5. La mort




Quoi ? Elle devait me tuer ?

Elle m'implora de comprendre du regard.  Je devais comprendre quoi, bordel ? Qu'elle s'était foutue de moi, était cinglée, ou avait décidé de m'ôter la vie pour leur éviter de le faire ?

— Serena, mendia-t-elle mon pardon.

J'avais du mal à déglutir. Cliff agacé, la rappela à l'ordre et elle baissa les yeux.

- Tout le monde t'a toujours surestimée, Irina. Comme tu le sais, ta magie n'a jamais opéré sur moi.

Cet homme était le mal. J'avais presque l'impression de voir une fumée noire autour de sa silhouette élancée dotée d'une élégance qui détonait avec sa cruauté. Il semblait aimer prendre soin de son apparence autant que détruire celle des autres. En contraste à Xavier qui avait plus un style de motard.

Les cheveux ras, la peau mate, imberbe comme pour ne pas faire ombre à l'illusion tranchante de ses traits. Ses yeux enfoncés d'un gris orageux surplombés par des sourcils droits et fournis lui conféraient une beauté brute. Jusqu'à ce qu'on remarque ses lèvres un peu trop rouges... un peu trop sensuelles.



Il portait un long manteau en feutre sur un col roulé et un pantalon ajusté. Un étalage de luxe noir pour intimer le respect. Des mains gantées de la même couleur émergèrent de ses poches tandis qu'il s'approchait de moi. Je vis ensuite un couteau s'y manifester, comme tombé de sa manche et mon cœur rata un battement. Dos au mur, je n'avais plus d'espace où reculer, mais mon instinct de survie essaya quand même d'en trouver.

Malgré les menaces et les traitements ignobles de Xavier, jamais je n'avais autant eu peur de lui. Un coin de mon cerveau continuait de chercher une issue et me soufflait de courir jusqu'à la porte, même si j'avais peu de chance. Une partie de moi avait quand même envie d'y croire, jusqu'à ce que de nouveau son regard haineux accrochât le mien. Tout l'espoir dans mes veines se transforma en stalactites qui me glacèrent le sang. Il allait me tuer. Je pouvais le sentir. Quelques gouttes d'urine mouillèrent ma cuisse et je n'essayai même pas de les essuyer.

Ma mère interrompit mon supplice en s'interposant entre nous deux et mes poumons relâchèrent l'air qu'ils retenaient de peur d'offenser le monstre par mon besoin de respirer... mon besoin de vivre.

- Cliff, je t'ai vu devenir... ce que tu es. Ce monde, c'est aussi le mien. Je sais qu'il n'y existe pas de pitié... Je sais que tu n'en ressens aucune. Je ne crois pas aux miracles. Mais n'y a-t-il un moyen qu'elle ne meurt pas ? C'est mon... bébé.

Le sanglot involontaire dans sa voix me brisa le cœur. Elle n'avait plus aucune raison de jouer la comédie. J'avais l'impression que ce n'était pas dans ses habitudes de supplier, mais que ses instincts de mère l'avaient emporté. J'aurais aimé connaître cette femme plus tôt. J'aurais aimé avoir l'occasion de l'appeler maman.

Cette vulnérabilité n'avait pourtant suscité aucune émotion chez le criminel qui dit juste d'un air blasé :

- Ton mari serait tellement déçu.

La posture d'Irina se recomposa à cette mention et sa voix d'ensorceleuse lui revint :

- Je sais que tu ne laisseras pas Igor hériter du trône de Dimitri. J'ai passé des années à saboter les réseaux de la mafia. Si tu la laisses vivre, je pourrai te révéler...

Le criminel claqua la langue, à deux doigts de bailler d'ennui.

- Tu n'as rien à marchander, Irina. Tu t'es toujours crue plus intelligente que tu ne l'es en réalité. J'ai déjà toutes les informations dont j'ai besoin. L'Orfèvre m'a chargé de te surveiller, quand je suis devenu son second. Tu pouvais berner tes gardes du corps, mais pas moi. J'ai découvert il y a des années, ce que tu manigançais. Je ne lui ai rien rapporté. Au contraire, j'ai calmé ses doutes. Tu faisais mon travail à ma place. Maintenant que t'as démoli toutes les fondations de son royaume. J'ai juste à porter le coup final. C'est moi qui lui ai révélé ton arrangement avec les Leonov, parce que je n'avais plus besoin de toi. C'est à cause de moi qu'il veut ta tête. Mais je te promets de la garder dans une jolie boîte en vitre à côté de la sienne, en hommage à ton... sacrifice.

Les épaules d'Irina avaient perdu leur assurance au fil du discours du monstre. Celui-ci laissa la défaite de son vis-à-vis s'étendre dans son esprit et sortit entretemps de sa poche un paquet de bonbons moelleux pour enfants avant d'en glisser un dans sa bouche.

Aucun d'entre eux ne parlait. Je retins mon souffle tandis que je m'éloignais à pas discrets vers le mur opposé.

- Qu'est-ce que tu vas faire ? souffla Irina, vaincue.

Je lui en avais voulu au début d'abandonner aussi vite, de ne pas déployer plus d'efforts pour me sauver. Mais je comprenais désormais à quel point la situation était désespérée. Cliff s'était servi d'elle, puis l'avait coupé de toutes ressources. Qu'aurais-je pu faire de mieux à sa place ? Utiliser la violence ? Même moi qui ne les connaissais pas sentais qu'elle n'avait aucune chance face à lui. La décontraction de Cliff indiquait d'ailleurs à quel point il ne la considérait pas comme une menace.

Il rempocha ses bonbons, termina de mâcher le nouveau dans sa bouche avant de répondre, son couteau pointé vers une moi statufiée :

- Je vais commencer par la tuer, comme tu as échoué. Puis, je t'apporterai à ton mari en signe de ma... loyauté. Je garderai peut-être ta langue pour t'éviter de me la mettre à l'envers, même s'il ne croira plus un mot qui sortira de ta bouche.

Xav débarqua à ce moment-là et je mesurai mon désespoir à mon soulagement de le revoir. Je préférais ses menaces dégoûtantes et l'objectification de ma personne à la présence terrifiante de l'autre.

- Ou on ne la tue pas, proposa le blond appuyé de façon nonchalante contre le cadre de la porte. Et il n'y a que toi qui meurs. Ça c'est inévitable. Mais si tu t'agenouilles devant moi, je promets d'épargner ta fille.

Son complexe de supériorité n'avait pas pu s'en empêcher. Si je m'en sortais, je me promettais d'exploiter son obsession pour ma mère. Il restait juste à savoir s'il pouvait vraiment changer la décision de son acolyte.

- Je ne vais quand même pas te croire sur parole ! cracha Irina.

- Mais tu n'as pas le choix, se délecta le blond de sa toute-puissance.

Je repris ma progression peureuse vers le mur opposé dans l'espoir de le rejoindre vers la sortie, au lieu d'aller droit vers lui en passant près de Cliff. Je ne voulais pas mourir. Je suppliai même mon cœur de battre moins fort pour éviter d'influencer le monstre.

Irina, avide d'espoir, implora ce dernier :

- Tu... tu écouterais Xavier ? Je sais que tu le fais parfois. Tu accepterais qu'il la sauve ?

Cliff sourit, amusé de la laisser dans le doute.

Irina abattue, se tourna vers moi le regard désolé. Si seulement on avait plus de temps. Si seulement... Elle m'adressa un sourire triste comme si elle partageait mes pensées. Une larme involontaire m'échappa. La vie pouvait être tellement injuste !

Je respirais du suspense en guise d'air. Plus personne ne bougeait en attendant la réaction d'Irina. J'en profitai pour atteindre l'autre mur.

Les bottines de ma génitrice finirent par la porter devant Xavier. Je voulais courir les rejoindre. Mais le regard du monstre me pétrifia. Je l'imaginais m'interrompre et me poignarder le dos un nombre incalculable de fois. J'avais physiquement mal à soutenir son contact visuel.

Je formai des poings pour réduire les tremblements de mes mains et baissai les yeux en implorant toutes les divinités dont je connaissais le nom. En périphérie. je vis Irina s'agenouiller devant un Xavier qui avait du mal à cacher son extase.

- Et un souhait d'exaucé, mon frère, le félicita Cliff. Toutefois, le devoir nous appelle.

Il avança dans ma direction. J'avais l'impression que mes pieds étaient faits de béton lorsque je tentai de fuir. En une seconde, il était devant moi et mon souffle se bloqua sous la violence de cet objet rigide et froid transperçant mon ventre jusqu'à la garde.

Lentement mon regard embué voyagea de la source de cette douleur insoutenable au responsable qui scrutait mes traits en quête d'un détail connu que de lui-même. Il ne broncha pas lorsque je m'accrochai à son manteau, à l'agonie, incapable de trouver la force d'émettre plus qu'un gémissement de condamnée lorsqu'il déplanta la lame pour me l'enfoncer plus haut, sous les côtes.

J'avais le souffle coupé. Une unique larme dégringola ma joue. J'allais mourir. Du sang remontait lentement dans ma gorge et je sentais mon tee-shirt s'imbiber d'une humidité poisseuse. Je mourrais. Une brûlure infernale léchait mon ventre et entre mes côtes. Les hurlements de ma mère me parvinrent comme dans un voile, mais sa voix à lui fut claire, comme si elle voulait marquer mon âme avant mon départ pour l'enfer, au cas où la froideur de ses yeux gris aurait échoué.



- On ne s'est pas trop bien compris, Irina. Comme tu m'as épargné des années de stratégie, je vais reprendre le plan pour toi. Premièrement, je tue ton rejeton.



Il m'arracha le couteau. Je m'écroulai aussitôt, rejoindre la marre rouge qui s'étalait à mes pieds. D'une main tremblante, j'essayai de presser les plaies, mais je me retrouvai vite la paume glissante et impuissante face au débit de sang qui quittait mon corps.

Ma vision commençait à se flouter, mais je le vis s'approcher comme si de rien n'était d'une Irina en détresse, criant, injuriant, maîtrisée par Xavier :

- Deuxièmement, je te ramène à ton mari en guise de ma loyauté. Puis au moment opportun, je lui tranche la tête et récupère son trône. Tu voulais détruire la mafia, alors qu'elle a juste besoin de sang neuf. La meilleure décision de ta vie était de pousser ces vieux ploucs à s'entretuer. Dommage que tu ne seras pas là pour voir le fruit de ton travail.

Irina n'était que haine. Peu de souffles me séparaient de mon dernier, mais je pouvais sentir son chaos dans l'air.

- Tu vas payer, Cliff. Même si je dois revenir d'enfer pour tenir cette promesse. Tu ne connaîtras jamais la paix.

Je m'étouffais avec mon sang. Mes paupières se fermèrent d'elles-mêmes au cours des secondes  où ils n'arrachèrent plus un mot. Mais le criminel finit pas soupirer, agacé :

- Ouep. Ta langue. Merci de me rappeler de m'en débarrasser quand j'en aurai fini avec toi.

Il quitta la pièce d'un pas assuré, mais jeta avant de disparaître :

- Xav, tu sais quoi faire. On embarque ce soir.

Mes yeux s'ouvrirent avec difficulté. Je n'étais plus qu'agonie et faiblesse. Je voulais que ça s'arrête. Je voulais... Je voulais tellement de choses... Pourquoi ma vie devait-elle s'arrêter de cette façon ? Ma vision vacillante de mourante capta la silhouette floue du blond retenant ma mère qui sanglota de désespoir une dernière fois :

- Pardonne-moi, mon bébé. Je suis tellement désolée.

Puis, ce fut le noir.


06/01/22

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