✨Chapitre 28 - De prières et de sens

Je pris le bras d'Ethel et nous couvrîmes le reste du chemin en silence. Pas un silence oppressant. Un silence... religieux.

Le Temple ressemblait beaucoup à un intérieur d'église gothique, sauf qu'il n'y avait ni vitraux ni représentations religieuses qui m'étaient familières mais des fresques, dans le même style que celles de la salle d'astrologie, et des sculptures. Je savais déjà les sorciers peintres, mais sculpteurs... pas encore.

Les œuvres étaient plus raffinées les unes que les autres dans une matière qui pouvait se confondre avec du marbre. J'apprendrais plus tard qu'il s'agissait de bois qui venait d'une forêt très éloignée du C.I.S.I et qui avait cette particularité d'avoir à la fois la même densité que le marbre mais aussi le même aspect. Les sculptures étaient de couleurs diverses : crème, bleues ou rose pâle, quelques-unes noires même. Celles de petite taille reposaient dans les coins ou sur des promontoires, les plus volumineuses étaient incrustées dans les murs du Temple ou dans ses colonnes qui remplissaient l'espace de manière désordonnée. Dès que je posai un pied à l'intérieur, j'eus le souffle coupé par tant de grâce et de finesse. Il fallait admettre que les sorciers avaient du goût.

Spoty qui avait vu mon ébahissement – entendez par là qu'il était tout content de trouver quelqu'un appréciant la beauté des lieux – s'avança vers moi et entreprit de me délivrer tout son savoir, car c'était là son plus grand plaisir.

— Cette pièce est la plus ancienne des souterrains, tu sais ? commença-t-il.

Voyant que je ne l'arrêtais pas et que mieux encore, je l'écoutais, il reprit :

— Lorsque le peuple de sorciers qui s'apprêtait à fonder le C.I.S.I arriva dans cette immense plaine, il y a trois cent ans, il vit le soleil pour la première fois depuis des mois et l'interpréta comme un signe des dieux pour qu'il s'y installe. La première chose que les sorciers construisirent alors fut un temple dédié d'abord au Soleil, puis plus tard à la Lune et au Néant pour les remercier de les avoir guider et de leur avoir donner cette terre.

— C'est très intéressant, franchement. Merci Spoty, lui souris-je.

Charly et Stéphane nous avaient rejoints et avaient écouté avec intérêt les explications de Spoty. Ils hochèrent la tête et le remercièrent à leur tour avant de s'éloigner rejoindre leurs amis. J'étais toujours un peu gênée lorsque je me trouvais à proximité de celui que j'avais effrayé, pour ne pas dire torturé. La culpabilité et le remord que j'éprouvais étaient paralysants. Haha quel humour, May.

— Je peux te demander pour qui ou quoi tu vas prier ? demandai-je à Spoty, une fois seuls.

À ces mots, le garçon rougit et je regrettai instantanément mes paroles.

— Je suis désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise... m'excusai-je en bafouillant, honteuse. Je n'aurais pas dû de demander ça, c'est privé...

— Oh non, ne t'inquiète pas ! Tu as le droit de me poser cette question, c'est normal, se reprit-il. Je suis persuadé que nous sommes tous là pour une raison, tu vois ? Et... je vais t'avouer un truc. Mais tu le dis à personne, ok ?

— Heu, oui, bafouillai-je, prise au dépourvu.

— Je vais faire une expérience, reprit-il sur le ton de la confidence, les yeux plissés, l'air tout ce qu'il y avait de plus sérieux.

— Comment ça, une expérience ?

— Je vais faire une demande aux dieux et je vais voir s'ils me répondent. S'ils me répondent, alors je serai sûr que je suis là pour une raison et que ma présence ici va jouer un rôle pour les sorciers, le monde, la vie même !

Les yeux du garçon brillaient et un large sourire illuminait son visage. Il était visiblement très enthousiaste à l'idée de tenter son « expérience ».

— Et sinon ? demandai-je d'une petite voix, comme pour ne pas le brusquer.

Son sourire déserta son visage et il haussa les épaules.

— Sinon, j'en déduirai que tout ce que l'on nous apprend ici n'a pas de sens. Et comme je n'aime pas ce qui n'a pas de sens, je trouverai la formule qui me permettra de rentrer chez moi.

— Il y a une formule pour retourner sur Terre ? m'exclamai-je.

Spoty hocha la tête, l'air grave.

— Les sorciers se gardent bien d'en parler et il parait que le sort est d'une complexité extrême mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter. Parce que ce dont je suis sûr c'est que chez moi ma vie avait un sens, j'avais un but, je servais à quelque chose.

Sa réponse faillit me faire exploser de rire. En surprenant ma tête, il me demanda ce qu'il y avait de si drôle.

— Bah écoute Spoty, je sais pas, y'a des gens ils voudraient peut-être partir d'ici parce qu'ils se sentent discriminés ou parce que leur maison leur manque, mais toi tu veux partir parce que tu ne trouves pas le sens. T'es pas normal, c'est hilarant, ne pus-je m'empêcher de rire.

Spoty sourit à son tour.

— Tu veux que je te confie un autre secret ? me proposa-t-il.

— Pourquoi est-ce que tu me parles de tes secrets, tout d'un coup ?

— Parce qu'il faut être généreux pendant les Fêtes de l'Hommage, ça leur donne un sens.

Décidément, ce garçon avait quelque chose avec la quête du sens.

— Alors tu veux que je te dise ?

J'hochai la tête, trop curieuse malgré moi.

— Chez moi, si je n'avais pas fini chercheur en neurobiologie au CNRS j'aurais fait humoriste. J'adore faire rire les gens. Enfin, surtout leur faire se poser des questions.

— C'est marrant, je ne l'aurais jamais deviné si tu ne me l'avais pas dit. Autant, il y a des gens pour qui ça se lit sur leur visage ce qu'ils vont faire plus tard, autant toi...

— Tu vois ? me fit-il remarquer tout fier. Je t'ai fait rire et là tu te poses des questions. C'est mon charme... Mais ne parle à personne de ce que je t'ai dit, hein, il ne faudrait pas que les gens sachent qu'il se cache plus qu'un intello à la tête qui s'illumine derrière mes lunettes et mes horribles tâches de rousseur, ok ?

— Ça marche, rigolai-je, agréablement surprise par la tournure de notre conversation.

— Et toi ? me demanda-t-il à son tour. Qu'est-ce que tu aimerais ?

— Être heureuse ? En sécurité ? Je crois que tant que je ne suis pas sûre du futur, je ne peux pas relâcher la pression et je suis constamment en train de me tourmenter pour savoir ce que je vais devenir... et ce que va devenir tout ce qui nous entoure. Il y a encore des jours où je me réveille en espérant que tout ça n'était qu'un rêve. Un rêve un peu perturbant je t'avouerais, ris-je nerveusement.

— Je vois, je te comprends, me répondit Spoty, tu cherches aussi le sens. Mais si on l'écarte, tu n'as pas à être incertaine par rapport à l'avenir parce qu'il est plus certain que celui que tu aurais eu chez les humains en fait. Ici, une fois passée ton Évaluation, tu suis l'Enseignement, puis tu accomplis ta mission qui confirme ton statut et enfin on te donne une fonction. Il n'y a pas de chômage ni de précarité au C.I.S.I. Tout le monde partage parce que tout le monde collabore. Et à côté de ça, tu rencontres d'autres sorciers, tu fondes une famille et tu es heureux. Que demander de plus ?

— Que demander de plus, hein, répétai-je, laissée amer par cette tirade.

Zed, me souffla une petite voix. D'où sortait-elle celle-là ? Perturbée, je m'empressai de chasser cette pensée. Étais-je jalouse de Zed ? Absolument, me souffla la petite voix. Il a une famille, des amis, un entourage stable et des repères... Comme dirait Ethel, il a tout pour lui... et toi t'as plus rien !

Ce n'était pas vrai ! J'avais Ethel et Thomas. Et je pouvais compter sur Feuille d'Automne et Maître Gorigann si j'en avais besoin, ils me l'avaient dit. Et puis je venais de découvrir que Spoty pouvait se révéler un vrai confident. Mais comme je tournais parano, j'avais de plus en plus de mal à croire ce que l'on me disait.

— Bon, tu me diras ce qu'aura donné ton expérience hein ! lui lançai-je pour clôturer notre conversation.

— Pas de souci ! me sourit-il avant de se fondre dans le autres sorciers qui occupaient le sanctuaire.

Dans la lumière ténue du Temple je repensai à Amy. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pensé à elle. Elle m'aurait dit de lâcher-prise, j'en suis sûre. De relativiser. De prendre quelques minutes rien que pour moi, pour me recentrer sur mon être, faire le vide des pensées envahissantes, comme elle les appelait et voir les choses sous un autre angle, plus clair, moins confus et anxieux.

Autour de moi, les occupants du Temple agitaient leurs bras dans l'air sacré et se transformaient un à un comme lors de l'annonce du début des fêtes. Ils se mettaient ensuite à genoux leurs bras tendus au ciel, ajoutant aux statues déjà présentes des modèles fluorescents. Ethel était parmi eux. Thomas aussi. Spoty également. Et Zed. Pourquoi fallait-il que même dans cette position ridicule il ait l'air aussi sûr de lui et qu'elle lui aille comme si c'était totalement naturel ?

Je me détournai du sorcier et entrepris de me transformer aussi avec des gestes car il était inutile de compromettre mon avenir radieux comme me l'assurait Spoty, n'est-ce pas ? Une fois les quelques mouvements accomplis et l'entrelacs de lignes sur mes avant-bras apparu, je me laissai tomber à genoux et levai lentement mes bras au ciel. C'était drôle mais je ne trouvais pas cette posture très appropriée à la prière. Si on m'avait parlé de condamnés prêts à subir leur sentence j'aurais compris mais dans notre cas... Les pratiques sorcières n'avaient pas fini de me surprendre.

Je profitai qu'il n'y avait pas de bruit et que personne ne faisait attention à moi pour appliquer les conseils d'Amy. Je me concentrai sur ma respiration, fis le vide de pensées dans ma tête et visualisai l'image fixe d'une bougie vacillante. Après quelques minutes je me sentis déjà apaisée. Je me demandai pourquoi je ne l'avais pas pratiqué plus tôt, ça m'aurait peut-être aidé à chasser le stress qui s'accumulait en moi.

Un bruit me tira de ma méditation. Le groupe de sorciers s'était relevé comme un seul homme. J'ouvris les yeux et les imitai.

Ils se tournèrent tous vers les fresques peintes sur le mur du fond du Temple et entamèrent une litanie que je rejoignis lorsque mon cerveau assimila qu'il s'agissait de la prière que je m'efforçais de rentrer dans ma tête depuis la veille. Ce qui la rendait si difficile à apprendre était le fait qu'elle se trouvait en sircien et que j'avais décidément des problèmes avec la prononciation de cette drôle de langue.

Une fois la prière récitée, les sorciers regagnèrent la sortie non sans prononcer avant de poser un pied à l'extérieur : « Que le Soleil nous entende ! » parce que c'est bien connu, le soleil a des oreilles.

J'entendis un rire dans le couloir.

— Maître Gorigann ! m'exclamai-je en franchissant la porte du Temple.

Face à moi, il s'apprêtait à entrer dans le Temple. Il devait faire partie du prochain groupe.

— Comment va la p'tite Lune ?

Il se faisait un plaisir de me ridiculiser avec un surnom qui aurait pu aller à un enfant de quatre ans.

— Pas trop déstabilisée par nos coutumes ? continua-t-il.

— Non, répondis-je en souriant, heureuse de le voir là, mais la p'tite Lune aimerait bien être appelée par son vrai nom, si ce n'est pas trop demandé, lui retournai-je, faisant mine d'être exaspérée.

Gorigann s'esclaffa, ses yeux se réduisant à deux petites fentes entourées de rides.

— Tu devrais être contente, pas d'entraînements pendant les deux semaines ! reprit le maître. Tu vas profiter de tes amis et on se reverra plus tard, me salua-t-il.

Je lui souhaitai également de passer une agréable journée et un grand sourire creusa les rides de son visage. Il se remit en marche et disparut dans le Temple.

Les matinées des jours suivants se déroulèrent tous de manière équivalente. Il me suffisait d'éviter Zed pour ne pas trop penser à son comportement injustifié et notre visite au Temple se déroulait à merveille. Après tout, s'il voulait me laisser tomber je pouvais très bien aussi jouer à ce jeu-là. On verrait bien qui gagnerait.

Nous nous retrouvions ensuite au réfectoire où nous attendaient des mets tous plus variés les uns que les autres. Et finalement, je me sentais bien, heureuse.

Dans la journée, nous n'avions pas d'obligations alors nous nous amusions dans les dortoirs. Certains jouaient à cache-cache dans les couloirs où à d'autres jeux du même genre. Mais ils impliquaient tous quatre-vingt-dix pourcents de chances de se prendre un gamin de plein fouet au tournant de l'un des souterrains mal-éclairés. D'autres avaient fabriqué des jeux de société dont celui du Loup-garou... Quelle ironie ! Je me demandai comment ils pouvaient différencier la sorcière des villageois, mais c'était leur affaire. Nous échangions avec les Transferts des dortoirs adjacents au nôtre et apprenions à nous connaître. Il y avait des gens sympas. Parfois un peu bornés mais sympas. Tout le monde était très excité à l'idée des réjouissances à venir.

Spoty m'avait apostrophée à la sortie du Temple un matin. Il tirait une tête de trois pieds de long et je pensai instantanément que son expérience n'avait pas dû lui donner le résultat qu'il espérait. Il me le confirma.

— Les dieux ne m'ont pas répondu May. Ma présence ici n'a pas de sens, c'est une erreur.

— Peut-être qu'il faut leur laisser un peu plus de temps, proposai-je.

Mais le garçon était sûr de lui.

— Non, je leur avais demandé de me répondre sous trois jours, ils ne m'ont pas répondu. J'ai pourtant cherché des indices partout, ils ne m'en ont pas donné. Quoique... attends, il y en a peut-être eu un. Lu a encore changé de table quand je suis arrivé au réfectoire hier pour s'éloigner de moi. Ce devait être ça la réponse des dieux. Une réponse négative ! Je n'y avais pas pensé ! Ça voulait dire « non mon petit, ta présence ici n'a pas de sens, tu ne sers à rien ici, retourne d'où tu viens ».

Son monologue m'avait à la fois amusée et inquiétée. C'était sûrement le fameux « charme » de Spoty...

— C'est un peu tordu d'analyser le comportement hautain et malpoli d'une pimbêche comme un signe des dieux... Mais libre à toi de t'en faire l'idée que tu veux, tentai-je de le raisonner.

— Tu plaisantes May ! Lumia c'est l'amour de ma vie, ok ? C'est juste qu'elle le sait pas encore. Enfin... je parle comme si elle allait avoir le temps de s'en rendre compte mais je suis résolu à retourner d'où je viens parce que ma vie ici n'a pas de sens.

— Attends, il y a une faille dans ton raisonnement, l'arrêtai-je. Tu dis que ta vie ici n'a pas de sens mais si tu es persuadé à ce point que Lu est l'amour de ta vie – même si j'ai du mal à prononcer ces mots tellement c'est horrible – et bien peut-être que le but de ta présence ici c'est justement de lui plaire et peut-être, sait-on jamais, de faire d'elle une personne meilleure... C'est pas que j'ai envie de te faire rester ici parce que je suis la première à vouloir partir, mais je reste persuadée que tu tires tes conclusions bien vite pour quelqu'un qui s'amuse à jouer avec son apparence...

Le garçon planta ses yeux bleus dans les miens, les sourcils froncés, en profonde réflexion.

— Tu as raison, trancha-t-il enfin. Je vais patienter, je vais persévérer. Après tout ce sont des qualités que les neurobiologistes doivent avoir. Merci pour tes conseils May, à plus !

Sur ce il tourna les talons. Je souris. Il m'épatait.

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*dernière mise à jour : 29/09/18*

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