— Comment ça t'as perdu leur fil d'énergie ? s'offusqua Ethel dans un murmure qui aurait pu être plus discret.
— J'ai jamais été dans le Sauvage avant, se défendit Zed sans croiser les yeux de interlocutrice. Enfin, pas aussi loin ni dans ces conditions...
Le sorcier fixait la végétation devant lui, les sourcils froncés.
— Donc c'était la première fois que tu faisais ça, pas vrai ? déduisit Ethel en lui lançant un coup d'œil vif,
Malgré elle, la situation l'amusait.
Le jeune homme ne répondit rien mais hocha la tête, les yeux rivés dans le vide. Ethel se demandait à quoi il pouvait bien penser.
— Lumia ne trouve plus la trace de May ni de Charly non plus, continua Zed.
— Et pourquoi tu m'en parles à moi ? s'enquit la jeune fille d'un air suspicieux.
Les deux sorciers marchaient à l'écart du reste du groupe, devant Lumia et Thomas qui riaient à gorge déployée d'une blague de Spoty. Les relations entre les jeunes voyageurs avaient bien évoluées. Toutes s'étaient à peu près améliorées... sauf celle entre Zed et Ethel. Depuis que le jeune homme argumentait pour s'approprier la pierre de Soteria, elle n'avait fait qu'empirer. Ethel l'accusait de vouloir tout monopoliser, Zed trouvait légitime qu'il possède la pierre puisqu'il était celui qui en connaissait le mieux le pouvoir.
— Parce que tu possèdes un lien avec May et qu'il faudrait que tu l'utilises pour qu'on puisse retrouver sa trace.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, nia la sorcière, sentant tout de même son pouls s'accélérer bien qu'elle fasse de gros efforts pour ne rien laisser paraître.
Zed porta enfin son regard sur la jeune fille en haussant un sourcil.
— Tu ne peux pas me cacher ça à moi. Je sais que tu t'es liée avec elle. J'ai vu son bracelet le jour du banquet des fêtes de l'Hommage.
Ethel rougit sans pouvoir s'en empêcher et se maudit intérieurement. Elle aurait dû se douter que Zed remarquerait le moindre changement dans l'accoutrement de May. Ce jour-là... elle avait manqué de vigilance.
— Ce n'est qu'un bracelet Zed. Je ne comprends pas de quoi tu parles.
Le garçon se retint de rire en secouant la tête.
— Ethel, je te demande juste d'utiliser ce lien que tu as créé pour nous guider vers May et Charly. C'est trop tard pour revenir en arrière de toute façon et ce n'est pas à moi de te punir alors autant l'utiliser à bon escient, tu crois pas ?
La jeune fille souffla, capitula et acquiesça sans un mot.
— Je l'utilisais déjà de toute façon, avoua-t-elle dans un murmure presqu'inaudible. Pour m'assurer que tu nous menais au bon endroit.
Si Ethel avait rougi auparavant, elle était cramoisie à ce moment-là.
Zed esquissa un sourire.
— J'vois que tu me fais confiance.
La sorcière laissa planer un silence avant d'inspirer et de répondre :
— Non justement. Je ne te fais pas confiance.
Elle se pinça les lèvres et espéra ne pas déclencher une avalanche de questions de la part du sorcier. Celui-ci commença par la dévisager sans paraître comprendre.
— Comment ça, tu me fais pas confiance ?
C'était raté. Ethel haussa les épaules et ne put retenir la remarque sarcastique qui lui franchit les lèvres :
— Crois-moi, c'est pas compliqué. Avec ton air mystérieux qui mettrait n'importe quelle personne sensée dans le doute... Et ce ton prétentieux que tu utilises depuis le départ... J'ai des raisons de ne pas te faire confiance. J'aimerais, mais j'y arrive pas. En plus j'ai l'impression qu'il y des choses que tu sais et que tu caches... Et ça ne me plaît pas.
La jeune fille passa un bras sur son visage pour essuyer la sueur qui perlait sur son front. Ajouté à la marche dans un milieu accidenté et à la chaleur, parler autant l'essoufflait. En avait-elle trop dit ? Son corps fut parcouru d'un frisson. Elle avait pour habitude d'être franche avec son entourage et avant le départ, elle considérait Zed plus comme un ami qu'un Inné méprisant. Mais tout à coup elle se mettait à douter, elle qui suivait toujours son instinct et les conseils que lui soufflaient ses songes et les arbres.
Zed prit son temps avant de répondre. Il savait Ethel digne de confiance mais pouvait-il trahir une promesse faite à la Grande Prêtresse ? Sûrement pas. Ethel, gênée de ne pas avoir de réponse, se sentie obligée de meubler le silence :
— T'as changé, tu sais ? T'étais pas comme ça avant de partir. Au C.I.S.I. t'étais cool, on pouvait parler sans que tu m'enfonces de cet air condescendant qu'avaient tous les autres Innés à qui je m'adressais. Tu sais, tes copains là... Et ta sœur aussi. Je t'aimais bien parce que—
— Attends, Ethel, la coupa Zed les sourcils froncés. Comment tu peux dire des choses pareilles ? On se parlait, certes. Mais j'avais la même attitude que les autres Innés. Si elle n'était pas pire. Alors je sais pas si ça a un rapport avec May mais—
— Non Zed, le détrompa Ethel en riant doucement. Je sais pourquoi je te dis ça. Je ne vois pas le comportement des gens qu'en surface, comme tous ceux qui ne sont pas portés par Jupiter. Mon intuition est du genre ultra développée, tu vois, et je ressens des choses chez les gens que je suis la seule à percevoir. Tu devrais le savoir. C'est pour ça que je me suis rapprochée de Thomas. Puis de May. Et au C.I.S.I, ce que je voyais de toi était tout ce que je t'ai dit à l'instant. Je t'appréciais vraiment. Mais depuis qu'on est parti... je ne vois plus rien de tout ça ! Je suis même poussée à me méfier de toi. C'est terrifiant, tu vois ? Et je suis la première à me demander pourquoi ! Ce changement a été si soudain, si brusque ! Explique-moi Zed, j'ai besoin de comprendre. Je doute, je me perds.
— Ah ces porteurs de Jupiter... souffla Zed plus exaspéré qu'autre chose. Leur indiscrétion finira par les perdre.
Et sur ces mots, il s'éloigna de la sorcière. Il la devança et mena la marche seul, fauchant de temps à autres – sans les toucher – des branchages qui lui barraient le passage. Le jeune homme avançait d'un pas sûr, déterminé et fier, fidèle à l'image qu'il renvoyait de lui. Le tout laissa Ethel perplexe.
La jeune fille soupira. Elle était tourmentée et sa tentative pour évacuer doutes et peurs avait échoué de la manière la plus lamentable qui soit. Elle aurait tant souhaité que Zed se confie à elle. Mais l'orgueil de ce dernier avait empêché toute confession de franchir ses lèvres et la jeune fille en était profondément chagrinée.
Lorsque le groupe s'arrêta pour camper, Ethel saisit la première occasion qui s'offrit à elle pour s'éclipser à l'insu de ses compagnons de voyage, tous affairés à la préparation du dîner. Elle se perdit alors entre les arbres immenses, disparut derrière de touffus feuillages et se noya dans l'obscurité naissante du jour déclinant.
Là, seule, maîtresse de la situation, elle se transforma et s'autorisa quelques minutes de repos en allant puiser de l'énergie dans un arbre qui l'appelait. Ces arbres-ci, grâce auxquels elle sentait qu'elle pourrait se ressourcer, elle les nommait les Sages. Ils étaient un peu ses confidents maintenant que May n'était plus là.
Chaque jour son amie lui manquait. Mais chaque jour aussi, elle ressentait ce malaise dans le groupe. Un malaise dont elle ne trouvait pas la nature mais qui constituait une partie non négligeable de son tourment. Un malaise qui concernait May et ses équipiers. Elle avait tenté de faire parler Zed parce qu'elle sentait qu'il était la clé. Mais cela avait été en vain. Et ses doutes la rongeaient.
La joue posée contre l'écorce rêche et les bras entourant le tronc qui renfermait le pouls des porteurs de Jupiter, l'essence même de la nature du vivant, la sorcière ferma les yeux et respira aussi profondément qu'il lui était donné de faire. Lorsqu'elle respirait de cette façon, elle avait l'impression que ses poumons s'agrandissaient et qu'elle pouvait inspirer à l'infini. Et puis au moment de relâcher l'air prisonnier, elle ressentait un regain d'énergie nouvelle qui, au creux de sa poitrine, lui procurait un bien-être indescriptible et lui faisait monter le sourire aux lèvres.
Une fois rassérénée, la jeune fille entreprit de réciter un songe qui lui était venu deux nuits auparavant tout en s'éloignant du Sage. Elle plaça ses bras devant elle et tourna ses paumes face à elle. Se laissant envelopper par les sons de la nature, la sorcière porta ensuite son attention sur son corps et vida son esprit de toute pensée. Elle ne se concentra plus que sur les souvenirs du songe. Engendrer ce processus de souvenirs la rendait nerveuse. Elle ne voulait pas revoir les prédictions qu'elle espérait fausses. Mais avait-elle pu se tromper ? Il fallait qu'elle en ait le cœur net.
Des images apparurent sur les écrans que formaient ses paumes de mains. La sorcière les fixait et les représentations animées défilèrent avec de plus en plus de vitesse. Alors autour de la jeune fille apparurent des paires d'yeux fluorescentes qui flottaient à une trentaine de centimètres du sol. Mais les yeux embués de larmes, incapable de détourner son regard de ses paumes, elle ne s'en rendit pas compte.
Au camp, Thomas qui s'occupait de couper de fines branches pour alimenter le feu trouva soudain étrange l'absence de son amie.
— Spoty, tu sais où est Ethel ? questionna-t-il le rouquin.
— Elle doit être partie chercher des fruits comme les autres soirs, non ? répondit l'intéressé en levant le nez de son sac dans lequel il fouillait depuis un bon quart d'heure à la recherche d'un objet introuvable.
Le garçon à lunettes fronça les sourcils devant l'air préoccupé de Thomas.
— Eh, c'est pas comme si ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vue...
— Que voudriez-vous qu'il lui arrive ? ajouta Lumia passant ses doigts dans ses cheveux pour se rendre compte de leur état de saleté. Cette fille est plus qu'en harmonie avec la nature, elle en fait partie. Il ne peut rien lui arriver.
Elle grimaça et songea que la chevelure qu'elle avait entretenue avec tant de soins depuis quinze ans ne pouvait pas rester dans cet état encore longtemps.
Thomas fit la moue, dubitatif. Soudain un craquement de bois sonore retentit et les trois adolescents tournèrent leur tête à l'unisson en direction de Zed qui venait de lâcher un tas de branches à ses pieds.
— Suivez-moi ! les pressa-t-il.
Les yeux agrandis par l'étonnement – ou peut-être était-ce la peur – il partit à grands pas en direction des bois qui s'assombrissaient de seconde en seconde.
Thomas, Lumia et Spoty échangèrent des regards surpris avant de suivre le sorcier qui avait disparu de leur vue.
— Attends Zed ! cria Lumia. Qu'est-ce qu'il s'passe ? Il faut que quelqu'un garde le camp !
— Je crois que ce pourquoi Zed est parti est plus important, remarqua Spoty, en réajustant ses lunettes sur son nez.
Lumia hocha la tête, un pli soucieux entre les deux sourcils et emboîta le pas son frère. Thomas et Spoty l'imitèrent et très vite l'obscurité les engloutis à leur tour.
Spoty faillit rentrer dans la jeune fille alors qu'elle s'arrêtait juste à temps pour ne pas percuter Zed qui venait de s'immobiliser sans les prévenir.
L'endroit n'était pas particulier. Ils étaient entourés d'arbres aux hauteurs vertigineuses. La végétation y était très dense et Thomas se frappa à la cuisse où un insecte venait de le piquer. Il eut juste le temps d'espérer que le venin n'était pas dangereux avant de se rendre compte de la raison pour laquelle toute la troupe s'était arrêtée.
Entre deux arbres s'élevait une colonne de lumière prenant sa source dans les arbres en question. Et au cœur de cette colonne aveuglante ne se tenait personne d'autre que la sorcière qu'il cherchait : Ethel.
Le garçon étouffa un hoquet de surprise et faillit tomber au moment où le sol trembla. Un déchirement manqua de briser ses tympans et Lumia couvrit ses oreilles, sa respiration s'accélérant sans qu'elle ait le temps de se rendre compte de ce qui se déroulait devant ses yeux. Un arc-en-ciel de couleurs jaillit de la colonne de lumière et inonda tout le périmètre environnant de mille et une couleurs improbables qui émerveillèrent tous ceux qui eurent la chance d'être témoin du spectacle.
Seul Spoty n'en supporta pas l'intensité. Il ferma les yeux une seconde trop tard et sentit une brûlure lui consumer les globes oculaires. Lumia, dont la chevelure claire et le teint pâle reflétaient tout le spectre lumineux, avait les yeux écarquillés et s'étonnait qu'une personne venant d'un rang aussi bas que celui des Transfert soit capable d'irradier tant de luminosité. La forêt semblait animée d'une énergie nouvelle. Le temps lui-même semblait comme suspendu pour admirer l'ordre nouveau des choses, l'éclat de lumière et de couleur venu se loger dans toute chose, qui intensifiait et sublimait tout le vivant, tout le minéral, toute la matière. Toute l'indifférence avait disparue, ne subsistait plus que les sensations.
Dans le silence qui suivit l'explosion, les oiseaux entamèrent un chant à l'unisson, faisant vibrer dans l'air de la nuit une élégie, ode au jour, ode à la nuit, hymne de la résurrection et tous les êtres capables d'émotions furent saisis par la force, la douleur et l'espoir qu'il s'en dégageait.
Zed était plus que préoccupé par la situation mais le spectacle l'envoutait autant que les autres et avait fait taire ses inquiétudes le temps que l'infinité des couleurs et des harmonies se dissipent dans l'air comme des grains de poussière.
Ethel n'avait pas bougé, comme ancrée par des kilomètres de racines dans la terre du Sauvage. Seules ses lèvres bougeaient. Car elle aussi, chantait.
Les yeux clos, des larmes coulaient en une lente cascade mélancolique le long de ses joues pâles rougies par le froid en écho au chant reprit par la forêt toute entière.
« Tout au loin dans les terres, écoute,
Sous le cor du guerrier se tient
Le gardien, décidé. Sa route,
Sous la lumière de la Lune,
Ne retient rien. »
Tout s'estompa, tout finit par disparaître jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'Ethel face aux quatre adolescents qui attendaient des explications pour certains, une bonne claque afin de se réveiller du rêve dans lequel ils étaient plongés pour d'autres... Mais tous attendaient que la sorcière fasse le premier pas.
Plusieurs minutes s'écoulèrent dans un silence absolu. Le monde recouvrait ses sens. Les sorciers reprenaient leurs esprits. Les oreilles de Thomas bourdonnaient et Zed se demandait quelle attitude prendre. Devait-il chercher des explications ? Il lui semblait qu'Ethel poursuivait ses propres objectifs, vivait sa vie, se souciait peu de ceux qui l'entourait et cela le troublait. Que pouvait signifier la révélation de la parfaite symbiose qu'elle avait réalisée avec son élément ? Car au C.I.S.I. ce geste aurait signifié quelque chose. Les évaluateurs auraient rectifié le score attitré à la sorcière. Un sept aurait été inscrit à côté de son nom. Ethel avait magnifié son pouvoir. Ethel était puissante car Ethel maîtrisait. Il se devrait désormais de la garder à l'œil. Il en allait de la sécurité du groupe et de la réussite de la mission.
— Il faut que nous retrouvions May et Charly... au plus vite, déclara-t-elle soudain en s'essuyant les joues de ses mains. May... vite. Très vite. Son destin la rattrape.
Elle prit une profonde inspiration pour se calmer et retrouver la sérénité que lui avait procurée le Sage. Son incantation lui avait pris tant d'énergie qu'elle avait du mal à tenir sur ses jambes, mais elle tenait bon. La jeune fille savait qu'elle ne devait pas faiblir.
La relecture de son songe ne lui avait pas procuré toutes les réponses qu'elle cherchait mais elle était à ce moment-là certaine de deux choses.
La première était que May ne devait pas retourner au C.I.S.I. peu importe la raison pour laquelle la Grande Prêtresse la mandait ou bien pire qu'une épidémie risquait de s'abattre sur le C.I.S.I.
La seconde était qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même.
Désormais, elle avait son propre objectif. Bien-sûr elle était entourée de ses amis qui l'aideraient à remplir sa mission mais les Sages avaient été clairs : il lui fallait retrouver May.
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*dernière mise à jour : 21/12/18*
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