7. Le cadeau
Serena
Je ne parlais pas. Je m'étais réveillée depuis un bon moment, pour me découvrir dans cette chambre au papier peint fleuri, aux meubles anciens et à la fenêtre donnant sur un champ. Mes yeux continuaient de voyager dans leurs orbites à la recherche d'indices qui me permettraient de comprendre et de calmer cette angoisse qui me nouait le ventre.
Une petite femme mûre à la mine sévère accompagnée d'un jeune homme timide d'origine sud-asiatique avaient remplacé l'homme blond étrange à mon chevet. Ils m'avaient débarrassé des tubes et aiguilles plantés dans mon corps faible... Mon corps. Je levai une main et en contemplai les doigts fins et la sécheresse d'une peau foncée. Ma peau avait toujours requis beaucoup d'hydratation... Et ça, je le savais grâce à ? La banque de souvenirs flous au-dessus de ma tête à laquelle je n'avais pas total accès.
Ils me firent asseoir, me donnèrent à boire... Je ne connaissais pas ces gens. Où était ma mère ? Mais avant tout, qui était ma mère ? J'en avais bien une ! J'en étais persuadée. Ce n'était juste pas cette petite femme dont je ne comprenais même pas le langage. Je ne me souvenais pas de ma vie, mais j'avais l'impression de pouvoir identifier ce qui en faisait partie.
Qu'est-ce qui m'était arrivé ? Pourquoi je n'arrivais pas à le demander malgré l'anxiété qui plissait mon front et tendait mes muscles ?
— Elle ne parle pas russe, Olga, intervint le blond qui avait reculé dans un coin de la pièce.
Sa mâchoire carrée et ses joues creuses en faisaient un bel homme, même si son nez semblait avoir déjà été cassé. Il était grand, musclé sans être baraqué sous sa veste en cuir et son jean déchiré. Le problème ne venait pas de son physique, mais de son aura et de l'ombre derrière ses yeux bleus. Il avait l'air... fou.
D'où pouvais-je connaître quelqu'un pareil ? L'absence de réponse alimentait ma confusion que je pouvais toujours pas à exprimer. Je remarquai le drap serré dans mes poings lorsque les yeux de ladite Olga s'y portèrent.
- Tu sais comment tu t'appelles ? s'enquit-elle avec un fort accent.
Oui... Enfin, j'étais censée le savoir. Pourtant je n'en avais aucune idée.
- Tu te souviens de ce qui t'es arrivé ?
Non. Ça aussi, je l'ignorais. Qui étais-je, nom de Dieu ?
Elle échangea un drôle de regard avec le blond. J'avais envie de parler, mais je ne pouvais pas. Techniquement je savais que j'en étais capable, mais ça ne voulait pas. Je pensai aussitôt au petit Harry et son mutisme sélectif... suite à un traumatisme... Harry ? Un gentil garçon qui était... mon élève, parce que j'étais... institutrice.
Oui, ça me revenait ! C'était un rêve d'enfance. Mais je me heurtai à un mur quand j'essayai de fouiller plus loin dans ma tête.
Je sentais leur attention sur mon visage tandis que celui-ci se plissait et se détendait au fil de mes réflexions. Le blond et la femme discutèrent en russe, tandis que l'assistant se tenait à l'écart, la tête baissée.
Étrange.
La petite femme se tourna vers son interlocuteur et adopta un ton plus dur qui domina le reste de la conversation.
Ce dernier finit par se redresser d'un air menaçant avant de leur aboyer quelque chose qu'elle accepta à contrecœur. Ils quittèrent la chambre. Je me retrouvai seule avec... le fou.
Il s'avança vers moi, sourire aux lèvres. Le réflexe de reculer sur mes fesses se déclencha en moi et ce fût là que je réalisai que je n'avais aucun contrôle sur mes jambes. Je les sentais, mais ils ne m'obéissaient pas.
- N'aie pas peur, dit-il en posant une main sur ma joue.
Il remonta ensuite jusqu'à mes tresses... Mes tresses ! Je me rappelais les avoir faits moi-même. J'aimais porter des tresses ! Je me souvenais aussi de ne pas aimer qu'on les touche. Pourtant, je ne bougeais pas. Même si l'envie courait dans mes veines. Même si l'appréhension tendait tous mes muscles.
- Olga se trompe. Tu es parfaite comme ça. Tu es un cadeau. Et moi, je suis un veinard.
Il leva mon visage vers lui par le menton. Je déglutis avec difficulté.
- Tu ne te rappelles vraiment pas de moi ?
Je ne répondis pas. La pression de son toucher augmenta.
- Réponds-moi !
La peur au ventre, je secouai la tête de gauche à droite. Je ne me rappelais pas qui il était, mais je savais que je devais le fuir. Et j'allais le faire.
Ses yeux brillèrent suite à ma réponse. L'instant d'après, il m'attrapait les joues pour coller avec force ses lèvres sur les miennes. Je me sentis souillée. Cet homme m'avait fait du mal. Mon âme le savait, même si je mon cerveau ne me donnait pas accès aux faits. Je n'étais pas censée être là. Il n'était pas un proche.
Quelque chose clochait, à commencer par pourquoi je n'étais pas plutôt dans un hôpital ? Pourquoi ils parlaient russe et moi pas ? Pourquoi il était si heureux que je ne me souvienne de rien ? J'étais en danger. Je le sentais. Mon cœur aussi le sentait. La panique me menaçait. Mais une petite voix m'intima de rester calme, d'être intelligente, d'être forte...
Sans pouvoir me l'expliquer, elle me rassura. Je l'accueillis comme une promesse que je n'étais pas seule. Comme si quelque chose de plus grand m'aiderait. Comme si j'allais pouvoir retourner à ma vie. Parce que j'étais convaincue qu'elle n'était pas ici.
Je portai une main à la joue de l'homme, et sa barbe de fin de journée me caressa la paume. Encore une fois, je fus tentée d'être séduite par sa beauté sculpturale et son parfum viril, mais mon instinct l'emporta. Je savais que je devais le fuir. Et mon évasion commençait par ça.
Il saisit mon poignet et contempla mes doigts d'un regard incrédule. Je voulais juste m'attirer sa sympathie pour faciliter ma fuite, mais il se comporta comme si c'était la première fois qu'il avait droit à une caresse. J'avais du mal à y croire vu son physique, mais sa réaction me toucha en plein cœur.
Son prochain baiser fut moins désagréable, quoique toujours bourru, mais d'une façon différente. Je n'y répondis pas, mais n'y résistai pas, même si l'alarme dans ma tête ne s'était pas tue. Je fermai les yeux et imaginai que c'était un rêve. Un rêve où on était juste deux inconnus qui se plaisaient. Un rêve qui commençait à devenir de plus en plus... bon. Il m'embrassa le cou et je frissonnai lorsqu'il le mordilla.
Il me coucha sur le lit, mes pieds ne répondaient toujours pas. Il allait s'en occuper, mais la sonnerie de son téléphone m'évita d'aimer ce qui allait se passer.
Je me couvris le visage de mes paumes en expirant fort par la bouche.
- Ne te cache pas de moi, ordonna-t-il d'une voix rauque, saccadée.
J'obéis et il vint m'allonger confortablement. Je voulais disparaître dans mon oreiller sous ses billes brillantes. Je portai mes doigts à mes lèvres chaudes pour me donner contenance. Ça sembla lui faire un effet de dingue... comme si je l'informais que j'en voulais encore. Il jura entre ses dents et fit un tour sur lui-même, les mains jointes devant son visage. Disparu l'homme menaçant, j'avais d'une certaine façon du pouvoir sur celui- là. J'enregistrai l'information.
Il se résigna à répondre à son téléphone.
- Cliff, tu me les casses ! grogna-t-il.
Des frissons couvrirent mon corps en entendant ce nom, mais je me heurtai tout de même au mur désagréable devant mes souvenirs. Que m'arrivait-il ? Que me cachait ma mémoire ? Ce chaos dans mon esprit s'étendit à mes tripes.
La mâchoire puissante du blond se contracta, comme si la personne à l'autre bout du fil n'avait pas un bon effet sur lui non plus. Il raccrocha au bout d'une minute après un simple « j'arrive » désagréable.
J'eus envie de le questionner sur ce Cliff, mais mes mots restaient toujours hors de mon contrôle. De toute façon, ce n'était pas le bon moment vu son expression.
Il avait du mal à retrouver son état extatique après cet appel. Mais il s'avança vers moi et se pencha, les mains de part et d'autre de mon corps. Je me forçai à le regarder droit dans ses yeux bleus et ne flanchai pas malgré ses menaces proférées avec sa voix la plus douce.
- Je vais donner l'ordre à Stanislas de t'exploser les chevilles si tu tentes de t'enfuir. Tu es mon miracle et je compte te garder. T'as compris ?
Je déglutis et hochai la tête puisqu'il semblait attendre une réponse. Il enchaîna, satisfait :
- Bien. Reste sage ! Olga prendra soin de toi. Et peu importe ce qui se passe dans ta tête, rappelle-toi que je t'aime. OK ?
Il m'aimait ? J'éprouvai une subite envie de pouffer, mais me contentai de hocher la tête à nouveau.
Comme il s'évertuait à me contempler d'une façon dérangeante et que ça m'embarrassait, je portai un doigt timide sur son menton et baissai les yeux, autant animée par mon besoin d'obtenir son affection, que de juste toucher sa beauté.
L'air se chargea de tension électrique. Trop d'émotions traversèrent son visage pour tous les nommer, mais je retins celle qui m'avait donné envie de le caresser comme un petit chiot qui n'avait jamais connu d'affection.
Il.vient.de.te.menacer. Et tu sais qu'il est dangereux !
Je savais, mais... Il y avait un mais. Quelque chose s'était passé en lui. Son regard avait changé. Je le trouvais plus... vulnérable. Et ça ne me laissait pas indifférente.
Son souffle s'emballa, puis il s'éloigna brusquement comme pour s'empêcher une bêtise.
- Je reviens au plus vite, jeta-t-il d'un ton bourru avant de claquer la porte.
C'était étrange, mais j'avais autant envie qu'il ne revienne pas et tienne sa promesse.
Une semaine s'écoula. Je m'ordonnai d'arrêter de surveiller la route. Je ne voulais pas le revoir. Je réappris à marcher. À me réhabituer avec mon corps. À collecter le maximum d'informations sur les habitudes de mes compagnons afin de planifier ma fuite, pour pallier au vide dans mon esprit.
Je savais que quelque chose de grave m'était arrivé et le blond était impliqué. Cependant je n'avais pas d'explications pour les cicatrices sur mon ventre, les griffures sur mes hanches, ni la cause de mon coma... Le sud-asiatique n'avait apparemment pas le droit de me parler. De toute façon, je n'arrivais pas à le questionner. Je communiquais avec Olga sur des bouts de papier. Elle ne répondait qu'à des questions simples, comme le nom du blond ; me laissant nager dans cette confusion épuisante sur mon existence.
Je voulais savoir. Mon cerveau n'avait pas à me cacher la vérité.
Ce soir-là, je sautai de mon lit au bruit d'une voiture dans l'allée et courus vers l'entrée en tenant ma longue robe de soie. J'en portais une tous les jours avec mes cheveux frisés relevés en chignon, puisque c'était le seul type de vêtements que Xavier m'avait acheté, sans rien à me mettre en dessous. J'essayai de me convaincre que je voulais revoir le blond parce qu'au moins lui aurait des réponses. Mais ce ne fut pas lui notre visiteur.
C'était un grand brun aux yeux d'orage. Et il n'était pas venu seul. L'horreur l'accompagnait.
16/01/22
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