Chapitre 2

La première semaine de Janvier était toujours la plus maussade de l'année. Les lumières et les décorations disparaissaient, emportant la folie des festivités avec elles. Hélio le ressentait fortement, il avait passé un mois de Décembre pour le moins surprenant. Il s'était laissé porter et la dernière décision qu'il avait prise de l'année avait été d'accepter de sortir avec celle qui fut sa pire ennemie. Le blond était donc dérouté, il ne savait pas bien comment il en était arrivé là mais il ne changerait les événements pour rien au monde.

Le jeune homme marchait dans les rues enneigées, la capuche de son sweat remontée sur sa tête et les mains fourrées dans les poches de son manteau. Hélio avait toujours détesté l'hiver. Parce qu'il était très frileux, mais aussi parce que cela signifiait qu'il ne pouvait pas s'extirper autant qu'il le souhaitait de chez lui lorsqu'il habitait chez ses parents. Heureusement cette période était révolue et il avait désormais le plaisir de pouvoir rentrer et s'enrouler sous plusieurs couettes.

Le Soleil commençait à se coucher, alors Hélio pressa le pas ; il avait rendez-vous avec Alhéna le soir même. Il tourna les clés dans la porte et rentra avec fracas dans l'appartement. Son colocataire, Oscar, était déjà là assis sur le canapé, la tête en bas. Hélio se contenta de le saluer et passa son chemin, il y avait bien longtemps qu'il avait essayé de comprendre son ami.

Alors qu'il se préparait de la musique classique retentit dans le salon. Oscar avait commencé à danser. Étoile déchue il n'avait pourtant jamais abandonné son rêve, même s'il devait en payer de sa vie. Malade, le danseur ne pourrait jamais pratiquer son art à haut niveau sans se consumer lui-même. Cette persévérance poussait Hélio à poursuivre son propre rêve chaque jour durant. Oscar était son tout premier soutien, le plus important, avant même Alhéna. Ils étaient liés par la musique et l'art, par l'espoir de toucher les étoiles aussi loin soient-elles. Il ne s'agissait pas de réussir, il s'agissait d'être soi, d'exprimer son plein potentiel, de pouvoir choisir. Il s'agissait de créer sa propre lumière.

L'esprit d'Hélio dériva alors vers Alhéna. Il savait qu'elle appréciait l'art, malgré le fait qu'elle ne soit pas versée dans la création. Son approche des étoiles était moins poétique, plus concrète. C'était ce que le jeune homme aimait chez elle, la façon dont elle pouvait passer des heures à lui raconter l'univers et ses lumières. Et dans ses moments là il prenait plaisir à admirer les étoiles dans ses yeux que celles qui se trouvaient dans l'étendue noire qu'était le ciel. Elle était déjà une étoile elle-même, brillant lorsqu'il ne le pouvait plus.

Son regard passa sur les quelques bleus qui s'estompaient et il esquissa un sourire mélancolique. Peut-être était-ce elle l'étoile la plus brillante. Il était celui que l'on admira mais n'avait-elle pas plus de mérite. Tout ce qu'Hélio faisait c'était libérer sa douleur à chaque fois que ses doigts appuyaient sur les touches. Il avait toujours admiré, jalousé, détesté Alhéna et ses connaissances scientifiques infinies, le fait qu'elle puisse s'exprimer par les mots depuis toujours, ce qu'il n'arrivait pas à faire à vingt ans déjà. Désormais le sentiment était toujours présent mais il n'avait plus vraiment de ressentiment envers elle. Il pouvait simplement l'admirer sans constamment se rappeler qu'il ne pourrait jamais l'égaler, jamais être apprécié, félicité, aimé par ses propres parents.

L'heure tournait et Hélio devait se dépêcher. Il poussa ces pensées de côté et partit en vitesse non sans lâcher un regard inquiet à Oscar qui était tordu d'une manière que le blond ne saurait expliquer.

.•.

- Nous pensons qu'il excellerait en économie, mais après une discussion il s'avérerait que de la géopolitique lui conviendrait plus. Il y a encore le temps de décider, mais c'est ce qui se dessine.

La voix de sa mère filtrait au travers de la porte entrouverte du salon. Hélio leva les yeux au ciel, bien sûr qu'il avait le temps, il n'avait que quatorze ans. Même si les carrières que ses parents lui souhaitent ne lui convenaient pas et qu'il avait commencé à créer celle dont il rêvait à l'aide de son piano et de son téléphone.

Alors qu'il allait remonter dans sa chambre, attendre que le médicament qu'il avait pris pour sa fièvre fasse effet, il entendit une voix familière former des mots qui le glacèrent :

- Mais, il ne veut pas devenir pianiste ? Parce que c'est ce qu'il dit toujours lorsque nous sommes en cours.

Il tourna la tête vers la porte entrebâillée pour voir Alhéna avec le plus innocent des airs, inconsciente de ce qu'elle venait de faire. Il aperçut également le visage de son père se décomposer et se tourner, l'air inquiet, vers sa mère qui semblait folle de rage.

- Vraiment ? Non, nous n'en avions pas conscience, répondit-elle avec un calme glaçant.

Un temps passa et elle reprit :

- Il faudrait par ailleurs que j'aille voir comment il se porte, sa fièvre avait l'air assez violente.

Lorsqu'il vit sa mère se lever Hélio fut pris par l'adrénaline et oublia ses jambes tremblantes. Il courut à toute vitesse vers sa chambre, le cœur battant si fort qu'il lui semblait qu'il allait sortir de sa poitrine. Il avait les yeux embués de larmes et la peur faisait loi dans son esprit. Il se recroquevilla son ses draps, tremblant, et attendit que la porte ne s'ouvre. Le garçon ne pensait déjà plus à rien, il fermait ses yeux le plus fort possible, tentant de ne pas penser à la rage qui avait traversé le visage de sa mère.

Le lendemain, détruit à jamais, il se jura alors de ruiner la vie d'Alhéna et ses rêves comme elle avait ruiné la sienne.

L'Étoile avait éteint le Soleil.

.•.

La fumée de son chocolat chaud réchauffait délicatement ses joues froides. Alhéna était assise à ses côtés, le regard tourné vers le ciel. Tous deux se trouvaient sur le balcon de la jeune femme. La pollution lumineuse leur cachait la majorité des étoiles mais la plupart subsistaient et brillaient. Hélio soupira créant un nuage de fumée tant l'air était froid.

- Est-ce que tu as déjà remarqué qu'on ne se voit que la nuit ? questionna-t-il.

Alhéna se tourna vers lui et se mit à rire.

- C'est vrai, je n'y avait jamais pensé. Et regarde, la seule fois où on s'est vus en journée on s'est violemment pris la tête.

- On est voués à être ensemble la nuit.

La jeune femme l'embrassa avant d'ajouter malicieusement :

- Un bonne chose que l'on soit des étoiles brillantes alors.

Hélio posa sa tête sur l'épaule de la brune avec un léger rire. Il ne put s'empêcher pourtant de murmurer, comme pour lui même :

- Tu es pourtant beaucoup plus brillante.

- Non, tu ne peux pas dire ça. Combien de fois faudra-t-il que je te le dise, tu es absolument incroyable. Tu brilles tellement que c'en est insupportable parfois. Et si tu n'étais pas extrêmement brillant je ne t'aimerais pas tu sais ?

Hélio se contenta de resserrer leur étreinte en guise de réponse. Après trois semaines à être ensemble il lui semblait qu'il pourrait être plus bavard sur certains sujet. Mais il manquait toujours de mots pour s'exprimer.

.•.

Les doigts du blond passaient sur le piano avec une aisance folle. Les notes portaient en elle toute la douleur qu'il avait besoin d'expier en cette fin de journée. Rien n'av été et il avait besoin de jouer. Alors, dans la lumière crépusculaire il s'était installé au piano qui se trouvait dans le salon et ne s'était pas arrêté depuis une heure déjà.

Habituellement, Oscar était là pour danser au fil de ses notes, et comprendre ce qu'il disait au travers de sa musique. Mais son ami n'était pas là ce jour là. Alors Hélio était seul avec la douleur que ses parents avaient laissé dans son cœur. Sa peau était restée aussi limpide qu'elle devait l'être, les seules marques la recouvrant étant les tâches de rousseur qui formaient des constellations. Mais leurs mots l'avaient blessé plus qu'il ne pourrait jamais le décrire. Ils l'avaient finalement après presque sept ans questionné sur son rêve plutôt que de simplement le blâmer sans explications. Seulement leur déception hantait Hélio qui, au fond de lui, et malgré qu'il éprouve du mépris pour eux, tentait toujours de les rendre fiers.

La porte sonna alors enfin et Hélio s'arrêta de jouer pour aller ouvrir. Désemparé il avait demandé à Alhéna de venir. Il pris une profonde inspiration avant d'ouvrir, il espérait qu'elle comprendrait la musique plutôt que les mots comme il comprenait lorsqu'elle utilisait les étoiles.

Lorsqu'il tourna la porte sur ses gonds il n'eut pas le temps de l'apercevoir qu'elle l'enserrait déjà dans une étreinte silencieuse.

- Est-ce je peux seulement jouer ? Je ne veux pas utiliser de mots, murmura-t-il.

Alhéna hocha la tête avec un sourire triste. Hélio s'installa alors de nouveau face au piano désormais plongé dans le noir et se remit à jouer avec toute l'intensité possible. Après de longues minutes il adressa un regard vers la brune qui se trouvait derrière lui, une main sur son épaule, qui avait les yeux aussi embués que les siens. Il s'arrêta et fondit alors en larmes. Il ne pouvait plus tenir. La jeune femme ne dit rien, elle se contenta d'être là. Sa présence était rassurante, elle lui donnait l'impression de ne pas être seul.

.•.

Vers la fin de la nuit, proche du moment où le Soleil se levait, Alhéna décida d'engager une conversation qu'Hélio redoutait plus que tout, mais à laquelle il avait toujours su qu'il ne pourrait échapper indéfiniment.

- Pourquoi est-ce que tu t'es mis à déverser tant de haine sur moi qu'on à jamais pu devenir amis quand on avait quatorze ans ? Parce qu'aussi loin que je me rappelle on commençait à arrêter de se chercher constamment comme lorsqu'on était enfants.

Hélio ne répondit pas tout de suite. Il ferma les yeux, les souvenirs le hantant. Il ne savait pas s'il pouvait le faire. Mais il essaya tout de même :

- Je... tu te rappelle de la fois où j'ai été très malade ? Quand j'ai presque fait un malaise en cours ?

- Oui, je m'en souviens, pourquoi ?

- Ce week-end là tu étais venue avec tes parents, mais moi j'étais dans ma chambre. J'allais un peu mieux mais pas assez pour voir des gens. Et à un moment je suis descendu pour prendre quelque chose pour faire passer mon mal de tête. C'est là que... que je vous ai entendus parler de mon avenir...

Hélio essuya une larme qui s'était échappée avant de reprendre, sous le regard inquiet d'Alhéna :

- Mes parents étaient toujours persuadés que j'irai dans l'économie, la politique ou quelque chose comme ça. Mais tu es intervenue et leur a donné mon plus grand secret, le piano.

- Et donc ? Il ne le savaient pas mais qu'est-ce que ton rêve a bien pu changer ? Je sais qu'ils ne l'apprécient pas mais ils sont bien toujours convaincus de te faire changer d'avis non ?

Le blond la regarda, incrédule, ne voyait-elle pas ?

- Tout, ça a tout changé.

Sa voix se brisa, il n'avait pas la force de continuer mais alors que les premiers rayons du Soleil vinrent se poser avec délicatesse sur sa joue il reprit :

- Ce soir là a été la pire soirée de ma vie. J'ai appris à mes dépends que contrarier ma mère était la plus mauvaise idée que je puisse avoir. C'est seulement depuis ce jour que le bleu vient se mêler à la couleur de ma peau. Je... tout allait assez bien avant ça. Ce n'était pas parfait mais...

Il ne finît pas sa phrase qui fut emportée par les sanglots. Alhéna était sur le point de pleurer à son tour.

- C'est de ma faute. C'est ce que tu insinues ? Mais tes parents auraient simplement dû t'en empêcher, pas... ça.

- Tu ne comprends vraiment pas. Et tu ne peux pas, tu as toujours réussi comme tes parents le voulaient. Certes tu les as un peu contrariés parfois mais tu fais des sciences. Ce ne serait pas la même chose si tu voulais faire de l'art.

- Tu n'exagère pas la chose un peu ?

Hélio se mit à rire, il se passa la main dans ses cheveux qui brillaient sous le Soleil. Il n'en revenait pas. Les larmes coulaient toujours mais il n'y faisait plus attention. Il avait mal, mal qu'Alhéna n'arrive pas à le comprendre totalement. Leur conversation n'allait nulle part et le jeune homme souhaitait tout sauf d'avoir à essuyer une dispute après ces dernières vingt-quatre heures. Il avait beau l'aimer il ne pouvait pas la laisser discréditer sa douleur ainsi parce qu'elle ne pouvait pas se sortir de sa propre vision des choses.

Alors, aussi brillant que le Soleil qui l'enveloppait de sa lumière, Hélio lui lança ces mots :

- On devrait continuer cette conversation plus tard.

Les yeux verts d'Alhéna s'ouvrirent en grand avant que son expression ne devienne plus froide. Elle acquiesça et sortit de l'appartement. Les seul mots qu'elle lui glissa firent « au revoir ».

Et ainsi Hélio se retrouva comme le Soleil, à devoir briller seul, dans son propre désespoir et ses doutes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top