✨Chapitre 51 - D'un intrus et de voix

Le bruissement des feuilles, les chants ou plutôt, les piaillements des oiseaux et la course de l'eau dans la rivière nous enveloppaient. Je me sentais de plus en plus proche de la nature. Je devenais plus attentive à tous les bruits qui la composaient, à toute la faune et la flore qui passaient sur notre chemin. Et Charly affirmait qu'il nous restait deux jours de marche tout au plus avant d'atteindre la tribu de Salavenn. Je me sentais rassurée, nous touchions enfin au but, j'étais moins stressée que je ne l'avais été au cours des quatre semaines passées depuis le Jugement.

Lorsque le soleil rouge eut pris possession du ciel pour plus de quatre bonnes heures, nous trouvâmes un arbre dans lequel nous nous installâmes pour la nuit. Nos sacs déposés dans l'arbre, je partis chasser un aquagas et pendant ce temps, Charly se chargea de ramasser de quoi faire un feu. Après avoir repris sa forme réelle, mon ami m'avait appris le nom du petit mammifère que nous mangions.

Malgré l'abondance relative des aquagas, il n'était pas facile d'en chasser. D'abord parce que leur petite taille leur permettait de se dissimuler n'importe où, ensuite parce que leur couleur marron terne les camouflait très bien. Mais ce serait oublier ma nature que de penser qu'il m'était trop difficile de les attraper. À chaque fois, je me transformais, ajustais ma vue comme bon me semblait, ralentissais mon souffle et faisais le moins de bruit possible jusqu'à ce que j'en déniche un.

Un bruit sur ma gauche attira mon attention. Il était trop important pour être celui d'un animal et pourtant, qu'est-ce qui pouvait bien rôder dans ces bois sinon des animaux ? Je m'accroupis et tentai de me faire la plus discrète possible alors que mon pouls battait la chamade et que des gouttes de sueurs perlaient sur mon front. J'avais chaud et j'avais peur. Pas très agréable en soi. Le bruit se rapprochait et à travers les feuillages derrière lesquels j'étais dissimulée, je distinguai une haute forme allongée qui se mouvait dans ma direction. Ce pouvait-il que ce soit un sorcier ? Un nomade ? J'avais peur que mon souffle saccadé ne me trahisse.

A ce moment-là, je le voyais clairement. Et il s'agissait bien d'un sorcier. Habillé d'une tunique en toile claire et d'un pantalon foncé qui ressemblait à du daim mais qui devait être son équivalent sorcier, il se tenait de profil, portait un sac en bandoulière et ses longs cheveux châtain clair ne me laissaient pas voir son visage. Je priai tous les dieux que je connaissais pour qu'il ne me surprenne pas. Finalement, paraissant hésiter, le sorcier tourna sur ses talons, me permettant de voir son visage fin au cours d'une fraction de secondes puis il s'en alla d'où il était venu.

Cette apparition impromptue me demanda quelques minutes pour remettre mes pensées en ordre et calmer mon rythme cardiaque. Et puis de toute façon, je n'allais pas sortir de ma cachette trop tôt, au risque que le sorcier ne soit attiré par le bruit de mes pas. Lorsqu'enfin je me relevai, je faillis retomber aussitôt au sol, mes jambes engourdies m'arrachant un grognement que je tentai de faire le plus discret possible.

Les yeux et les oreilles plus à l'affût que jamais, je repris ma chasse. Quelques dizaines de minutes plus tard, alors que je commençais à perdre patience, ma proie apparue dans mon champ de vision.

Occupé à ronger un tronc d'arbre mort, l'aquagas me tournait le dos et semblait si absorbé dans sa tâche qu'il ne m'avait pas sentie venir. J'invoquai mon énergie qui dispersa une chaleur diffuse dans tout mon corps, me concentrai, et tout en fixant ma cible pour diriger mon énergie, je sentis un flot s'échapper de mon corps qui terrassa la pauvre bête de très courtes millisecondes plus tard. Je l'avais électrocutée.

À pas précautionneux, je m'approchai d'elle et la contemplai un instant, histoire d'accumuler assez de courage pour prendre le corps inerte mais encore chaud dans mes mains. Finalement, je me saisis de l'aquagas et en essayant de couper court à toute pensée, je me redirigeai à pas plus rapide vers notre campement, moins vigilante à mon environnement mais toujours perturbée par ce que j'avais entre les mains malgré que je répète l'opération depuis plusieurs semaines.

— Pas mal ta prise ! me gratifia Charly lorsque j'arrivai près du feu qu'il venait de mettre en route.

Je tentai de sourire en haussant les épaules, mais pas besoin d'être télépathe pour remarquer que le cœur n'y était pas.

— J'ai croisé quelqu'un, annonçai-je de but en blanc.

Le garçon cessa de remuer les branchages qui se consumaient – parce qu'évidemment, toucher du feu ne lui posait aucun problème – et me fixa intensément.

— Comment ? Tu peux... développer ?

Il semblait troublé.

— C'était un sorcier. J'en suis sûre. Heureusement il ne m'a pas vue. Enfin, je crois.

Charly fronça les sourcils, en pleine réflexion. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire en déposant le gibier par terre.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? me demanda mon ami.

Je secouai la tête.

— Rien, t'es drôle quand tu réfléchis, on dirait un enfant.

— Je te remercie ! s'écria-t-il offensé.

Mon sourire s'élargit.

— J'ai faim, lançai-je.

— Je pense que c'était une sentinelle, murmura le garçon, sourd à mes propos.

Je soufflai en m'asseyant dans l'herbe, m'appuyant sur mes mains placées derrière moi.

— Qu'est-ce que je donnerai pour un bon lit confortable... rêvai-je à voix haute. Un oreiller moelleux... oh, et des plaids ! Oui, tout plein de plaids avec un bon chocolat chaud parce que qu'est-ce que ça caille ici la nuit !

— Demain on arrivera à la tribu, c'est certain. Je n'ai fait le voyage qu'une fois mais je ressens des flux de sorciers. Proches. D'ailleurs, oui, j'en suis presque certain, le sorcier que tu as vu devait être une sentinelle.

— Le mieux, ce serait quand même une vraie douche chaude. Parce que les bains dans la rivière c'est bien mais niveau confort y'a mieux. J'aimerais pouvoir gaspiller du savon dans un bon bain bouillant pour faire de la mousse. Plein, plein de mousse ! Tu m'entends ?

— Je les entends.

— Charly ! criai-je pour attirer son attention. T'entends ce que je dis ? Ou t'es sourd ?

Le garçon leva les yeux au ciel avant de se rapprocher de moi, prendre le corps de l'aquagas qui gisait à mes pieds puis retourner de l'autre côté du feu pour entreprendre de le préparer. Mon repas était en chemin et mon ventre gargouillait.

— May, j'essaye juste de me concentrer sur notre tâche présente. Tu pourras penser à ta vie regrettée quand on aura atteint la tribu. En attenant on est en sursis, alors on survit et on agit comme tel.

Je me pinçai la lèvre. Je savais que je l'avais énervé et que je nous mettais en danger avec mon babillage ininterrompu. J'avais juste besoin de m'exprimer.

— Je suis désolée... soufflai-je. Mais je suis fatiguée, j'en ai marre.

Le garçon ne me répondit pas, je devais l'avoir vraiment froissé. Et je me sentais encore plus mal pour cela. 

La viande fut cuite, Charly éteignit le feu et l'on retourna dans l'arbre pour manger et dormir à l'abri des créatures sauvages que l'on entendait résonner dans la forêt alors que le soleil se couchait. Le repas était bon et l'eau de notre gourde dans lesquelles j'avais mis le caillou que Feuille d'Automne nous avait fourni nous désaltérait d'une manière si agréable qu'elle était devenue comme une gourmandise pour moi.

La nourriture eut pour effet de délier les langues et après nous être confondus en excuses et avoir ri, nous nous allongeâmes chacun sur une partie de branche. Bercée par la faune nocturne qui s'éveillait, je m'endormis.

Au milieu de la nuit, je rêvai que nous marchions sous un soleil de plomb et que l'on apercevait la montagne du Reflet au loin. Mais plus on semblait s'en rapprocher, plus elle semblait nous échapper. Je faisais souvent ce rêve.

Soudain, les images se brouillèrent de noir, un cri résonna dans ma tête et je m'éveillai en sursaut. Il faisait nuit noire, le couvert des arbres était trop dense pour laisser passer les rayons de la Lune. J'avais mal au crâne et je respirai bruyamment, toute retournée par ce que je venais d'entendre. C'était le cri d'un Voleur d'âme, j'en étais persuadée.

Haletante, je sondai l'obscurité sans succès, les yeux agrandis par la peur. Le cri retentit de nouveau. Je criai aussi mais de surprise et me bouchai les oreilles pour tenter vainement de me protéger. Je laissai passer quelques secondes, essayant à la fois de me calmer et de choisir quoi faire. Lentement, ma respiration retrouva un rythme plus calme. En fermant les yeux, j'agrippai mon pendentif pour me donner du courage et me décidai à ramper avec toutes les précautions dont j'étais capable vers Charly qui dormait comme un loir. Je le secouai.

— J'ai un problème Charly. Ils sont là, je les entends dans ma tête, lui soufflai-je malgré ma respiration saccadée. Les Voleurs...

Le garçon ouvrit un œil et je me répétai. Dans le même temps, le cri retentit de nouveau mais cette fois, pas seulement dans ma tête. Il fendit l'air de la nuit, se répercuta contre les arbres et glaça notre sang avant de s'évanouir dans l'obscurité épaisse. Charly se leva d'un bond, les yeux écarquillés.

— Prends ton sac et surtout, n'utilise pas tes pouvoirs, me chuchota-t-il tandis qu'il ramassait ses affaires.

Je ne bronchai pas et l'imitai. Mais bientôt des raclements et des jappements montèrent du sol et quelle ne fut pas ma stupeur lorsque je découvris toute une meute de moutloups au pied de notre arbre.

— Ils sont là toutes les nuits, m'expliqua Charly.

— Comment tu sais ?

— Je les sens.

— Et t'as pas senti les Voleurs ?

— Non, tu me l'as dit toi-même, ils sont dans ta tête.

— Mais ? Co–

— Pas l'temps May. Téléporte-toi au bord de la rivière, je vais les distraire, on se rejoint là-bas.

Charly se transforma et s'éclaira d'une lumière que je n'avais encore jamais vue. Il semblait la puiser des arbres. Elle illuminait tout autour de lui. Le jour soudain révéla une bonne poignée de Voleurs qui flottaient autour de nous, preuve qu'ils n'étaient pas dans ma tête ! Je ne comprenais plus rien. La lumière du sorcier semblait les faire reculer dans l'ombre, c'était déjà ça.

Tout à coup je ressentis comme un appel, comme un souffle, de la même sorte que l'attraction dont j'avais été victime le jour de l'attaque au C.I.S.I. Ma tête commençait à tourner, mes inspirations s'amplifiaient tandis que mon cœur s'emballait et Charly, bien qu'irradiant un flux de lumière aveuglant, me jeta un regard inquiet. Soudain, quelque chose en lui changea et le flot de lumière se dirigea en direction des Voleurs. Je ne sais pas si je pouvais comparer cette énergie à de l'or liquide mais c'est ce qui s'en rapprochait le plus.

Je devais me reprendre. Moi aussi j'étais puissante, moi aussi je pouvais éloigner la menace. Je fis un effort pour rassembler mes pensées en un point : ma transformation, et dirigeai mon énergie vers le premier Voleur qui entra dans mon champ de vision. Je n'avais qu'une pensée en tête : tous les cramer.

Alors les évènements se précipitèrent. Tandis que je déversais mon énergie et que Charly hurlait quelque chose que je ne parvins pas à décoder tant l'impact de mon énergie sur le Voleur se transforma en une déflagration semblable au plus puissant des tonnerres, une voix résonna dans ma tête. Une voix qui semblait venir d'un autre monde. Elle me susurrait que bientôt le moment viendrait. Je poussai un cri de surprise et manquai défaillir. Elle était là, juste derrière moi.

Ou était-ce en moi ?

Au creux de mon oreille, elle me faisait allégeance, elle me répétait que l'heure arriverait, que bientôt, très bientôt, tout changerait. Sans prévenir, Charly me saisit par la taille et le dernier souvenir que j'eus fut celui d'un terrible cri, le cri terrible des créatures cauchemardesques.

Lorsque je repris connaissance, bien des minutes plus tard, j'étais ballotée dans tous les sens et recouvrant mes sens petit à petit, je me rendis compte que Charly me transportait et nous allions à une vitesse folle sur... l'eau. Et les pieds du sorcier qui foulaient la surface comme s'il était plus léger qu'une plume nous transportaient au-dessus de toutes les couleurs vives et fuyantes d'autant de poissons qui continuaient leur vie, étrangers au monde au-dessus de leurs têtes.

Je détournai mes yeux des tons violets, verts et orangés et les levai vers le ciel d'encre. Ma rétine entra en contact avec la Lune. Sa lumière sans chaleur, argentée, mystérieuse était pourtant si puissante. Et peut-être était-ce dû à cet état second dans lequel cette nouvelle altercation avec les Voleurs m'avait plongée, mais j'aurais juré que l'astre prenait une place inhabituelle dans le ciel. Elle me paraissait énorme.

Le trajet sur l'épaule du sorcier n'était pas des plus agréables et dura si longtemps que j'en perdis toute notion du temps. Par moments, je devais sombrer dans un demi-sommeil peuplé de Voleurs criards, à d'autres je ressentais une angoisse montante qui me paralysait lorsque ma rétine n'était pas envoutée par les mille couleurs qui défilaient dans l'eau.

Enfin, le sol changea d'aspect et le garçon ralentit la cadence. Le voyage se poursuivit encore une bonne heure, à travers ce qu'il me semblait être la forêt, jusqu'à ce que je ne sente plus de mouvement. Épuisée comme je ne l'avais jamais été, je sentis vaguement que l'on me déposait sur une surface moelleuse et le sommeil m'engloutit toute entière sans que je sache quelle heure il était ni où je me trouvais.

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*publication : 22/04/18, dernière mise à jour : 21/12/18*

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