✨Chapitre 54 - D'une tribu et d'un surnom

— Elle ressemble tellement à Adé—

— Chut !

Des voix peu discrètes me tirèrent des limbes confortables du sommeil. J'entre-ouvris une paupière avec précaution. Quel effort. Je la refermai dans la seconde qui suivit, d'un commun accord avec le reste de mes membres qui refusaient autant que moi de se réveiller.

— Je n'aime pas entendre prononcer son nom, gronda une voix grave.

Un soupir.

— Elle sait ? questionna une voix féminine.

— Pas exactement non. J'ai même dû lui expliquer en quoi consiste le Néant, soupira une troisième voix masculine, familière.

De nouveau, un soupir.

Je me tournai sur l'autre côté, cherchant à retrouver le sommeil. Mais j'allais bientôt me réveiller pour de bon. Je ne pouvais pas lutter encore longtemps. Je refusais pourtant de laisser les souvenirs de la veille remonter à la surface.

— Et tu comptes lui expliquer ?

— Soleil ou Feuille auraient dû le faire au C.I.S.I.

Mon lit était confortable. Du genre où on pourrait y rester des heures sans rien faire, sans bouger, trop à l'aise. Le matelas était doux et moelleux. Il ressemblait à... de la fourrure. C'était drôle tout de même. Dernièrement j'avais plutôt était habituée à de l'écorce rugueuse, aux antipodes du confort que je ressentais là et plus tôt encore, les matelas du C.I.S.I étaient faits de mousse, pas de fourrure.

— Qu'est-ce qu'on va faire d'elle ? reprit la voix féminine.

— Quoi, qu'est-ce qu'on va faire d'elle ? Rien ne nous dit qu'elle va devenir celle qu'on pense qu'elle va devenir... répondit la voix connue.

S'ils continuaient sur cette voie, leurs babillages allaient me surchauffer le cerveau alors que j'étais encore au lit ! Si seulement je pouvais me rendormir...

Tout d'un coup, je réalisai que je n'étais plus dans la forêt du Sauvage. La vérité me sauta au visage – ou plutôt aux narines – lorsqu'une délicieuse odeur de viande cuite parvint jusqu'à moi. Mes paupières s'ouvrirent pour de bon et après s'être habitués à la lumière crue du soleil matinal, mes yeux tombèrent sur les trois personnes qui avaient perturbé et mis fin à mon sommeil paisible. Mais je n'en reconnus qu'une seule. Charly. Les deux autres occupants étaient un vieil homme qui me disait quelque chose et une adolescente rousse sûrement du même âge que mon ami... qui me disait aussi quelque chose.

En voyant que j'avais enfin eu la force d'ouvrir les paupières, Charly me sourit.

— Bien dormi ? me demanda-t-il.

Je ne répondis rien, plus par flemme que mauvaise foi. Mon cerveau cherchait à mettre un sens à tout cela : comprendre pourquoi j'étais sur un matelas de fourrure et avais face à moi deux visages familiers qui ne me revenaient plus.

Tout à coup je me redressai :

— On est chez Salavenn ? On est arrivé ?

Mon compagnon de voyage s'amusa de mes questions précipitées et hocha la tête puis il désigna l'homme aux cheveux grisonnants.

— May, je te présente Salavenn. Et voici Heïna, une amie, termina-t-il en me désignant cette fois-ci la fille.

Je restai quelques secondes sans rien dire, confuse. Heïna. On pouvait dire que j'en avais beaucoup entendu parler ! Ce prénom suffit à me remémorer les conversations que j'avais entendues entre Zed et Feuille d'Automne lors de ma convalescence chez cette dernière après la première attaque des Voleurs d'âmes. Mais peut-être que je m'emballais et qu'Heïna était un prénom courant dans ce monde-là.

— Heïna, comme, comme celle du C.I.S.I ? balbutiai-je.

Charly haussa un sourcil, surpris, mais hocha la tête.

— Alors ce qu'a dit... ce que disait Feuille était vrai, soufflai-je encore trop choquée pour m'exprimer correctement.

Heïna interrogea Charly du regard, intriguée. Lui était tout aussi perdu. Je souris à demi en m'imaginant le soulagement que Zed ressentirait s'il apprenait que son amie d'enfance était encore en vie. Elle avait survécu au bannissement dans le Sauvage. C'était une miraculée. Je me rendrais compte plus tard que c'était aussi mon cas et celui de Charly mais pour l'instant, j'étais bien trop endormie pour cela.

Les trois sorciers me dévisageaient toujours en silence. Salavenn n'avait pas prononcé un mot alors qu'il était le chef de la tribu. Je me demandai d'ailleurs ce qu'il faisait à attendre que je me réveille, si toutefois, il était là pour me voir me réveiller. Il devait pourtant avoir des responsabilités qui l'attendaient en dehors de... de quoi d'ailleurs ?

Je levai la tête et observai la toile qui recouvrait nos têtes à tous. Soutenue par des poteaux de bois, cela ressemblait à s'y méprendre avec un tipi. Oui, c'était cela : un tipi. La pièce était modestement fournie. D'autres fourrures garnissaient le sol. Divers objets dont je ne comprenais pas la fonction étaient aussi présents. Un récipient en métal, une longue tige de bois. Placé en son centre, des pierres marquaient ce qui ressemblait à un feu de bois, qui devait servir à réchauffer l'habitat lorsqu'il faisait froid. Ce qui était loin d'être le cas.

— Puisque tu es réveillée, on va te laisser te lever tranquillement, reprit Charly, comme s'il avait délibérément choisi de me laisser du temps pour observer les lieux. Quand tu seras prête, tu nous trouveras dehors. Ça te va ?

J'hochai la tête en silence. C'est qu'il avait appris à me parler le petit. Il savait bien qu'il valait mieux me prendre avec des pincettes le matin s'il ne voulait pas que je le lui fasse regretter amèrement par une attitude bougonne pour le reste de la journée. Je n'étais pas du matin.

Salavenn, Charly et Heïna quittèrent le tipi avec des sourires et me laissèrent seule avec ma flemme. Au bout de bonnes minutes d'indécision, je décidai quand même de me lever et enfilai les vêtements qui étaient posés aux pieds du lit. Enfin, façon de parler, parce que les fourrures sur lesquelles j'avais dormi étaient posées à même le sol. C'était mes vêtements de voyage, lavés et bichonnés. J'éprouvai un soulagement certain à retrouver du confort. J'avais presque oublié ce que cela faisait ! Et pour tout vous dire, c'était agréable.

Je passai mes grosses chaussures à mes pieds et me faufilai hors du tipi en enjambant l'ouverture arrondie. Le soleil m'agressa les yeux et le vent frais me fouetta le visage. Les trois sorciers m'attendaient effectivement à la sortie du tipi. Charly m'accueillit avec un sourire. Salavenn prit la parole :

— Bienvenue chez Salavenn ! me gratifia-t-il en désignant de ses bras la dizaine de tipis semblables à celui duquel je sortais.

— Merci de bien vouloir de moi, lui retournai-je.

Le sorcier me donna un regard appuyé que je ne parvins pas à déchiffrer puis continua :

— Nous allons te faire visiter les lieux. Il faut que tu te sentes ici comme chez toi !

Il plaça une main dans mon dos et m'entraîna entre les tipis. Charly se tenait à ma droite et Heïna aux côtés de Salavenn.

— Dans ce tipi se trouve la nourriture. Et parce que nous autres, nomades, sommes des sorciers très inventifs, nous l'avons appelé le tipi-nourriture.

Le sorciers rit de sa blague, Charly aussi et je souris. Leur bonne humeur était communicative.

— Et juste à droite se trouve le tipi-chef, reprit Heïna que l'humour du sorcier n'ébranlait pas le moins du monde. C'est l'endroit où Salavenn réside et prend les décisions avec ses conseillers.

Je commençais à me dire qu'elle avait des points communs avec Zed...

— La vie de la tribu est rigoureusement organisée, continua-t-elle. Nous respectons une hiérarchie précise, chacun a sa fonction et tous contribuent à faire vivre la tribu. Salavenn et ses conseillers s'occupent de prendre les décisions, les chasseurs rapportent de la viande, les cueilleurs des fruits et des graines, les sourciers de l'eau, les cuisiniers préparent les repas et je t'épargne le reste.

La sorcière m'énuméra ensuite les fonctions des tipis qui formaient le camp, ainsi que des sorciers qui les habitaient. La poigne ferme et le ton franc de certains me surpris.

— Voici Melwyn, c'est la meilleure couturière de la tribu. Elle est porteuse de Jupiter, du coup elle confectionne des vêtements à partir de rien.

— Tu dis encore une fois que la nature est du « rien », la menaça ladite Melwyn et je te fais fossiliser dans la roche du Reflet !

Heïna leva les yeux au ciel et reprit son chemin. Nous fûmes forcés d'accélérer le pas pour rester à sa hauteur.

— Le jour où elle aura besoin de moi celle-là, marmonna-t-elle dans sa barbe, on verra bien qui se fera fossiliser...

Salavenn laissa échapper un petit ricanement.

— Allons ma fille, je t'ai déjà dit qu'elle t'apprécie trop pour te le dire.

— Les porteurs de Jupiter ont toujours eu des problèmes relationnels de toute façon ! May, fais gaffe, ils sont infréquentables, bougonna Heïna.

— Y'a de l'électricité dans l'air, observa Charly et pas juste parce que j'ai une porteuse de la Lune à côté de moi...

— La ferme Yl, le stoppa Heïna, toujours pas remise de la remarque de la couturière. Suivez-moi on va manger. Je crève de faim.

Elle s'engouffra dans le tipi-nourriture et nous laissa en plan.

— Bien, mes enfants, en profita Salavenn, j'ai été ravi de vous accompagner pour faire le tour du propriétaire mais j'ai des affaires à régler et je me vois obligé de vous laisser. May, je te laisse aux bons soins de Charly, n'est-ce pas mon garçon ?

Ce dernier hocha la tête d'un air entendu et s'inclina pour saluer le chef.

— Dyha !

Salavenn, sourit et rebroussa chemin. Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'intérieur du « tipi-chef ».

— Yl ? demandai-je intriguée en reportant mon attention sur mon ami, un sourire moquer aux lèvres.

— Ouais c'est mon surnom, m'expliqua le sorcier en se passant la main derrière sa nuque d'un air embarrassé. Oh, ça va hein ! Me regarde pas comme ça, tout le monde a un surnom un peu débile.

— Yl-harant ! le taquinai-je.

Charly leva les yeux au ciel.

— Yl fait pas très chaud, on peut rentrer à l'intérieur ? continuai-je. Ou Yl fait aussi froid dedans ? Yl mangent beaucoup les nomades ?

— May arrête ! J'aurais jamais dû te laisser dormir autant, maintenant t'es en forme ! se lamenta-t-il en se passant une main sur le visage.

— Au fait, j'ai dormi combien de temps ?

— Deux jours, on peut dire que le voyage t'a vraiment épuisée.

Je grimaçai. Pour rien au monde je ne l'admettrais mais les quatre semaines à survivre dans la forêt m'avaient exténuée et si la présence de mon ami ne m'avait pas forcée à repousser mes limites, il y a bien longtemps que les créatures du Sauvage se seraient partagées mes restes. Quelles pensées réjouissantes.

— Bon on va manger Yl ? me repris-je.

Le regard qu'il me lança, me persuada qu'il avait lu dans mes pensées mais qu'il se battait pour ne rien laisser paraître. Il avait mieux à faire que de rompre notre accord. Le sorcier hocha la tête :

— Après vous, ma chère, m'invita-t-il à entrer.

Je franchis la toile et il me suivit de près. Ce tipi était bien plus grand que celui dans lequel j'avais dormi. Il devait faire quatre ou cinq fois sa taille. Des paillasses recouvraient le sol à l'herbe jaunie et sèche. De la viande et des fruits étaient disposés dessus et les sorciers accroupis autour de ces paillasses se servaient tout en discutant à travers la pièce. Inutile de préciser que le niveau sonore était élevé.

Je repérai Heïna quelques paillasses à notre gauche mais Charly me prit par le bras et m'entraîna dans les profondeurs du tipi vers un endroit moins encombré.

— Là on sera bien, affirma-t-il en se posant devant une paillasse garnie qui n'était occupée que par un seul sorcier. May, je te présente Eben, dit-il en s'asseyant en tailleur. Eben, voici May.

Je m'assis à mon tour en imitant Charly et souris au sorcier qui m'observa sans rien dire. Très chaleureux comme accueil. Puis tout à coup, sa tête me revint.

— Eh mais je te connais ! m'exclamai-je. Je t'ai vu quand j'étais partie chasser ! Tu te rappelles Charly ? Je t'avais dit que j'avais croisé quelqu'un !

— C'était toi ! s'esclaffa alors mon ami à l'intention de notre compagnon de table.

Le dénommé Eben le regardait sans paraître comprendre. Le sourire de Charly disparut puis il m'expliqua, convaincu :

— C'est un pote. Un bon pote. Il est juste un peu timide avec les étrangers. Surtout avec les étrangères.

Il sourit de toutes ses dents vers son « pote » qui ne semblait visiblement pas du même avis car il lui décocha un regard noir tout en restant dans son mutisme.

— C'est bon Eb, j'te taquine ! s'excusa Charly.

Puis s'adressant à moi :

— Au menu, nous avons donc le choix entre du filet d'aquagas aux herbes aromatisées accompagné de ruths – c'est des racines comestibles, un peu comme du gingembre. Sinon, la maison propose un pavé de truite d'Uranus, tu sais, c'est ces poissons qui s'illuminent de toutes les couleurs la nuit, avec son assortiment de fruits sauvages.

Je ris devant sa présentation presque digne d'un restaurant gastronomique.

— Je goûterais bien au poisson, parce que ça fait des semaines que je mange de la viande et j'en ai marre.

— À vos ordres chef ! De la truite d'Uranus pour mademoiselle alors. Eben, tu me passe la cuiller ?

Le garçon la lui tendit, toujours sans qu'un son ne franchisse ses lèvres. Charly se dépatouilla avec le poisson et un morceau à peine présentable atterrit dans la planchette de bois qui servait d'assiette dans un grand splash ! et arracha un sourire à Eben. Au moins, il n'était pas fait de marbre.

— Pour le service on repassera hein, le targuai-je.

Le garçon fit la moue tout en me servant l'accompagnement de fruits sauvages.

— La prochaine fois tu te serviras toute seule alors ! trancha-t-il en me tendant mon assiette.

— Je mange avec quoi ?

Eben écarquilla les yeux, preuve qu'il nous comprenait et... que ma question l'avait surpris. Charly s'esclaffa.

— Pas bien différemment que jusque-là. Tu as deux ustensiles très pratiques pour manger qu'on appelle les « mains ». Je sais pas si tu connais le principe, en fait il faut—

— C'est bon, arrête de te moquer de moi ! le coupai-je dans son élan en fourguant un morceau de poisson entre mes doigts.

Le trajet hors de l'assiette se passa sans souci et la nourriture arriva à bon port sans qu'aucun dégât matériel ne soit à déclarer. Ouf.

— On dirait que t'as fait ça toute ta vie ! s'ébahit Charly.

Je le regardai sans comprendre.

— Quoi, manger du poisson avec mes doigts ?

Je rougis et esquissai un sourire coupable.

— Disons que je n'étais pas la plus regardante de l'art de la table quand j'étais petite...

Il haussa un sourcil.

— Je t'imaginais pourtant comme une petite fille modèle.

Cette fois-ci je m'esclaffai franchement.

— Sous certains aspects... on peut dire que oui. Mais manger aves des couverts... c'était plus compliqué. Je n'avais rien contre eux évidemment, c'est juste que dans mon raisonnement, si on pouvait manger sans, pourquoi s'en priver alors que ça éviterait de les laver ?

Mon ami rit et Eben aussi. J'avais réussi à le dérider !

— Tu êt'e drrôle so'cière, dit ce dernier.

Je faillis recracher ma bouchée tant la voix grave d'Eben me surprit. Je ne m'attendais pas à ce qu'il parle et encore moins à ce qu'il ait un accent ! Charly sourit.

— C'est moi qui lui ai appris le français ! se félicita-t-il en passant une main autour des épaules du sorcier.

— Comment ça se fait ? demandai-je.

— Dans trribu, répondit Eben, so'ciers pa'lent Si'cien et Krrusivmi.

— Le Krusivmi, embraya Charly devant ma tête ahurie, est la langue parlée à Aonghasa et aussi la langue principale de la tribu, puisque tous ces nomades sont des descendants d'Aonghasiens. Ils utilisent plus le Sircien qu'au C.I.S.I. mais c'est quand même une langue qui se perd.

— Muyoks pa'lent Sircien bien. Nous, un peu.

J'hochai la tête, interdite.

Cette conversation n'était que le début de bien des choses que j'appris au cours de mon séjour chez Salavenn. Dans la semaine qui suivit mon arrivée, j'en appris plus sur les mœurs nomades et la vie en communauté dans le Sauvage. Le lendemain de mon réveil, nous accompagnâmes le groupe de chasseurs dans leur sortie hebdomadaire. Ils m'enseignèrent quelques tactiques pour être plus efficace dans la chasse du gibier – quoiqu'ils furent impressionnés par ma façon de carboniser la tête de mes proies – et comment ne pas laisser de trace dans la forêt pour que les nombreux prédateurs ne remarquent pas notre présence sur leur territoire. Il suffisait de prononcer une petite formule en Sircien en posant une main au sol et l'autre sur un végétal, peu importe lequel, puis on ressentait une chaleur dans les paumes, signe que notre trace énergétique disparaissait, et le tour était joué.

Le troisième jour, la couturière Melwyn nous rejoignit lors de notre repas de midi. Les nomades prenaient leur déjeuner par vagues pendant trois bonnes heures, lorsque le ciel était au plus haut dans le ciel et brûlait la peau de ceux qui s'aventuraient dehors sans se protéger. Le tipi-nourriture n'était donc jamais plein à craquer et les cuisiniers avaient le temps de le réapprovisionner de telle sorte que les paillasses étaient toujours garnies en abondance. J'avais aussi remarqué qu'Heïna mangeait toujours avec le même groupe de personnes qui semblaient tenir un rôle distingué dans la tribu et que Melwyn se joignait parfois à eux. Mais pas toujours. Ce jour-là, elle avait décidé de tenir compagnie à Eben, Charly et moi.

— Vous avez entendu ce qui se dit ? nous demanda-t-elle toute excitée, à peine assise.

J'avais demandé à Charly pourquoi la jeune fille parlait le français sans accent, il m'avait répondu qu'elle était « sacrément douée pour les langues » et que la présence d'Heïna qui ne parlait pas Krusivmi à son arrivée dans la tribu l'avait fortement poussée à apprendre le français, « si tu vois ce que je veux dire », avait-il ajouté avec un clin d'œil. J'avais répondu par un fin et délicat « Ah » et il avait haussé les épaules.

— Non, bougonna Eben le nez dans sa soupe d'algues d'Uranus, que je soupçonnais d'éprouver plus que de l'amitié pour la couturière.

Mais aux yeux de la jeune sorcière, il semblait aussi transparent que Spoty l'était pour Lumia au C.I.S.I.

— Tenez-vous bien, il paraît que les sentinelles ont repéré l'aura de cinq sorciers dans la forêt à moins de cinq jours de nous ! Cinq sorciers ! Vous vous rendez compte ?!

Eben et Charly froncèrent les sourcils.

— Et c'est pas fréquent ? demandai-je. Je pensais que le Sauvage regorgeait de nomades moi.

Melwyn secoua la tête.

— Il y a beaucoup moins de sorciers dans le Sauvage que ce que les beaux parleurs du C.I.S.I. racontent. Et les sorciers qu'on pense avoir repérés se dirigent vers le campement. C'est ça le plus inhabituel. Au fait, May, c'est vrai ce qu'on dit ?

Je l'interrogeai du regard.

— Que tu es une Transfert ?

Contrairement aux Innés qui prononçaient ce mot comme s'il allait leur donner la peste, Melwyn le prononça avec une immense curiosité. Comme si c'était la chose la plus saugrenue et incroyable qu'on lui ait jamais dite.

J'hochai la tête. Ses yeux s'écarquillèrent encore plus. Elle était blonde et avait des taches de rousseur qui faisaient ressortir ses yeux marron. Ses cheveux bouclés coupés courts partaient dans tous les sens mais elle dégageait un charme particulier, presque envoutant.

— Et May, me pressa-t-elle encore, c'est aussi vrai que t'es une porteuse de la Lune ?

J'hochai de nouveau la tête.

— Incroyable, souffla-t-elle. Vous êtes une espèce rare !

Sa remarque m'arracha une grimace. Je ne savais pas comment la prendre.

— A'ête embêter May, la sermonna Eben qui avait fini sa soupe.

Avec toutes ses questions, Melwyn ne l'avait presque pas commencée. Elle haussa les épaules.

— Et c'est vrai que tu sais rien sur notre monde ? demanda-t-elle encore.

Décidément, elle ne tarissait pas de sujets de conversation. Sa question parut offenser Charly alors que je savais de moins en moins où me mettre.

— Enfin Mel' ! s'écria-t-il. Bien sûr qu'elle sait des choses sur notre monde ! C'est le sien aussi je te rappelle.

— Pardon, s'excusa la sorcière sur le champ, contrite. Je voulais pas vous embêter avec mes questions. C'est juste qu'en ce moment... Je suis un peu... à cran.

— On sait Mel', la coupa Charly qui paraissait être le seul à savoir.

Il rassura la sorcière avec une tape amicale sur le dos.

— Mais t'inquiète pas, on gère.

La couturière hocha la tête lentement, toute sa bonne humeur envolée. Tout à coup je ne comprenais plus rien à ce qu'ils disaient. Mon pouls s'accéléra. Melwyn prit une respiration profonde, haussa les épaules et se releva. Puis elle déclara à l'intention de Charly :

— J'espère de tout cœur que vous réussirez à empêcher l'horrible catastrophe qui nous guette de se produire.

Le sorcier me jeta un regard à la dérobée, comme gêné, et acquiesça farouchement la tête, une lueur de détermination dans le regard.

— Ne t'en fais pas Melwyn, nous y arriveront.

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*publication : 22/04/18, dernière mise à jour : 28/12/18*

En média, dans les prochains chapitres, vous allez voir les différentes étapes de la réalisation d'une peinture au pastel sec que j'ai imaginé il y a quelques semaines. ^^

Nous avons rencontré de nouveaux personnages ! Qu'en pensez-vous ? Vos impressions, vos pronostics ?

J'espère que vous prenez autant de plaisir à lire cette que j'en prends à l'écrire. Merci d'être là !

La sorcière 🧙🏻‍♀️✨

PS : j'ai terminé la réécriture (hourraaa !) et je compte donc poster un chapitre par jour en moyenne jusqu'à l'épilogue. Mon rythme de publication n'aura jamais été aussi rapide haha ! xD

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