✨Chapitre 11 - D'une devise et d'une ampoule

Elle laissa ses derniers mots en suspens et balaya l'assistance d'un long regard pour appuyer ses paroles, puis reprit d'une voix lente :

— Un grand danger vient d'être détecté à la frontière sud-est du palais. Un groupe de Tériatomes maléfiques a réussi à franchir notre barrière de protection à l'instant. Nous connaissons tous le danger que représentent ces créatures pour notre communauté !

Son ton allait crescendo et prenait de plus en plus d'ampleur dans cette salle où je me sentis soudain comme à l'étroit.

— C'est pourquoi, j'appelle maintenant tous les Gardes du Palais à rejoindre leurs sections, les informateurs et les éclaireurs, leurs compagnies, afin de repousser cette menace au plus vite. Les sujets sont invités à reprendre leurs activités mais les cours sont suspendus pour le reste de la journée. Nous appliquons le plan d'urgence. Je vous assure que ce problème sera réglé au plus vite. Mes chers sorcières, mes chers sorciers, soyez forts. Trifoïs ablas catrum.

Elle se tut et tout le monde répéta cette drôle de formule à l'unisson.

« Trifoïs ablas catrum. »

D'un geste théâtral vers son assistance, la Grande Prêtresse quitta l'estrade et disparut, ses gardes sur les talons.

Alors, les sorciers commencèrent à se lever et à quitter la salle dans un brouhaha à se donner un mal de crâne. Certains avaient le visage grave ou les sourcils froncés, d'autres affichaient une désinvolture totale. Une fois dans le hall nous pûmes à nouveau nous parler.

— Et bah, s'étonna Thomas. Ça faisait longtemps qu'un truc pareil ne s'était pas passé. Je crois que ce n'est arrivé qu'une fois depuis qu'on est là.

Ethel acquiesça.

— C'était quoi ces mots que vous avez prononcés à la fin ? demandai-je.

— C'est la langue des Anciens, me répondit Thomas. Le Sircien.

— Et les trois mots qu'on a répétés, enchaîna Ethel, sont la devise du C.I.S.I. : La solidarité amène le pouvoir et la paix. Trifoïs ablas catrum.

— Ah ! m'exclamai-je. Je comprends mieux.

— C'est censé renforcer notre entraide entre sorciers et donner l'image d'une société soudée, compléta Thomas.

Ethel lui donna un coup de coude.

— J'veux pas dire, le taquina-t-elle, mais toi aussi tu connais bien ton cours !

On rit. En regardant autour de moi, je m'aperçus que la foule s'était dispersée pour former des groupes.

— Gardes du Palais, lança un homme bâti comme une armoire à la voix de stentor, amenez vos apprentis et rejoignez-moi là-haut !

— Oui Maître ! répondirent plusieurs hommes.

— C'est qui ? demandai-je à mes amis en indiquant du regard l'homme qui ressemblait à un colosse – non, c'était un colosse.

— Brax, le Grand Gardien, me répondit Thomas. C'est le chef des Gardes du Palais. Une personne très influente.

— On chuchote aussi qu'il est l'amant de Soleil Levant, mais ce ne sont que des rumeurs, ajouta Ethel.

— Et d'après vous je suis censée faire quoi moi ? Apparemment je suis apprentie Garde, mais je n'ai pas encore eu de cours...

— Je t'avoue que j'en sais rien, me dit Ethel.

— Moi non plus, ajouta Thomas, mais s'ils ont besoin de toi, ils viendront te chercher.

— On verra bien alors. Et dites, j'ai une autre question à vous poser, leur chuchotai-je. Vous connaissez Lumia Sol ?

— La petite sœur de Zed ? me questionna Ethel. Évidemment, tout le monde la connaît ! Tu l'as pas vue elle était assise trois rangs derrière nous en ANP.

— Non, y'avait déjà assez de choses à voir comme ça... Alor, vous en pensez quoi ?

Et comme si elle m'avait entendue, sortie de nulle part, la voilà qui surgit devant nous.

— Salut May ! s'exclama-t-elle d'une voix joviale.

Je ne savais pas quoi penser d'elle après la conversation que j'avais surprise. Mais autant ne pas m'attirer d'ennuis, alors c'est sur le même ton que je répondis :

— Oh Lumia ! Tu vas bien ?

— Super bien ! Les cours sont annulés ! Je vais pouvoir tester les nouveaux parfums de ma mère. Tu sais, c'est la parfumeuse officielle de la Grande Prêtresse alors tout le monde ne peut pas essayer ses créations... Mais dis donc, t'as une nouvelle coupe ! remarqua-t-elle avec un sourire.

Elle mit une main sur mon épaule et l'autre dans mes cheveux et les tripota tout en faisant la conversation toute seule. Je détestais ça. Mais je continuais de lui sourire. Thomas et Ethel observaient la scène sans rien dire quoique Thomas essayait se retenait clairement de rire.

— Tu vas en faire tomber plus d'un ma belle. On se voit plus tard, conclut-elle avec un clin d'œil, avant de s'éloigner en se déhanchant de manière à attirer tous les regards, et particulièrement ceux de la gente masculine, à des kilomètres à la ronde.

Je me retournai vers mes amis et redemandai d'une petite voix :

— Wow. Du coup... Vous en pensez quoi ?

— J'ai envie de lui couper sa tornade de cheveux blonds qui lui tombent sur les fesses, en faire une corde et l'étrangler avec ! s'énerva Ethel.

— Alors comme ça t'as des pulsions meurtrières ? se moqua Thomas.

Je ne pus m'empêcher de rire à leur réaction.

— Non mais t'as vue la manière dont elle lui a tripoté les cheveux ? renchérit-elle.

— Je sais, je rigole, lui répondit Thomas.

— Et sinon ? demandai-je en retrouvant plus ou moins mon sérieux, un avis un peu moins affreux ?

— Moins affreux ? C'est en dehors de mes capacités, capitula Thomas. Même si ses yeux sont trop... beaux, avoua-t-il.

J'aurais juré qu'il avait rougi. Mais avec l'éclairage digne d'une nuit sans lune, difficile d'en être sûr.

— Donc même sans la belle démonstration d'intelligence dont elle vient de faire preuve, vous ne l'aimez pas ?

— Non catégorique, dit Ethel en secouant énergiquement la tête.

— Cette fille est une vraie vipère, mais son père fait partie du Conseil, ajouta Thomas. Et tu sais maintenant qui est sa mère...

— Du coup tout le monde la respecte et les Innés l'adorent, compléta Ethel.

Un silence pesant s'abattit sur nous.

— On ferait peut-être mieux de retourner au dortoir, dit finalement Thomas.

Ethel acquiesça sans grand enthousiasme.

Je commençais à reconnaître les couloirs et pus à peu près m'orienter vers le dortoir sans suivre aveuglément mes amis. Il ne devait pas être loin de midi parce que mon ventre commençait à réclamer son déjeuner.

Le dortoir était étonnamment silencieux pour le nombre de personnes qui le peuplaient. Quelqu'un nous fit signe de ne pas faire de bruit lorsque la porte se referma derrière nous. Tous étaient rassemblés en un petit groupe autour d'un bureau.

Assis à celui-ci, je reconnus Spoty, celui qui était connu pour écrire des rédactions plus longues que Guerre et Paix de Tolstoï. Mais quelque chose me perturbait. Je compris vite quoi : sa tête émettait de la lumière bleue. On aurait dit une ampoule. Rien de plus normal. Thomas me chuchota :

— Il utilise ses pouvoirs, sa magie. Elle lui permet de ressentir l'énergie que développent tous les êtres vivants dans un rayon de plusieurs kilomètres en fonction de la puissance de leur énergie.

— Mais, ce n'est pas interdit d'utiliser ses pouvoirs à l'intérieur des souterrains ? m'exclamai-je.

— Chut, moins fort ! me répondit-il. Il ne faut pas que des otuples nous entendent. Et oui, c'est interdit mais tant que personne ne le sait on craint rien.

Admirable logique.

— C'est quoi des otuples ? voulus-je savoir.

— Des petites créatures qui ressemblent à des boules de poussière, que le Conseil a introduit dans le C.I.S.I. pour intercepter toutes les conversations qui pourraient nous nuire.

— Oh, d'accord, c'est les services secrets quoi.

— Si tu veux, concéda-t-il en haussant les épaules.

On retourna tous les deux notre tête vers Spoty qui murmura :

— Je sens quelque chose !

— Allez, dit ! le pressa un garçon à ma gauche.

— Moins fort, Jules ! le rabroua un autre.

— L'énergie dégagée est très forte, répondit enfin Spoty.

Ethel se mit sur la pointe des pieds. Tout le groupe manifestait un vif intérêt pour ce que Spoty allait dire. Je me surpris moi-même à attendre avec impatience que notre messager reprenne la parole, mais à la place il prit sa drôle de tête entre ses mains et gémit.

— Ça va ? demanda quelqu'un.

— Argh ! Non non, c'est pas possible, gémit-il en secouant la tête.

— Mais qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'y s'passe Spoty ? demanda un autre.

J'écoutai, mais soudain je ressentis comme un coup dans la poitrine. Je m'efforçai de paraître décontractée et respirai à fond. Autour de moi personne ne semblait avoir remarqué mon malaise, tous étaient pendus aux lèvres de Spoty.

— Je ne sais pas c'est bizarre. J'arrive à ressentir l'énergie mais impossible de reconnaître ce que c'est.

Moi aussi, je me sentais bizarre.

— T'inquiète, reprit la personne, tu ne connais peut-être pas encore toutes les énergies.

Le coup dans la poitrine avait laissé place à une sensation de bien-être énorme, de force et de puissance comme je ne me m'étais jamais sentie. Je souris malgré moi.

— Sauf que ça fait deux ans que je suis là et je n'ai jamais ressenti un truc pareil, reprit « tête lumineuse ». C'est d'une force prodigieuse, magnifique, sauvage, grandiose, explosive et souveraine, indicible...

— Et c'est reparti pour le tour du dictionnaire, râla Ethel en roulant des yeux.

Je ris et regardai mon amie. Ses yeux s'arrondirent.

— May ! souffla-t-elle.

Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait. Je me sentais de plus en plus forte. Sans prévenir, Ethel me tira par le bras et m'entraîna en courant dans le couloir.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? lui criai-je, aussi surprise que choquée.

— Mais regarde-toi ! me répondit-elle. Vite il faut que tu te voies, et que tu reprennes ton apparence normale.

— Hein ?

— Les lavabos.

Sans plus d'explications elle me fit traverser les couloirs menant aux salles de bains et me traina par la manche jusque devant un miroir.

Instinctivement je reculai en voyant mon reflet. Mon cœur battait la chamade. J'avais le souffle court.

Soudain, la porte s'ouvrit et Thomas entra. Il s'arrêta pile en me voyant.

— Comment c'est possible... souffla-t-il.

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