✨Chapitre 19 - D'astres personnifiés et d'un monde
Je travaillai dur. Durant les trois mois qui suivirent, je rattrapai du mieux que je pus ce que les autres avaient déjà appris.
Et tous les matins, Ethel, Thomas et moi traversions les couloirs grouillant d'écoliers en uniformes pour nous rendre au cours de madame Kletter. C'était lors de ce cours que je me démenais le plus puisqu'après la pause, nous enchaînions avec le cours d'astrologie. La définition même de l'inutilité. Ma confrontation avec la brutalité de ce monde – à savoir les Voleurs d'âmes – m'avait changée. Je ne comprenais plus l'intérêt d'étudier le ciel alors que je n'arrivais déjà pas à comprendre ce qui se passait au sol. Pour tout dire, je ne l'écoutais que d'une oreille, plus occupée à déchiffrer les fresques qui défilaient sur les murs.
Leurs couleurs étaient fraîches et vives, contrastées et étincelantes. Elles tapaient à l'œil et l'émerveillaient comme un balai d'oiseaux exotiques au milieu d'un champ de ruines. Le peintre avait si bien su manier son pinceau (ou tout autre sortilège) que les formes représentées paraissaient en mouvement.
Des astres personnifiés. Voilà ce que les fresques représentaient. Et je n'avais besoin de personne pour les déchiffrer : elles faisaient le récit de la création du monde sorcier par les Astres. J'observais ces peintures à chaque cours, tous les jours de chaque semaine.
La raison pour laquelle je ne m'en lassais pas était simple : lorsque votre regard était happé par cette explosion de couleurs il y avait tant de détails que vous en remarquiez toujours un nouveau qui éveillait votre curiosité. De cette manière, je ne m'ennuyais jamais en astrologie et j'en vins même, grâce aux peintures, à comprendre l'histoire de la création du Monde Sorcier.
En sircien, il avait un nom. Dashgaïh. Littéralement cela signifiait maison. Mais pour les sorciers, l'ensemble du territoire sur lequel ils pouvaient évoluer, leur planète, était considérée comme leur maison. Les humains devraient en prendre de la graine.
Dashgaïh avait été créé par les astres. Ils étaient dix divisés en deux catégories. Les astres primaires comptaient le Soleil, la Lune et le « Néant ». Je n'avais pas la moindre idée de sa représentation ni de son rôle, seulement qu'il avait permis la naissance de la Lune en s'unissant au Soleil. Bizarre. Venaient ensuite sept astres secondaires : Mercure, Vénus, Mars, Saturne, Jupiter, Uranus et Neptune.
Chaque astre avait ajouté sa touche personnelle dans la création du monde en insufflant de sa magie dans les êtres dont ils peuplèrent la terre et je pensais très sincèrement qu'ils auraient pu s'abstenir car cela nous aurait évité la situation dans laquelle je me trouvais, mais il faut croire que je n'avais pas mon mot à dire. Cela donna des sorciers avec des pouvoirs de dix racines différentes.
Le fait que je juge plus intéressant d'apprendre l'astrologie par le décryptage de dessins plutôt que par les méthodes traditionnelles ne contrariait personne sauf une : le prof. Mon approche de la pédagogie ne lui plaisait pas vraiment, pour ne pas dire qu'il l'avait en horreur et il ne manquait pas de me le faire remarquer à chaque fois qu'il avait l'occasion de surprendre mon regard perdu dans les peintures ensorcelantes.
Un jour de mars où nous étudiions les associations des astres à la magie, je scrutai avec attention pour la première fois les anneaux de Saturne : ils semblaient tourmentés, s'entremêlant les uns entre les autres dans une tempête de fumeroles grises. L'esquisse ne paraissait pas réaliste mais dégageait un charme intriguant. C'est alors que monsieur Titor me tira de ma contemplation de sa voix criarde :
— Que pouvez-vous nous dire sur la magie de Vénus et les sorciers qui la portent en eux, mademoiselle la Nouvelle ?
Même après deux mois et demi passé dans son cours, il continuait d'employer cette appellation plus que dépassée. Il était le seul. Mais de toute façon, j'étais bien incapable de répondre à son interrogation.
Puisqu'Ethel était assise à ma droite, en tant qu'amie solidaire comme elle aimait me le répéter, elle me donna un coup de coude dans les côtes et me souffla « Optimisme ! ».
— Oui j'en aurais bien besoin ! lui chuchotai-je en retour, ne voyant pas où elle voulait en venir.
Vous parlez d'une amie solidaire...
— C'est d'ailleurs pour cela que vous n'êtes pas liée à Vénus, ajouta le professeur qui nous avait très bien entendues.
Mais contre toute attente, sa phrase éclaira ma lanterne. Bien sûr ! L'optimisme ! Vénus !
— Les sorciers qui portent la magie de Vénus, répondis-je enfin, ont un optimisme hors du commun, une bonté et une générosité qu'il est rare d'observer chez les autres sorciers.
Certes, je brodais un peu mais qui n'a jamais « blablaté » en cours ?
— Ils feraient de... bons psychologues chez les humains, continuai-je, mais ont un... défaut non négligeable : ils peuvent se laisser aveugler par leur positivité, ce qui peut les mener à un état proche de l'insouciance. À tel point que cette insouciance... elle...
Je ramais complètement et le professeur semblait s'en délecter. Sadique.
— Comme je disais, bafouillai-je, cela peut les mettre dans de mauvaises situations, des situations dans lesquelles ils ne se seraient pas trouvés s'ils avaient été plus méfiants et moins optimistes, débitai-je.
— C'est épatant mademoiselle, me gratifia le vieux professeur sans une once de bienveillance dans la voix. Mais dommage que vous oubliiez la moitié des caractéristiques des porteurs de Vénus.
Je soufflai. Je pensais m'en être pas mal sortie, mais vouloir satisfaire un prof, c'est comme tenter de décrocher la lune en s'enfonçant dans des sables mouvants : même sans les sables mouvants, ça tient du miracle.
Voyant que je ne pouvais plus rien dire, il continua :
— Bien, la Nouvelle n'en sait pas plus, demandons à l'un de ses camarades de nous compléter sa réponse. Tiens, toi là-bas, dit-il en désignant de son doigt charnu une élève blonde au fond de la salle, que je n'avais jamais remarquée auparavant.
Ce devait être parce qu'elle était timide. Ou que je m'intéressais définitivement plus aux peintures sur les murs de la classe qu'aux Transferts la contenant.
— Hum..., bafouilla la jeune fille pâlotte, ses doigts agrippés aux rebords de son bureau. Vénus... non, le sorcier qui porte la magie de Vénus, pardon, s'excusa-t-elle en déglutissant dans un gargouillement, requiert un score allant de deux à six, si je ne me trompe pas, finit-elle par sortir en se détendant tout de même un peu. Son oiseau totem est le moineau. C'est une espèce qui a été introduite involontairement par un Transfert il y a de nombreuses années de cela, continua-t-elle de plus en plus à l'aise. On a accordé le moineau à Vénus parce que cet évènement s'est produit lors d'un transit de Vénus, au moment où la planète est passée devant le soleil. Ce phénomène est si rare que les sorciers y ont vu un signe des dieux et ont décidé d'associer l'astre et la nouvelle espèce.
J'avais le souffle coupé par l'explication que la sorcière venait de donner. Et le prof la regardait d'un air suffisant, le sourire jusqu'aux oreilles, les joues rougies de contentement, tout heureux que quelqu'un ait appris son cours.
Finalement il était possible de satisfaire un prof... Mais encore fallait-il en avoir le talent, ce qui n'était pas mon cas.
— N'oubliez pas de prendre des notes mademoiselle la Nouvelle, au lieu de rester les bras ballants, s'acharna le prof, ses yeux globuleux de nouveau tournés dans ma direction.
Je piquai en quatrième vitesse une feuille du calepin d'Ethel – puisque j'avais oublié le mien au dortoir, c'était la première fois que cela m'arrivait, je vous le promets – et me concentrai sur mon index gauche pour que les motifs qu'il effectuait au-dessus de la feuille ressortent à l'encre sur le papier. J'y inscrivis : « Vénus – 2 à 6 – Optimisme, moineau ».
Le professeur continua ses interrogations perfides à propos d'un autre astre : Mars. Ces élèves n'en savaient pas beaucoup plus que moi, et cela irrita le professeur bedonnant jusqu'à ce qu'il se rabatte sur Spoty et sa collègue la petite blonde, qui étaient indéniablement les seuls à avoir appris leur leçon de manière à atteindre les exigences de Monsieur Titor.
— Au nom des dieux, pour la huitième fois aujourd'hui, quelles sont les particularités de Mars ? interrogea-t-il la classe à bout de nerfs de sa voix criarde. Je les veux toutes en même temps ! D'un seul coup, tac-tac-tac ! martela-t-il.
— Le feu, la force et l'aptitude au combat monsieur ! répondit le rouquin plein d'entrain.
— Ah, bien ! Pouvez-vous nous en dire plus jeune binoclard ? demanda le prof.
Il avait une disposition pour ne jamais avoir à se servir de nos prénoms assez fascinante.
— Les sorciers qui portent en eux la magie de Mars sont de valeureux guerriers et peuvent se révéler de vraies machines de guerre mais aussi de redoutables stratèges tout en étant de véritables maîtres du feu.
Ah bon ? Voilà qui s'avérait intéressant. Je tendis l'oreille.
— La plupart d'entre eux, continuait Spoty, sont engagés comme Gardes du Palais et sont majoritairement des hommes. Ils ont une capacité qui leur est unique : celle de se battre sans bouger. Pour cela, ils visualisent leur adversaire et placent et déplacent leur corps énergétique comme ils le souhaitent pour les combattre. Pour cela, ils modifient la structure de l'air et y incorporent leur fibre magique. Celle de Mars, donc.
C'était exactement ce que Zed avait fait pour éviter l'accrochage avec le rigdaflex. Impressionnant.
— Quel score leur faut-il ? s'enquit un garçon proche du rouquin à lunettes.
— Entre six et huit, répondit l'intéressé, et leur oiseau totem est le pic-vert, qui se nourrit de flammes.
Ça, je le savais ! pensai-je dans un sourire, contente de ne pas être si inculte que ça.
— Et qu'en est-il du feu ? demanda un élève à l'extrémité de la salle.
— J'allais y venir ! se vexa Spoty. Les porteurs de Mars peuvent les allumer ou les éteindre d'un claquement de doigts, invoquer des incendies par des charmes qu'ils sont les seuls à pouvoir maîtriser ou encore réchauffer n'importe qui ou n'importe quoi d'un simple contact. Aussi, dans de certaines conditions, ils sont insensibles au contact des flammes.
Le rouquin disait juste. Je me rappelais que peu avant l'attaque des Voleurs d'âmes, Zed avait allumé une torche de cette manière. Je notai alors sur ma feuille : « Mars – 6 à 8 – Feu, combat, force, pic-vert. Voilà qu'on en sait plus sur M. Zed ! »
Et le cours se poursuivit en suivant le même schéma : le prof posait une question sur l'un des astres et Spoty, ou la fille blonde, répondait.
À la fin de l'heure, ma feuille était bien remplie. À Mars et Vénus j'avais ajouté ceux-ci :
« Mercure – 2 à 6 – Lumière, capacité à émettre des ondes nocturnes (équivalent infrarouges), faucon crécerelle (Spoty),».
« Jupiter – 3 à 6 – Terre, nature, avenir, communication avec les arbres, paruline à collier (Ethel) »
« Saturne – 4 à 8 – influence, persuasion, peut tendre à la manipulation si excès ou mauvaises intentions, colibri blanc (Lumia ?) »
« Uranus – 5 à 7 – Eau céleste, liquides, martin pêcheur (Thomas !) »
« Neptune – 5 à 7 – lecture des pensées grâce à un parfum, ressentir énergie, émotions sorciers ou créatures, milan des marais, (Maître Gorigann ?) »
Il y avait quelque chose d'étrange. Nous n'avions étudié que les astres secondaires. Où étaient donc passés le Soleil, la Lune et l'énigmatique Néant ? Je griffonnai ma question sur ma feuille et la montrai à Ethel. Elle me répondit : « Plus tard ». Sympa. Et puis j'oubliai de la relancer et elle oublia de m'en reparler donc je n'eus jamais ma réponse.
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*dernière mise à jour : 30/09/18*
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