✨Chapitre 23 - De magie et d'un plan

Tous les jours de la semaine, la Réserve nous accueillit et nous y continuâmes nos recherches avec entrain. Le dossier avançait, le groupe s'entendait bien, Guillaume me lançait des piques que personne ne remarquaient mais tout le monde semblait l'apprécier et mon angoisse augmentait sans que rien ne puisse la freiner. J'étais désespérée de trouver un moyen pour le contraindre de ne pas se rendre à son audience avec la Grande Prêtresse.

— Écoutez ça ! s'extasia Spoty en sautant sur ses pieds le matin du sixième jour. « À l'origine, le jour s'unit à la nuit. Le Soleil embrassa le Néant et le Néant rendit son étreinte au Soleil. Le fruit de leur union se nomma la Lune »...

Il releva ses yeux brillants vers son auditoire.

— T'emballe pas, se moqua Stéphane, c'est juste érotique.

— Mais pas du tout ! s'empourpra le garçon. C'est beau ! Laissez-moi continuer. J'ai trouvé cette légende dans ce grimoire-là, expliqua-t-il en désignant un coin de la table.

Sauf qu'il n'y avait rien à cet endroit-là.

— T'es sûr de toi Spoty ? demanda Ethel.

— Mais... mais comment est-ce possible ?! Je l'ai posé là, je vous le jure, il s'est volatilisé !

Guillaume grimaça.

— Ton super grimoire a disparu. C'est pas la mort. Y'a neuf chances sur dix pour qu'il soit sous l'autre pile que t'as ramenée. Mais perd pas notre temps, continue.

— Bien mon général ! s'écria Jac qui passait par là, à ce moment-là.

J'esquissai un sourire. Les labyrinthes de cette bibliothèque grouillaient d'élèves qui ne trouvaient pas la références qu'ils cherchaient alors les trois enseignants sillonnaient les allées en permanence pour aider les sorciers en détresse.

Spoty continua sa lecture.

— « Et l'astre fait de rien, poussière, matière, éclaira grâce à la lumière de son père le Soleil le monde d'obscurité, de froid et de mort qu'était celui de sa mère, le Néant. »

— Et leur petite famille vécut heureuse et eut beaucoup d'enfants, ironisa Guillaume.

— Heu c'est chelou ce que tu viens de dire, remarqua Stéphane.

Guillaume leva les yeux au ciel.

— Passons, intervint Ethel. Moi j'ai cette référence-là qui pourrait nous intéresser. Tiens Spoty, si tu veux jeter un œil. Ça agrandirait nos sources sur le Néant. May, tu voudrais bien aller chercher un prof ? Je crois qu'il faut leur montrer notre synthèse. Et leur dire qu'on a perdu un livre.

Elle termina sa phrase en jetant un regard éloquent en direction de Spoty. Celui-ci leva les mains pour s'innocenter.

— Il était là, je te jure, je ne l'ai pas touché !

— Bref, vas-y May, le coupa Guillaume, avec un peu de chance on sera les premiers à avoir fini.

— Comme vous voulez, grimaçai-je en me levant.

Mais mon agacement n'était que de surface. J'étais en vérité bien contente de pouvoir m'échapper de cette alcôve quelques instants. Et après une heure et demie passées assise, me dégourdir les jambes ne me ferait pas de mal non plus. Je me frayai un chemin parmi les rangées infinies de livres. Lorsque j'arrivai dans une section remplie d'ouvrages gris je fus soudain obligée de m'arrêter.

Un livre lévitait au milieu de l'allée. Comme ça. Lorsque j'essayai de le contourner tout en gardant mes eux sur lui, il se déplaça brusquement pour me boucher le passage.

— Mais qu'est-ce que–

Frustrée, je tendis une main pour l'attraper et tenter de le décaler mais un deuxième livre sortit alors de son étagère et me boucha à son tour le passage.

— Alors vous travaillez en équipe en fait, souris-je, bizarrement amusée par ce balai de livres volants. Vous complotez contre moi c'est ça ?

Un troisième livre s'envola. Puis un quatrième et un cinquième. Placés devant moi, on aurait dit qu'ils m'écoutaient.

— Bah c'est dommage les gars parce que vous n'êtes pas les seuls... Quelqu'un s'y est pris avant vous et maintenant c'est trop tard. Bon par contre, je comprends que vous puissiez vous ennuyer mais j'aimerais bien que vous me laissiez passer parce que j'ai des choses à faire, moi.

Et sans rien ajouter de plus, les livres gris s'écartèrent et regagnèrent leur place dans les étagères, penauds. Ce n'est qu'à ce moment-là que je réalisai que quelqu'un se tenait dans l'allée. Mais comme les livres étaient aussi sombres que les habits de l'intrus, je ne l'avais pas vu venir. Et aussi parce que ces livres étaient fascinants.

Zed me regardait sans ciller. Il paraissait surpris mais alors trèssurpris.

— Oh Zed, ça tombe bien je te cherchais, croassai-je, paniquée.

Il a entendu ce que je viens de dire ?En tout cas, il n'avait pas l'air content. Et puis sans prévenir il fondit sur moi, me prit par les épaules et me guida hors de ce secteur vers un autre, plus coloré. Dans une alcôve où personne ne se trouvait. Mais qu'est-ce qui lui prend ?m'outrai-je.

— Je crois qu'il faut qu'on parle ! annonça-t-il lorsqu'il s'arrêta et m'eut lâchée, les sourcils fronçés.

— Tu pourrais venir lire notre synthèse s'il te plaît ? demandai-je d'une voix innocente.

— Arrête ça tout de suite.

— Quoi donc ? m'offusquai-je.

— Le p'tit sourire et tes yeux suppliants, c'est déconcentrant. Tu sais très bien que ce n'est pas de ta synthèse qu'il faut qu'on parle mais de toi. Tu ne vas pas bien et ça fait une semaine que ça dure. Et maintenant je sais pourquoi. Alors raconte-moi, j'écoute.

Je ne savais pas quoi répondre. Il m'avait sidérée.

— C'est pas ma faute si ces livres étaient sur mon passage ! Et je croyais qu'il n'y avait personne, alors oui, je leur ai parlé, mais s'il te plaît, ne le répète à personne.

Zed secoua la tête.

— C'est pas de ça que je parle. May, je suis sérieux, tu as dit que des gens complotaient contre toi. Tu te sens menacée, c'est grave, il faut que tu me racontes pour que je puisse t'aider.

— Et pourquoi je ferais ça Zed, pour que tu puisses vendre cette information comme tu l'as fait avec mon score ? Guillaume est ravi, il va pouvoir devenir Inné, grâce à toi. Je ne serai qu'un dommage collatéral.

Le visage du sorcier se décomposa.

— Il a pas osé, ce fils du Néant.

Je ris.

— Je t'assure que si. Il a carrément osé ce « fils du Néant » comme tu dis.

Zed tapa du poing dans une étagère.

— Je vais le tuer.

— C'est marrant il a dit la même chose sur moi.

Le garçon me dévisagea sans relever le sarcasme.

— Cette information n'était pas censée lui parvenir... J'ai merdé.

— T'as carrément merdé ouais. Non mais Zed, quel genre d'idiot va répéter ce genre d'information ? Je te croyais assez responsable. Maître Gorigann serait déçu de toi.

Il soupira en fermant les yeux.

— Je sais, je suis désolé et je sais que ça sert à rien de dire que je suis désolé parce que ça ne va pas changer la situation. Mais je vais trouver une solution, m'assura-t-il en me regardant droit dans les yeux. On va trouver May, je t'assure.

— Fais vite alors, parce que son audience avec Soleil Levant est dans une semaine.

Zed hocha la tête. Ça me faisait bizarre de le voir patauger dans ses excuses. Il avait l'air sincèrement embêté et prêt à m'aider, c'était déjà ça.

— C'est pas la première fois que ce genre de chose arrive, je vais trouver un truc. Mais pourquoi ne m'en as-tu pas parlé plus tôt ?

Je me laissai tomber sur un sofa.

— Parce que j'avais peur. Et j'avais aussi peur que si je partageais ça avec quelqu'un ça allait le rendre encore plus effrayant et réel. C'est ce qu'ils disent tous dans les livres.

— Et ? me demanda Zed, en haussant un sourcil, un sourire au coin du visage.

— Et en fait c'est tout l'inverse.

Son sourire s'élargit et il me laissa reprendre mes esprits en fouillant une étagère.

— Au fait, réalisai-je. Spoty a perdu un livre. Enfin, il prétend qu'il s'est « volatilisé ».

Sans me répondre, Zed sortit un livre de l'étagère, s'assit à côté de moi et me le tendit.

— Ouvre-le, tu vas comprendre.

Curieuse, je m'exécutai et d'abord, rien ne se passa. Je feuilletai quelques pages puis ne voyant toujours rien de particulier, j'interrogeai le garçon du regard.

— Et si tu le fermes pour voir ? sourit-il.

On aurait dit un enfant tout content de montrer son jouet préféré. J'haussai un sourcil mais le refermai d'un coup sec. Et le livre se volatilisa. J'hoquetai de surprise.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Dis-moi que j'ai pas fait de bêtise ! m'alarmai-je.

Cette fois-ci, Zed rit franchement.

— Non, regarde, il est de nouveau à sa place sur l'étagère. Il a dû se passer à peu près la même chose pour Spoty. La plupart des livres sont ensorcelés pour éviter qu'ils ne soient perdus ou rangés au mauvais endroit.

— Ingénieux, remarquai-je. Si on pouvait faire disparaître des gens comme Guillaume de la même manière et le remettre à leur place, ce serait dément.

Ma remarque l'amusa.

— Laisse-moi jusqu'à demain soir pour trouver une solution. Ça devrait être facile, Guillaume est du genre à parler beaucoup et agir peu. Je suis sûr que je trouverais vite son point faible.

— T'as pas intérêt à te planter... Mais merci de m'aider. Vraiment. Tu dois me trouver bizarre à te révéler des trucs comme ça... Les  cauchemars et maintenant les Chasseurs de score, je sais pas si je vais survivre.

Il leva les yeux au ciel puis me sourit.

— Évidemment que tu vas survivre. Parce que je suis là. Gorigann aussi est là pour toi. Et Feuille si t'as besoin de lui parler... Sans oublier tes Transferts préférés...

— C'est gentil.

Je me levai et me préparai à retourner dans l'alcôve de mon groupe quand Zed me retint par le bras.               

— Juste un truc, tu m'as pas laissé finir ma phrase l'autre jour mais je voulais être sûr que tu ne t'imagines pas des choses bizarres comme t'en as l'habitude... Il ne se passe rien entre Ethel et moi. 

— C'est vrai ?

Je me surpris moi-même de paraître aussi heureuse de l'apprendre. Mais je devais avouer que c'était soulageant. Ethel ne m'a pas trahie ! Et je rougis juste un peu.

— Ouais c'est vrai. Maintenant on a chacun des trucs à faire, alors je te laisse. Je vais demander à Mme Kletter de passer voir votre synthèse parce que j'ai peur de devoir refaire le portrait à Guillaume si je le vois tout de suite et ça ruinerait la surprise qu'on va lui préparer. En attendant, fais gaffe, amuse-toi et ça devrait le faire.

Il planta un bisou sur mon crâne et disparut de ma vue.

~~~

Le lendemain soir, à la fin de l'entraînement de Garde, Zed me retint avant que je ne traverse le trou de poussière dorée après Maître Gorigann.

— Attends, j'ai des nouvelles.

La nuit était claire, pas un nuage ne voilait le ciel et la Lune presque pleine éclairait largement la forêt. Il faisait frais mais si Zed avait de bonnesnouvelles, ça ne pouvait qu'en valoir la peine.

— Alors ?

— J'ai un pote qui connait son petit frère.

— T'as des potes ?

Il leva les yeux au ciel.

— Quoi, tu me prends pour un type paumé ? Bien sûr que j'ai des potes. Surtout pour me procurer des infos quand j'en ai besoin.

À cette remarque il sourit.

— Bref, Guillaume a un petit frère. Il s'en est pas vanté quand il t'a parlé, pas vrai ? C'est normal, il le cache.

— Il cache son petit frère ? m'exclamai-je.

Et je m'imaginais déjà un pauvre bout de chou enfermé dans un placard du dortoir, privé de lumière et de libertés...

— Non, il cache le fait qu'ils sont frères. Parce qu'il veut se construire une réputation et faire croire qu'il est intouchable. Ce qui signifie pour lui « pas d'attaches ».

— La bonne blague... Et tu comptes faire quoi de cette information  au juste ?

Zed ne me répondit pas tout de suite. Il soutint mon regard comme pour essayer d'imaginer ma réaction. Finalement, un faible sourire étira ses lèvres.

— Ça risque de ne pas te plaire. Mais il faut que tu m'écoutes et que tu me fasses confiance, c'est notre seule chance de le plier à notre merci, à ta merci.

— Tu me fais peur Zed... grommelai-je en fronçant les sourcils.

— C'est ce qui fait mon charme il parait. Pour en revenir à Guillaume : il est porté par Saturne, comme ma sœur. Ce qui veut dire que c'est un très bon manipulateur. Et qu'il ne peut pas te faire du mal physiquement, sauf s'il te pousse à te mutiler. Ce qui est hors sujet dans notre cas. Ce que je veux que tu fasses, c'est que tu l'amènes ici, dans la forêt dorée, demain après le déjeuner. Personne ne remarquera leur absence pendant l'heure d'étude. Moi, je m'occupe d'amener le petit frère.

— Et comment est-ce que je suis censée le forcer à venir ici ? C'est lui le manipulateur, pas moi !

Zed haussa un sourcil.

— Trouve une excuse, n'importe quoi.

— Impossible mais pas sorcier... ironisai-je. Après tout le temps passé ici, il serait temps d'appliquer ce proverbe.

Zed fronça un sourcil mais ne releva pas.

— Et qu'est-ce qu'on fait une fois que les deux frères sont amenés ici ? demandai-je.

— C'est la partie que tu ne vas pas aimer, grimaça-t-il. Il faut que tu menaces de t'en prendre au petit frère si Guillaume n'annule pas son audience et tait ce qu'il sait sur toi. Ou tu lui fais du mal carrément. Ce sera encore plus convaincant.

Je me raidis.

— Tu veux que je fasse du mal à un enfant ?

— C'est pour la bonne cause... Non, plus sérieusement, c'est notre seule option. Il faut que Guillaume ait peur. La peur de sa vie.

— Je crois qu'il a déjà peur de toi, il suffit que tu le menaces, proposai-je.

— Non, c'est de toi qu'il faut qu'il ait peur. Fais-lui la petite démo de tes pouvoirs que tu avais fait le jour de ton premier entraînement de Garde et ajoute quelques éclairs près du petit frère, je sais pas moi, mais donne lui la peur de sa vie. Qu'il en rêve la nuit. Comme ça vous serez quittes.

Il me fit un clin d'œil. Mais je ne souris pas. Je pesais sa proposition. C'était tentant. Me faire passer pour une horrible sorcière au pouvoir démentiel prête à jeter ses foudres – au sens propre – sur quiconque oserait la menacer. Lui faire aussi peur qu'il m'avait fait peur à moi. Mais je ne savais pas si j'en avais le courage. Oh et puis après tout, comme le disait Zed, on n'avait pas trente mille options et s'il fallait régler la terreur par la terreur, je pouvais bien faire ça. Après tout, j'étais une arme de destruction, autant l'utiliser avant qu'elle ne rouille.

Ma décision était prise.

— Je vais le faire.

Zed, qui retenait son souffle dans l'attente de ma réponse se détendit.

— Crois-moi, je sais ce que ça représente de monter un coup comme ça.

Il se rapprocha de moi et continua, ses iris grises ancrées dans les miennes.

— Mais je sais aussi que tu peux le faire et si Guillaume n'est pas un imbécile fini, son petit frère devrait s'en sortir sans trop de traces.

Je frissonnai et me frottai les bras.

— J'espère que t'as raison, soufflai-je en laissant mon regard dériver vers les arbres qui nous entouraient, seuls témoins de notre conspiration. 

Le vent s'était levé et je sentais mon corps s'éveiller à l'appel des éléments sous la pluie argentée des rayons de la Lune. La sensation de mon énergie me rassurait mais ne parvenait pas à faire fuir mes doutes.

— Et si ça se passe mal ? Si Guillaume parvient à me dénoncer ? chuchotai-je sans vraiment avoir envie de connaître la réponse.

— Alors ça, c'est ma promesse que tout ira bien.

Il prit mon visage entre ses mains et déposa ses lèvres sur les miennes.

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