✨Chapitre 24 - D'éclairs et d'une bulle
La journée suivante passa à vitesse grand V. L'heure d'étude arriva beaucoup trop tôt. J'avais la boule au ventre mais pour me donner du courage je me disais qu'au moins, ce n'était plus à cause de la menace de Guillaume. Ou presque plus.
Je ne parvins qu'à avaler la moitié de ma portion de Misaktsou. J'avais faim, mais impossible de surmonter le dégoût que m'inspirait la nourriture. C'était frustrant.
— Tu ne manges pas ? me demanda Thomas qui déjeunait seul avec moi depuis qu'Ethel devait voir sa mystérieuse relation sur l'heure du repas.
— Pas faim, me défilai-je. Dis Tom, tu penses quoi d'Ethel ? Depuis qu'elle voit ce gars, là, m'expliquai-je. Tu trouves pas qu'elle a changé ?
Il haussa les épaules.
— C'est pas la première fois qu'elle sort avec quelqu'un ici, me révéla-t-il. Et c'est pas non plus la première fois qu'elle reste vague sur quelque chose... Donc je pense qu'elle nous fait juste de « l'Ethelisme ».
Je levai un sourcil.
— De « l'Ethelisme », intéressant comme concept... commentai-je.
Mais je devais admettre qu'il avait raison. Ethel ne faisait qu'être Ethel. Et on ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Au moins, elle, s'assumait et vivait sa vie comme bon lui semblait. J'en connais une qui aurait aimé avoir le courage de faire pareil... Quoique, j'étais quand même sur le point de reprendre le contrôle sur ma vie, je faisais des progrès. Grâce à Zed. À cette pensée mes joues rosirent.
— Et toi au fait, repris-je, t'as des vues sur quelqu'un ?
Thomas fronça les sourcils, j'aurais juré qu'il était embarrassé.
— Pas particulièrement non, éluda-t-il. Mais avant que tu ne me demande à quoi elle pourrait ressembler ou comme elle pourrait s'appeler, il faut que je te dise un truc. Ce ne serait pas une fille, je suis plutôt branché mecs.
— Oh ! m'exclamai-je, étonnée par sa franchise. Merci de me le dire, souris-je.
Je n'avais jamais assisté à un coming-out avant mais je savais que le sujet n'était pas toujours évident à aborder par les principaux intéressés et j'étais contente pour Thomas qu'il en parle si librement.
— Et... chuchotai-je soudain, ce n'est pas mal vu ici ? Enfin, tu sais...
J'étais gênée tout à coup. Il sourit.
— C'est presqu'encouragé en fait, me rassura-t-il. Tu vois, ça évite que le nombre de naissances n'explose.
Je le dévisageai en silence incapable de savoir s'il se moquait de moi.
— Je déconne, rit-il, mais j'suis sûr qu'ils seraient capables de sortir un truc dans ce genre s'ils pensaient en avoir besoin...
Cette fois-ci j'explosai de rire.
— Quel monde de tarés, me lamentai-je.
Le repas terminé, je me rendis dans les premières dans la salle d'étude et la scrutai jusqu'à repérer ma proie. Une fois dans ma ligne de mire, je me dirigeai vers elle d'un pas assuré, refoulant mes angoisses le plus loin possible.
— Salut Guillaume, l'abordai-je en m'asseyant sur la chaise en face de lui.
Il releva la tête de ses fiches et me scruta un instant sans rien dire.
— May, lâcha-t-il finalement.
Je levai les yeux au ciel.
— Tu me vois extrêmement désolée de te déranger, ironisai-je.
— Et ça se voit, cingla-t-il en retour.
— Mais figure-toi que tu n'es pas le seul à avoir des « sources » qui te permettent d'obtenir des « informations ».
Il plissa les yeux. Je m'attendais à ce qu'il parle mais puisqu'il ne se décidait pas, je repris :
— J'ai en ma possession une info qui pourrait t'intéresser. Plus que t'intéresser même.
— Tu essaies de faire du chantage ? se méfia-t-il.
Je m'offusquai.
— Je ne suis pas quelqu'un de malhonnête, moi, rétorquai-je. Non, je sais quelque chose qui pourrait te rapporter plus que ce que je vaux. Seulement, tu dois me suivre pour procéder à l'échange.
— On parle de quel genre d'échange ?
— Du genre qui te rendra immédiatement le roi des Transferts et un Inné. Tout ce dont tu rêves, non ?
Le garçon était beaucoup trop suspicieux. Il allait falloir que je sois plus convaincante si je comptais réussir mon coup. Heureusement, Zed avait, grâce à ses « amis », pu me donner quelques infos sur les bandes que fréquentait Guillaume et j'avais encore une chance que mon bluff fonctionne.
— Ton pote Félix, commençai-je, il–
— C'est pas mon pote, ricana Guillaume. Peu importe ce que tu me proposes, je t'aurai May. J'aurai ma récompense surtout.
— Mais laisse-moi finir ! m'énervai-je.
C'était déjà difficile de me retenir de l'étriper sur place, si en plus, il fallait qu'il me coupe la parole, je ne répondais plus de rien.
— C'est pas ton pote. Justement. Il a beaucoup d'influence auprès des Transferts et comme moi, il a quelque chose à cacher. Quelque chose que tu recherches. Un score élevé. Autant que le mien. Alors si tu le dénonces à ma place, tu gagneras plus que ton titre chéri, tu récupéreras aussi l'influence qu'il avait sur les dortoirs.
Guillaume ne répondit rien sur le coup. Il réfléchissait.
— T'es sûre de toi ?
J'haussai un sourcil faisant mine de m'outrer qu'il mette ma parole en doute. Mais au fond j'étais morte de trouille. C'était maintenant que tout se jouait. Ou il croyait au plus gros mensonge qu'il m'ait été donné d'inventer, ou notre plan tombait à l'eau.
— Écoute, suis-moi, lui proposai-je. J'ai prévu de voir Félix dans la forêt dorée, tu pourras voir là-bas par toi-même si j'ai pas raison.
Le garçon évalua ma proposition puis hocha la tête.
— Ça me va, mais t'as pas intérêt à me mentir si tu veux arriver devant la Grande Prêtresse en un seul morceau.
J'émis un rire en haussant les épaules.
— J'ai déjà l'épée de Damoclès au-dessus de ma tête, je vois pas à quoi ça me servirait de te mentir, répliquai-je du ton le plus désinvolte que je trouvai.
~~~
— Vous voilà enfin ! s'exclama Zed lorsque Guillaume et moi atterrîmes de l'autre côté du trou de poussière dorée.
Guillaume se braqua.
— C'était un piège, je le savais, débita-t-il en se retourna déjà pour faire demi-tour.
— Oh mais tu n'as encore rien vu, s'amusa Zed en lui bloquant le passage. Suis-nous. May, ouvre la marche je vais m'assurer que notre petit fauteur de trouble ne cherche pas à se dérober à nouveau.
Puis s'adressant à Guillaume :
— Elle a un truc à te montrer, précisa-t-il en me désignant d'un signe de tête.
Un instant je crus paniquer, ne sachant où Zed avait laissé le petit frère de Guillaume. Mais Zed me sourit en retour, se transforma et j'eus l'impression qu'une main s'emparait de mon poignet. Mon incompréhension disparut lorsque je compris qu'il utilisait son pouvoir pour me guider. La main dématérialisée de Zed se resserra un peu plus sur moi comme pour m'encourager. Cela suffit à me donner le courage de regarder Guillaume dans les yeux et de le prévenir :
— La fête est finie Guillaume. Je vais te montrer ce que les gens puissants comme moi font aux mauviettes comme toi. Et après ça, on verra bien si tu oses toujours me dénoncer auprès de Soleil Levant.
Niveau intimidation on pouvait faire mieux mais pour une première fois, j'étais satisfaite de moi.
Sans plus un mot je lui tournai le dos et me transformai dans le même temps. Mes sens s'aiguisaient lorsque je prenais ma forme sorcière. J'avais l'impression d'avoir plus de contrôle. C'était tout ce dont j'avais besoin à ce moment-là.
La main invisible de Zed me mena à travers les arbres à paillettes de plus en plus denses de cette forêt trop lumineuse pour être réelle. Lorsque je laissais mon esprit divaguer, j'avais l'impression d'être dans un conte de fées. Et puis je me souvenais que je m'apprêtais plus ou moins à torturer quelqu'un pour que quelqu'un d'autre ne signe pas mon arrêt de mort et toute ressemblance avec un conte de fées s'évanouissait.
Finalement, au bout d'une dizaine de minutes de marche tendues, nous débouchâmes dans une petite clairière ou un petit étang avait été créé par une fontaine naturelle qui jaillissait là. Contre un rochet, un garçon était ligoté et bâillonné.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris qu'il s'agissait de Charly. Mes yeux firent des allers-retours entre le garçon et Guillaume. Ils sont frères ? On en apprenait tous les jours. Je sentais ma résolution flancher. Je n'allais pas faire du mal à Charly, ce petit bout d'être inoffensif arrivé il y a si peu de temps qui ne devait même pas avoir douze ans. Mais Zed capta mon regard et avait sûrement très bien compris ce qui me passait par l'esprit. Ce n'est pas le moment de flancher May. Souviens-toi de la raison pour laquelle tu dois faire ça, semblait-il me dire. Et il avait raison.
Je devais être forte. Et je devais leur faire peur.
Je passai en revue mes différentes options. Je pouvais lever une tempête, j'avais le contrôle des éléments météorologiques. Je pouvais utiliser la lumière réverbérée par la Lune pour les éblouir ou pour créer des effets de miroir déstabilisants qui leur feraient perdre tous leurs repères. Je pouvais faire plier la lumière du Soleil pour que la nuit tombe plus tôt que prévu et je pouvais me servir de l'électricité pour faire à peu près tout ce qui pouvait me passer par la tête avec. Je n'avais donc que l'embarras du choix. Mais pour l'heure, j'utilisai les puissants rayons de soleil qui étaient venus s'écraser dans le Dashgaïh pour me donner du courage.
Je ne rendis pas compte que j'avais fermé les yeux, ni que les rayons avaient accentué mon halo et formé une sorte de traîne dorée derrière moi. Je ne le compris que lorsque j'eus rouvert les yeux et que les trois garçons me dévisageaient comme s'ils avaient face à eux une apparition divine. On aurait dit que Guillaume voyait un démon et Zed une déesse. Ce que je n'étais absolument pas.
Fière de cet effet et juste un peu frustrée qu'il n'ait pas été calculé – mais ça, ils n'étaient pas obligé de le savoir –, je laissai un sourire étirer lentement mes lèvres à la façon de Soleil Levant.
— Savez-vous pourquoi je vous ai réunis ici ? demandai-je en faisant en sorte que mon élocution soit la plus intimidante possible.
Charly secoua vigoureusement la tête, Guillaume plissa les yeux et Zed hocha la tête, comme en transe, alors que ma question ne s'adressait clairement pas à lui.
— Ton frère Guillaume, délivrai-je en m'adressant à Charly, a joué à un jeu dangereux. Il a cru pouvoir me surpasser. Il a cru que j'étais vulnérable et sans défense, il a cru qu'il pourrait m'utiliser comme bon lui semblait. Il a simplement oublié de prendre en compte qu'ici, les rapports de force sont déterminés par une variable qui n'existe pas sur Terre : le score de l'Évaluation. Ce n'était pas très malin de sa part de faire une telle erreur mais maintenant il va payer pour ça. Tu comprends, Charly ?
Guillaume, qui une minute plus tôt semblait prêt à s'enfuir, avait pâli et son frère hochait la tête avec vigueur, les yeux comme des billes.
Je poussai un soupir et me rapprochai de Charly.
— Payer pour les erreurs de son frère... c'est terrible. Surtout après ce qu'il t'a fait à toi.
Je lançai un regard noir à Guillaume pour appuyer mes propos mais en vérité je voulais juste voir sa réaction. Ayant décidé qu'il était peut-être temps de réagir, il courut s'interposer entre son frère et moi.
— Ne l'approche pas ! m'ordonna-t-il. T'as pas le droit de faire ça ! Il a rien fait.
Je plissai les yeux, à la fois énervée et effrayée. Sois forte May, tu peux le faire, m'encourageai-je.
— Guillaume, répondis-je avec tout l'aplomb donc j'étais capable, il y a une semaine tu m'as demandé de t'écouter et en faisant cela, tu t'es mis en danger tout seul. Maintenant il est l'heure que tu payes les conséquences. On ne s'en prend pas à une sorcière portée par la Lune avec un pouvoir aussi puissant que le mien. On ne me menace pas. On ne me touche pas. On ne me dénonce pas. Et j'espère que si tu ne comprends pas le langage des menaces que tu maîtrises pourtant si bien, tu comprendras celui de la douleur.
Le teint du garçon était à présent livide.
— Ne me fais pas de mal... Et ne touche pas à mon frère. Sinon c'est toi qui paiera. Tu paieras de toute façon. Quoi qu'il arrive, quoi que tu fasses. T'es une erreur de la nature, cracha-t-il le regard mauvais.
— C'est ce qu'on va voir, répliquai-je en tentant de ne pas me laisser trop atteindre par ses piques. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même Guillaume, déclarai-je avec plus d'aplomb. Ça t'apprendra à vouloir jouer dans la cour des grands. Ça t'apprendra à vouloir t'improviser « Chasseur de scores ».
Je levai mes mains au ciel.
— Maintenant, poursuivis-je, j'attends que tu annules ton audience avec la Grande Prêtresse. Tout de suite. Sinon ton frère souffrira.
D'un mouvement du poignet, j'exerçai une pression sur la luminosité. Je sentais les rayons du soleil fléchir, obéir à ma main et l'obscurité gagna peu à peu l'espace qui nous entourait. J'avais créé une bulle de nuit.
— Tu peux pas faire ça, croassa Guillaume. Ethel m'a dit... Ethel–
— Qu'est-ce que tu dis ? le coupai-je.
— Ethel m'a dit que t'étais perdue et que t'étais angoissée. Tu devrais donc être... faible.
Mon sang ne fit qu'un tour. Mes mains se levèrent à nouveau et presqu'inconsciemment j'appelai le vent. Il vint, souffla et rugit. J'appelai l'orage, comme je l'avais fait devant Zed et Maître Gorigann. D'épais nuages prirent possession du ciel même si l'effet était moins impressionnant que la dernière fois puisqu'il faisait nuit. Et j'appelai l'électricité. Un premier éclair jaillit à l'extrémité de ma bulle de nuit, à une quinzaine de mètres de notre drôle d'assemblée. Tout le monde sursauta.
— Ça, Guillaume, c'est ce que tu risques de te prendre sur la tête la prochaine fois que tu traites quelqu'un de « faible » parce qu'il se cherche. Être perdu ce n'est pas être faible, c'est être adolescent. Nuance.
Je devais parler fort pour qu'il m'entende dans le vent. Mais à son regard je compris que le message était très bien passé.
— Ensuite, repris-je, tu vas laisser Ethel en dehors de tout ça et nous allons reprendre là où nous nous en étions arrêtés.
— Ah mais elle ne t'a pas dit ? s'étonna Guillaume qui semblait soudain avoir repris confiance en lui.
Je plissai les yeux, peu certaine du terrain sur lequel il s'engageait. Une lueur de défi brilla dans ses yeux. Et mes doutes se confirmèrent lorsqu'en souriant il continua :
— On sort ensemble, Ethel et moi.
Je tombais des nues. Malgré tout ce que Thomas mettait sur le compte de « l'Ethelisme », cette fois c'était louche. Ethel était l'une des personnes les plus réfléchies que je connaisse. Elle aurait dû remarquer que Guillaume n'était pas net. Il y avait un bug quelque part. Et si Zed ne m'avait pas poussée à reprendre le contrôle sur la situation d'une pression de sa main invisible sur mon poignet, j'aurais pu tenter de trouver une logique pendant encore des heures.
Sans prévenir personne – pas que je l'aie fait précédemment – j'appelai le tonnerre. Son grondement eut le mérite de surprendre les deux frères. Zed sourit. Ma confiance revint, je reprenais les commandes.
— Je m'en fiche Guillaume, dis-je pour combler le silence que la première détonation avait créé. Tu sais ce que je veux et tu sais ce que je suis prête à faire si tu ne m'obéis pas.
Pour le lui rappeler, je me concentrai sur l'obscurité autour de moi, l'orage que j'avais appelé et l'électricité qui faisait des étincelles au bout de mes doigts et j'invitai quelques éclairs qui jaillirent à moins de cinq mètres de Charly. Le garçon sursauta, ses joues se remplirent de larmes et il tira frénétiquement sur ses liens pour tenter de s'en défaire mais ce ne fut rien comparé à la réaction de Guillaume. Il me hurla d'arrêter avant de se ruer sur son frère pour le protéger. Ce qui, entre nous, n'aurait servi à rien si j'avais laissé un autre éclair s'approcher plus près... Mais, au moins, j'avais là une preuve suffisante que Guillaume tenait à son frère et qu'il possédait donc et une conscience et un cœur.
— Touche pas à mon frère, supplia Guillaume, s'il te plaît. Touche pas à mon frère.
Mais je ne pouvais pas m'arrêter là. Et je justifierais l'action qui suivit de cette manière : déjà, rien ne me disait que Guillaume avait suffisamment peur de moi pour qu'il renonce à me vendre au gouvernement et ensuite, mon pouvoir me grisait tellement que je voulais en repousser les limites et l'explorer plus encore...
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