3. Garce manipulatrice

Il aimait m'humilier, me rappeler qu'il tenait mon sort entre ses mains. J'avais ignoré la nourriture qu'il me servait au sol les deux premiers jours. Il devait savoir que j'allais craquer au troisième, car il cracha dedans.

Je n'avais plus de larmes et je n'en voulais pas. Je devais réfléchir au meilleur moyen de m'en sortir et de le tuer. Je le laissais parler, en faisant attention aux détails importants qu'il pourrait lâcher. Il adorait s'écouter. Il me l'avait dit. Il préférait que je me taise, car ma voix et celle de son fantasme n'étaient pas pareilles.

Au moment venu, je lui trancherais la gorge et garderais le tee-shirt couvert de son sang en souvenir. J'avais cru que mon amour du macabre se limitait à mes goûts en matière de films d'horreur et mes décorations d'Halloween toute l'année. Il fallait croire que je n'avais pas laissé à ma noirceur l'occasion de s'expandre.

Je pensais parfois à brûler vif certaines personnes, mais physiquement, je n'avais jamais fait de mal à quelqu'un sans qu'il ne me l'eût demandé. Même si on m'avait traitée de sorcière à plusieurs occasions, parce qu'on me trouvait flippante, jamais je n'avais eu à me battre, ni à blesser qui que ce soit. Toutefois, ça n'allait pas durer, je le sentais. C'était moi ou ce malade mental et je me choisissais, moi.

Après tout, je m'étais agenouillée et l'avais bien convaincu de me donner des vêtements, non ? Bon, ce n'était qu'un tee-shirt. Mais ça m'avait rassurée sur ma capacité à obtenir ce que je voulais des hommes. Moi qui avais cru changer en rencontrant Sara ! Jeter mes cadeaux hors de prix ne pouvait pas effacer les années d'expérience à les amasser.

J'avais détecté et misé sur le complexe de supériorité du criminel. Je lui avais soumis mon besoin de me couvrir, car le froid dans cette pièce humide et moisie était insupportable. Mais je lui avais rappelé qu'il n'avait qu'à m'ordonner de me dévêtir quand il voudrait puisque j'étais à sa merci. Je l'avais docilement laissé en profiter à deux reprises. Au moins, j'avais vu juste. Son besoin de me rabaisser était ce qui causerait sa perte.

Je n'avais toujours pas rencontré son acolyte, Cliff. Pourtant malgré son absence, c'était un peu grâce à lui que Xav ne m'avait pas violée. Et il en mourrait d'envie. Il n'arrêtait pas de le dire. Mais pour l'autre, les missions passaient avant les pulsions, pour éviter les accrochages. Xav parlait donc de s'approprier mes restes.  Ce qui n'arriverait jamais, car je m'évaderais avant.

J'espérais juste ne pas tomber sur l'autre quand j'aurais tué le blond. Si quelqu'un était assez terrifiant pour faire tenir Xav à carreau en son absence, je n'avais pas envie de le rencontrer. Même si je me forçai parfois à me rappeler son visage, car c'était lui que j'avais aperçu dans les toilettes le jour de mon enlèvement. Même si je me demandais s'il était aussi barge que son acolyte... ou pire.



Je ne voulais pas qu'il vienne me compliquer la tâche. J'apprenais à connaître Xav. Peut-être que si je le convainquais de me servir avec des couverts, je pourrais les utiliser contre lui. D'une façon ou d'une autre, j'allais me sortir de ce merdier. Je me le promettais. Je n'avais pas souffert toute ma vie pour tout perdre, à peine avais-je trouvé l'amour et un semblant de bonheur.

Avec une vieille ampoule et un seau d'usage comme seule compagnie sur un matelas humide, mon esprit essayait de se perdre ailleurs, mais revenait sans cesse aux moments les plus sombres de mon existence. Comme ce soir où j'avais perdu ma virginité.

J'avais treize ans, et c'était avec le premier garçon majeur à m'avoir accordé de l'attention.  Il avait en effet abusé d'une mineure. Je n'avais personne pour me surveiller. Et à l'époque, j'aurais tout donné pour un peu d'affection. Je me souvenais m'être dégonflée à la dernière minute en le suppliant d'arrêter, mais il n'avait rien voulu entendre. Je m'étais résignée. À la télé, c'était bien ce que les gens faisaient pour exprimer leur amour. Alors, je m'étais dit qu'en le supportant en moi, je ressentirais un peu de leur bonheur. J'avais encore mal en repensant à ma déception et mon humiliation. Mais ça ne m'avait pas découragé d'essayer encore et encore, jusqu'à me sentir vide.

Vers mes quinze ans, mon père avait été mystérieusement engagé par cette grosse compagnie d'assurances, alors qu'il n'avait aucune qualification. Il ne m'avait jamais éclairée sur cette situation. Et moi, j'avais fini par arrêté les questions, pour profiter de ma nouvelle vie parmi les riches à Bloomfield Hills. Plus de bruit de tirs. Plus de pâtes, sauf si j'en avais envie. Plus de vêtements élimés. Je pouvais enfin m'habiller comme j'avais toujours rêvé.

Toutefois, mon nouveau style n'avait pas fait l'unanimité auprès de mes camarades de la haute société. Beaucoup me snobaient déjà  parce que je n'avais pas grandi comme eux. Leur gêne raciste ne pouvait pas rester latent en me voyant m'affirmer et m'estimer digne des mêmes droits qu'eux.

On n'était pas beaucoup de noirs à ma nouvelle école. Mais même ceux qui l'étaient ne voulaient pas traîner avec moi. Et pourquoi ? Parce qu'ils estimaient que j'étais une traitresse à ma race. J'étais gothique et ça, ce n'était pas noir, tout le monde le savait. J'étais encore fasciné par ces gens avec la mentalité que tout ce qui n'était pas d'inspiration africaine ou ghetto n'était pas fait pour une noire.

Au moins, grandir seule m'aurait appris à m'en foutre de l'être. Ce n'était pas ce que je voulais, mais c'était supportable. Dans mon ancien lycée, certains allaient jusqu'à poignarder leurs adversaires. Ces gosses de riches n'avaient que leurs mots. Ils ne me faisaient pas peur.

Être seule, m'avait laissé tout le temps pour étudier les autres et savoir comment obtenir ce que je voulais d'eux. Car ma soif d'amour ne m'avait pas quittée. J'avais envie de me sentir importante. J'avais besoin de me sentir puissante comme ces gens qui avaient le monde à leurs pieds.

J'observais mes semblables alors qu'ils me laissaient à part. Ce fut comme ça que je découvris que Jacob de l'équipe de crosse, malgré sa popularité se sentait cruellement seul. Je m'étais alors métamorphosée en la confidente dont il avait besoin ; la seule qui m'intéressait vraiment à lui, pas à son statut. C'étaient ses mots. J'avais sa gratitude, et plus tard son amour. Mais ce n'était jamais assez. Je me sentais toujours insignifiante.

Je voulais être cette fille de qui aucun homme ne pouvait se passer. Quelqu'un qu'ils ne pourraient jamais abandonner. Quelqu'un qui serait toujours désiré, aimé... Je l'étais devenue au fil des années. Problème de confiance en soi ? Mommy issues ? Dans la plupart des cas, c'était le père. Je le détectais direct. Un homme marié qui avait à nouveau envie de se sentir désirable ? J'analysais, je repérais le problème, et devenais la solution, ou au pire une échappatoire.

J'étais importante. Ils en voulaient toujours plus. Mais j'étais insaisissable. Ça par contre n'était pas calculé. Je me désintéressais juste naturellement vite des choses et des gens. Rien ne me satisfaisait jamais longtemps. Cependant j'avais réalisé que ça rendait juste les hommes plus fous de moi, m'offrant des cadeaux hors de prix pour que je revienne. Je ne revenais jamais. Le vide en moi ne pouvait être comblé deux fois par la même proie.

Les filles m'enviaient. J'étais jolie avec mes hautes pommettes et ma bouche en cœur, mais j'étais loin d'être la plus belle. J'avais des clavicules de mannequin, une jolie taille et de longues jambes, mais certaines avaient une silhouette de sablier plus complète avec des courbes moins discrètes. Pourtant, j'étais celle qui avait tous les hommes à ses pieds. Et elles savaient que leurs mecs pouvaient y passer si elles me cherchaient.

J'avais été malheureuse toute ma vie. À part la satisfaction temporaire d'être une garce manipulatrice, la seule raison pour laquelle, je m'étais accrochée fut ce rêve né de cette promesse que je m'étais faite gamine.

La gentillesse de Miss Matteer était ce que j'avais connu de plus proche de l'amour d'une mère. C'était peu pour certains, une prof qui nous donnait l'impression de compter, mais ça représentait tellement pour moi.

Mon père m'avait maintenue en vie. Je n'avais jamais eu à mendier ni à me prostituer pour manger, même si pour cela, je l'avais vu traiter avec des gens louches. Il m'avait sûrement aimé à sa façon, mais je n'avais pas connu de chaleur en grandissant. Je savais qu'il y avait des enfants comme moi là-dehors qui auraient besoin de bienveillance et d'espoir. J'étais devenue prof pour eux. En retournant dans mon ancienne école, pour une fois j'avais enfin eu l'impression d'être à ma place.

Dans la même période, j'avais rencontré Sara. Je n'avais pas compris mes sentiments au début. J'ignorais même comment m'y prendre avec elle. Mais dès que je l'avais vue, j'avais su qu'elle ne méritait que ce qu'il y avait de plus pur en moi,  et non pas l'un de mes personnages faits sur mesure. Je me demandais encore pourquoi, mais elle m'avait acceptée telle que j'étais.

Je n'avais plus à maintenir une illusion, donc je pouvais enfin souffler et aimer. Cette fille était ce que j'avais de plus précieux dans ma vie. Pour l'instant, je m'obligeais à rester forte, mais mon estomac se tordait de désespoir à l'idée de ne plus la revoir.

Et tout ça à cause de quoi ? À cause d'une femme qui m'avait déjà tant pris.

Je la haïs de toute mon âme à la seconde où elle passa cette porte. Je la haïs de ne pas être un mensonge. Je la haïs pour toutes ces fois où j'avais supplié au ciel de me rendre ma mère. Je la haïs d'exister. Je la haïs pour mes nuits passées seule à envier ceux qui étaient importants et aimés. Je la haïs d'avoir détruit ma vie par son absence et de venir m'arracher tout ce que j'avais construit. Je la haïs d'avoir fait de mon existence un cauchemar.

Je ne pouvais même plus continuer à le nier. Je le sentais dans mon âme que c'était la vérité.

Je la haïs d'être mon parfait sosie. Je la haïs de feindre des remords qu'une criminelle qui avait abandonné un enfant ne pouvait pas ressentir. Je la haïs de me regarder comme si elle me connaissait. Je la haïs de prononcer mon nom.

- Serena...

- Ne m'approche pas ! lui criai-je.








20/12/21

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top