✨Chapitre 30 - De fard à paupières vert sapin et d'ivresse

« L'heure des cadeaux » pour reprendre l'expression d'Ethel, arriva. J'avais passé le reste de l'après-midi à dormir comme me l'avait prescrit Thomas. Le sommeil m'avait fait un grand bien, je me sentais prête à affronter le dîner.

La soirée s'avançant, je m'étais levée pour m'occuper de mes cadeaux que j'avais enveloppés dans une écharpe, le C.I.S.I. – aussi évolué soit-il – ne connaissant pas le papier cadeau. Je tenais mon « paquet » sous un bras, conversant avec mes amis excités, et attendais qu'ils aient terminé de se préparer. Enfin, c'était surtout Ethel que l'on attendait.

— J'attends ce moment depuis tellement longtemps ! s'exclama-t-elle pour la centième fois de l'heure.

En fait, j'aurais dû lui offrir un perchoir et pas des fusains. C'était un vrai perroquet. Elle jacassait dans tous les sens, se rajoutant des barrettes, en enlevant, empruntant par-ci par-là aux autres filles du dortoir de l'ombre à paupières, une bague ou encore des paillettes, ces dernières pour un usage qui m'était plutôt incompréhensible.

— Bah c'est pour nous faire briller ! m'éclaira-t-elle avec un clin d'œil.

Je secouais la tête d'un air feignant le désespoir.

— Bon, t'es prête ? T'es celle qui attend ce moment avec le plus d'impatience mais t'es en train de tous nous mettre en retard... râlai-je. 

— J'arrive ! Je suis prête, je suis prête, répéta-t-elle en replaçant pour la millième fois l'une de ses barrettes qui tenaient ses cheveux de manière disciplinée sur sa tête, ses longueurs argentées prisonnières de deux petits chignons que je ne lui avais jamais vus mais qui lui allaient à merveille.

Son cou était orné d'un collier de sa fabrication, rouge et vert,  pour ne pas oublier les couleurs de Noël. Au cas où elles lui échapperaient. Elle portait un pull à col roulé rouge et une jupe marron qu'elle avait dénichés je-ne-sais-où. Malgré cet accoutrement pour le moins singulier, elle dégageait un charme certain. Ce devait être grâce à ses barrettes. Ou au fard à paupières vert sapin, allez savoir.

Thomas en revanche avait fait plus sobre, arborant un pantalon noir et une chemise rouge, uniquement parce qu'il avait été contraint de céder devant les supplications de notre amie. Elle avait argumenté que tous les sorciers tomberaient sous son charme et il avait levé les yeux au ciel.  

Quant à moi, originale, je portais ma seule et unique robe. Ethel m'avait prêté des anneaux argentés qu'elle avait confectionnés en entortillant plusieurs fils métalliques qui pendaient tous fiers à mes oreilles. Assortis à ma robe, le résultat était réussi parce qu'on aurait dit qu'ils avaient été faits pour aller avec. Ainsi, les cheveux remontés en une queue de cheval qui couvrait une bonne partie de mon dos – ce qu'ils étaient lourds d'ailleurs ! – et rehaussée sur mes bottines à talons, j'observais le monde d'un angle neuf et décontracté.

La barrette avait finalement trouvé sa place définitive, nous allions pouvoir décoller. Bras dessus, bras dessous nous nous joignîmes aux autres Transferts du couloir qui se rendaient à la salle de rassemblement, chargeant l'air d'anecdotes amusantes et d'éclats de rire.

Tous étaient accompagnés de boîtes ou d'objets qu'ils s'apprêtaient à offrir. Certains, pour s'amuser, s'étaient transformés et les faisaient léviter. C'était leur problème s'ils se faisaient prendre.

L'ambiance était à son paroxysme dans la salle de rassemblement. À l'entrée, des sorciers – tous des Innés à la surprise générale – nous menaient à notre table attitrée. Je m'inquiétai que nous soyons séparés et cela ne manqua pas. Thomas fut attitré à quelques tables d'Ethel et moi, mais à mon grand étonnement, les tables mélangeaient Transferts et Innés.

— J'avais dit qu'on se retrouverait n'est-ce pas ? m'interpela la voix de Zed, trop reconnaissable, qui me fit sourire.

— T'es à cette table aussi ? demandai-je d'un air ahuri en me tournant si vite vers l'intéressé que je faillis en perdre l'équilibre, mais mon sourire ne perdit en rien de son éclat ni de sa franchise.

— C'est moi ou t'as l'air heureuse de me voir ? me répondit Zed flanqué de son immanquable sourire en coin.

Je faillis lui faire remarquer que dernièrement c'était souvent le cas, mais je comptais le faire mariner un peu.

— C'est parce que l'ambiance des fêtes oblige, répliquai-je en en le regardant de haut.

Enfin, si cela était possible étant donné qu'il devait mesurer presqu'une tête de plus que moi, quoique mes talons m'avantageaient pour ce soir.

— Si tu le dis, répliqua-t-il pas convaincu le moins du monde. Cela vous dérangerait-il si je me m'asseyais à côté de vous ou bien ma médiocrité risquerait de tâcher votre éclat ?  

— Au contraire mon cher, embrayai-je sans me laisser déstabiliser par son compliment, chez nous on dit que les étoiles ne peuvent briller sans obscurité. Vous serez l'obscurité et je serai l'étoile.

J'accompagnai le tout d'un sourire jusqu'aux oreilles.

— Eh bien... je ne savais vos chevilles si enflées, Princesse.

— Je moque de mes chevilles étant donné que mon unique objectif est de rabaisser la médiocrité qui ose m'adresser la parole comme si elle pouvait m'égaler.

Il s'esclaffa. Ethel étouffa aussi un rire. Je me laissai aller à mon tour, incapable de garder mon sérieux une seconde de plus.

— Un point pour toi alors, concéda le garçon en s'asseyant. J'espère que t'as un cadeau pour moi, parce que figure-toi que l'obscurité en un pour l'étoile ! continua-t-il.

— C– Comment ça? m'étranglai-je en prenant aussi place sur mon siège.

Il me dévisagea du coin de l'œil.

— Alors comme ça on ne pense pas à son partenaire Garde ?

— Oh mais je suis tellement désolée ! Je ne savais pas qu'on devait faire des cadeaux à tout le monde. 

— Parce que je suis tout le monde ? demanda mon voisin de table, un sourcil haussé.

Évidemment que non, patate.

— Sérieusement Zed, bien sûr que non, tu es mon équipierde Garde, le taquinai-je.

Friendzonebonjooour, intervint Ethel en se bidonnant. 

— C'est bien ce que je me disais, soupira Zed. Je vais donc continuer ma dix-septième année de célibat en silence.

Ethel et moi échangeâmes un regard. On n'avait pas besoin de mots pour nous comprendre. 

— T'es pas sérieux quand même ? m'exclamai-je. Oh mon pauvre Zed ! compatis-je en secouant la tête. La vie doit être terriblement difficile. Vous savez quoi, déclarai-je à mes deux amis, la prochaine fois qu'on va au temple, je prierai pour la vie sentimentale de Zed. Ce sera toujours plus utile que de prier des figures divines factices.

Ethel pouffa.

— May, me réprimanda le sorcier en secouant la tête, arrête de dire n'importe quoi.

Mais il ne put s'empêcher de se fendre d'un sourire tandis que j'affichais une mine toute innocente. J'eus soudain une irrépressible envie de supprimer les centimètres qui nous séparaient. Sauf que je n'allais pas l'embrasser là, dans la salle de rassemblement, devant tous les sorciers. Malgré leur ouverture d'esprit, ils étaient plutôt discrets en cette matière. Et de toute façon, je n'aurais jamais eu le courage de le faire. Alors je n'avais qu'à souffrir en silence.

La demi-heure qui suivit se passa dans la même ambiance, Ethel et Zed riant de mes idées farfelues. Puis, toujours la même vint casser l'ambiance mais permit le commencement de « l'heure des cadeaux » et délivra ainsi Ethel de son impatience, qu'elle avait le plus grand mal à contenir – si elle essayait de la contenir d'une manière ou d'une autre.

Soleil Levant débarqua avec toute sa suite et sortit un discours de plus. Nous prononçâmes tous en cœur un « Trifoïs ablas catrum » fiévreux, puis elle rejoignit une table spéciale où se trouvaient les sorciers bizarres qui semblaient ne jamais fouler le sol, revêtus des capes noires difformes.

Je n'arrivais pas à trouver de logique dans mes sentiments. J'avais beau essayer de détester la Grande Prêtresse, les sorciers volants, les Innés et les sorciers autour de moi, je n'y arrivais pas. C'était déroutant. Je nageais dans une béatitude que je n'avais jamais connue. Sauf, peut-être, la fois où lors de la fête d'anniversaire d'Amy je m'étais laissée dériver sur un matelas gonflable dans sa piscine quand la nuit était tombée. Le ciel de cette nuit-là était constellé d'étoiles, la Lune ronde et l'air chaud, c'était on ne peut plus agréable.

Enfin, chacun fut invité à quitter sa place pour offrir ses cadeaux à ceux qui lui étaient chers. Avec Ethel nous rejoignîmes Thomas. Je lui donnai son album photos, un sourire reconnaissant étira ses lèvres, il me prit dans ses bras.

— Merci, me souffla-t-il avant de me donner le sien.

En déballant la petite boîte en carton, je tombai sur un coquetier en porcelaine. Plus étonnée que déçue par ce drôle de cadeau, je pouffai en le regardant.

— Je ne sais pas où tu trouves ton inspiration pour faire des cadeaux mais il est très joli, le remercia-je.

— En fait, en plus des photos, j'avais ce coquetier dans mes mains quand j'ai changé de monde, m'expliqua-t-il. Et comme je sais que t'aimes les vieux trucs je me suis dit que ça pourrait te plaire, parce qu'il ne me sert à rien alors autant qu'il serve s'il le peut... Il appartenait à mon arrière-grand-mère paternelle il me semble.

— Eh bah tu la remercieras pour...

Foudroyée par la stupidité de ce que je venais de sortir, j'abandonnai ma phrase sans prendre la peine de la finir. C'était bien la plus grosse idiotie de tous les temps. Je regardai Thomas d'un air ahuri et il explosa de rire. Soulagée, je ris avec lui.

Nous nous retournâmes en même temps vers Ethel à qui on offrit chacun le cadeau qui lui était destiné. Après nous avoir chaleureusement remerciés avec toute l'effusion dont elle était capable, le sourire déserta son visage pour laisser place à une expression de marbre et une détermination qui contrastaient avec l'Ethel joyeuse qui nous faisait face une seconde plus tôt.

— May, Thomas, prononça celle-ci très solennelle, j'ai un cadeau pour vous deux, même, plutôt pour nous trois. J'ai mis longtemps à le mettre au point, ça me tient particulièrement à cœur, j'espère qu'il nous unira à jamais.

Elle sortit de la poche de sa jupe trois fils tissés et nous en tendit un à chacun.

— Tommy, le tien est bleu parce que tu es apparenté à l'eau, rien de très extravagant en apparence je sais, mais parfois, la plus simple signification revêt une importance plus grande que ce que l'on croit.

Elle le regardait d'un œil brûlant et même si son attitude était surprenante, je savais qu'elle ne plaisantait pas. Nous assistions à une grande démonstration d'Ethelisme.

— Même chose pour toi May, continua-t-elle en déposant dans ma main avec une infinie délicatesse le bracelet dans lequel s'entremêlaient des fils blancs, rouges et argentés.

Je les observai émerveillée. Elle avait un grand talent pour rendre trois bouts de ficelle aussi magnifiques et... curieux.

— Du rouge ? questionnai-je en l'enroulant autour de mon poignet droit pour l'y nouer tandis qu'elle aidait Thomas à mettre le sien.

Une fois ceci fait, elle me répondit après avoir soupiré :

— C'est qu'il y a des choses que je sais qui vous feraient halluciner...

— Et ça explique le rouge sur mon bracelet ? la relançai-je étonnée.

— Oui... souffla-t-elle. Ce n'est qu'un songe comme d'habitude, tu sais bien, mais ces derniers temps, ils sont à chaque fois tellement puissants, présents et forts que je ne peux qu'y croire... chuchota-t-elle.

Elle chassa l'air de sa main.

— Enfin, toujours est-il que je sais que tu es associée à la réunion du rouge et de l'argenté.

— La réunion du rouge et de l'argenté ? Ça  veut dire quoi ça ?

— Je n'en sais pas plus. Le seul problème de mes visions c'est qu'elles sont toujours très vagues.

— Trop vagues ! appuya Thomas. Tu es sûre que tu te souviens de rien d'autre ?

— Et quel est le rapport avec le fait de faire un bracelet de ces trois couleurs ? continuai-je.

— Eh bien, comme je vous l'ai déjà dit, ces bracelets nous unissent et de ce fait, ils nous protègent.

Elle ferma les yeux puis prononça des paroles qui m'hérissèrent le poil :

— La Flore enclenche le raisonnement, l'Onde déchaîne le mouvement et dans un soupir la Foudre tranche en rendant son jugement.

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*dernière mise à jour : 07/10/18*

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