✨Chapitre 39 - De rires et d'un au revoir

Je me réveillai avec un mal de crâne atroce.

Les autres étaient déjà debout, comme d'habitude, mais cette fois-ci des regards me suivaient dans le moindre de mes mouvements avant de vite se dérober, de peur d'être remarqué par la « complice de meurtre » que j'étais devenue à leurs yeux.

Engourdie, je m'assis au bord de mon lit, mes mains s'enfonçant dans la mousse verte, fraiche et moelleuse. Les yeux dans le vide, j'en arrachais sans m'en rendre compte tandis que je tentais de réveiller mon cerveau embrumé. J'étendis mon bras pour attraper les vêtements de Feuille d'Automne et les enfilai distraitement.

Je pensais.

À moi, à celle que j'étais, à celle j'étais devenue, à la fille qui se cachait derrière ses cheveux bruns bouclé et ses iris vertes. À eux que je laissais là, que j'abandonnais sans vraiment savoir si ce n'était pas en fait l'inverse qui se produisait... mais aussi à eux que j'avais – pour sûr, cette fois-ci – abandonnés dans un autre monde, et enfin à eux, eux deux dont je ne savais plus rien, qui m'avaient mise au monde en s'enveloppant d'une toile de mystères que j'espérais bien résoudre un jour, qu'il me faudrait à tout prix résoudre.

Je n'étais pas prête à croire que mes parents étaient sorciers, pourtant les évidences étaient dures à ignorer. Comment deux humains parfaitement... humains, avaient-ils pu mettre au monde une fille avec des pouvoirs tels que les miens ? Mais après quinze années à croire cette version de l'histoire, il m'était inconcevable qu'elle puisse être écrite d'une autre manière.

— Ça va ? me demanda Ethel.

Je sursautai et levai les yeux pour découvrir le visage familier de mon amie.

— Oui, bredouillai-je en me frottant les yeux. Oui, oui ça va.

— Tu devrais manger avant de partir. Et...

Elle eut l'air embarrassée un court instant.

— Si je pouvais te donner un dernier conseil...

— Dis-moi, l'encourageai-je me demandant ce qu'elle pouvait bien avoir en tête.

— Tu devrais prendre une douche. Je veux dire, s'expliqua-t-elle confuse, si tu ne dois pas en reprendre avant d'atteindre la tribu du frère de Maître Gorigann, et encore on ne sait pas ce qu'ils utilisent là-bas pour se–

— J'ai compris Ethel, la coupai-je, ne pouvant empêcher de sourire franchement. Je comptais le faire.

Les soucis d'hygiène de mon amie m'amusaient. Je ne pensais pas que j'aurais droit à ce genre de remarque de sa part. À vrai dire, il y a plus d'une chose que je n'aurais jamais pu croire venant d'elle... mais il était inutile de ressasser, n'est-ce pas ?

— Je vais aller prendre une douche, décidai-je en me levant avec détermination.

La traversée du dortoir, pourtant si familière, me parut longue et mon corps était raide, recevant tous les regards suspicieux que mes camarades dardaient sur moi. Je brûlais de leur dire la vérité. De leur dire que ni Charly ni moi n'avions commis quelque chose d'aussi terrifiant. Ça me tuait. Je ne sais toujours pas ce qui m'avait retenue de le faire. Vraiment pas.

Je pris ma dernière douche.

Je mangeai mon dernier petit déjeuner au réfectoire.

Je me lavai les dents pour la dernière fois avant... Me les laverai-je à nouveau un jour ? Rien qu'à cette pensée horrifiante, je les frottai plus fort.

Je m'observai dans le miroir pour la première fois, je veux dire, avec plus d'attention que toutes mes journées passées au C.I.S.I. réunies – pour vous dire quelle importance je donnais à mon apparence. L'image que me renvoyait la glace était étrange. Les cheveux bruns n'avaient plus tant de forme que ça, les pointes bordeaux n'étaient plus si bordeaux que ça, les yeux verts ressortaient un peu sur le visage qui se faisait le théâtre d'un balai constant de boutons d'acnés peu nombreux mais toujours présents. Bonne ou mauvaise chose, la puberté ne semblait pas affectée par le changement de monde.

En me dévisageant, je pris conscience que je ne me trouvais pas belle. À côté de Lumia j'avais l'impression d'être le laidron de service. Et Ethel avait un visage aux traits plus délicats, une peau plus lisse. Mes sourcils n'étaient pas assez fins et l'un était plus haut que l'autre. La seule partie de mon visage que j'appréciais vraiment était mes yeux.

Mais quelle importance ? Dans la forêt, ce n'étaient pas les animaux qui allaient se soucier de ma beauté – existante ou non – ni les arbres. J'écarquillai les yeux.

Les animaux.

Il allait. Y avoir. Des animaux. Pleins d'animaux. De toutes sortes, de toutes tailles, certains mêmes, magiques. C'est ce moment que choisit ma phobie pour les araignées, serpents, insectes – et à peu près tout ce qui bougeait – pour refaire surface. Jusque-là j'étais dans des souterrains, il n'y avait rien de ce genre si l'on exclut les otuples, et lors de mes sorties dans la forêt je n'avais jamais eu le malheur de mettre les pieds – ou les mains, ou les yeux – sur de quelconques bestioles.

— Sauvages, sales, vénéneuses, dangereuses et méchantes ! m'écriai-je à l'intention de mon reflet (qui m'imita), toute paniquée.

— Tu te transformes en Spoty ? me demanda Ethel avec un sourire en coin.

Prostrée dans l'encadrement de la porte, elle m'avait rejointe et m'attendait. Je secouai la tête et en la regardant à travers le miroir. Il n'y avait plus de bruit à part celui de l'eau que je faisais couler pour réchauffer mes mains qui, allez savoir pourquoi, étaient gelées. Et soudain, des mots que j'avais ressassés depuis la veille encore et encore dans ma tête franchirent mes lèvres :

— Zed m'a embrassée hier soir. 

Un silence consterné suivit ma déclaration. Je me mordis la lèvre. Ethel, ses yeux comme des billes, se décala du mur et s'approcha à pas très lents pour se placer à côté de moi, face au miroir.

Elle était plus petite que moi et ses cheveux étaient plus foncés, presque aussi noirs que ceux de Zed. Son visage était impassible. Et puis elle jeta un œil dans ma direction et son visage se détendit.

— Alors qu'il était censé t'oublier ? Eh ben on sait à présent ce que vaut sa parole... Et attends, quand ça ? Sous le dôme ? Pendant le coucher de soleil ?

Je hochai la tête.

— Ce qu'il peut être romantique ce Zed, susurra-t-elle d'un air espiègle.

Ses lèvres s'étirèrent en un large sourire et elle explosa de rire. Il était tellement communicatif que je ne pus que la suivre et nous rigolâmes à nous faire mal au ventre, sans pouvoir nous arrêter. Cela me fit un bien fou.

— Comment ça se fait qu'tu sois de si bonne humeur ? lui demandai-je alors.

— J'peux pas te dire ! chantonna-t-elle alors qu'elle se défilait et partait en sautillant dans le couloir.

— Ethel ! l'appelai-je en espérant qu'elle m'attendrait.

Elle ne me donna aucune réponse.

Trois gardes du palais vinrent me chercher au dortoir. J'attrapai mon sac et y rajoutai sans réfléchir tout ce qui m'appartenait, incluant les vêtements que je portais le jour de mon arrivée, ma robe noire et les cadeaux de mes amis. À une exception près : mes bottines à talon. Le sac était plein à craquer, elles ne rentraient pas dedans. Je les offris à Ethel à la place parce que je savais qu'elle les aimait.

On m'escorta le long des tunnels qui menaient au trou de poussière dorée. Sans plus aucune appréhension, je le traversai. En atterrissant à pieds joints dans le duvet de poussière et de feuilles étincelantes de l'autre côté, je repensai avec nostalgie au jour où je l'avais passé pour la première fois et à la façon dont Zed m'avait rattrapé par le bras au retour... C'était un bon souvenir. Comme beaucoup d'autres, finalement.

Il y avait déjà des sorciers dans la forêt : la Grande Prêtresse sans sa garde habituelle, Brax le chef des Gardes accompagné de quelques-uns d'entre eux, Maître Gorigann, Feuille d'Automne, Spoty, Stéphane, Guillaume et Charly qui portait un sac similaire au mien sur le dos, Lumia, quelques-unes de celles qui devaient être ses amies et Zed.

Ça en faisait du monde.

Tous me dévisagèrent lorsque j'atterris dans un bruit sourd sur le sol. Je portais de résistantes bottes en cuir que Feuille d'Automne avaient mises dans mon sac.

Ethel, Thomas et les trois gardes qui m'accompagnaient franchirent à leur tour le trou et m'encadrèrent.

D'un signe de tête, la Grande Prêtresse mit toute la troupe en marche en direction de la frontière la plus proche entre C.I.S.I. et le Sauvage, celle que j'avais déjà franchie avec un certain maître et un certain brun qui marchaient juste devant moi. Zed ne m'avait pas adressé un seul regard. J'essayai de ne pas m'en formaliser mais pour être franche, c'était dur.

Le groupe s'arrêta devant le rideau de lianes qui séparaient les deux habitats.

— Notre aventure commune prend fin ici, annonça la Grande Prêtresse d'un ton solennel, le visage grave. J'autorise les condamnés à faire leurs adieux et leur accorde cinq minutes.

Les gardes s'écartèrent de sorte à nous laisser libres, Charly et moi.

Je pris Thomas dans mes bras et un frisson me parcourut. Je lui souhaitai tout le bonheur du monde.

— Prend soin de toi ma belle, me répondit-il.

J'hochai la tête, incapable de répondre.

Ethel se rua sur moi et dans un triste écho aux quelques instants où nous avions explosé de rire un peu plus tôt, nous fondîmes en larmes dans les bras l'une de l'autre.

— Tu veux pas venir avec moi ? lui murmurai-je d'une manière que j'espérais audible.

— Tellement... me répondit-elle en secouant la tête. Sois courageuse mon adorable sorcière sarcastique, termina-t-elle en esquissant un sourire que je lui rendis du mieux que je pus.

Je fis mes adieux au maître et à Feuille dans un hochement de tête, à défaut de pouvoir faire mieux.

Je me détournai des sorciers et me plaçai face au rideau de liane, attendant que le reste des cinq minutes s'écoulent quand la voix que je désespérais d'entendre retentit :

— On dit pas au revoir à son partenaire garde ?

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*dernière mise à jour : 20/10/18*

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