✨Chapitre 1 - De bonbons et d'un mal de ventre

J'observais mon amie agiter ses doigts agiles au milieu de bouts de feuilles colorées, colle et stylos éparpillés sur le bureau, pêle-mêle. Elle noua les deux côtés du panier de papier à l'aide d'un fil de laine. Concentrée sur sa tâche, ses yeux bleu-gris étaient plissés et une mèche blonde barrait son visage poupin. De tous les Troisièmes, elle était la plus douée pour les travaux manuels.

— T'as bientôt fini ? lui demandai-je.

— Presque, me répondit-elle sans même prendre la peine de me regarder.

— Et les lampes torches ?

— Regarde, elles sont dans la poche à l'avant de mon sac. Comme ça on pourra traquer des loups garous, ou mieux, des sorciers ! s'exclama-t-elle d'un air espiègle.

— Très drôle, soupirai-je en levant les yeux au ciel. On va en ville, je te rappelle. Et il ne fait même pas nuit.

Notre chasse aux bonbons promettait d'être épique. À l'occasion d'Halloween, l'association des parents d'élèves avait, avec l'accord de notre proviseur, organisé une fête le 31 octobre. Il tombait un vendredi cette année-là.

Les deux paniers assemblés, mon amie s'acharna ensuite à leur inscrire nos noms en lettres argentées. Le pauvre feutre qu'elle martyrisait semblait prêt à rendre l'âme. Au moment où je pensais à créer une association caritative pour stylos torturés, Amy le lâcha enfin et déposa les deux paniers rouge et blanc côte à côte sur la table.

— Ça y est, c'est prêt ! s'exclama-t-elle toute guillerette en m'offrant son sourire malicieux.

— Alors en route ! ordonnai-je en m'emparant du panier sur lequel on pouvait lire « May » en lettres majuscules.

Ce n'était que mon surnom mais c'est tout ce que vous avez besoin de savoir.

— Hé ! On n'attend pas les garçons ? Tout à l'heure, tu voulais bien qu'ils viennent !

— Non, j'avais dit peut-être. Tu devrais savoir que ça veut plutôt dire non, chez moi. En plus, c'est même pas sûr qu'ils veuillent venir, ils sont bien trop occupés avec leurs cochonneries.

Amy leva les yeux au ciel et capitula :

— Comme tu veux.

Et nous étions parties pour notre aventure clandestine. Les profs nous avaient formellement interdit de sortir de l'enceinte du collège mais nous n'avions pas envie de danser sur des chansons débiles qui parlaient de fantômes et de méchantes-gentilles sorcières... Non, ce n'était vraiment pas notre truc. Nous laissions ce plaisir-là aux Sixièmes. Et de toute façon, personne n'était là pour nous empêcher de nous échapper, raison de plus pour transgresser les règles.

Nous nous faufilâmes à travers les grappes d'ados qui colonisaient le gymnase et traversâmes les couloirs d'un pas nonchalant en échangeant des regards complices, le sourire aux lèvres. Amy poussa avec détermination la porte de sortie de secours à côté des cuisines, où personne ne se trouvait jamais. Nous enjambâmes le petit muret à l'arrière du bâtiment qui nous séparait de notre délivrance malgré nos uniformes (la faute à l'école privée) et nous étions enfin libres, à la conquête des sucreries qui détruiraient notre santé mais dont nous raffolions quand même.

Notre retour s'avéra encore plus triomphal que notre départ : la récolte avait été fructueuse. Depuis le chemin forestier qui reliait le collège et la ville, j'observais l'école sous le couvert des arbres. Le vieux bâtiment ressemblait plus à un manoir tout droit tiré d'un film qu'à un collège. Mais alors que mes yeux se posaient sur les corbeaux qui guerroyaient autour d'une fenêtre du deuxième étage, une vive douleur au crâne m'arracha à mes contemplations.

Je fronçai les sourcils et me frottai la tête. Depuis quelques jours, je ressentais de drôles de douleurs sans que je puisse en déterminer les causes. Mais comme les fois précédentes, je mis celle qui venait de me frapper sur le compte des virus traînant dans l'air automnal des cours d'école.

Amy remarqua mon trouble et me demanda si tout allait bien. Je la rassurai d'un hochement de tête et nous avalâmes les mètres restants dans un silence imperturbable.

De retour à l'intérieur, nous nous installâmes dans notre coin préféré de la salle des casiers, sur le rebord surélevé d'une fenêtre que nous avions baptisé le « Repaire du temps perdu » parce que nous étions de grandes poétesses dans l'âme et que nous nous y retrouvions lorsque nous espérions trouver un peu de tranquillité. Là, bien installées, nous dévorâmes la moitié des bonbons tout en échangeant des blagues. C'était à celle qui serait la plus morbide.

— Tu crois aux créatures fantastiques, toi ? me demanda Amy alors qu'elle venait de marquer un point contre moi. Aux sorcières, vampires, loups garous et compagnie ?

— Je sais pas, réfléchis-je.

J'avais l'esprit embrumé à cause de tout ce sucre ingurgité mais réalisai que ma réponse était ridicule.

— En fait non, c'est clairement pas possible. Et toi ?

Amy haussa les épaules. Cela signifiait chez elle qu'elle ne partageait pas tout à fait mon point de vue et qu'elle croyait donc à l'existence potentielle de ces créatures. Mais c'était délirant ! Avait-elle vraiment insinué cela ou était-ce moi qui perdait la tête et interprétait mal ses gestes ? Ce devait être le sucre qui me donnait des pensées aussi tordues.

— Tu regardes trop de séries, conclus-je.

À la sonnerie, nous nous dirigeâmes vers l'auditorium où les profs allaient nous faire un discours sur la nécessité de travailler, nous rabâcher pour la centième fois combien l'école est primordiale, et peut-être se donneraient-ils la peine de nous souhaiter de bonnes vacances.

— Pourquoi voudrais-tu qu'ils le fassent ? me demanda Amy.

— Parce qu'ils ont peut-être un soupçon de gentillesse, lui répondis-je.

— Alors là tu rêves cocotte !

Je laissai échapper un rire tout en secouant la tête. Ce qu'elle pouvait être médisante lorsqu'elle le voulait...

Nous nous installâmes dans les gradins. Le silence gagna la salle et le proviseur commença par sa phrase d'introduction habituelle : « Chers élèves, mesdames et messieurs les professeurs, le personnel administratif et toutes celles et ceux qui prennent part à notre grande aventure éducative sur le chemin du savoir, merci à tous d'être présents ici ce soir... »

Tout à coup ma vue se brouilla et une douleur m'arracha le ventre. Une alarme retentit dans mon cerveau et me déchira la tête. Elles ressemblaient à ce que j'avais ressenti ces derniers jours, mais je ne fis pas le lien immédiatement parce que ces douleurs-là étaient beaucoup plus fortes et beaucoup moins soutenables !

— Ça va ? me demanda Amy en posant une main rassurante sur mon bras tremblant, les sourcils froncés. T'es toute pâle !

Cette fois-ci, je ne pouvais pas me dérober en prétextant que tout allait bien, parce que je ne contrôlais plus rien et que tout allait mal.

— Me dis pas que t'as le vertige, on n'est que trois rangées plus haut que d'hab !

C'était vrai, j'avais le vertige et c'était vrai également que nous nous étions placées trois rangées plus haut qu'à notre habitude... Mais ça ne pouvait pas être la raison de mon malaise.

— Heu non, j'ai pas le vertige... Mais je sais vraiment pas... ce qui m'arrive,  chuchotai-je, haletante.

— Bah viens, on s'excuse et tu vas aux toilettes. Tu dois mal digérer un bonbon. Je parie que c'est un crocodile du vieux de la ferme d'en bas. À tous les coups, ils étaient périmés. Et puis, ils vont bien nous laisser sortir, sinon je leur lancerai des missiles de bonbons à la figure et ça leur apprendra à s'en prendre aux plus faibles qu'eux !

J'appréciais beaucoup l'humour de mon amie, surtout lorsque j'avais juste envie qu'elle se taise pour qu'on sorte le plus discrètement possible...

— J'ignorais que tu nous trouves faibles, ne pus-je m'empêcher de répliquer.

— Oh non, seulement toi, me répondit-elle avec un clin d'œil.

Encore mieux.

— Alors, tu viens ? Tu vas quand même pas attendre de t'évanouir, si ? Parce que je t'en crois capable !

— Ça doit être un acte de faible alors, murmurai-je en me tenant le ventre d'une main.

De l'autre, je m'appuyai sur le dossier des fauteuils de la rangée en contre-bas, tout en essayant de ne pas écraser les pieds des pauvres ados boutonneux que nous devions déranger par notre déplacement incongru.

— Oh, le prends pas mal, c'était censé être une blague. Pourrie, mais une blague quand même ! Et puis oui, ça n'a rien de courageux. Quand on fait face à une épreuve, aussi dure soit-elle, on l'affronte avec dignité. Quelle idée de vouloir s'évanouir !

Pour ce qui était de passer inaperçues c'était raté, nous nous étions installées au milieu des gradins ! Certains élèves nous regardaient avec un air curieux, d'autres affichaient carrément du mépris. Ils pouvaient penser ce qu'ils voulaient, je n'étais pas en état de m'excuser. Le directeur jeta un œil sur nous mais continua son discours. Ouf.

En plus de la douleur insupportable au ventre, j'avais l'impression qu'on me lacérait le cerveau. C'était intenable. Et au milieu de tout ce bazar qu'était devenue ma tête, une pensée confuse essayait de se frayer un chemin. Des flashs, des images... mais je n'arrivais pas à démêler leur sens.

Cela avait-il un rapport avec... ma naissance ? Oui, c'était cela. Drôle de pensée d'ailleurs, quel était le rapport avec mon indigestion ? Et puis ce n'était pas censé causer de telles douleurs !

Cela m'était déjà arrivée de faire des indigestions, parce que j'avais cette fâcheuse tendance à ne jamais faire attention aux dates de péremptions. Mais lorsque cela se produisait, ma belle-mère avait toujours de quoi soulager mes maux de ventre et souvent, les chamailleries de mes petits frères – de vrais monstres inoffensifs et adorables – suffisaient à me changer les idées. Mon père me rappelait alors de ne plus jamais recommencer et j'obéissais... jusqu'à la fois suivante.

Les flashs se firent plus insistants contre mes yeux et le visage de mon père le regard perdu dans le vide s'imposa à moi. Il ne pouvait penser qu'à une seule chose lorsqu'il faisait cette tête. À ma mère.

Partie trop tôt, avant même que je puisse garder un souvenir, un visage ou une odeur... et dans des circonstances qu'on ne m'avait jamais vraiment expliquées, elle demeurait une énigme entière pour moi. Peut-être qu'un jour, je comprendrais.
Mais le plus effrayant c'était que cette pensée resurgisse là, tout à coup, alors que mon amie et moi atteignions enfin la porte de sortie. Je me demandai si je n'étais pas en train de perdre la tête...

Lorsqu'un surveillant nous demanda la raison de notre déplacement, quelques têtes trop curieuses se braquèrent sur nous. Je ne savais pas que répondre, incapable d'assembler deux pensées cohérentes dans ce qu'il restait de ma tête, mais Amy me devança :

— Elle a mal au ventre, on voudrait aller aux toilettes.

Malheureusement, la discrétion n'avait jamais été son fort alors un imbécile eut juste le temps de glisser une remarque tout à fait dans son genre : « Elle a ses règles ! » avant que je ne lui lance un regard noir et que la porte ne se referme sur nous.

Le couloir qui menait aux W.C. était sombre et étroit ce qui, dans ce genre de situation, était tout à fait rassurant. Soudain, mes genoux cédèrent en même temps que mes douleurs atteignaient leur paroxysme. Je m'étouffai avec ma propre salive, ma vue se brouilla, un cri retentit.

Puis plus rien.

_______________________________

Bonjour, je vous souhaite la bienvenue dans l'univers de May !

Qu'en avez-vous pensé ?

Ne vous privez pas de commenter, j'ai besoin de vos avis et conseils, qu'ils soient positifs ou négatifs (mais constructifs). N'hésitez pas!

Au plaisir de vous revoir,
À bientôt!

*Publication : 25/05/2016, dernière mise à jour : 24/07/2019*

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top