✨Chapitre 26 - De neige et de cadeaux

Une année s'était écoulée et une autre la remplaça mais quelque chose permit la transition : les fêtes. Qu'aurais-je donné pour pouvoir les passer avec ma famille et mes amis... Le point positif était que le temps s'était de nouveau rafraichi et la plaine arborait un épais manteau neigeux qui me donnait envie de sauter dedans. Ceci faisait que j'embêtais Ethel tous les matins en la sortant du lit plus tôt que nécessaire pour pouvoir observer le paysage depuis le dôme de verre avant d'aller en cours. Lorsque je ne parvenais pas à la tirer de ses couvertures ? Eh bien nous arrivions en retard, ce qui nous valait le regard liquéfiant de Madame Kletter. Mais le jeu en valait la chandelle.

J'aimais d'autant plus admirer le paysage enneigé que lors de mes sorties avec Gorigann et Zed nous n'allions que dans la forêt dorée. Elle s'était couverte d'une bonne épaisseur de poussière pailletée la faisant encore plus étinceler – si quelque chose de tel est possible – mais ne contenait nulle trace neige.

Et bien entendu, il faisait un froid de canard. Cela n'avait aucun effet sur le maître qui tenait à ce que nous poursuivions les entraînements comme lorsqu'il faisait chaud et c'était bien plus fatiguant. Cependant, je progressais. Les enchaînements s'organisaient mieux dans mon esprit et j'en maîtrisais à peu près deux. C'était un exploit.

Un soir, alors qu'Ethel, Thomas et moi passions la soirée sur mon lit, notre conversation dériva jusqu'au sujet dont tout le monde raffolait en ce moment.

— Donc il y a un « Noël sorcier » ici ? lançai-je.

— C'est ça, me répondit Ethel.

— Que j'ai manqué l'année dernière parce que j'étais en convalescence chez Feuille d'Automne.

— Tout à fait, enchaîna Thomas. On les nomme les fêtes de l'Hommage.

— Selon la légende, elles datent des créateurs du C.I.S.I, reprit Ethel. Mais ce sont plutôt une vénération aux dieux sorciers et à la Grande Prêtresse qu'autre chose...

— Les dieux sorciers, ce sont le Soleil, la Lune et le Néant, je me trompe ?

— C'est ça, et pour qui nous avons un respect incommensurable, ajouta Thomas.

— Parce qu'ils ont choisi Soleil Levant pour devenir Grande Prêtresse, joignit Ethel.

— Mais ils sont inconscients ! m'écriai-je.

Ethel rit en hochant la tête.

— On est plusieurs Transferts à penser qu'ils ne sont qu'une supercherie des Innés... me répondit Thomas. D'autres sont sceptiques, comme Spoty, et le reste y croit vraiment.

— Déplorable, s'exaspéra Ethel. Sans vouloir t'offenser May, mais Zed, sa petite famille et ses amis Innés doivent vraiment être aveugles pour croire à de telles bêtises. Depuis quand une étoile, un satellite et du vide pourraient déterminer nos vies et veiller sur nous ? Non, nous sommes les seuls à pouvoir influencer notre destin et les seuls qui peuvent nous protéger sont les arbres. Eux entendent nos prières et sont capables de nous aider.

Thomas sourit. Je ne savais trop que répondre. Ethel avait une vision si particulière du monde qui nous entourait...

— Tu sais bien que je crois aussi peu aux arbres qu'aux dieux sorciers... avoua enfin Thomas, mais ça ne veut pas dire que je ne crois pas à une entité supérieure qui nous domine et nous nous guide dans notre vie. On ne peut tout de même pas être livrés à nous-même dans un monde aussi vaste. Ça n'aurait aucun sens. Ce serait effrayant.

— Ok, on n'a pas du tout le même point de vue, constata Ethel en faisant la moue.

— Mais au final, réalisai-je, peu importe la forme que vous leur donnez, vous croyez tous les deux en quelque chose, vous avez une foi qui vous porte : les arbres pour Ethel, une entité divine pour Thomas. C'est tout ce qui compte, non ?

Ils acquiescèrent.

— Et toi, May ? demanda Thomas. Tu crois en quoi ?

— J'allais poser la même question, rit Ethel.

Je grimaçai.

— Vous allez me prendre pour la pire des égoïstes mais je crois ni aux arbres, ni aux dieux, ni aux étoiles. Je crois en moi et en chaque personne. Je crois en l'individu.

Ethel haussa un sourcil.

— Heu, c'est assez égocentrique oui... remarqua Thomas.

— Attendez que je m'explique. Y'a pas si longtemps je vous aurais dit « je sais pas trop », « je suis sûre de rien », « peut-être que je crois à des dieux, peut-être pas ».

Je scrutai les autres occupants du dortoir. Ils ne prêtaient pas attention à nous mais je baissai quand même la voix.

— Mais depuis, j'ai été menacée par Guillaume, j'ai failli être dénoncée à cause de mon score et je me suis défendue par moi-même, pour moi-même. Et je ne pense pas que prier qui ou quoi que ce soit m'aurait aidé. Zed, par contre... il m'a aidée. Et il m'a donné le courage de trouver la force pour me tirer d'affaire.

Ethel m'interrompit en s'esclaffant.

— Tu vois Thomas ! C'est ce que je te disais l'autre jour : elle l'aime tellement son Zed qu'elle en parle comme d'un saint !

Mes joues s'enflammèrent, Thomas explosa de rire.

— C'est pas ce que je voulais dire ! m'offusquai-je. Cet... épisode m'a seulement permis de comprendre que le meilleur moyen de s'en sortir dans la vie c'est de s'entre-aider et de savoir qu'on peut faire confiance à ceux qui nous sont proches pour nous tirer d'affaire quand on en a besoin.

— Et là, railla Thomas, elle nous balance en pleine figure qu'on est les pires amis de la planète parce qu'on n'a rien remarqué pendant le fameux « épisode » ...

— Mais pas du tout ! le rembarrai-je. Je... Vous savez très bien que je ne vous en veux pas, ou plus, mais... Ah ! Vous êtes en forme aujourd'hui ! Assez de ça, parlez-moi plutôt des fêtes alors, lançai-je frustrée d'en revenir à ces sujets-là.

C'était à croire qu'ils m'en voulaient de leur en avoir voulu. Ou qu'ils essayaient de me faire avouer des choses que je ne pensais pas. Comme ce que Thomas venait d'insinuer.

On ne disputait jamais, tous les trois. Mais depuis « l'affaire Guillaume », ce n'était plus pareil qu'avant. Mes amis s'échangeaient des œillades qui laissaient croire qu'ils se reprochaient mutuellement quelque chose et la minute d'après, ils se liguaient contre moi pour me faire dire, par tous les moyens, ce que je pensais et ressentais sur tout et n'importe quoi. C'était louche, ça me travaillait.

— Bonne idée ! se réjouit Thomas, qui semblait aussi soulagé que moi de changer de sujet. Le premier jour, le lundi, il y a une cérémonie d'ouverture presqu'à l'effigie de Soleil Levant et de ses dieux. Les jours suivants se déroulent comme des fêtes en bonne et due forme.

— Pendant deux semaines, on chante, on danse, on s'amuse, continua Ethel, toute guillerette. Il n'y a pas de cours ! Le jeudi de la deuxième semaine, c'est mon jour préféré. À midi, on est tous réunis dans le réfectoire où on partage un banquet croulant de gourmandises. Mais mon moment favori est et sera pour toujours celui des cadeaux.

À cette déclaration, elle ouvrit grand les yeux en nous offrant un sourire éclatant. Sa bonne humeur me fit rire.

— Y'a le père Noël ici ? raillai-je.

— Non, s'esclaffa Thomas. Mais à l'écouter on pourrait presque se l'imaginer.

— Quoi ? s'offusqua celle-ci. T'insinues que j'suis qu'une gamine, c'est ça ?

— Non à peine, se moqua Thomas hilare.

— T'inquiète, y'a pire comme défauts, souris-je. Alors c'est quoi cette histoire de cadeaux ?

Ethel retrouva son enthousiasme.   

— Vers midi, donc, reprit-elle en jetant un regard provocateur à Thomas, on va tous ensemble dans la salle de rassemblement où nous avons une place attitrée. Lorsque la Grande Prêtresse l'autorise, chacun donne les cadeaux qui nous sont faits par les autres... Et puis on va manger !

— On se fait chacun des cadeaux ? Mais c'est génial ! m'exclamai-je. C'est comme Noël finalement.

— Ouais... dit Ethel soudain toute calme. Sauf qu'à Noël on est en famille avec ceux qu'on aime.

Sa phrase jeta un grand froid. Nous n'avions jamais évoqué nos familles auparavant. En un an, jamais. En même temps, on ne guérit pas en retournant le couteau dans la plaie... Le silence qui nous enveloppait de son écharpe glacée exprimait bien mieux que n'importe quels mots ce que nous ressentions tous les trois. Thomas le brisa.

— Ils vous manquent ?

— Tout le temps, répondit Ethel les yeux rivés sur la couverture.

— Pareil, ajoutai-je tout bas, dans un petit sourire.

— J'avais une petite sœur, continua Thomas.

— Moi un grand frère et une demi-sœur qui venait de naître, souffla Ethel. Elle était mignonne mais je m'en plaignais tout le temps. J'étais jalouse de l'attention qu'elle avait autour d'elle... Et maintenant je m'en veux d'avoir pensé ça parce que je ne la verrai jamais grandir...

— T'en fais pas, elle aura de magnifiques souvenirs de sa grande sœur, j'en suis sûre, la confortai-je. J'avais deux demi-frères. Et je n'ai jamais connu ma mère biologique.

Deux regards surpris se braquèrent sur moi.

— Oui, bah... Chaque famille a ses particularités non ?

— Qu-est-ce que ? Pourquoi ? demanda Thomas. Enfin, ne me répond pas si c'est trop indiscret...

— Elle est décédée quand j'étais tout bébé. Je ne sais pas vraiment comment en fait. Mon père ne m'a jamais raconté. Il est toujours resté très évasif à ce sujet. Il me disait qu'elle était malade mais qu'il m'expliquerait plus en détails lorsque je grandirais... J'ai bien peur que ce jour n'arrive jamais. Par contre il aimait me parler d'elle. Tout le temps. Me dire qu'elle passait des heures incalculables à se balader une fois la nuit tombée, qu'elle était gourmande et têtue, ça ne lui posait pas de problème. Il parlait d'elle comme si elle était encore là... malgré le fait qu'il se soit remarié. 

— Wouah... souffla Ethel. Si j'avais su tout ça...

— Ça n'aurait rien changé, la coupai-je. Ne vous inquiétez pas, je ne l'ai jamais connue. C'est plutôt ces moments où mon père me parlait d'elle qui vont me manquer.

— Oh je vois oui, acquiesça Thomas le visage grave, visiblement sous le choc.

— Eh, c'est bon ! Tout va bien Tom ! le rassurai-je en allant m'installer près de lui.

Ethel se blottit à son tour contre notre ami.

— Ouais... souffla-t-il. Tout va bien.

— On va passer de bonnes fêtes, ça a l'air amusant, lançai-je peut-être plus pour me remonter moi-même le moral qu'autre chose mais cela ne parvint pas non plus à convaincre mes amis qui hochèrent la tête les yeux dans le vide.

Je soufflai en reposant ma tête contre le mur dans un bruit sourd.

Tant que nous étions ensemble ça allait. Tant que nous étions là les uns pour les autres, ça irait. Nous finirions bien par trouver notre place, même si je sentais de plus en plus que la mienne n'était pas ici... Il fallait que je m'en convainque. Tout irait bien.

La semaine des fêtes arriva bien vite. J'avais contre toute attente, trouvé des cadeaux pour mes amis dans les magasins du centre. J'y avais dégoté un set de fusains pour Ethel et un album photos pour Thomas dans une petite échoppe de « marchandises humaines ». Ce chanceux avait des clichés de sa sœur avec lui. Lors de son enlèvement – comment appeler le changement de monde autrement ? – il commençait le grand rangement de sa chambre que sa mère avait fini par lui faire faire. Et à ce moment-là il tenait des portraits de sa sœur dans les mains. C'était presque comique. Presque.

Le week-end s'était achevé sans incident particulier, à part le fait que Spoty s'était fait recalé de la manière la plus franche qui soit par Lumia dans une énième tentative d'approche. C'était peut-être la seule qualité que je trouvais à cette fille d'ailleurs, sa franchise.

Enfin, nous étions le tant attendu lundi matin. C'était l'ouverture des fêtes. Le soleil ne devait pas encore s'être levé, bien qu'il m'était impossible de le vérifier puisque dans le souterrain nous ne voyions la lumière du soleil ni de nuit, ni de jour.

Le dortoir s'éveillait lentement aux sons des bâillements des uns et grognements des autres. J'enfilai mon uniforme sans plus de cérémonie puis empruntai la brosse à cheveux d'Ethel pour remonter ma tignasse en une queue de cheval des plus simples. Un détour par la salle de bains et nous étions fins prêts. C'est en groupe que nous assouvîmes nos estomacs qui réclamaient leur dose de tartines infectes. Comme quoi, on s'habitue à tout.

Le brossage de dents terminé, nous nous engageâmes dans le flux de sorciers se rendant dans la salle de rassemblement. Les bavardages allaient bon train. Ethel gloussait, probablement d'une blague de Thomas. Pas moi. J'observai. Les visages, les tenues des uns et des autres, leurs expressions, leurs allures. Les sorciers étaient tous sur leur trente et un. J'étais curieuse, c'était divertissant.

La salle était toujours aussi immense. Cette fois-ci nous nous assîmes sur l'une des nombreuses tables, laissant aux retardataires le luxe de s'appuyer contre les murs de la salle. Lorsque tout le monde fut installé, les conversations cessèrent peu à peu. Sur ma droite, de l'autre côté de l'allée centrale, j'aperçus Zed entre deux tignasses rouges et vert sapin, qui tourna sa tête précisément au moment où je le fixais et nos regards se croisèrent une fraction de seconde. Juste le temps pour lui d'esquisser son sourire en coin et pour moi de détourner vivement le regard avant que le rouge ne me monte aux joues.

Je ne savais pas vraiment quel était le statut de notre relation mais ce qui était sûr, c'est qu'« ami » ne convenait pas et « partenaire Garde du palais » non plus. On se chamaillait, souvent ; il se moquait de moi, encore ; je lui réservais mes meilleures piques de sarcasme, toujours et on se volait des bisous, aussi. 

Un son de cor retentit. Tout le monde se leva. Moi aussi. Un silence, puis il reprit sa note, cette fois-ci accompagnée de tambours. Le bruit s'intensifia jusqu'à ce que les portes du fond de la salle s'ouvrent. C'est alors tout un cortège qui défila.

D'abord les musiciens, constitués des cornistes fiers, suivis des percussionnistes, aussi expressifs que des statues de marbre. Entrèrent ensuite les gardes de la Grande Prêtresse, droits comme des piquets et tous vêtus de blanc, très vite rattrapés par les portes drapeaux, ceux-ci habités d'une joie de vivre indiscutable avec leurs habits plus sombres que la nuit et leurs têtes d'enterrement.

— T'as vu celui-là comme il se dandine, me chuchota Ethel en désignant l'un des gardes.

Le bonhomme bougeait son derrière d'une manière qui aurait pu être plus esthétique, accompagné d'une grimace qui laissait à désirer quant au côté professionnel que le personnage aurait dû adopter... Je pouffai et lui en désignait un autre :

— Et regarde celui-là comme il se gratte les cheveux, chuchotai-je. Il a des poux ou quoi ?

Elle gloussa à son tour. Une vieille sorcière nous lança un regard remplit d'éclairs pour nous faire taire. Elle réussit avec brio. Je ne voyais rien pour l'instant qui puisse suggérer une quelconque fête à venir et n'aurais pas été étonnée si l'on m'avait appris que j'assistais à un rite funéraire... mais peu importe. Son entrée inégalable coupa court à mes pensées.

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*dernière mise à jour : 22/09/18*

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