✨Chapitre 34 - D'une épitaphe et d'indifférence
Charly s'écroula par terre, inconscient. À sa place j'en aurais probablement fais autant, vu mon propre état en tant que simple spectatrice...
Dans le public, les Transferts furent secoués d'un frisson d'horreur mais les Innés présents se mirent à bavarder et commenter les évènements avec enthousiasme, pas plus ébranlés que cela par l'annonce d'une mise à mort. Certains allaient donner une tape amicale sur les épaules voutées des parents endeuillés. D'autres, se levaient même de leurs places, prêts à reprendre leur train-train habituel. Quelques « Trifoïs ablas catrum » résonnèrent dans la salle, Ethel fondit en larmes.
Mon hypothèse selon laquelle Charly était tout sauf coupable faisait bouillonner mon cerveau. Et après ce que je lui avais fait subir... je lui devais bien ça. Je ne pouvais pas les laisser tuer un innocent. Je ne pouvais pas—
— Arrêtez ! criai-je en me levant. Arrêtez tout !
Tous les regards convergèrent vers moi. Un affreux silence s'abattit sur l'assemblée.
Mais qu'est-ce que je fais ?!
— Charly n'est pas coupable ! Charly est innocent ! Ne le tuez pas ! terminai-je, ma voix se brisant sur la dernière phrase, submergée par l'émotion et l'effroi.
Le sorcier qui avait annoncé la sentence se leva et redressa suffisamment la tête pour ancrer ses yeux rouges dans les miens. Comme il venait de le faire à peine une minute plus tôt. Un frisson me parcourut. Je reçus comme une décharge électrique dans la poitrine et des mots résonnèrent dans ma tête :
« Rassied-toi. Immédiatement. »
Le sorcier s'était insinué dans ma tête ! J'eus un haut-le-cœur et titubai en arrière, épouvantée. Je percutai le banc et retombai dessus dans un bruit sourd. Tous les yeux étaient toujours braqués sur la scène qui se déroulait devant eux. Je tremblais de la tête aux pieds. Et j'avais mal à l'endroit où j'avais ressenti la décharge.
« Excuse-toi », continua le sorcier. « Répète ces mots : Je me suis emportée à cause de l'émotion mais je reconnais Charly comme étant le coupable. Je vous prie, Vos Excellences les Juges, Votre Grandeur la Grande Prêtresse, les dieux du Soleil, de la Lune et du Néant de bien vouloir m'accorder votre clémence et votre pardon. »
Il continuait de me donner des ordres. Comme ? Attendez... comme le jour de mon Évaluation ! C'était la même voix que le jour de mon Évaluation, sauf que cette fois-ci, elle était dans ma tête... Fantastique.
Je faisais un vrai bras de fer mental pour éviter d'exécuter l'ordre du sorcier. Les mots faillirent franchirent mes lèvres quand je reçus une bouffée d'adrénaline – et de chaleur par la même occasion – qui m'octroya la force de repousser les paroles que l'on attendait de moi.
Victoire.
— Non, répondis-je calmement à voix haute, entêtée comme jamais. Je suis sûre de moi. Charly. N'est. Pas. Coupable.
Je l'aurais bien dit en sircien pour enfoncer le clou mais je n'avais pas la moindre idée de la traduction. Pour tout de même prouver ma détermination, je me relevai et défiai le sorcier du regard.
Mauvaise idée. Je ressentis immédiatement en retour comme un grand poids contre mon buste qui me tirait vers l'arrière. Il utilisait ses pouvoirs contre moi ! J'avais là la preuve criante que les Innés adaptaient leurs propres règles selon leur bon vouloir... s'ils les appliquaient du tout d'ailleurs.
Mais ce n'était pas une créature en lévitation aux yeux perçants qui allait ébranler la conviction profonde qui m'animait. Je savais que je me battais pour quelque chose de juste. Etau passage on paye nosdettes, me murmura la petite voix dans ma tête.
— Charly est innocent ! clamai-je à nouveau. Il est somnambule alors... il est sûrement vrai qu'il marchait dans les couloirs hier... après le selxis...
Tout en parlant – la pression que le sorcier exerçait sur moi s'étant miraculeusement assouplie – je sortis de ma rangée et m'avançai vers les sorciers... et Charly. J'avais une idée derrière la tête et il fallait que je la valide.
— Vous avez dit que les otuples avaient reporté des bruits de pas : c'est Charly qui marchait. Des sons de voix ? Il devait parler dans son sommeil. Un bruit de chute ? Regardez ça, dis-je.
Je m'étais accroupie à côté du garçon qui n'avait toujours pas repris connaissance. Après avoir jeté un œil à son visage – une veine battait contre sa tempe, j'étais soulagée – je remontai la jambe droite de son pantalon jusqu'à découvrir son genou. Il était couvert d'un beau bleu violet et vert et d'égratignures qui cicatrisaient à peine.
— Le bruit de chute, repris-je en relevant la tête pour être audible de l'assistance et du croissant de sorciers, venait de Charly. Il a dû tomber à cause du sol inégal des souterrains. En aucun cas, il a fait du mal à quelqu'un.
Personne ne dit rien, ou plutôt, tout le monde retenait son souffle. Je remarquai que la Grande Prêtresse affichait un demi-sourire triomphant et semblait amusée de la situation. Le sorcier qui avait insinué sa voix dans ma tête prit la parole de sa voix profonde et mélodieuse.
— Jeune Transfert, tu as essayé de défendre le coupable.
Je me relevai, le cœur battant à rompre et reculai de quelques pas, soudain réalisant ma proximité effrayante avec le sorcier.
— Dans ce cas, nous nous voyons obligés de réviser notre jugement et te déclarer complice du meurtrier.
Un murmure d'horreur parcourut l'assistance qui, au passage, n'était plus du tout sur le point de retrouver son train-train habituel mais avide de ce qui se jouait devant elle. Je cherchai du regard ceux que je connaissais. Ethel avait sa main sur la bouche, Thomas paraissait abasourdi et... dégouté ? Lumia fronçait les sourcils, Zed était impassible. Je me sentis blessée. J'avais compris son histoire du « désolé je nous croyais invincible mais en fait non donc toi et moi c'est fini, si un jour ça avait commencé » mais ne pouvait-il tout de même pas afficher un semblant de soutien, histoire de remonter dans mon estime ? Non, connaissant Zed, il prenait sa résolution très au sérieux... Il fallait qu'il soit irréprochable aux yeux de son père et montrer ses sentiments ne devait pas faire partie des qualités requises obtenir ce titre. Sauf qu'un encouragement de sa part à ce moment-là, même infime, m'aurait été d'une grande aide.
— Attendez, coupai-je le sorcier, en reportant mon attention sur celui-ci. Vous ne pourriez pas utiliser vos supers pouvoirs magiques pour comprendre ce qui s'est réellement passé ?
— Oserais-tu remettre en question l'avis des Juges, la sentence du Conseil, la décision des dieux ? me demanda le sorcier d'une voix qui ne laissait pas de place à une réponse.
Je secouai la tête. « Je crois bien que si» entendis-je raisonner dans ma tête. Je frissonnai. Et me mis à pleurer. Comment avais-je eu l'audace et la bêtise de dire des choses pareilles ??
« Parce que tu n'es qu'une insignifiante Transfert bornée, comme vous l'êtes tous », résonna la voix du sorcier de nouveau dans ma tête.
— Non, non...
Je secouai la tête à la fois pour nier et faire sortir cet horrible bonhomme de ma conscience. Je me laissai tomber à genou à côté de Charly.
— Il n'est pas coupable... Je ne suis pas complice... hâchai-je entre mes sanglots effrayés. J'essaye de vous montrer la vérité... Je ne vous défie pas... Je veux ce qui est juste...
— Jeune Transfert, reprit le sorcier, devant cet affront et cette remise en cause de l'autorité suprême, nous nous voyons dans l'obligation de te condamner au même sort que celui qui gît à côté de toi de manière si peu esthétique.
Les sorciers du croissant hochaient tous la tête avec vigueur.
Je fermai les yeux. Un cri déchira le silence pesant qui était tombé sur la salle. C'était la voix d'Ethel, mais je n'avais ni la force, ni le courage de chercher ses yeux du regard. Qu'est-ce que je venais de faire... La fièvre de la soif de justice était retombée. La réalité de la situation me tombait dessus en bloc. J'étais condamnée à mort. Rien que ça... J'allais être brûlée. Brûlée vive. Dans un bûcher devant lequel Lumia rirait et Zed baillerait. De la bile remonta dans ma gorge. Qu'avais-je donc fais de ma vie ? J'y tenais si peu que ça ? Et pour quoi ? Défendre en vain un innocent et inconnu ? Sous prétexte que je lui avais fait une mauvaise blague pendant quinze insignifiantes minutes de sa courte vie ? Bravo, c'était grandiose, splendide May !
C'est à ce moment-là que Soleil Levant intervint.
— Merci Fergal, adressa-t-elle au sorcier qui avait fait irruption dans ma tête et énoncé ma condamnation. La sentence est tout ce qu'il y a de plus juste et les dieux approuvent le sort réservé à ces jeunes criminels, continua-t-elle d'une voix douce en se levant de son siège et en s'avançant vers nous. Nous en avons attrapé deux pour le prix d'un... Les dieux sont en notre faveur cette année. Mais... je crois avoir mieux pour nos chers amis.
Elle nous regarda négligemment de toute sa hauteur. C'est sûr que je ne devais pas payer de mine, à genoux au sol, le visage maculé de larmes en train de me demander s'il ne valait pas mieux que je trouve un moyen de mettre fin à mes jours tout de suite.
— Il me semble, continua la Grande Prêtresse, qu'ils prendraient mieux conscience de leurs actes s'ils devaient affronter un châtiment plus long, qui leur laisse le temps de méditer sur leur condition...
J'étais au bord l'évanouissement. J'agonisais déjà. Avec un peu de chance je serais morte de peur avant de mourir brûlée. C'était cela. Il fallait que je meure de peur. Ce serait parfait. J'aurais droit à un bel écriteau où l'on pourrait lire : « Ci-gît May, victime de sa propre peur et de son incapacité à réfléchir avant d'agir. » Mais y avait-il au moins un cimetière au C.I.S.I. ? Des enterrements ? Et même si la réponse était positive, il y avait de grandes chances pour que les criminels n'y aient pas droit et les criminels Transferts encore moins...
Quand Soleil Levant parlait « d'affronter un châtiment plus long » cela voulait-il dire qu'ils pratiquaient la torture au C.I.S.I. ? Zed n'y avait jamais fait allusion. Oh et puis j'oubliais tout ce que Zed m'avait dit, mes pensées s'emmêlaient comme des fils d'écouteurs et je n'arrivais plus à aligner deux pensées cohérentes. C'est pour ça que je préférais les casques d'ailleurs. Le sorcier regarda la Grande Prêtresse avec un petit sourire, en plissant les yeux.
— Seriez-vous en train d'insinuer que nous pourrions bannir ces criminels, Votre Grandeur ? lui demanda-t-il, d'un ton grave mais espiègle.
Mon cœur fit un bond, puis manqua un battement que je rattrapai en prenant une soudaine et grande inspiration. Je devais ressembler à une folle. Je n'en avais rien à faire.
— Oui... susurra Soleil Levant en hochant la tête avec une lenteur démesurée.
Peut-être que la création de mon épitaphe pourrait attendre finalement.
— Alors bannissons-les ! s'extasia le dénommé Fergal dans un sourire adressé à la Grande Prêtresse.
La Grande Prêtresse acquiesça de nouveau. C'était officiel, il pouvait attendre. Quel soulagement.
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*dernière mise à jour : 14/10/18*
Ouah... Ceci était un chapitre coriace... alors j'attends vos réactions !
Merci du fond du cœur pour vos lectures, vos votes et vos commentaires, votre soutient m'est très précieux ! <3
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