Chapitre 10
Trois jours plus tard, Stiles avait du mal à reprendre du poil de la bête. Toute sa négligence envers lui-même lui était retombée dessus alors même qu'il commençait enfin à se reposer réellement. Pas par choix : par flemme et potentiellement, par nécessité. Il fallait dire que son hallucination ne l'aidait pas beaucoup. Cette version-là de Derek avait tendance à le bercer, à le charmer de sa voix grave tel un joueur de flûte aux dons enchanteurs, juste pour qu'il ne fasse rien. C'était mauvais et il le savait, il ne faisait que repousser l'échéance. Ses tâches devaient s'accumuler et si les loups ne réclamaient rien, ils devaient sans doute se débrouiller par leurs propres moyens. Honnêtement, Stiles s'en voulait, mais il n'arrivait pas à lutter contre son épuisement, notamment à cause de Derek. Parfois, il se demandait pourquoi sa tête le torturait ainsi. Il aimait Derek et ce, depuis longtemps. Était-ce cet amour qui créait cette version douce du loup-garou grincheux qu'il connaissait ? Pourquoi ne lui donnait-il pas l'équivalent d'un coup de pied aux fesses comme il en avait l'habitude, pour le booster ? C'était vache. Très vache. Voilà pourquoi Stiles savait qu'il ne pouvait pas rester seul trop longtemps : son esprit était son ennemi. Au lieu de l'aider, il le faisait couler, inventait des choses pour le pousser à ne rien faire, lui faisait perdre la tête. Et le pire, c'est qu'il ne luttait plus vraiment et passait le plus clair de son temps à dormir, rattrapant ainsi petit à petit ce sommeil qu'il avait perdu – inutile, selon lui, mais il le faisait quand même. La voix de Derek le charmait bien trop pour qu'il refuse et son corps était lourd, si lourd, qu'éviter de bouger était agréable. Sa culpabilité était forte, vraiment, mais garder les yeux ouverts étaient un tel supplice...
- Allez, Stiles, lève-toi.
Oui, c'était un réel supplice. Dormir avait des effets trompeurs : Stiles était tellement épuisé que le moindre réveil semblait le fatiguer plus que le précédent. Dormir était donc un piège et n'avait pour vocation que de le faire tomber plus bas qu'il ne l'était déjà. Il était déjà à un niveau abyssal, si bien qu'il n'arrivait toujours pas à croire que Derek puisse être là, en sa présence, à prendre soin de lui, à le faire dormir non pas pour être tranquille, mais simplement pour qu'il se repose. Derek ne pouvait pas être aussi gentil avec lui, pas de son plein gré. Puis les loups, c'était pareil : aucun n'accordait d'importance à son état et ça, il le savait depuis un moment et loin de l'ignorer, il l'avait accepté. Toutefois, s'ils pouvaient bien se passer de sa présence en tant que telle, ils avaient besoin qu'il s'occupe d'eux. Si cela avait été sa source de motivation pendant un temps, c'était terminé. Il pensait au fait qu'il avait des choses à faire, qu'il devait les nourrir, rendre la pièce de vie toujours plus agréable pour eux, mais ça s'arrêtait là, il sombrait chaque fois dans un sommeil toujours plus profond que le précédent, sommeil qui lui semblait également toujours trop long et trop court à la fois.
- Stiles...
L'hyperactif grogna faiblement pour signifier à son hallucination son mécontentement évident. Qu'on le laisse tranquille, il avait trop de mal à ne serait-ce qu'ouvrir les yeux. Avait-on déjà dit que ses paupières étaient lourdes ? Elles l'étaient atrocement. Non, très sincèrement, il aimerait bien obéir à la voix désespérée de Derek, juste pour qu'elle le laisse tranquille, mais c'était vachement difficile. Si l'on ajoutait à cela la douce caresse sur sa joue, il était clair que rien de tout ce que son illusion tentait n'aidait Stiles à se motiver. C'était trop doux, trop chaleureux, trop agréable et Stiles était trop épuisé.
xxx
Derek poussa un soupir de soulagement et prit appui sur l'espèce de mini-bar à côté de la table, qui ouvrait la cuisine sur le salon. Il avait réussi. Cela n'avait pas été facile, mais il avait réussi à lever Stiles et à le garder éveillé le temps de manger. Qu'il se repose était une chose : qu'il ne fasse que ça sans manger à aucun moment en était une autre. Ce n'était pas la première fois qu'il se livrait à ce genre de combats avec lui, c'était tous les jours et la difficulté n'allait pas en s'amenuisant. Tout ça, c'était le contrecoup de la négligence de l'hyperactif. Les conséquences étaient lourdes et prendraient du temps pour disparaître et passer dans le domaine du provisoire.
Isaac vint s'assoir aux pieds de Derek et couina. Comme la plupart des loups de la meute, il se rendait bien compte qu'un certain nombre de choses n'allait pas et que Stiles... N'était plus vraiment lui-même, qu'il disparaissait, qu'il s'était oublié au point de ne plus tenir debout seul. Parce que le bouclé avait bien vu la manière dont Derek aidait Stiles. L'hyperactif était incapable de se déplacer sans lui, trop faible pour que ses jambes tiennent sans un soutien physique solide. C'en était affolant. Ce qui l'était le plus, c'était de savoir que tout ça, c'était à cause de lui. Des autres. De la meute. On lui en avait trop demandé, pas accordé de repos : à toujours quémander son attention, à toujours être en forme, les loups avaient oublié que Stiles était humain. Un humain qui s'était dévoué corps et âme pour eux, qui avait tant donné qu'il n'avait plus rien pour lui, pas même sa tête. Comme les autres, Isaac entendait et comprenait quelques conversations sommaires qu'entretenaient parfois Stiles et Derek. Et il s'en voulait.
Derek s'accroupit et tourna la tête vers Isaac. Il commençait à fatiguer, lui aussi, mais il avait de la ressource et contrairement à Stiles, il était conscient qu'il ne devait pas aller plus loin que ses propres limites. Sa grande main un peu caleuse vint caresser la petite tête adorable d'Isaac dont il sentait les remords grâce à son odorat surdéveloppé. Doucement et sans sourire même s'il le trouvait mignon, il le gratta derrière les oreilles et s'appliqua à le câliner comme il fallait. Derek sentait que c'était ce qu'il fallait faire. Depuis qu'il s'occupait presque à temps plein de Stiles et surtout depuis que celui-ci avait commencé à ne plus vraiment pouvoir assumer ses tâches, les loups étaient un peu délaissés. Ils avaient toute la nourriture et tout le confort dont ils avaient besoin, mais le Hale savait qu'ils manquaient de contact. De l'énergie, ils en avaient à revendre et l'on sentait que depuis la visite de Deaton qui avait exposé l'étendue de l'état de Stiles, les animaux se bridaient et se dépensaient moins qu'ils ne le devaient. Ils avaient compris et à leur manière, faisaient leur possible pour faciliter le travail à Stiles et maintenant, à Derek. Hors de question qu'il tombe, lui aussi.
Puis, Derek finit par entourer Isaac de ses bras et continua de caresser son pelage un peu rêche. Il ferma les yeux un instant. C'était la première fois depuis son retour dans son corps humain qu'il se montrait aussi affectueux envers l'un des loups. Sentant celui-ci mal, il essayait de l'aider, tout comme il essayait de s'aider lui. Le visage éteint de Stiles ne quittait pas ses pensées et les images de ses repas tournaient en boucle dans sa tête. Il voulait les oublier.
Chaque fois, Derek passait un bras autour de Stiles pour, tout d'abord, l'aider à s'asseoir sur le lit. L'hyperactif posait ses pieds sur le sol après avoir faiblement repoussé les draps et il entamait un mouvement pour se lever. Derek le soutenait et le tenait fermement contre lui parce que Stiles était incapable de marcher seule. L'adolescent était actuellement dans son lit, à l'étage, mais le loup avait l'impression de sentir son corps trop fin contre lui. Sa fébrilité et sa faiblesse l'avaient marqué et laissaient en lui une trace indélébile. Il ressentait encore les tremblements légers secouant l'hyperactif, tremblements dont il ne se rendait lui-même jamais réellement compte tant il était ailleurs. Parfois, il pestait contre lui-même et contre Derek, parce que son hallucination ne l'aidait pas comme il l'entendait. Son esprit avait besoin qu'on le booste, qu'on lui parle mal, qu'on le motive à s'y remettre tandis que son corps hurlait sa souffrance, tant et si bien qu'il ne tenait plus.
Même en l'aidant à se déplacer, Derek avait l'impression que chaque pas de Stiles était on ne peut plus incertain. Comme s'il pouvait tomber malgré son étreinte ferme autour de lui, comme s'il pouvait s'effondrer et ne jamais se relever, comme s'il pouvait disparaître à chaque instant. Alors, Derek continuait d'avoir peur. Devoir se battre pour le faire se nourrir était une chose : le voir coincé dans son monde à ne pas remonter la pente, c'en était une autre.
Stiles ne finissait jamais ses assiettes et d'ailleurs, c'était rare qu'il mange jusqu'à la moitié. La seule bonne nouvelle dans tout ça, c'était que l'hyperactif ne cherchait pas à se faire vomir et ne vomissait pas tout court. C'était également pour cela que Derek ne lui donnait que de petites quantités et ne l'obligeait jamais à trop se forcer. Il voulait simplement... Qu'il mange quelque chose, qu'il essaie.
Et le voir regarder ses aliments tout en luttant contre le puissant sommeil qui l'assaillait était une torture. Derek avait la boule au ventre rien que de penser au prochain repas. Stiles lui faisait atrocement mal au cœur et s'il savait que le requinquer prendrait du temps, il désespérait d'enfin voir une amélioration dans son état qui semblait plus se détériorer qu'autre chose. Au fond, il savait que ce n'était pas le cas, mais cela lui en donnait toutefois l'impression. La réalité, c'était que le corps de Stiles avait pris les commandes sur son esprit et l'obligeait à ne plus rien faire. Il avait appuyé sur le bouton stop et Stiles n'avait plus rien d'autre à faire que de se reposer. Et Derek se devait d'attendre, de redoubler d'efforts pour ne pas relâcher les siens. Il gardait quand même l'espoir de le ramener à celui qu'il était vraiment malgré tout, tout en espérant que Stiles finirait par comprendre qu'il était on ne peut plus réel.
Derek finit par lâcher Isaac après une dernière caresse et décida de remonter à l'étage. La nuit était tombée depuis un moment et le loup savait qu'il devait lui aussi, dormir. Et cela ne se faisait plus qu'auprès de Stiles. Sans faire de bruit, il se déshabilla, ne garda que son boxer pour être à l'aise ainsi qu'un bas de jogging léger que Deaton lui avait amené l'autre jour et se glissa dans le lit. Presque aussitôt, l'hyperactif profondément endormi se blottit dans ses bras qu'il n'avait même pas conscience de toucher. Sans même le savoir, il cherchait à palier sa solitude et sa souffrance, se tournait vers le réconfort que lui procurait la chaleur rassurante de Derek alors même qu'il le pensait imaginaire. Mais c'était ainsi et Derek l'acceptait sans un mot. Serrant l'hyperactif sans l'étouffer, le loup ferma les yeux. Oui, il saurait être patient et ferait son possible pour guérir Stiles, mais il se demanda si tous ses efforts seraient suffisants.
Il allait falloir qu'il parle à Deaton.
Et puis il y avait ces aveux que Stiles avaient fait sur lui, sur la meute, son ressenti. Derek n'oubliait pas. Il n'oubliait jamais ce genre de choses et il savait que c'était à creuser. Mais s'il suivait bien un conseil que lui avait jadis donné sa mère, c'était bien celui-ci : « chaque chose en son temps ».
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