✨Chapitre 13 - De paillettes et d'une tempête

J'eus l'impression d'être emportée dans un tourbillon, avant d'être projetée à terre. Quand je me relevai, je reconnus sans difficulté la voix grave qui retentit derrière moi.

— Salut May ! On t'a pas prévenue que ça secouerait pour venir jusqu'ici, à ce que je vois.

— Non Zed, répondis-je d'une voix égale sans me retourner tout en époussetant mon pantalon. Mais merci pour l'accueil.

— C'est toujours un plaisir.

— Enchanté May, nous interrompit une voix grave et autoritaire.

Je me retournai, surprise. Un homme de taille moyenne aux cheveux gris se tenait debout, les mains croisées dans le dos. Ce devait être le fameux maître dont Zed m'avait parlé. Il avait un visage rond, arborait une belle moustache et semblait ne sortir de nulle part.

L'homme se planta à côté de Zed, sourit et me tendit la main.

— Bonjour... monsieur, répondis-je en bégayant, prise au dépourvu.

— May, voici Maître Gorigann, m'expliqua Zed.

Je souris, histoire de faire bonne figure.

— Inutile, coupa Gorigann en grimaçant. Ne te force à rien. Avec moi tu vas être toi-même parce que je ressens toutes les émotions que les sorciers dégagent. C'est comme... comme un formidable parfum si tu veux.

— Donc vous... lisez dans les pensées ? C'est gentil de prévenir, repartis-je d'un ton amère.

Il claqua dans ses mains.

— Il est temps de passer aux choses sérieuses ! Allez, montre-nous ce que tu as dans le ventre ma petite May. La Grande Prêtresse ne m'a pas confié cette Nouvelle pour rien. 

Je dévisageai les deux hommes tour à tour, les yeux écarquillés. C'était plutôt vague comme consigne, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'ils voulaient de moi. J'attendis.

— C'est pour aujourd'hui ou pour demain ? s'impatienta Maître Gorigann.

— Fais-nous une petite démonstration, explicita Zed, l'œil rieur. De tes pouvoirs.

Une sueur froide me secoua.

— C'est ça que vous voulez ? Je sais à peine me transformer !

— Elle ment comme elle respire, c'est fabuleux, soupira le maître.

Je restai interdite devant sa remarque puis fronçai les sourcils et me décidai. Ils voulaient voir mes pouvoirs ? Très bien. Ils seraient servis.

Oubliant toutes précautions parce qu'après tout, c'étaient eux qui l'avaient demandé, je fis le vide en moi et portai toute mon attention sur mon ventre. C'était là qu'était stockée ma magie d'après les livres de madame Kletter. Une fois concentrée sur mon corps, consciente du flux d'énergie qui circulait dans mes veines, je levai les bras au ciel en décrivant des cercles.

Soudain, un voile de nuages apparut dans le ciel. J'appelai l'orage. De seconde en seconde, ils s'épaississaient, s'assombrissaient et tourbillonnaient. Le vent aussi s'était levé, parce que lui aussi, je l'avais appelé. Son souffle frais me giflait le visage et faisait frémir les feuilles dorées qui se balançaient sur les branches des arbres. Les nuages étaient menaçants. De vrais nuages de tempête. L'air s'était épaissi, il était lourd. Jac m'avait appris à faire ça. À appeler les éléments. Et vu l'expression des deux zozos ébahis qui me regardaient, l'effet devait être plutôt réussi.

Mes bras tremblaient presque. Je plissai les yeux, les lèvres serrées, concentrée, il ne fallait surtout pas que je lâche la pression, au risque de... Eh bien Jac ne m'avait pas explicitement dit ce qu'il se produirait si je lâchais tout, mais il était inutile d'avoir un prix Nobel pour se douter que les conséquences seraient fâcheuses. J'avais mal au bras, mal dans la nuque, mal au bas du dos mais la sensation que me procurait ma magie était si grisante que je ne pouvais pas m'arrêter là.

Alors j'appelai l'électricité. Je ressentis des picotements au bout de mes doigts, un éclair zébra le ciel. Suivi d'un autre. Je ne bougeais plus. Les pieds ancrés dans le sol, j'éprouvais une stabilité étonnante. Les illuminations s'enclenchaient les unes après les autres dans un jeu de son et lumière du plus bel effet. En quelques minutes, le vent devint puissant. Il se faisait insistant. Il réclamait la pluie. Mais je ne voulais pas de pluie. Je devais lui résister, le calmer. Sauf que je ne savais pas faire ça. 

Un sentiment de panique m'envahit. Et si je ne pouvais plus m'arrêter ? Tout mon pouvoir me pressait d'appeler la pluie. Tous les éléments que j'avais appelés le demandaient aussi. Mon corps... se nourrissait de cette sensation nouvelle, satisfaisante, du pouvoir glissant dans mes veines.

Mais il fallait que je l'arrête. À tout prix. Écoute, May, t'es pas bête, alors tu vas repousser tous les éléments comme tu les a appelés. Et si ça marche pas... t'aviseras le moment venu. 

Concentrée comme je l'étais rarement, je libérai l'électricité. Puis le vent. Et les nuages. C'était beaucoup plus simple que je l'avais craint. Ils s'évaporèrent comme ils étaient apparus.

Avec toute la précaution dont j'étais capable, je baissai les bras, fermai les yeux et inspirai profondément. Je restai ainsi immobile, en tenant de retrouver mon calme. Une longue minute plus tard, lorsque mon pouls eut retrouvé une allure moins effrénée, je rouvris les yeux. 

Tout avait disparu. Le ciel était de nouveau limpide et le soleil dispersait ses rayons cuivrés à travers les arbres. Mon visage était en sueur, une goutte d'eau dégoulinait le long de ma tempe.

— Est-ce que petite May a quelque chose dans le ventre ? articulai-je avec ironie dans un chuchotement.

Comme si j'avais peur de déranger le silence apaisé qui avait suivi ce début de tempête. Maître Gorigann, les sourcils froncés, prit la parole :

— Dis-moi petite, depuis combien de temps t'exerces-tu ?

— Trois semaines.

— Hm... Non, ricana-t-il en secouant la tête. Ce n'est pas possible. Pas en venant du monde extérieur. Ni même en ayant eu sept à l'Évaluation.

— Elle dit pourtant la vérité, Maître, appuya Zed lentement.

— Je n'y crois pas, ricana le maître. C'est fabuleusement... im-po-ssible ! rit-il.

Je retenais mon souffle. Il n'y avait bien que lui que la situation amusait.

— C'est bien aussi mon impression, ajouta Zed d'une voix grave dans laquelle perçait un soupçon de suspicion.

Il m'étudiait comme un prédateur étudie sa proie : avec un regard acéré. Mais ses yeux étaient si sombres... si magnifiques... Ils m'ensorcelaient. Ce soir, ils étaient d'un gris de tempête. Comme c'était approprié.

Tandis que les deux hommes réfléchissaient et m'étudiaient, je pris le temps de les détailler moi aussi. Tous deux portaient de hautes bottes en cuir noir, un ensemble qui semblait de la même couleur, ainsi qu'une longue cape bleue nuit qui leur arrivait aux mollets.

Le garçon me sortit de mes observations :

— Tu es sûre du score que les évaluateurs t'ont donné ?

— Certaine, répondis-je avec assurance. J'ai eu sept.

— Encore une fois, tu mens, petite, me contredit Maître Gorigann. Tu as formé une tempête semblable à la dernière décharge de colère des Astres.

— La quoi ?

— Si tu l'avais laissée se déchaînée dans toute sa puissance, tu nous aurais mis dans un sale pétrin, petite...

— Mais arrêtez de m'appeler "petite" ! m'énervai-je. Sinon je la reforme votre tempête des astres en colère et je la laisse se déchaîner, comme vous dites !

— Arrête ton cirque, me gronda Zed. Tu ne vas rien reformer et rien déchaîner, d'accord ? Et tu vas nous dire la vérité, pour changer, et nous donner le vrai score que les évaluateurs t'ont attribué.

— Parce que maintenant que Monsieur a mis un déguisement qui lui va terriblement bien, il a le droit de me donner des ordres ?

Un sourire en coin détendit un peu son visage.

— Oui, je peux te donner des ordres.

Je le foudroyai du regard, estomaquée. C'est une grande blague, il doit avoir deux ans d'écart avec moi au maximum... Je croyais rêver.

— May, combien as-tu eu à ton Évaluation ? redemanda Maître Gorigann. Tu dois être franche avec moi.

— Ah, oui ? Pour que vous puissiez me découper en morceaux après ? Ou que votre gouvernement me chasse ou me torture ou je ne sais quoi d'autre !

— Mais qui t'as mis ça dans la tête ? se lamenta Maître Gorigann en écarquillant les yeux.

— Vous savez, ris-je sur la défensive, après trois semaines à ressasser mon score et les avertissements des évaluateurs, j'ai eu le temps de m'imaginer mille et un scénarios sur la façon dont vous éliminez les éléments « indésirables »...

Zed me regardait comme si je venais d'une autre planète – et il n'avait peut-être pas tout à fait tort – tandis que Maître Gorigann avait plissé les yeux, comme s'il était fasciné. JE NE SUIS PAS UNE BÊTE DE FOIRE !, eus-je envie de leur crier. Mais je me sentais épuisée. Ma démonstration de force avait pris les dernières forces qu'il me restait. Cette journée avait été épuisante, je n'attendais plus que de pouvoir me retrouver en sécurité dans mon lit. 

— De toute façon je ressens ton énergie, continua le maître, et tu es bien au-dessus de sept... Je pencherai pour neuf, je me trompe ?

Troublée, je ne répondis rien et fixai un arbre quelconque à ma gauche. Mon pouls s'accéléra. « Pas un mot et tu seras pour toujours en sécurité. » Les mots de Lera résonnèrent sombrement à mes oreilles. Voilà qu'au bout d'une semaine j'étais déjà découverte. Paniquée, je sentis les larmes monter mais tentai de les refouler le plus loin possible. Tu ne vas quand même pas pleurer ! Devant ce Zed et un Garde du Palais que tu connais depuis une demi-heure !

— Ah je comprends, reprit Gorigann, en s'approchant de moi et en me donnant une petite tape amicale sur l'épaule. Mais ne t'en fais pas, va. On va t'apprendre à les maîtriser tes pouvoirs fabuleusement fantastiques.

Je relevai la tête, surprise.

— Alors vous ne me torturez pas ? Vous ne me jetez pas aux loups ? Peut-être que ce n'est seulement parce qu'il n'y a pas de loups chez vous...

Zed s'esclaffa.

— T'es trop bête. Ici on ne torture personne, tout le monde a le droit de vivre !

Je lui jetai un regard noir.

— Excuse-moi de m'inquiéter si on me dit que mon pouvoir est tellement grand qu'il ne faut que personne ne le découvre si je veux rester en vie ! J'imagine que toi ça ne t'aurait fait ni chaud ni froid, gaillard comme t'es !

Zed haussa un sourcil.

— Maintenant qu'on en sait un peu plus sur notre fabuleuse sorcière, reprit Maître Gorigann, en sauvant l'ambiance, nous allons pouvoir lui apprendre les bases de la fabuleuse confrérie des Gardes du Palais.

Je fronçai un sourcil et haussai l'autre en même temps. Je ne sais pas comment je m'y pris, mais cela devait assez bien refléter la confusion qui régnait dans ma tête.

— Règle numéro une, enchaîna Zed.

Il avait l'air tout content, c'était drôle.

— Tout garde doit prêter serment d'aider quiconque se trouve en danger et appartient au C.I.S.I.

Cela paraissait aller de soi, j'hochai la tête et il continua :

— Règle numéro deux : tout garde doit remplir les missions confiées par le Grand Maître et prêter serment de lui obéir sans remettre en question ses ordres.

Celle-là aussi semblait plutôt logique.

— Règle numéro trois : tout garde doit faire passer son devoir avant sa vie et sa famille.

— Euh, c'est pas un peu exagéré là quand même ? l'interrompis-je les yeux exorbités.

Zed me lança un regard noir.

— De toute façon j'ai plus de famille, ironisai-je en fuyant leur regard.

— Ne l'interrompt pas, petite, me reprit Gorigann.

Je croisai les bras, reculai d'un pas et me préparai à écouter la suite en me demandant tout de même dans quoi j'allais m'engager.

— Règle numéro quatre, continua Zed, tout garde doit faire preuve de courage dans toutes les situations. Entends par là que les lâches peuvent passer leur chemin.

— Facile à dire, le coupai-je encore.

Il m'adressa un autre regard noir – à croire qu'il ne savait faire que ça – et continua :

— Règle numéro cinq : toujours respecter les sujets du C.I.S.I. Et enfin, la règle ultime : respecter ces cinq règles d'or.

— C'est tout ? ne pus-je m'empêcher de sortir. Je pensais qu'on en aurait encore pour une heure, comme pour les règles de vie, mais si c'est déjà fini... Tant mieux.

— Est-ce qu'on t'a dit que le sarcasme et l'insolence faisaient partis de tes pouvoirs ? me relança Zed.

— C'est flatteur mais non, répliquai-je du tac au tac.

Il leva les yeux au ciel. Maître Gorigann rit dans sa barbe.

— Maintenant suivez-moi mes enfants, dit-il en nous prenant chacun par une épaule. Il faut que je vous montre quelque chose.

— Que je ne connais pas ? demanda Zed, dubitatif.

— Que tu ne connais certainement pas, lui confirma le Maître.

— Il faut bien que ça existe, répliquai-je en esquissant un sourire.

Gorigann ne put retenir un autre rire. C'était cool, je venais de me trouver un public. Peut-être qu'on pouvait faire humoriste au C.I.S.I ? Allez savoir...

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