✨Chapitre 33 - De courage et de mort

Charly entra par une autre porte que celle que nous avions empruntée. À chaque fois qu'il posait son pied droit par terre, il grimaçait. Lui avaient-ils fait du mal ? Le garçon se plaça au centre du croissant de sorciers, debout. Il n'avait même pas droit à une chaise.

L'un des sorciers du croissant se leva et prit la parole. Comme si nous avions la moindre chance de l'oublier, il rappela ce pour quoi nous étions là : juger le coupable du meurtre de Saundra, jeune Innée de neuf ans.

Je fronçai les sourcils. L'âge de l'Innée renforçait mon sentiment que Charly n'avait pas pu atteindre à sa vie de manière volontaire.

Que s'était-il donc passé ?

Je repensai au jour où Spoty avait utilisé ses pouvoirs au dortoir et où je m'étais transformée. Charly avait pu être victime d'une apparition similaire de ses pouvoirs sauf que dans son cas, ils se seraient carrément manifestés avec une puissance suffisante pour enlever la vie de quelqu'un ! Mais ça ne tenait toujours pas debout. J'en étais persuadée.

Le sorcier continua son monologue, présenta les parents de la défunte qui se trouvaient assis à l'écart de l'assistance et les messagers, les sorciers responsables de l'interprétation des données recueillies par les otuples qui avaient été témoins du meurtre. Il avança ensuite que le « meurtrier » avait déjà commis des actes similaires dans le « triste monde dont il provenait ».

— Le coupable est connu pour avoir dans son passé, dérobé de la monnaie et des objets d'une certaine valeur, expliqua le sorcier dont on ne voyait que la bouche s'articuler pour prononcer ces paroles improbables.

Je jetai un œil vers le pauvre Charly, seul, sans personne pour le défendre. Lui, voleur ? Il avait le regard d'un animal pris au piège, oui... C'était insoutenable. Il était bien courageux d'affronter autant d'accusations et de regards inquisiteurs sans personne pour le soutenir. La compassion et le sentiment d'impuissance que je ressentais à ce moment étaient étouffants. Le Juge annonça alors qu'il avait une chance d'expliquer ses actes. Après quelques hésitations, il se lança :

— A-avec m-mon frère, commença-t-il, on, on allait tous les étés chez notre tante à la campagne et elle avait des... heu, des problèmes de mémoire on va dire.

Il déglutit.

— Elle perdait toujours des choses ! Alors un jour, mes grands frères m'ont défié de lui piquer tout ce qu'elle perdrait dans la journée. Et je devais leur rapporter ce que je trouvais. Et moi je voulais leur montrer que j'en étais capable, que j'étais plus un bébé. Je croyais qu'après ça ils me laisseraient jouer avec eux ! Du coup, j'lui ai pris des sous, des bijoux et heu... son magazine.

Le garçon fit une pause, la sueur perlait sur son visage.

— Mais c'est pas un crime, reprit-il, parce que le lendemain je lui ai tout rendu, sans qu'elle s'en rende compte en plus ! C'était un jeu, c'est tout. Mais... interrogea-t-il les sorciers en se tournant vers eux, c-comment vous pouvez savoir tout­­—

— C'est nous qui posons les questions, le coupa le seul sorcier qui avait parlé depuis le début de l'audience.

Charly se mordit la lèvre. J'étais frustrée pour lui. Le juge ne manquait pas de montrer qui avait la main sur le procès. Mais c'était stupide. Charly était trop jeune pour ça, quelque chose clochait, je ne savais pas quoi.  Je me tournai alors vers Lumia, une idée m'ayant soudainement frappée :

— Les Innés n'auraient pas la capacité de voir ce qui se passe chez les humains par hasard ? faisant ainsi référence au fait qu'elle savait des choses sur mon passé qu'il était impossible de lire sur mon visage.

Elle me regarda en biais avec un sourire en coin – ce devait être de famille – et des yeux pétillants.

— Ma belle, me répondit-elle à mi-voix, seuls les Innés du Conseil ont accès à ce genre d'informations... Comme moi, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.

Ok, ça expliquait des choses.

Je reportai mon attention sur la scène se déroulant sous mes yeux et fronçai les sourcils alors qu'ayant encore parlementé pendant que je n'étais plus attentive, le sorcier se rassit et un murmure parcourut tout le croissant. Les sorciers se chuchotaient des informations les uns aux autres.

Voilà ce qui en émergea après un instant de bourdonnement :

— Hier soir, peu après le selxis, Saundra, neuf ans, a été apostrophée par Charly, douze ans, alors qu'elle rentrait chez elle.

Tous les sorciers parlaient ensemble, d'une seule voix plate, dépourvue d'émotion. Elle n'était pas forte mais avait l'air toute proche de moi. En fait, elle semblait être partout.

C'était un tantinet angoissant.

— Les otuples nous ont rapporté tous les sons de la scène. Le Transfert a menacé Saundra pour une raison trouble, continuèrent-il, et prit d'un élan de sauvagerie propre à certains Transferts qui supportent mal le changement de monde, il s'est servi de ses pouvoirs et l'a tuée. Saundra, en digne sorcière du palais, ne s'est pas défendue car elle savait qu'il est formellement interdit d'avoir recourt à ses pouvoirs dans les souterrains de la communauté et que jamais, elle n'aurait osé enfreindre les règles divines qui garantissent la sécurité de tous dans le palais. Ce qui devrait être l'attitude de tous ici. Le rapport des Otuples nous montre avec une clarté limpide des bruits de pas d'abord, puis des menaces émanant de la voix d'un jeune garçon, suivies d'un cri, d'un bruit de chute, un silence et enfin, des bruits de pas précipités. Ceux-ci sont les faits. Purs et simples.

Ils se turent. Charly secoua la tête, ses yeux grands comme des soucoupes, puis fronça les sourcils. Un autre sorcier prit la parole :

— Nous demandons au coupable s'il reconnaît les faits.

Charly ne répondit pas tout de suite.

Un deuxième sorcier réitéra sa question, puis un troisième. Dans d'autres circonstances j'aurais pu penser qu'ils s'amusaient à faire un canon de leur voix étonnamment mélodieuses. Mais pas dans celles-ci. Enfin, j'espérais très fort qu'ils ne s'amusaient pas dans une telle situation...

Enfin, Charly s'exprima d'une voix rauque :

— Non... Non, je n'ai pas fait ça. Je n'ai jamais fait ça ! Hier, je suis allé me coucher longtemps avant le selxis, dans mon dortoir. Tout le monde le sait.

Il jeta un regard inquiet du côté des bancs où se trouvaient ses camarades de dortoir.

— Après... j'ai dormi. Et ce matin j'étais dans une minuscule salle toute noire où ça sentait mauvais et où—

— Ça suffit, le coupa sèchement le sorcier. Nous en avons assez entendu. Si le coupable ne souhaite pas reconnaître les faits, nous le faisons pour lui. Le coupable est un lâche. Par sa faute, le C.I.S.I. a perdu une fidèle sorcière d'une famille qui a toujours œuvré pour le bien de la communauté. Le palais tient à lui adresser sa gratitude la plus puissante ainsi que son soutien le plus sincère pour traverser avec sagesse la dure épreuve que les dieux lui ont ainsi soumise. Saundra fait aujourd'hui figure de martyre et dès aujourd'hui, sa vie pieuse devra servir d'exemple à tous. Saundra, thesna a Dorur i erghrer*, trifoïs ablas catrum. 

Il y eut une pause, puis le même sorcier reprit :

— Tout sujet de la Grande Prêtresse le sait, il n'y a de plus grand crime que celui-ci que d'attenter à la vie, de faire triompher le Mal sur le Bien, de se laisser tenter par le Néant et refuser la lumière du Soleil. En conséquence, ce Transfert devra être puni de la plus puissante manière qui soit.

Puis je sursautai lorsqu'une lumière bleue jaillit du croissant et enveloppa les sorciers.

— T'inquiète pas ma chérie, me rassura Lumia en mettant sa main sur ma cuisse. Les juges ne font que délibérer. Ça peut prendre un moment mais là, les preuves sont tellement flagrantes qu'on peut déjà allumer le bûcher.

Elle explosa de rire à sa déclaration. Effarée, j'ouvris grand les yeux et me décalai tant que je pouvais pour m'écarter de cette folle d'Innée.

— Ne prend pas peur May, susurra-t-elle en me fixant de ses yeux perçants. Ce qui doit arriver arrivera. Les coupables doivent être punis. On ne peut rien contre ça pas vrai ? me demanda-t-elle, attendant que je la conforte dans son idée.

Rêve toujours ma poule. Je secouai la tête sans lui répondre.

J'avais peur de la décision qu'allaient prendre les juges. Mes mains transpiraient et j'avais désespérément besoin de m'étirer. Mais surtout, avec les faits que venaient de donner Charly et les sorciers, une pensée fit resurgir l'espoir dans mon cœur. Quelque chose qui m'avait échappé mais qui me revenait à ce moment avec une force déstabilisante : Charly était somnambule. Je ne savais plus comment j'avais appris cela mais j'étais sûre de moi comme je ne l'avais jamais été. 

Je cherchai Ethel des yeux. Elle était assise une rangée devant moi, décalée de quelques personnes sur ma droite. Je lui tapotai l'épaule et lui chuchotai ce dont je venais de me souvenir. Elle fronça les sourcils et me demanda :

— Tu insinues que Charly aurait commis... ça pendant qu'il était somnambule ?

— Mais non, regarde sa tête, il n'est pas coupable ! C'est absurde ! Et même dans son sommeil, il n'aurait pas pu. Saundra aurait dû pouvoir se défendre...

Des curieux qui m'entendaient avaient tourné leur tête dans ma direction, Lumia quant à elle semblait sourde tout à coup. Et muette avec ça, puisqu'elle fixait les juges sans faire une seule remarque, ce qui était très inhabituel chez elle. Mais j'avais toujours du mal à cerner cette fille de toute manière. Et j'avais d'autres problèmes que son étrange comportement sur le moment. 

— Tu as vu comme Charly est gringalet ? continuai-je. Il suffit de le toucher du doigt pour le faire vaciller... Jamais il aurait pu faire une chose pareille !

Mon amie hocha la tête. Je rougis en pensant à la facilité déconcertante avec laquelle je m'étais servie du garçon comme d'un pantin. J'avais honte. Tellement honte. Mais personne en dehors des témoins très restreint de la scène ne devraient jamais le savoir.

— J'ai tellement peur de ce qui va se passer... me murmura Ethel.

J'hochai la tête, les larmes aux yeux et lui prit sa main pour la serrer dans la mienne, histoire de nous donner la force d'assister à la fin du procès pour le moins singulier.

La lumière bleue augmenta en intensité. Elle vira au jaune, puis au blanc et enfin s'évapora. Pendant tout le temps de la délibération, Charly avait fixé le croissant sans ciller et s'était mis à trembler de peur. La situation était insupportable.

— Les Juges ont décidés que devant les faits, nous ne pouvons que procéder à l'élimination de la vie qui anime le coupable, annonça le sorcier sans émotions.

Espèces de sorciers sans cœurs. Pires que des animaux, des vrais monstres !

— Le bûcher sera prêt demain à l'émergence des otuples, termina-t-il en portant pour la première fois son regard sur l'assemblée de spectateurs qu'il arrêta sur... moi.

J'avais l'impression que ses yeux rouges me transperçaient comme des lasers et lisaient tout ce qui devait rester caché aux yeux de tous. Au bout de secondes interminables, il changea de victime et mon cerveau digéra l'information qu'il venait de recevoir. Non, il essaya de la digérer.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce que ça v-veut dire ? demandai-je en bégayant à Lumia.

— Qu'il sera brûlé, tôt, demain matin, me répondit-elle avec un regard compatissant dont je ne la croyais pas capable.

— Je... rêve... hyperventilai-je.

*puissent les étoiles te guider jusqu'au Soleil (sircien)
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*dernière mise à jour : 14/10/18*

Bien l'bonjour chers lecteurs !
Sachez que contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, je me suis vraiment amusée à écrire ce chapitre. Qu'en avez-vous pensé ?
Faites-moi part de vos impressions, c'est super enrichissant ! :)

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