Chapitre 12
Shu-an était curieux des réactions de Saya. Il n'avait pas vraiment fait attention à elle après leur arrivée dans la grotte, trop concentré à essayer de se débarrasser de ses vêtements sans abîmer ses cheveux, sans réel succès. Le mercenaire n'avait eu aucun mal à tout de même sentir de longs regards sur sa personne ; et depuis la confrontation avec les serpents, Saya respirait une peur subtile quoique présente. La suite n'avait été qu'un long enchaînement de curiosités ; ses gestes lorsqu'elle le frôlait, cette manière qu'avait eu son cœur de s'agiter alors qu'ils étaient si proches. La femme se montra si diligente après coup, ne cherchant pas à s'éloigner de lui comme si leur survie était en effet primordiale sur le reste des aspects ; ce qui facilitait beaucoup de choses, mais pas la compréhension de Shu-an sur la femelle. D'habitude, et de ce qu'il avait pu en voir en quelques semaines entourés d'humains et d'humaines, ces dernières préféraient gaspiller leur énergie et leur santé avec des notions aussi futiles que la pudeur ou la bienséance, quitte à parfois en mourir. De ce point de vue là, Saya était différente, presque incompréhensible.
Durant la nuit qu'ils passèrent à ne pas vraiment dormir, Shu-an imagina toutes les questions qu'il pourrait lui poser, profitant d'un moment où ils étaient seuls et où l'unique danger qui les guettait était de s'endormir l'un contre l'autre. Nulle créature ne passait outre la nuit et la neige, et personne ne viendrait les déranger avant l'aube. Shu-an ne sut pas vraiment pourquoi ses lèvres restèrent scellées ; il se contenta de respirer le parfum humide des cheveux de Saya qui lui chatouillaient l'épaule, ou de sentir leur peau en contact. Inconsciemment, il cherchait à noter la moindre petite différence, comme s'ils n'étaient pas fais de la même chaire, ni du même sang ; ce qui en principe était relativement vrai... ou presque.
Ils rentrèrent dès que les premiers rayons de soleil illuminèrent la forêt. S'ils n'échangèrent que quelques banalités, Shu-an nota que la peur qu'il avait senti chez Saya la veille avait disparu. Cette femme d'apparence minuscule avançait dans la neige en dépit des blessures qu'il avait bien repéré sur son corps la nuit dernière ; et l'odeur du sang lui collait à la peau, rendant parfois difficile la concentration de Shu-an sur sa propre avancée. La matinée était toujours incomplète quand ils arrivèrent aux abords du village, annoncés par les crieurs des deux tours de guets aux entrées de la forêt. L'inquiétude raisonnait en mauvaise mère sur les premiers à venir à leur rencontre ; évidemment, le faillot à lunette se précipita vers eux, non sans lancer un regard peu aimable au mercenaire. Shu-an se retint de faire le moindre commentaire, surtout au vu de l'état d'épuisement général ; Saya et lui apprirent en même temps qu'une attaque de démons plus proches du villages avait eu lieu durant que leurs propres déboires ; personne n'était blessé, mais un enfant avait disparu dans la neige, pris de peur en entendant les cris des monstres ; un problème qui sembla peiner Saya brièvement avant de s'en retourner à d'autres choses plus pressantes, comme le fait d'expliquer comment et pourquoi ils avaient disparus en même temps la veille.
Shu-an put lire toutes sortes de choses fascinantes chez les humains qui formaient le clan Gogjyou ; l'embêtement s'alliait profondément au soulagement, comme si certains auraient secrètement souhaités qu'ils ne réapparaissent jamais. Pourtant, à chaque mot prononcé par leur cheffe de clan, les dos redevenaient plus droits, les têtes se tournaient dans sa direction, comme on s'imaginerait des chiens biens dressés depuis des lustres.
Shu-an ne comprenait pas la relation qu'ils entretenaient avec elle. Saya n'avait ni le profil d'une reine des abeilles, ni d'un tyran, et encore moins d'une matriarche de longue date ; ça, il le savait bien, puisqu'elle lui avait annoncé n'avoir pris la tête du clan que deux auparavant. Beaucoup de questions restèrent irrésolues alors ; Saya s'enfonça dans le manoir jusqu'à sa chambre, préparant des choses auxquelles le nouveau venu qu'était Shu-an n'avait pas accès. Parler de sa déception aurait été désagréable, mais il n'apprécia pas le fait d'être laissé de côté ; sûrement car cela ne lui était jamais arrivé.Et en même temps, il n'avait jamais vraiment évolué dans une société hiérarchique qui faisait prévaloir autre chose que la force brute.
Les jours et les semaines passèrent ; Shu-an passait le plus clair de son temps à entraîner les autres membres du clans. Il ne sut jamais dire si ces derniers l'appréciaient ou non, ou s'ils se faisaient confiance, mais il put noter les progrès de chacun ; Shu-an aimait profondément son rôle de professeur. Il aimait cette fraîcheur que cela lui apportait, cette attention aussi qu'il offrait à des quasi inconnus, même si quelques semaines de vie en commun les rendaient de plus en plus à l'aise les uns avec les autres. Shu-an découvrit la chose curieuse que de devoir ramener de l'eau depuis une rivière non loin du village, car l'eau du puits avait gelée ; il partit chasser de temps en temps avec Saya, sans tomber sur des créatures trop difficiles à gérer. Il n'avait pas l'impression que leur relation évoluait outre mesure, mais il appréciait entendre parler d'elle, partout, tout le temps.
C'était impressionnant. Sans la voir quotidiennement, le spectre de sa personne était partout ; sur les visages des villageois qui étaient tantôt embêtés, puis ravis, ou parfois outrés d'une décision qu'elle venait de prendre. Elle était sur les blessures infligées en punition des mauvais élèves, des membres du clan n'ayant pas respecté un ordre ou ayant outrepassés des limites que Shu-an avait du mal à saisir. La vie était simple au village de Fudo, malgré les nombreuses difficultés rencontrées ; des maladies se déclaraient régulièrement parmi les jeunes, les vieux, les guerriers ; il s'agissait toujours de période bien plus occupées pour Saya à qui 'on demandé des services, de s'occuper de certaines choses. Shu-an s'imaginait qu'elle gérait les choses correctement, puisque jamais personne ne se plaignit à voix haute de ses décisions.
Vint un soir neigeux où Shu-an rentrait dans le couloir qui bordait la cour intérieure du manoir, du côté de leurs chambres d'officiers. Il aperçut la silhouette de Saya, accroupi près de l'eau des carpes qui avait en partie gelée. Elle portait un kimono bleu trop léger pour l'hiver ; certainement quelque chose qu'elle trouvait confortable. Comme bloquée dans le temps, Shu-an ne put s'empêcher de trouver l'imagerie de la scène très belle. Cette petite brune couverte de blanc, qui attraperait directement la mort de ses doigts fins si elle ne se couvrait pas. Shu-an attrapa une ombrelle qui trainait près d'un meuble avant de s'avancer doucement, pensant ne pas se faire remarquer.
«C'est rare de te trouver par ici, lança-t-elle avant qu'il ne soit trop près.»
Cela faisait quelques temps qu'ils se permettaient le tutoiement, au moins quand ils étaient seuls. Shu-an souffla du nez ; Saya était toujours plus attentive qu'il ne se l'imaginait.
«C'est rare que l'on se croise, mais pas que je vienne. Ma chambre est tout près, je te rappelle !»
Il parlait d'un ton badin, son demi-sourire collé sur les lèvres comme dans la voix. Il ouvrit l'ombrelle au-dessus de leurs têtes, mais légèrement plus au-dessus de celle de la cheffe de clan accroupit. Elle avait l'air ailleurs, à ainsi bouger son doigt en cercle contre la surface glacée sous elle.
«Tu fréquentes quelqu'un du clan ? demanda-t-elle soudainement.»
Pris de cours, Shu-an manqua d'en lâcher l'ombrelle sous l'effet d'un coup de vent autour d'eux. Il n'eut pas le temps de comprendre le sens de la question que la femme se levait et retournait à ses appartements, plantant la discussion avant qu'elle ne démarre vraiment. Shu-an cligna des yeux plusieurs fois, se gratta la tête ; puis repartit de son côté. Entre une étrangeté chez les femmes humaines. C'est en retournant dans sa chambre qu'il se vit arriver une des jeunes recrues du clan ; le garçon transpirait à grosses gouttes, pétrie d'une terreur sondable mais incompréhensible.
«Sh... Shu-an ! Il, il y a un soucis près de la taverne je... il faut qu'on... s'il te plait !»
L'homme posa une de ses mains contre l'épaule du plus nerveux ; ce dernier sursauta, mais se détendit en voyant le visage de Shu-an.
«Je te suis, respire un grand coup, et explique moi ce qu'il s'est passé. Si c'est pas trop grave et que tu es venu me voir, on va éviter d'aller réveiller la cheffe pour des broutilles, n'est-ce pas ?
— O-oui !»
Et ainsi suivit-il le garçon sans plus se poser de questions.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top