2. Telle mère...

La douleur fut la première chose à m'accueillir  à la sortie de ma léthargie. Tous mes muscles m'élançaient et je sentis des fourmillements dans mes mains quand j'essayai de les bouger. J'ouvris les yeux pour me découvrir frigorifiée, nue, en équilibre précaire sur mes orteils, car pendue par mes poignets enchaînés.

À mesure que mes activités cérébrales reprenaient, un grand blond au crâne rasé m'apparaissait de moins en moins flou alors qu'il se rapprochait de moi.

- Bien dormi ? se moqua-t-il avec un léger accent russe.

Qu'est-ce que je fichais là ? Qui était cet homme ? Je ne le connaissais pas. Je m'en serais souvenue. J'avais une très bonne mémoire. Et il n'était pas banal avec ses pommettes hautes qui me rappelèrent les miennes ; ses joues creuses, son nez traviole, et son regard bleu à l'animation inquiétante. Qu'attendait-il de moi ?

Mes yeux s'agitèrent dans leurs orbites en quête de réponses. Très vite, mon anxiété se manifesta accompagnée de sueur froide et d'une respiration vertigineuse. Mon ravisseur m'avait dépouillée de mes vêtements. Qu'est-ce qu'il m'avait fait d'autre ? Jamais de ma vie, l'effroi ne m'avait autant habitée. La gorge sèche, à peine capable de laisser passer mes mots, je bredouillai :

- Qu'est-ce que je fais ici ? Que me voulez-vous ?

Ils avaient été deux à m'avoir enlevée, non ? Mais dans quel but ? Attachée nue au plafond d'une grande pièce en béton à l'oxygène moisi, je savais que cet inconnu vêtu de noir ne pouvait rien me vouloir de bien. Cependant, j'avais besoin d'un mensonge. N'importe quoi pour m'accrocher à l'espoir que j'allais m'en sortir.

J'avais grandi dans l'un des quartiers les plus dangereux de Detroit. Pourtant, j'étais parvenue à me convaincre que ce genre d'infortune n'arrivait qu'aux autres. Sara m'avait à maintes reprises rappelé que me croire intouchable était le mauvais mécanisme de défense et qu'il faudrait confronter la réalité tôt ou tard. Mais Sara était parano. Ce qu'elle racontait ne devrait pas être vrai.

La voix affaiblie par une voile de peur, j'implorai le criminel :

- Je n'ai rien fait de mal. Laissez-moi partir !

Il me dévisagea comme un petit chiot pitoyable. Après un autre sourire sardonique, il dégagea mon champ de vision.  Et là, je sus que j'aurais défailli sans mes chaînes, face à tous ces instruments chirurgicaux sur une table de mayo tout près d'un vieux matelas. Il prit son temps pour choisir parmi eux un scalpel avant de se tourner vers moi, la mine patibulaire.

D'épouvante, je me mis à tirer sur mes chaînes. Ce fut une très mauvaise décision. Je perdis l'équilibre précaire sur mes orteils et mes membres supérieurs hurlèrent de douleur. Après une très longue et épuisante lutte  pour me stabiliser, j'éclatai en sanglots.

- Laissez-moi partir ! Je ferai ce que vous voudrez.

Le regard brillant, l'homme cacha la lame dans son dos comme un gamin avant de s'esclaffer  :

- Je vis un rêve ! C'est fou, on dirait elle, mais c'est pas elle, car elle n'aurait jamais montré sa peur. Magnifique ! Époustouflant ! Tu peux te détendre. Je ne vais rien te faire pour l'instant. Je voulais jouer, car je n'en reviens toujours pas que tu existes.

Je ne comprenais pas grand-chose à son discours, mais j'expirai d'un soulagement temporaire. Puis d'abattement, je laissai tomber ma tête sur mon torse en ignorant la douleur dans mes épaules. Je n'avais aucune idée des raisons de mon enlèvement en pleine journée, dans une école publique. Et pendant ces secondes de désolation, j'avais arrêté de vouloir savoir.

Peut-être que mes collègues finiraient par appeler la police, mais aucun effort considérable ne serait déployé, car les seules personnes qui m'appréciaient vraiment n'avaient même pas dix ans. Les gens disparaissaient tout le temps dans cette ville, parfois pour des raisons planifiées et d'autres complètement aléatoires. La police allait vite abandonner les recherches et Sara allait juste pleurer pendant des mois. Qui allait la sortir du gouffre cette fois ? À l'éventualité de ne plus la revoir, elle, Legion et mon jardin, je n'étais plus que désespoir.

Un bruit de métal indiqua que le criminel avait laissé tomber son jouet sur la table. Il se planta ensuite devant moi et redressa mon visage de condamnée, une admiration insensée au fond de ses yeux bleus.

- Tu es magnifique ! J'ai pas arrêté de te regarder ronfler. Tu ressembles tellement à ta mère ! Sais-tu le nombre d'hommes qui fantasment sur la femme du parrain depuis le temps ? As-tu une idée de combien ils seraient prêts à payer pour une version plus fraîche de cette légende ? Même L'Orfèvre dépenserait une fortune juste pour pouvoir te briser sous ses yeux, à cause de sa trahison. Quelle chance d'avoir découvert ton existence en premier !

Je sentis une bouffée d'espoir m'envahir, car j'avais la preuve qu'il s'était trompé de cible. Ma mère n'avait pas survécu à ma naissance vingt-deux ans plus tôt. J'avais grandi avec mon père et il s'était suicidé l'année dernière.

Les gens me trouvaient froide en évoquant le sujet. Bien sûr que j'avais mal, mais je pouvais faire quoi ? Il avait déjà choisi la mort à moi. Il s'était occupé de moi toute sa vie et ne m'avait même pas laissé le lui rendre. Dans sa lettre, il s'affirmait fier de moi et estimait qu'il n'avait plus de raisons d'exister puisque je pouvais désormais prendre soin de moi-même.

Malgré les apparences, la culpabilité me bouffait les tripes à chaque fois que j'y repensais. Peut-être que si j'avais appelé plus souvent après mon départ pour la fac... Il aurait comme d'habitude trouvé une raison de vite raccrocher, mais au moins il aurait eu l'impression que j'avais toujours besoin de lui dans ma vie. Je l'aimais, même si on n'avait jamais été proche, et ce n'était pas faute de tentatives de ma part.

Il m'avait eu jeune, mais je n'avais connu qu'un homme fermé, sans passions, ni d'autres motivations que la survie. Les seules fois où il s'était confié à moi, c'était à propos de ma mère. C'était son amour d'enfance et elle lui manquait chaque jour.

Je m'ajustai tant bien que mal, malgré mon visage humide et ma mauvaise posture, pour communiquer avec  toute ma conviction à mon ravisseur :

- Je ne suis pas la bonne personne. Ma mère à moi est morte. Vous devez me relâcher.  Je vous promets que je ne dirai rien. Je n'irai pas voir la police. Ce serait comme si on ne s'était jamais croisé. S'il vous p...

Il claqua la langue et partit faire le tour de mon corps comme on évaluait du bétail. J'avais envie de hurler de frustration.

- J'aurais aimé que tu ne sois pas mêlée à ça, dit-il. J'aimerais vraiment pour plein de raisons.

Il réapparut en face de moi comme un envoyé de la mort.

- Mais je t'explique, ma jolie. Irina a brisé le cœur de l'homme qui lui a tout donné. Il nous a chargés de la retrouver. C'est un peu difficile à admettre pour moi, mais cette femme  est douée pour disparaître. Au fond, c'est pas étonnant, vu comme elle t'a cachée, toi. On l'a compris et on a arrêté de la chercher. Là elle n'aura pas d'autres choix que de sortir de sa tanière pour sauver ta peau. Elle viendra. Elle ne t'aurait pas autant protégée, si tu ne comptais pas.

Je tentai de l'interrompre à maintes reprises de son exposé absurde, mais il posa un doigt sur mes lèvres sèches, et j'eus trop peur de l'énerver pour persister alors même que je mourrais à l'intérieur.

- J'ai pris quelques photos quand tu étais plongée au pays des rêves pour elle. Cliff garde les yeux ouverts. Si elle ne se rend pas bientôt, on va devoir te refaire le portrait, pour d'autres clichés et quelques vidéos déplaisantes. J'aimerais te préserver pour des raisons égoïstes. Mais le boulot, c'est le boulot.  Je vais malheureusement devoir attendre la fin de la mission pour m'amuser avec les restes.

Mon cerveau nageait dans une mélasse d'émotions contradictoires et d'incompréhension totale. Ce qu'il racontait, c'était n'importe quoi. Je ne voulais pas subir l'horreur qu'il me préparait alors que j'étais innocente. Je n'étais pas la bonne personne. Les yeux embués, j'ouvris la bouche pour l'en convaincre, mais il me devança avec un sourire carnassier :

- Serena Froy. Irina est ta mère, même si personne de l'autre côté de l'Océan ne le sait. Et tu devrais en être fière. Ce fantasme vivant a séduit le parrain de la mafia russe, l'a tenu en laisse pendant des années, avant de l'humilier. Elle va devoir le payer de sa vie. Prie juste qu'elle n'essaye pas de jouer aux plus malignes avec nous. Comme ça, on n'aura pas à t'abîmer et je pourrai te garder. C'est la meilleure alternative, crois-moi. Tu n'as pas envie de tomber entre les mains des ennemis d'Irina, ni de son mari. Le marché qu'on lui a proposé, c'est de se rendre pour que toi,  tu retournes à ta vie, loin de ce monde, comme elle l'a voulu, sans dévoiler ton existence. Après tout, on a pour mission de la ramener morte ou vive. Pas toi.

Je n'y comprenais rien ! Tout ceci me dépassait. Je devais me réveiller de ce cauchemar !

Le criminel tira une clé de sa poche et s'attaqua à mes chaines, tout en me soulevant des frissons lorsqu'il me glissa :

- Mais je te veux. Son mari la torturera à la seconde où on la lui ramènera. Sa mort sera lente et douloureuse. Je suis un simple homme, j'ai aussi fantasmé sur cette femme. C'est un peu pour lui rendre service que je te garderai avec moi. Et on s'en fout de Cliff avec ses règles. Je ne vais pas te relâcher en prenant le risque que L'Orfèvre découvre ton existence et se venge sur toi aussi. Tu me seras reconnaissante et soumise, pas vrai ? Tu n'as quand même pas hérité de l'ingratitude de ta mère ?

L'impact brutal de mes genoux avec le béton devant ses bottes ne mit pas fin à ce mauvais rêve. Était-ce encore nécessaire de me pincer ? Je ne pouvais pas accepter cette réalité. Je pliai mes membres endoloris et tremblants sur moi-même pour cacher ma nudité et ma vulnérabilité. Je n'allais pas accepter cette réalité. Ma mère était morte. Je n'allais pas payer pour les fautes de quelqu'un qui n'existait pas.

- Oh ma jolie, ne me prive pas de cette vue magnifique, se plaignit le psychopathe !

Je levai mes yeux pleins de haine vers lui et rien que pour le sourire qu'il afficha, je souhaitai l'enfermer à vie en hôpital psychiatrique.

- Putain ! T'es tellement bandante. C'est comme si j'avais la grande Irina à genoux devant moi, mais en mieux. Si Cliff n'était pas si chiant avec les règles, je t'aurais fait mienne ici et maintenant. Ta mère n'a pas intérêt à déconner. Je veux pas que tu meures avant de t'avoir... personnalisée.

La notification d'un message interrompit son gloussement insupportable. Il s'éloigna avec un soupir pour l'écran de son téléphone, tandis que je lorgnais avec un espoir insensé la table de mayo. Arriverais-je à le tuer si je m'emparais d'un scalpel ou de n'importe quel instrument chirurgical ? Et si j'échouais ? Mais si c'était ma seule chance ? Ma colonne vertébrale se redressa, revigorée par l'espoir. Toutefois, je me figeai à son claquement de langue alors même qu'il faisait face à la porte en fer forgé.

- C'est pas vrai ! On a déjà envie de me planter un couteau dans le dos ? C'est dans les gènes alors ?

Il empocha son smartphone,  s'éloigna avec la table en la poussant. Mais avant de fermer la porte, il se retourna pour me faire un clin d'œil sadique.

Les dents serrées, je m'assis sur le sol froid et remenai mes jambes contre mon torse nu. L'envie de pleurer était là, mais plus forte était ma rage. Je n'avais rien à faire ici. J'avais une copine et un travail que j'aimais à mourir. Ma vie ne pouvait pas se terminer ainsi. Je le refusais.

Je tressaillis et me tendis au cognement derrière la porte, mais ce n'était de nouveau que le fou qui était revenu pour me tourmenter.

- Au fait, moi c'est Xav. Mais tu peux déjà m'appeler Dieu... comme dans Oh mon Dieu !

Je regardai autour de moi dans l'espoir de trouver quelque chose pour jeter contre cette maudite porte, mais il n'y avait que ce foutu matelas.

Je me couvris les oreilles, au bord de la crise lorsque ce cinglé reprit :

- Attends. Tu n'as pas ri ? Je te rendrai plus rigolote aussi. Tu seras mon Irina optimisée. Repose-toi ! Une belle vie nous attend, ma jolie.

Je ne voulais pas savoir à quoi ressemblait une belle vie du point de vue d'un psychopathe. Et je n'allais pas le savoir, car je m'en sortirais d'ici avant. J'avais créé une existence que j'aimais, là-dehors. On n'allait pas m'en imposer une autre. Je refusais d'être embarquée dans cette folie. Je n'allais pas me laisser faire. Même si cela impliquait de tuer. Même si cela impliquait de mourir.




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Hello vous. Ça va ?

J'ai trop envie de connaître vous avis sur cette nouvelle version, ainsi que vos attentes et suggestions.

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Je vais essayer de maintenir le rythme de deux chapitres par semaine. Lundi et vendredi. Souhaitez-moi bonne chance.

À bientôt
Xox

17/12/21

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