✨Chapitre 2 - De cauchemars et de souterrains

Une créature tenta d'attraper mon poignet. Je me reculai en hurlant. Mon cœur battait la chamade. Elles étaient trop nombreuses, elles m'encerclaient, j'étais prise au piège. Ces monstres ressemblaient à des chauves-souris mais étaient entourés d'une grande ombre qui faisait au moins cinq fois leur taille. Cette ombre semblait être faite de matière. Elle était noire, mouvante, vivante. J'étais seule, perdue, je n'arrivais pas à me situer. Ce cauchemar m'épuisait. C'était toujours le même et j'en étais consciente. Seulement, je ne pouvais rien faire pour l'arrêter, pour m'en débarrasser.

Ces dernières semaines, je l'avais fait de plus en plus fréquemment. D'abord je n'y avais pas prêté attention, me contentant d'être frustrée après ces nuits trop peu réparatrices, puis je m'étais posée des questions. Pourquoi ce même rêve revenait-il sans cesse ? Quand je lui en avais parlé un matin, mon père avait froncé les sourcils, s'était frotté le menton l'air songeur, puis avait haussé les épaules en m'assurant que ce ne devait être qu'une phase, que cela passerait. Il m'avait ensuite souri et tendu le pot de Nutella, lequel m'avait bien vite fait oublier mon énième cauchemar.

Le rêve s'arrêtait toujours au moment où les créatures se rapprochaient tellement de moi que j'en transpirais d'effroi et qu'une voix me murmurait une phrase qu'elle ne finissait jamais : « Le moment... le moment May, il arrive... Tu vas bientôt... » Et je n'en savais jamais plus. Cette fois-ci ce serait pareil. Il se terminerait comme ça et je me réveillerais dans mes draps rouges et blancs, les rayons du soleil éclairant la table de chevet où je lirais l'heure et désespérerais de devoir me lever si tôt pour aller au collège. Je soupirerais mais me mettrais debout quand même, mes pieds frissonnant au contact du plancher trop frais à leur goût.

Sauf que... pas cette fois. Lorsque j'émergeai, je me trouvai allongée sur un drôle de matelas... humide. Je me soulevai sur un coude et fronçai les sourcils en m'apercevant qu'il semblait fait de mousse. Mais pas n'importe quelle mousse ! Celle que l'on trouve sur les arbres dans la forêt, pas celle des ballons de foot qu'on utilisait au primaire et qui se révélaient être la pire invention du monde lorsqu'il pleuvait et que les joueurs sadiques s'amusaient à les tirer sur des victimes innocentes. Les pauvres se recevaient alors des ballons gorgés d'eau en pleine figure.

Mais je divague. Je me rendis compte que je ne portais plus mon uniforme, ni mon pyjama, ni aucun habit m'appartenant. J'étais saucissonnée dans ce qui s'apparentait à un grand drap blanc, un peu de la même manière qu'on porte un paréo, le nœud à ma nuque qui l'attachait me faisait mal. La pièce dans laquelle je semblais me trouver était sombre avec pour toutes ouvertures une petite fenêtre et deux portes identiques, encastrées aux extrémités du mur en face de moi. Une à ma gauche, une à ma droite. Un fin rayon de soleil jaillissait de la fenêtre ronde. Tout était fait de bois. Je respirai aussi un doux parfum de lavande qui embaumait la pièce et créait une atmosphère apaisante bien que très étrange. Mon pouls s'accéléra. Comment avais-je atterri dans un endroit pareil ?

Mes yeux, aussi peu rassurés que moi, faisaient des va-et-vient incessants et beaucoup trop rapides entre les différents éléments de la pièce. Une commode à gauche, un bric-à-brac d'ustensiles à droite, la porte de gauche s'ouvrit. Je retins ma respiration. En croisant mon regard, la nouvelle venue parut surprise et s'arrêta, puis elle détendit son visage parsemé de rides dans un grand sourire. D'un geste souple, elle referma la porte avant de se diriger vers moi.

— On dirait que tu es de nouveau sur pied ! lança-t-elle d'une voix rauque et enjouée en me souriant.

Plutôt petite, elle portait une longue robe noire et arborait une myriade de bijoux argentés qui, au moindre mouvement, tintaient dans tous les sens. Je me demandais sérieusement où j'avais bien pu atterrir. Cette atmosphère ne me disait rien qui vaille, elle semblait si différente de tout ce que je connaissais, tellement plus exotique ! J'étais pressée d'avoir des explications mais me sentais encore trop abasourdie pour parler. Comme je ne réagissais pas, elle reprit la parole :

— Comment te sens-tu ? Je t'ai sauvée d'une mort certaine ! me sourit-elle. Tu étais si mal en point à ton arrivée que j'ai bien cru que tu ne survivrais pas à la traversée ! Mais tu m'as l'air de nouveau en forme, j'en suis rassurée. Je m'appelle Feuille d'Automne et on me surnomme Feuille, ou Tini ici. Je suis si heureuse de te rencontrer !

Je restai muette un moment, incapable d'exprimer autre chose que mon effarement. Ses paroles repassaient en boucle dans ma tête sans que je puisse déchiffrer leur sens dans mon cerveau embrumé. Les yeux pleins d'espoir de ma mystérieuse sauveuse m'encourageaient à parler. Au bout d'un moment, en me faisant violence, je pus enfin m'exprimer.

— Bonjour, euh excusez-moi, Fleur d'Automne... bégayai-je.

— Feuille d'Automne, me reprit-elle.

— ... Feuille d'Automne... Évidemment, c'est plus logique, excusez-moi. Les fleurs, en automne c'est pas trop la saison...

Je lui adressai un sourire désolé même si je devais moins l'être pour avoir écorché son nom que bafouillé des excuses lamentables ensuite... Je repris la parole :

— Je vous remercie pour ce que vous m'avez fait, mais... vous pourriez m'indiquer où nous sommes ? Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là... Hmm, ma famille doit, heu, s'inquiéter... ?

Elle me sourit de nouveau. Il était apaisant son sourire. Sincère et apaisant. Mais il ne suffit pas à faire taire les inquiétudes qui montaient en moi. Avais-je été kidnappée ? Ou avais-je fait une overdose de bonbons le jour d'Halloween ? Mais depuis quand on interne les gens sur des lits en mousse végétale pour une overdose de sucre ? Pouvait-on faire des overdoses de bonbons d'ailleurs ? Dans tous les cas, on ne devait pas atterrir dans ce genre de situation. Situation que je ne pouvais toujours pas expliquer d'ailleurs, ce qui me frustrait de plus en plus. Encore plus que lorsque je devais sortir de mon lit douillet pour aller en cours le matin. C'était dire.

— Ne t'en fais pas mon enfant, cela fait trois jours que tu es là. Ta famille a été prévenue, enfin non, mais en quelque sorte... Tu auras tout ton temps pour comprendre. Bois ça avant, m'ordonna-t-elle en me tendant un bol fumant qui ne dégageait pas une odeur très attirante. Cela va te donner les forces nécessaires pour faire face aux épreuves qui t'attendent.

Je frissonnai mais approchai tout de même mes lèvres du bol avant d'en boire une première gorgée. Le liquide était chaud juste comme il le fallait et une fois le bol vide, mes douleurs disparurent comme par magie. Ça, ce n'était pas un médicament traditionnel, j'en étais persuadée.

— Te voilà prête à être présentée à la communauté. Ils vont t'adorer ! s'enthousiasma-t-elle.

Étant donné que j'avais dû prononcer deux mots depuis notre rencontre « officielle », je me demandais comment elle pouvait afficher tant de certitude quant à la réaction de l'énigmatique communauté à laquelle elle disait vouloir me présenter. Je n'aimais pas les mots qu'elle avait employés. Ni comment elle m'avait habillée. On aurait dit que j'étais une pièce de bétail à vendre. Et généralement, on ne proposait pas une vie de rêve au bétail. Donc j'étais mal en point.

J'en étais à ce stade de mes réflexions lorsque Fleur, non, Feuille d'Automne prit mon bras dans une main et cala l'autre dans mon dos pour m'aider à me lever.

— Vous allez me manger ? demandai-je, plus pour la tester que pour m'informer, quoiqu'avec ce que je venais de vivre, je pouvais m'attendre à tout...

La petite femme écarquilla ses yeux marron puis partit dans un grand rire et tous ses bijoux l'accompagnèrent dans de joyeux tintements. J'étais debout à présent, et malgré que je ressente une légère faiblesse dans mes jambes, je tenais sur mes pieds.

— Mais où vas-tu chercher de telles idées, mon enfant ? me demanda-t-elle à peine remise de son fou rire.

Elle secoua la tête. J'haussai les épaules en offrant une tête désolée.

— Voyons, te manger, par tous les dieux, que le Soleil m'en garde ! Je crois même que pendant la grande famine d'Aonghasa, il y a trois cent années sauvages de là, nous n'avions pas connu de cas d'anthropophagie...

— Parce que vous étiez née ? ne pus-je m'empêcher de sortir, abasourdie.

La dame rit de plus belle.

— Bien sûr que non ! Je dis « nous » parce que je parle de mon peuple, ma petite, des sorciers. Mais voyons, ce n'est pas à moi de te raconter tout cela, viens avec moi, ne les faisons pas trop attendre. Un peu c'est bien, mais pas trop...

Elle accompagna sa dernière remarque d'un clin d'œil qui lui valut un regard intrigué de ma part. En m'offrant un sourire énigmatique en retour, elle me tira vers la porte par laquelle elle était entrée, celle de gauche, et nous nous engouffrâmes dans un couloir sombre dont les murs étaient faits de pierres.

— C'est un souterrain ? demandai-je, Feuille d'Automne me tenant toujours par le bras.

J'avais l'impression que le couloir descendait en pente légère et que nous nous enfoncions sous terre.

— C'est cela, me confirma la petite femme. Le C.I.S.I. s'étend dans des kilomètres de souterrains sur plusieurs étages. Là, nous nous rendons au souterrain le plus profond. C'est une cavité naturelle dont la surface est presqu'aussi grande que le reste des souterrains réunis. Ce qu'il faut que tu comprennes par-là est que c'est immense ! On l'appelle la salle de rassemblement et c'est la seule qui puisse contenir toute la communauté. Il y en a quand même qui ne trouvent pas de places assises mais tout le monde y rentre.

Tout en parlant, ma sauveuse me menait de couloir en couloir, nous guidant toujours plus dans les entrailles de la terre. Mais, un malheur ne venant jamais seul, je ne portais pas de chaussures lors de cette marche déboussolante, et ma plante de pieds n'appréciait pas d'être au contact de la roche rugueuse et inégale. S'aidant de subtiles douleurs lancinantes, elle me le faisait donc savoir, chose dont j'aurais pu me passer. 

Parfois, nous descendions de longs escaliers pentus et j'étais alors obligée de ralentir le rythme tant je les avais en horreur. Je m'appliquais alors à mettre un pied devant l'autre sans glisser. L'idée de tomber me donnait une peur bleue et pour couronner le tout, j'avais le vertige. Même dans des escaliers, oui. Chacun ses faiblesses.

— La salle va sûrement être pleine à craquer aujourd'hui, parce que tout le monde veut être présent pour assister à l'arrivée d'un Transfert. Surtout que tu es le premier de l'année, alors imagine un peu !

Disons que j'avais du mal à imaginer quoi que ce soit. Pourtant, mon cerveau semblait en parfait état. J'étais lucide, je voyais bien malgré l'éclairage plus ou moins faible des différents couloirs. J'entendais bien, nos pas résonnaient de manière lugubre dans le silence des souterrains. Mon odorat fonctionnait aussi puisque je sentais sans peine l'odeur caractéristique de la pierre humide. J'espérais d'ailleurs qu'ils n'avaient pas de problème d'étanchéité dans leurs souterrains, sinon je ne donnais pas cher de leur peau le jour où des pluies intenses se déverseraient sur eux. Mais je ne savais même pas pourquoi je m'inquiétais pour cette mystérieuse communauté alors que j'aurais dû être en train de m'inquiéter de mon propre sort, qui lui, méritait qu'on s'y attarde. Peut-être était-ce l'angoisse qui me faisait penser n'importe comment. C'était sûrement l'angoisse.

— Tu vas faire une superbe entrée, m'assura Feuille d'Automne, en reprenant son monologue. Tu vas marcher la tête haute, en regardant droit devant toi. Ne te laisse pas impressionner par mes amis sorciers. S'ils te paraissent hostiles c'est parce qu'ils te jugent, ne t'en fais pas. Et je sais que tu t'en fais pour ta robe mais tous les nouveaux passent par là. C'est la robe de la Nouvelle.

De nouveau, j'avais l'impression qu'elle parlait de moi comme d'une bête de foire. Ses paroles n'étaient pas du tout rassurantes, elles me donnaient même envie de faire demi-tour sur le champ et me cacher sous les couvertures du lit en mousse. Mais c'était trop tard, nous venions de nous arrêter devant une double porte massive en bois, ornée de multiples dorures scintillantes. À y regarder de plus près, ce n'étaient pas exactement des dorures. Cela ressemblait plus à de l'or liquide et brillant, qui dégageait de la lumière et illuminait la porte d'une manière si particulière qu'elle m'envoûta instantanément.

— Elles sont belles, hein ? C'est le flux énergétique de la Grande Prêtresse qui alimente toutes les dorures du Palais.

J'hochai la tête en silence, même si je ne comprenais rien à ce qu'elle me racontait. Feuille d'Automne me sourit à nouveau.

— Nous y sommes, me chuchota-t-elle.

Mon cœur s'accéléra. Cela par contre, je le comprenais très bien. J'aurais presque préféré ne pas comprendre. « Bon courage », me souffla-t-elle encore. Mon accompagnatrice poussa les battants de ses deux mains et ceux-ci s'ouvrirent sur une immense salle. Feuille d'Automne n'avait pas menti,  elle devait faire la taille d'un terrain de football. Au moins.

Éclairées par des dizaines et dizaines de lustres à bougies et de chandelles, des tables rondes s'étendaient à perte de vue. Soudain, une pensée me traversa et je me demandai si j'avais atterri dans une secte. Si c'était le cas, il allait vite falloir que je trouve un moyen de sortir avant que l'on ne me fasse un lavage de cerveau. Sauf s'il avait déjà commencé sans que je ne m'en rende compte. Mais il fallait surtout que j'arrête de penser, je devenais complètement parano. Et la salle était pleine de monde, comme l'avait supposé Feuille d'Automne. Les centaines de paires d'yeux qui me dévisageaient me donnèrent des frissons.

Ma sauveuse m'encouragea à la suivre de son sourire chaleureux et nous nous engageâmes dans l'allée qui traversait la salle dans sa longueur vers... un trône. C'en était trop pour mes yeux, j'allais faire une syncope. On se serait cru dans un château d'une autre époque. Je n'avais jamais autant été déstabilisée. Les talons de Feuille d'Automne claquaient sur la pierre polie et l'assemblée suivait notre marche dans un silence religieux. Une petite me lança un sourire que je lui rendis.

Ces gens portaient des coiffures pour le moins excentriques. La plupart des femmes arboraient de très longues chevelures lisses de diverses couleurs qui leur arrivaient au bas du dos tandis que d'autres les avaient remontées en de gros chignons touffus qui leur donnaient des airs d'illuminés. Rien qui ne me rassure, pour faire bref. Beaucoup d'hommes avaient eux aussi les cheveux longs – c'était à croire qu'ils ne savaient pas les couper ! – de couleurs sombres. Il y en avait des bleu marine et des noires, j'en décelai même quelques-unes marron et rouge foncé. Les femmes portaient de longues robes et les hommes d'amples tuniques. Dans quel pays de tarés me trouvais-je ?!

Enfin, Feuille d'Automne ralentit le pas puis s'arrêta tout à fait devant le trône. J'écarquillai les yeux devant celle qui me faisait face. Je ne sais pas si ce qui me coupa le souffle était sa beauté ou le fait qu'elle se trouvait sur un trône qui ressemblait à ce qu'on pouvait rencontrer dans nos manuels d'histoire mais j'avalai ma salive de travers et manquai de m'étouffer devant un bon millier de personnes. Formidable, May.

— Grande Prêtresse, salua Feuille d'Automne la divinité qui trônait devant nous en inclinant le buste.

Elle portait une robe d'un blanc immaculé, aux antipodes de l'accoutrement excentrique de ma bienfaitrice et nous observait avec un regard perçant, ses yeux aussi sombres que le bleu de la nuit lorsqu'elle tombe, son visage angélique ne laissant aucune émotion transparaître. Je ne pus m'empêcher de trouver son self-control épatant.

Arès de trop longues secondes dans un silence électrique, un léger sourire étira ses traits et elle m'adressa enfin la parole.

— Bienvenue à la maison, Nouvelle.

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*dernière modification le 24/07/19*

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