✨Chapitre 5 - D'un arbre et de larmes

Mon amie courait en criant quelque chose à pleins poumons. Elle semblait désespérée ! Puis je compris que c'était moi qu'elle appelait... Je manquais d'air.

Certes, l'interpeller en retour serait sûrement une perte de temps mais je ne pouvais m'empêcher de m'époumoner. Peut-être qu'elle m'entendrait quand même. « Amy ! Amy ! », m'égosillai-je. Ça ne sert à rien de l'appeler. Elle ne t'entend pas ! Que croyais-tu ? Que pendant que tu t'étais volatilisée, eux, avaient trouvés ta disparition normale ?

Ce n'était que l'image de ce qui se passait là-haut. Là-haut ? Ou en bas ? Où étais-je ? Je ne le savais même pas ! J'avais perdu tous mes repères, je tenais en équilibre sur une branche, mes mains agrippées à l'écorce, les jointures blanches tellement j'avais l'impression qu'au moindre mouvement je pouvais tomber. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine et Amy scandait toujours mon nom. Sa voix me déchirait.

Je connaissais le décor autour d'elle. Elle était dans la forêt qui reliait le collège et le village. Elle se dirigeait vers le mur de roche qu'elle aimait tant escalader pendant que je la regardais faire, bien contente de toucher le sol même si l'herbe humide me mouillait les fesses. C'était toujours mieux que de défier le vide.

— Mince mais elle doit penser que je me suis cachée là-bas ! compris-je alors. Ma pauvre p'tite Amy-nette... murmurai-je, attendrie. Écoute-moi, s'il te plaît... Entends-moi je t'en supplie... Je suis partie ! Enfin, ça c'est ce qu'ils disent. Moi je pense qu'ils m'ont enlevée mais qu'ils sont trop orgueilleux pour l'admettre.

Amy avait arrêté de courir et se tenait face à la paroi rocheuse. Le souffle court, les mains sur les genoux, son visage se décomposait au fur et à mesure qu'elle réalisait que je ne me trouvais nulle part.

— C'est vrai quoi, continuai-je, qui voudrait enlever une fille comme moi ? Je n'ai ni talent particulier, ni super pouvoir. Je suis tout ce qu'il y a de plus banal. Héhé, je te vois venir ma cocotte mais non, suivre tous les soirs des yeux le voyage de la lune dans le ciel pour s'endormir n'est pas un « talent » ou une qualité quelconque. Juste une bizarrerie inutile.

Ses yeux se posèrent à l'endroit où je m'asseyais d'habitude, contre un rocher, à côté d'une souche sèche. Une larme coula contre sa joue, un pli apparut entre ses sourcils et elle se laissa tomber au sol là où j'aurais dû me tenir.

— Mais May, soufflait-elle, qu'as-tu fait ? Où es-tu partie ? Donne-moi un signe... Je retire tout ce que j'ai dit l'autre jour, je ne pensais pas ce que je disais, tu n'es pas faible... La preuve, tu t'es volatilisée devant mes yeux ! Par contre, pour les créatures fantastiques, je ne suis pas prête à nier leur existence... Mais on s'en fiche, t'es plus là. T'as disparu. Donne-moi juste un signe...

— Amy, soufflai-je. Ne pleure pas s'il te plaît.

Mais c'est moi qui sanglotais. J'avais toujours été un public facile pour les drames. Maintenant que c'était le mien, je l'étais encore plus ! Mes larmes se déversèrent sur mes joues en un torrent salé et je ne pouvais rien faire pour les arrêter. J'avais le cœur serré, je me sentais nauséeuse.

— Je vais bien je t'assure ! criai-je à mon amie. Oui, souris-je faiblement, je te l'accorde, je pourrais être dans une posture plus agréable et me trouver moins éloignée du sol... Oh mais comme je suis sûre que tu adorerais me voir ici, perchée comme une empotée sur cet arbre. Tu te moquerais de moi, tu rirais aux éclats !

Tout à coup, la voix m'arrêta dans mon monologue :

— Il est temps de dire au revoir, May, d'autres surprises t'attendent... Continue de monter !

Je secouai énergiquement la tête tout en me cramponnant à ma branche mais elle répéta : « Monte ! ».

J'allais exiger des informations une fois cet enfer terminé ! La respiration saccadée, je refusais toujours d'obéir. J'étais plongé en plein cauchemar, je croyais mourir à chaque respiration.

« Amy, Amy», balbutiai-je. Des couleurs dansaient devant mes yeux, la tête me tournait. Mais tout en répétant son nom en boucle en réponse à ses cris, je me souvins des paroles qu'elle avait dites peu avant l'apocalypse : « Quand on fait face à une épreuve, aussi dure soit-elle, on l'affronte avec dignité. Quelle idée de vouloir s'évanouir ! »

Puisant de l'énergie dans ces paroles, j'essuyai mes joues, pris trois respirations profondes et m'accroupis sur la branche en levant les yeux vers les prochaines. Avec une lenteur extrême, tétanisée par la peur, j'avançai mes mains vers le tronc de l'arbre et les y ancrai. J'étudiai leur stabilité dans ces nouvelles prises, fermai les yeux pour tenter de chasser mon vertige croissant, reniflai et approchai le reste de mon corps du tronc. « Prends ton temps » m'encourageai-je en rassemblant tout mon courage.

À la manière des chenilles, mes doigts rampèrent contre l'écorce vers la prochaine branche. Je m'appuyais tellement sur eux que j'avais l'impression qu'ils pouvaient se fondre dedans. Je ressentais chaque fissure, chaque parcelle de vie, chaque cellule de cet être majestueux et j'avais l'impression qu'il ressentait ma douleur, ma peur, qu'il partageait avec moi ce cauchemar. Alors soudain, je ne me sentis plus seule. L'arbre était là, avec moi. Silencieux, il me guidait vers le haut, vers sa cime. Silencieux, il me protégeait du vide, de la voix qui hérissait les poils de ma nuque à chacune de ses interventions tandis que je montais, je montais, un bras après l'autre puis un pied après l'autre. L'opération se répétait.

Lorsque je me fus hissée sur la branche suivante suffisamment épaisse pour que je m'y repose, je me fis violence pour ne pas regarder vers le sol. D'après mes estimations, je devais être à cinq bons mètres du sol. C'est plus haut que le premier étage d'un immeuble ! Je fermai les yeux et attendis que mon pouls reprenne une allure normale. Ou aussi normale qu'elle puisse être lorsque vous êtes dans un monde de tarés qui vous font grimper sur un arbre en jupe et chemise et que vous vous retrouvez à cinq mètres de haut à califourchon sur une branche dudit arbre alors que vous avez le vertige.

Un cri retentit.

— Encore ?! m'exclamai-je autant de surprise que de peur.

Je ne voulais pas voir à qui cette voix appartenait. Prise de panique, nageant dans la sueur, je remis en place ma technique d'escalade avant même que la voix ne me le dise. Je grimpai. J'avais une douleur horrible au niveau du cœur. C'était insupportable. Mais la peur me donnait des ailes. Du moins, le pensais-je.

Ma vitesse s'était accélérée, mes mollets et mes bras me lançaient tant ils étaient épuisés mais ils ne me freinaient pas. C'était mécanique, mon corps effectuait les gestes tout seul, je grimpai toujours. Une branche après l'autre, je ne m'arrêtais plus, je ne savais pas ce qui me prenait. En fait si, c'était la peur. Je me persuadais que c'était la peur. Quand on a la mort aux trousses, on ne réfléchit pas, on fonce. C'était la seule pensée à peu près cohérente que mon esprit arrivait à formuler.

La mort bien sûr, c'était le vide, ce gouffre qui n'attendait que le moindre faux pas pour m'attirer à lui et m'engloutir toute entière. Les mètres derrière moi s'allongeaient, s'allongeaient, s'allongeaient tant qu'ils demandaient des renforts et devenaient toujours plus nombreux. Cinq mètres se transformèrent en sept mètres, puis dix mètres qui laissèrent eux-mêmes place à quinze mètres... Mon pied dérapa.

Je poussai un hurlement, le cœur tambourinant dans mes tempes. Je ne dois rien lâcher, ça ne peut pas se terminer comme ça, aidez-moi, je vais mourir. Mes doigts saignaient et le sang se mêlait à la sève de l'arbre qui saignait avec moi. J'étais suspendue à quinze mètres du sol et le seul moyen de m'en sortir était d'user de la force de mes bras. Mais ils semblaient tétanisés, incapables d'effectuer le moindre mouvement. Ils n'avaient pas le droit de m'abandonner comme ça ! C'était tellement injuste ! De toute façon si vous ne m'aidez pas je mourrais et étant donné que vous faites partie de moi et bien vous mourrez aussi ! J'étais vraiment dans un piètre état pour me mettre à parler à mes bras. Ma position m'empêchait de respirer, j'étais à court de souffle. Une larme d'impuissance coula le long de ma joue.

La Grande Prêtresse mentait lorsqu'elle disait qu'elle ne voulait rien de moi, elle voulait ma mort. Feuille d'Automne mentait lorsqu'elle disait qu'ils ne voulaient pas me manger, que pouvaient-ils faire de mon corps inerte, dans des souterrains, à part le manger justement ? Peut-être était-ce la raison pour laquelle certains avaient des yeux si gris, si ternes, comme Zed. Peut-être était-ce le reflet des vies qu'ils avaient prises. Mes pensées devenaient beaucoup trop macabres, il fallait à tout prix que j'arrête ce cauchemar.

Une vague de chaleur me secoua. Comme si je n'avais pas déjà assez chaud. Mais cette chaleur ici eut un effet tout autre de ce à quoi je m'attendais. Au lieu de me faire perdre mes moyens une bonne fois pour toutes et me faire lâcher prise ou perdre connaissance (dont l'issue aurait été la même : la mort), elle vibra sous ma peau et j'eus l'impression qu'elle me revitalisait.

Soudain, mes coudes s'infléchirent, mes mains, mes bras et mes épaules tremblèrent sous l'effort et je pris une énorme inspiration tout en étant propulsée vers le haut. Réalisant à peine la chance que je venais d'avoir, je m'effondrai de tout mon poids, tel un paresseux, sur la branche de l'arbre dans ma nouvelle position favorite : à califourchon. Mais mon mouvement avait été si brusque que je faillis retomber de l'autre côté et je me retins encore d'une chute mortelle, que je croyais avoir évitée, in extremis.

Un rire naquit dans ma gorge. J'étais vidée. Il ne restait plus rien dans mon corps qu'une fatigue immense. Après ça, je veux dormir pendant une semaine. Au moins.

— La partie n'est pas terminée May, gronda alors la voix, m'arrachant un sursaut.

J'eus envie de pleurer.

— Je crois que l'on te cherche... reprit-elle, un brin moqueuse. Regarde, regarde en bas May, m'encouragea-t-elle.

Je fronçai les sourcils. Est-ce qu'un sorcier tordu m'attendait pour m'annoncer enfin la fin de mon calvaire ? Et m'enjoindre de redescendre de cet arbre de la même manière que j'y étais monté ? La bonne blague. Puisant dans l'inexistence de mon énergie, je risquai tout de même un œil vers le bas. Et la seule chose que j'eus envie de faire lorsque je me rendis compte que l'écran en forme de flaque d'eau que je voyais toujours distinctement me renvoyait l'image de ma famille, fut de lancer un grand doigt d'honneur à cette satanée voix.

Je ne suis pas du genre à jurer mais à ce moment-là, j'aurais pu déverser un flot d'insultes encore plus grand que mes larmes, plus grand que la flaque-écran, sur ces stupides sorciers qui se croyaient drôles à torturer de « pauvres créatures » comme la Grande Prêtresse nommait les humains. Si je ne le fis pas, c'est uniquement parce que je n'avais pas la force. Mais alors, du tout.

Je fermai les yeux pour éviter d'affronter les visages de ceux qui m'étaient chers et que je n'aurais jamais pensé quitter aussi abruptement un soir d'Halloween... Mais la tentation était trop forte et je jetai un œil à l'écran.

— Papa, murmurai-je dans un souffle, le cœur au bord des lèvres.

Pâle, ses cheveux bruns parsemés de gris tout décoiffés, il arborait d'immenses cernes. Il semblait perdu dans ses pensées, loin, loin, hors de portée. Sans blague, on n'est plus dans le même monde... Je ne pouvais en voir plus. Sur son visage se mêlaient tristesse et... colère.

C'en était trop, j'hurlai, au bord de l'hystérie, puis fondis en larmes. Ils ne croyaient pas qu'ils m'avaient fait assez de mal en m'enlevant de chez moi ?! Je voyais maintenant où voulait en venir la « Grande Prêtresse » quand elle disait que j'allais bientôt revoir ma famille... À non c'est vrai, c'est moi qui avais atterrie là toute seule ! Bah bien sûr ! Et puis quoi encore... Je me surpris à souhaiter la mort de tous ces « sorciers » stupides et inutiles et me crispai contre l'arbre, mon seul allié. Refusant d'obéir à la voix ou de bouger d'un centimètre, je remarquai à peine les lignes entrelacées scintillantes qui étaient apparues sur mes avants bras, peut-être parce qu'elles étaient en partie cachées par ma chemise.

Me redressant sur mes genoux, je vomis et tant pis pour ceux qui me regardaient. Cette « Évaluation » dont le deuxième nom devait être « épreuve de torture » m'avait rendue malade. Je n'en sortirais pas indemne, c'était sûr !

Une fois calmée, enfin, légèrement apaisée, c'est à dire mes spasmes disparus, mes sanglots plus espacés, un mal de crâne naissant, j'évaluai la possibilité de redescendre de l'arbre. Sauf que les branches sous moi s'étaient volatilisées. Comme ça, sans prévenir ! Il n'était plus question de descendre...

Le brouillard n'avait pas désépaissi et m'empêchait de repérer la porte par laquelle j'étais entrée. Il fallait que je continue à monter. C'était ma seule issue et de toute façon, je l'avais senti dès le début, sans pouvoir m'expliquer pourquoi. Je reniflai et essuyai avec mes manches le flot de larmes qui avait tracé des sillons sur mes joues. J'entrepris alors de mettre un pied sur la branche suivante, puis un autre... jusqu'à ce que j'atteigne le sommet.

Mes sanglots se faisaient rares. J'avais l'impression d'être là depuis une éternité. Ma fureur avait fait volatiliser mon vertige. Tout à coup, prise d'un élan de fierté et sûrement aussi d'hystérie, je me mis à rire. Les gens qui me regardaient devaient me prendre pour une folle. Tant pis. Mon exploit me grisait trop pour penser à eux. J'oubliai tout.

C'était quand même la première fois que je grimpais aussi haut sans l'aide de personne ! Mon père aurait été fier de moi. Ah non, il ne fallait surtout pas que je pense à lui... En rouvrant les yeux, je découvris que le brouillard avait disparu. La salle aussi. J'étais baignée dans la chaleur des rayons du soleil. Ce que c'était agréable... Je me laissai tomber contre le tronc de l'arbre et profitai de cet instant de répit, le sourire aux lèvres. Sous moi, une foule de sorciers me dévisageait, abasourdie.

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*dernière mise à jour : 24/06/18*

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