tandis que Liam et Théo lui tenaient compagnie pour lui éviter de devenir folle. Mais chacun ressentait la souffrance, la culpabilité et l'angoisse dans l'odeur de Stiles qui, à nouveau, appela Derek. Derek, qu'il considérait toujours comme une hallucination et de cela, la meute en était consciente. On voulut lui dire ce qu'il en était réellement, lui dire où était Derek : mais seuls des couinements et glapissements sortaient de leur gorge lupine.
Stiles ne fut pas très persévérant. Il abandonna au bout du septième « Derek » et de deux tours du manoir. Déjà, il fatiguait, mais ce n'était pas cela qui l'avait arrêté. C'était de se rendre compte qu'il était seul.
Seul.
Bien sûr, il aurait dû s'en douter. Evidemment, il n'alla pas vérifier si Derek était réapparu sous sa forme lupine. Il l'imaginait déjà, roulé en boule avec les autres, avec son pelage noir et ses yeux cyan. Il n'alla pas plus loin que cette vision qui, déjà, s'imposait à son esprit. Le cœur lourd, il serra les dents. Il se ferait pardonner, au moins pour sa bonne conscience qui lui imposait ce rêve en premier lieu bon devenant graduellement mauvais.
Ainsi, il resta figé quelques secondes, puis il se trouva stupide. Pourquoi diable chercher un fantôme qui n'existait que dans sa tête ? Il se remit en mouvement et se mit d'ores et déjà à vérifier quelles étaient les pièces les plus sales. Aucune ne l'était réellement, à sa plus grande surprise, mais il y avait des choses à faire. Rien n'était parfait. Stiles s'empara des produits ménagers et se mit au travail, sans prendre la peine d'écouter une seule seconde son corps qui, déjà, tirait la sonnette d'alarme. Oui, il se ferait pardonner, même si son hallucination n'était plus là. Elle venait de son esprit, alors il le ferait pour sa conscience. Qu'il était idiot de penser ainsi, de donner autant d'importance à quelque chose qui n'existait pas ! Mais Stiles était persuadé d'avoir perdu les pédales, alors ça ne l'étonna pas tant que ça. Il ne s'agissait que d'une tare supplémentaire sur la longue liste qu'il était capable de faire. Et après, il s'étonnait de l'indifférence et de l'abandon de la meute ?
- Stupide, maugréa-t-il en commençant à laver les vitres des fenêtres du salon. Tu es profondément stupide.
Il avait parlé avec une hargne folle, indéniable, sans que la colère n'écrase toutefois le reste des émotions qui le tiraillaient. Les mêmes prédominaient toujours. Il se sentait idiot, oui, mais se forçait surtout à réaliser que la réalité lui avait montré qu'il ne s'était pas trompé. Le Derek qui l'avait épaulé ces derniers jours n'était rien d'autre que le fruit de son imagination.
Il ne serait jamais rien de plus.
Ainsi, il frotta avec un peu plus de vigueur, une vigueur toute relative parce que la faiblesse était toujours là. Dans son cas, il lui faudrait bien plus de quelques jours pour récupérer : mais maintenant qu'il était seul, Stiles n'en avait cure. Il n'allait pas juste se faire pardonner. Il allait reprendre la routine malsaine qu'il s'était imposée. Parce que la preuve de sa folie était là et le touchait bien plus qu'il ne voulait l'accepter. Ainsi, il fallait agir, pour moins penser.
Et il avait bien l'intention de le faire.
Les indices qu'il se trompait étaient pourtant là, sous ses yeux. Le manoir était bien entretenu et la meute ne manquait de rien... Mais il refusait de le voir. Englué dans cette souffrance silencieuse qui avait pour racine non pas la disparition de son hallucination comme il le pensait, mais bien l'indifférence qui l'avait graduellement tué, Stiles se retrouvait avec une vision déformée des choses. Ainsi, il se persuada que le doute n'était plus permis et qu'il s'était, d'une manière ou d'une autre, déjà occupé de tout cela auparavant. Se tourner les pouces ? C'était fini. Le crochet ? L'envie lui était soudainement passée de renouer avec sa passion enfantine. Le repos ? Quelle idée de fainéant ! Il n'en avait pas besoin. Toutes les heures qu'il avait passées à dormir étaient suffisantes pour continuer de le faire tenir debout. Il aurait juste à faire attention à sustenter les besoins nutritifs de son corps et ensuite, ça irait.
Pour le reste, il attendrait que Deaton trouve une solution pour la meute et une fois que cela serait fait... Il s'en irait.
Stiles n'était pas lucide ou en tout cas, pas autant qu'il le pensait. Ses réflexions étaient polluées par la toxicité de la solitude qui le bouffait depuis si longtemps, toxicité que la présence de son Derek avait commencé à atténuer. Stiles se refusa à penser davantage à lui et lorsqu'il eut terminé les vitres de la pièce – ce qui lui prit un moment –, il s'attaqua à une autre pièce. Sa vue s'était déjà un peu floutée et certains vertiges le prirent, mais il ignora royalement le tout. L'action contre la réflexion. Il la savait nocive, perfide et préférait ne pas souffrir plus que nécessaire. Il ne fit pas non plus attention au comportement frénétique et angoissé des loups non loin de lui, tout comme il ne vit pas l'un d'eux sortir brutalement du manoir et partir en direction de la forêt. Concentré sur sa tâche pour ne pas faiblir plus que c'était déjà le cas, il ne faisait attention à rien, pas même au fait qu'il s'était coupé en passant sur une fenêtre dont la vitre n'était pas en très bon état.
Après la simple souffrance, vint la colère. Une colère contre lui-même. Sa stupidité lui sautait aux yeux avec une clairvoyance inédite – selon lui. Il souffrait du départ de son Derek et pourtant... Pourtant il s'était lui-même créé cet ennui. Sans le vouloir, il avait pris le risque de s'imaginer une aide, un soutien, tout en sachant que celui-ci disparaîtrait bientôt. Et... Il l'avait écouté. Il l'avait écouté le rassurer, le persuader de prendre soin de lui. Pour au final quoi ? Pour l'abandonner. Stiles savait qu'il ne devrait pas en vouloir à quelque chose qui n'existait pas : sa déception, il ne la devait qu'à lui-même. C'était sa folie, la responsable de tout ça. Puisque le jeune homme s'était senti mal et complètement démuni, son cerveau n'avait pas trouvé mieux que de lui faire apparaître ce dont il avait exactement besoin. Evidemment, la chute était rude, tant et si bien que Stiles avait tout, sauf envie de s'arrêter. S'il écoutait son corps, s'il acceptait de se faire l'affront de se reposer, il allait plonger. Plonger, ressasser, ruminer. Et puis, regretter cette fouille dans le grenier du manoir. Elle partait d'un bon sentiment, et encore une fois... Si c'était à refaire, il le referait. Mais pourquoi, au final ? Pour confectionner quelque chose à quelqu'un qui n'en aurait jamais rien à foutre ? Sa décision se renforça. Dès que toute cette affaire serait finie, il s'en irait pour de bon. Il n'y avait que de cette manière qu'il parviendrait peut-être à se reconstruire un jour, à panser les plaies que la meute avait ouvertes sans s'en rendre compte. D'un geste un peu rageur, Stiles ne se démonta pas et astiqua la moindre tâche, ignorant comme à son habitude les signaux d'alerte de son corps qui se faisaient de plus en plus insistants.
Sans doute viendrait-il à regretter sa négligence plus tard. Sans doute, oui. Mais cette fois-ci, pour l'instant, il se servait de l'énergie qu'il avait encore pour brider le plus possible l'afflux d'émotions toutes plus négatives les unes que les autres. Il ressentit presque le besoin de s'autodétruire, de s'acharner à la tâche jusqu'à en tomber à la renverse. Et d'une certaine manière, c'était ce qu'il faisait déjà sans s'en rendre compte. Quelques larmes coulaient sur ses joues sans même qu'il y fasse attention, tant celle-ci était fixée sur toutes ces choses auxquelles il s'efforçait de ne pas penser mais qui, pourtant, se rappelaient sans arrêt à son bon souvenir.
Il ne vint pas à l'esprit de Stiles qu'il avait peut-être sauté aux conclusions. Il se disait que sa version était la bonne et qu'il ne pouvait pas se tromper. En fait, il était si courant que les personnes les plus importantes à ses yeux finissent par le laisser, personnes réelles ou imaginaires, qu'il ne cherchait même pas à combattre cette idée.
Alors, il poussait le bouchon toujours plus loin, réduisant chaque signal d'alerte intérieur à quelque chose de quasi invisible. Ses gestes se faisaient plus brouillons, moins sûrs au fur et à mesure que le temps passait. Sa vue perdait en netteté, le monde autour de lui commençait à tanguer. Mais Stiles s'en fichait royalement. L'ignorance volontaire avait cela de terrifiant qu'elle pouvait changer le point de vue conscient d'une personne sur son état avec une puissance étonnante. Ainsi, Stiles passa à une autre partie du ménage, en se persuadant qu'il était d'attaque et qu'il en faudrait encore beaucoup avant que son corps ne cède.
S'il savait...
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