✨Chapitre 17 - D'aiguilles et de souvenirs
D'abord des palpitations et de la douleur. Intense, la douleur. Puis des sons. Et des voix.
— Ils l'ont eue, dit une voix grave, posée, profonde. Il n'y a rien à faire.
Bruits de pas. Des aiguilles dans le crâne.
— Vraiment ? Mais que faisait-elle là ?
Présence d'individus proches. Une envie de vomir insupportable.
— C'est vrai ! Elle n'avait rien à faire par ici ! Elle aurait dû être trop assommée pour faire le chemin depuis les sous-sols.
— Vous vous trompez.
Une voix grave et connue.
— Vous savez comment les Voleurs agissent : ils hébètent tout le monde et en piègent une seule qu'ils attirent à eux pour s'assouvir de son esprit et le donner à leur Maître.
— Mais ça n'est pas arrivé depuis si longtemps ! Vous ne trouvez pas étonnant que les créatures soient toutes déchaînées depuis qu'elle est là ?
— Enfin, lorsqu'elle était là. Sa poitrine ne se soulève plus... Les voleurs doivent avoir emmené son âme avec eux. Et puis tu tires des conclusions un peu hâtives. Nous entrons dans le tricentenaire du palais mes frères. Les manifestations de la magie sont décuplées à chaque changement de siècles, vous le savez bien.
— Mais pourquoi l'avoir choisie elle, alors, si elle n'a rien à voir avec cette affaire ?
— Eh... soufflai-je.
— Regardez, elle parle !
— Hein ? C'est pas–
— Ma... man...
— Si ! Elle vit ! May !
Cette fois je pus reconnaître la voix de Zed qui, au bruit croissant des pas martelant le sol, devait s'approcher.
— Aux noms des dieux... May, souffla-t-il en s'agenouillant près de moi.
Mon mal de crâne était insoutenable. Un « Hmm » plus proche du gémissement que de l'approbation fut tout ce que je parvins à sortir au prix d'un effort inutile.
J'essayai d'ouvrir les yeux mais en étais incapable. J'étais autant bloquée physiquement que psychologiquement. J'avais l'impression qu'une chape de plomb clouait mon corps au sol et m'interdisait tout mouvement. Je sentais que cela se passait au niveau de mon esprit. C'était comme si une porte s'était fermée. Impossible d'accès. Des aiguilles me torturaient de toutes parts et je me sentais proche du malaise. Je ne parvenais à respirer que par à-coups, la bouche entrouverte, l'air me faisant l'effet d'une lame de glace tranchante asphyxiant mes poumons de leur élixir le plus cher.
— Tu sais que tu nous as fait une sacrée peur, continua le grand brun. Ça t'arrive souvent de faire ce genre de blague ?
Je ne savais pas si on pouvait appeler ça de l'humour étant donné la douleur qui me lançait de partout dans le corps, mais cela me fit sourire. Intérieurement bien entendu, étant tout aussi paralysée qu'incapable de prononcer le moindre son.
— Mais... Comment survivre aux Voleurs d'âmes ? s'étonna l'homme méchant qui avait parlé le premier, celui qui avait parlé de ma MORT.
— Eh bien Nadolig, tu lui demanderas de te raconter son expérience et peut-être que ç'aura pour effet d'ouvrir un peu ton esprit !
— Pourquoi n'est-elle pas à l'état de... légume ? demanda un autre.
— Ça peut arriver, le contredit la voix connue.
Maître Gorigann. Enfin ! Je me souvenais ! Ce nom me faisait l'effet d'une lanterne au milieu du brouillard si épais dans lequel j'étais plongée. Il reprit :
— Ça arrive si rarement qu'on ne peut connaître exactement les chances de survie. Il se peut qu'ils ne lui aient pas pris son âme.
— Qu'est-ce qui pourrait les en avoir empêchés ?
— Peut-être n'était-elle pas la proie qu'ils recherchaient. De toute façon, même si elle résiste à la première nuit suivant l'attaque, elle n'a aucune chance de se rétablir complètement. L'Esprit Vengeur voit, touche et sent à travers les Voleurs.
— Je me demande pourquoi il l'a épargnée...
— J'ai bien peur qu'elle ne soit plus entière à son réveil. Si elle se réveille. À ce moment-là elle restera paralysée à vie ou bien certains de ses sens seront tant affaiblis qu'elle ne pourra plus s'en servir. Ceci dit, tout cela n'est qu'une hypothèse, c'est un sujet mal connu.
— Nous étudierons cela, reprit l'homme méchant, dans les Marques des Anciens.
La douleur était trop forte. Je commençais à transpirer et mon souffle se faisait plus sifflant, plus douloureux. Chaque inspiration était un effort mais je luttais coûte que coûte. Mais je voulais survivre. Je voulais vivre.
— Elle a de la fièvre, dit Zed qui c'était relevé d'un ton calme. Son état risque d'empirer. Il faut la transporter chez la guérisseuse.
— Charge-toi en, Zed, dit un autre homme d'une voix impérieuse. Emmène-là chez Feuille d'Automne, nous nous occuperons de son cas lorsqu'elle se sera remise.
Il claqua dans ses mains – ou produisit un son similaire – avant de poursuivre :
— Bien, la menace est écartée, les Voleurs ont eu ce qu'ils voulaient. Le temps que l'air dissipe leur poison, d'ici quelques heures, tout le monde sera de nouveau sur pieds. Vous autres, gardes, rentrez chez vous, retrouvez les vôtres. Vous pouvez disposer. Trifoïs ablas catrum.
— Trifoïs ablas catrum ! répétèrent tous les hommes en cœur.
Je sentis enfin ce que j'attendais depuis que j'avais repris connaissance. On me soulevait. Ce devait être Zed. Je reconnus son odeur. Sel et feu de bois.
— Allez Princesse, ça va aller, me rassura-t-il. Mais inutile de te dire que tu vas déguster.
Je dégustais déjà, merci. Le garçon parlait tout en marchant. Il m'emmenait loin du lieu de l'affrontement. J'aurais aimé lui dire ce que j'avais ressenti lors de la présence des monstres, mais j'étais dans l'incapacité la plus totale de lui faire savoir quoi que ce soit.
— Brax, le Grand Gardien va vouloir te cuisiner dans tous les sens pour obtenir une explication. Mais quelle idée d'avoir voulu venir... soupira-t-il.
Si j'avais pu, j'aurai ri. Zed se morfondre sur mon sort ? Et puis, c'était pas comme s'il parlait tout seul... À moitié.
Tout à coups il ralenti.
— Feuille, appela-t-il. Tini, t'es là ?
Bruit de porte.
— Zed ! Comment vas-tu mon garçon ? Qui m'amène... Oh mais c'est la nouvelle ! Pauvre petit, que lui est-il arrivé ? Ce sont les Voleurs ? Par le Soleil... Tiens, entre. Pose-la ici. Voilà, comme ça.
Il me déposa sur un lit doux et moelleux, fait de végétaux. La femme déposa un linge humide sur mon front trempé de sueur puis traça un chemin abstrait sur mon visage à l'aide d'un onguent qui répandit sur ma peau des picotements tandis que ses doigts sillonnaient mes joues, mon nez, mon front pour finir immobiles sur mes yeux. J'eus très chaud d'abord et très vite, fus prise de frissons qui enveloppèrent tout mon corps avant que je ne me calme et retrouve une certaine sérénité, ma respiration se calmant peu à peu.
— Il s'est passé quelque chose de très étrange, Tini.
La voix de Zed.
— Elle était dans les bois quand on repoussait les Voleurs d'Âmes. J'aurais pas dû l'emmener mais si tu avais vu sa détermination... Elle a une force de persuasion, c'est assez déroutant. Dégoutant. Bref.
À ce commentaire, j'entendis la guérisseuse rire.
— Tout à coups, reprit le grand brun, leurs cris se sont intensifiés et on l'a vue courir hors des bois l'air totalement paniquée. J'ai d'abord cru que quelque chose l'avait effrayée à l'intérieur, mais les Voleurs avaient l'air attirés par elle. Ils l'ont encerclée. Debout, bien droite dans le champ de vision de tout le monde elle s'est mise à hurler en se prenant la tête dans les mains. Un cri à glacer le sang. Je suis sûr qu'on aurait pu l'entendre du haut de la montagne du Reflet... Puis elle est tombée à genoux toujours en hurlant et s'est effondrée. Il y a eu comme un grand tourbillon de brume autour d'eux, une onde de choc, puis les Voleurs se sont évaporés.
— Je sens cela comme un mauvais présage, mon garçon. Continue, ce n'est pas fini.
La femme me palpait le front, la tête, le ventre tout en écoutant le sorcier tandis que j'entendais plusieurs bruits confus de raclement, d'eau qui coule, du crépitement d'un feu aussi.
— J'ai... On a cru qu'elle était morte. C'est ce qui se passe normalement. On s'est approché, les gardes ont commencé à s'interroger et puis elle a prononcé un mot.
— Lequel ? l'interrogea Feuille d'Automne, soudain vive d'intérêt.
— Quelque chose comme Maman, il me semble.
— Vraiment ?
— Pourquoi cela aurait-il une importance ?
— Oh Zed, dit-elle, les choses ont souvent beaucoup plus d'importance qu'il n'y paraît. Dans la nature tout a une signification. Ce qu'il faut mon garçon, c'est la trouver. T'a-t-elle déjà parlé de sa mère ?
— Non, mais tous les Transferts ont du mal à accepter d'être séparés de leur famille à leur arrivée. C'est pas nouveau.
— Voyons Zed, je te pense quand même assez intelligent pour remarquer que son cas est différent de celui des autres Transferts.
La guérisseuse soupira.
— Peu importe, nous aurons bien une réponse tôt ou tard. Comment s'appelle-t-elle déjà ?
L'écoulement d'un liquide, des tintements d'ustensiles, des bruits de placards.
— May, répondit Zed.
Un silence.
— En es-tu sûr ? Ce n'est pas le nom que je lui aurais donné, répliqua-t-elle.
Zed émit un rire.
— Qu'est-ce que tu racontes Tini ? Toujours ce délire selon lequel on n'a pas le prénom que l'on mérite ? Tu sais, notre nom ne définit pas qui on est et la manière dont les gens nous perçoivent... On aurait les mêmes vies avec des prénoms différents.
— Alors ça ! Tu penses comme un très vieil homme de l'ancien monde de la pauvre enfant... Mais je ne suis pas de ton avis, ni du sien. De toute façon, ce n'est pas le sujet... May me fait penser à quelqu'un.
Silence.
— Mais oublie cela mon garçon. Tu peux nous laisser. Je vais m'occuper d'elle, maintenant.
— Tini... Ce que tu me dis me fait penser à...
— Heïna ?
À nouveau, silence.
— C'est curieux ! Figure-toi qu'elle accompagnait mes premières pensées ce matin.
Soupir.
— Cette passion qu'elle avait pour le monde des humains et son obstination à contrer tous ceux qui essayaient d'avancer des idées simplistes était assez épatantes.
Feuille d'Automne m'entrouvrit les lèvres et fit couler un breuvage bouillant le long de ma gorge. La brûlure qu'il me procurait n'était rien comparé à la douleur que j'avais ressentie peu auparavant alors j'essayais de la supporter sans tenter de me débattre. De toute façon je n'aurais pas pu faire un mouvement. J'étais toujours oppressée par un poids invisible. Ma vulnérabilité était ridicule. Je me faisais peur toute seule.
— Heïna est une jeune fille forte. Elle s'en sera sortie.
— Mais comment peux-tu dire ça Tini ? Elle est morte à l'heure qu'il est ! Dois-je te rappeler qu'elle a été bannie du C.I.S.I ?!
— Des peuples vivent en dehors du Palais, dans le Sauvage, Zed. Et ses parents sont de bons sorciers, ils s'en sortent aussi.
— Elle était si jeune... souffla-t-il.
— Zed, écoute, dit Feuille d'Automne d'une voix sévère.
Je ne la voyais pas mais pouvais affirmer qu'elle fronçait les sourcils, si elle n'avait pas les poings sur les hanches.
— Ce qui est arrivé à Heïna et sa famille doit nous servir de leçon. Nous vivons dans un système où une minorité a le pouvoir sur son peuple. Et pas n'importe quel pouvoir. Celui de décider de la vie ou la mort de n'importe lequel de ses sujets. Ce n'est pas parce que la Grande Prêtresse qui a choisi de bannir cette famille était la mère de Soleil Levant que cette dernière n'applique pas les mêmes principes. Au contraire. L'actuelle Grande Prêtresse est plus nourrie du besoin de vengeance que quiconque. Elle en est avide. L'assassinat de sa mère l'a rendue plus dure que toutes ses ancêtres...
— Je sais tout cela, répliqua Zed.
— Bien entendu puisque que tu vis parmi ces dirigeants. Ce que je veux dire pas là, c'est que May n'est pas un Transfert anodin, il serait dangereux de se le cacher et que si elle ne passe pas entre les mailles de la poudre magique, elle est en danger. Quel score a-t-elle eu ?
— Neuf.
— La pauvre.
— Elle est en danger. C'est un miracle que les Chasseurs ne l'aient pas encore dénoncée. Mais qu'est-ce qu'on peut faire ?
— Récapitulons. Elle a beaucoup trop d'énergie en elle. Soleil Levant doit être en train de chercher un moyen de l'utiliser. Les Chasseurs voudront obtenir une bénédiction divine s'ils découvrent son score. Les Voleurs l'ont épargnée. Et je n'arrive pas à remettre de nom sur son visage.
— Et que pouvons-faire ? Pour l'aider, pour la sauver.
— L'entraîner. Qu'elle sache se servir de ses pouvoirs, les maîtriser et pouvoir se défendre seule. Parce que s'il y a bien une chose dont on peut être sûr, c'est qu'elle sera percée à jour. Et il faut la préparer.
Zed ne répondit rien. Mais j'entendis cependant un soupir qui en disait plus long que n'importes quels mots.
Bruit de pas, claquement de porte.
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*dernière mise à jour : 20/07/18*
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