12. L'évasion

C'était stupide.

Magne-toi !

Je n'osais pas ! J'allais me faire exploser la rotule. Jamais je n'arriverais à mettre cet homme à terre. Je transpirais d'avoir déplacé le fauteuil, la télé et une deuxième chaise à côté de la porte dans un silence quasi-totale. J'étais si conne ! Si conne. Jamais ça n'allait marcher ! Je balançais d'un pied à un autre sur le fauteuil où j'avais grimpé pour mesurer l'impact d'un coup de chaise sur la tête de l'homme.

C'était foutu. Je n'avais aucune chance ! J'étais déjà épuisée, sans parler de la douleur dans mes côtes. Comment avais-je pu croire que j'étais assez rapide pour l'assommer à la seconde où il passerait la porte ? J'allais me prendre une balle dans le pied ou dans la tête et le monstre servirait ma carcasse à ses chiens.

— Non !

J'avais encore parlé sans aucune idée de comment j'avais fait. Je fourrageai ma crinière, les mains sur mes tempes douloureuses. Merde ! Merde ! Je frôlais l'apoplexie, submergée par ce maelström d'émotions incontrôlables. Je n'avais toujours pas fait de bruit, mais c'était juste une question de temps avant que ma respiration erratique et le tambourinement de mon cœur attirent La Montagne à l'intérieur.

Je m'accroupis sur le fauteuil, creusant pour trouver un peu de courage en moi-même. Je ne voulais pas mourir. Mais je redoutais encore plus de souffrir... d'une balle dans la jambe ou des tortures du monstre. J'avais peur. Non, j'étais terrifiée. Je ravalai un sanglot, serrai les paupières pour brider mes larmes et me frottai les bras.

Je ne devrais pas avoir à le faire, mais je savais qu'il fallait choisir. C'était injuste, cependant je ne pouvais compter sur personne pour me sauver. La vérité fut difficile à avaler avec la boule d'angoisse dans ma gorge. Je voulais rester recroquevillée pour pleurer, mais c'était impossible avec le minuteur invisible qui me hantait. Je devais choisir.

Je descendis du fauteuil, soufflai un grand coup, puis attrapai par le dossier la chaise entière dont le bois massif et le rembourrage rendait particulièrement lourd. Le soulever par-dessus ma tête ne serait pas une mince affaire, mais j'étais prête. J'avais bien trouvé la force d'en voltiger une vers le malade qui m'avait enlevée !

Je n'étais pas une experte en évasion, juste une fille qui essayait de ne pas mourir. Et j'allais faire de mon mieux. C'était tout ce qui comptait, peu importe à quel point mon plan semblait stupide. Je me répétai cela jusqu'à me trouver assez crédible. Une autre profonde inspiration plus tard, j'étais lancée.

J'écrasai la télé sous les pieds de la chaise et m'imprégnai des bruits de casse avant de faire trembler la porte d'un grand coup. Pour le meilleur ou pour le pire, je ne pouvais plus faire machine arrière. Shootée à l'adrénaline, je criai en répétant les mêmes mouvements un nombre incalculable de fois sur la télé, la porte, et même le sol... Des insultes en russe suivies de pas lourds et précipités ne tardèrent pas à se faire entendre depuis le couloir. On y était !

À une petite distance de la porte, j'appuyai la télé contre la chaise à trois pieds. Je grimpai ensuite sur le fauteuil et saisis les draps noués que j'avais arrachés du lit. Je ne voulais pas qu'il se jette sur moi à peine arrivé. Les quelques secondes dont il aurait besoin pour se débarrasser des draps me seraient précieuses.

Mon plan était simple. Le surprendre, le déséquilibrer, l'assommer et m'emparer des clés de ma liberté dans sa poche. J'allais y arriver. Je pouvais...

La porte voltigea sur ses gonds, et mon estomac répondit par un saut périlleux face à la silhouette imposante de l'homme qui en émergea. Bordel de merde ! C'était en effet une montagne, avec une cicatrice au visage que la lumière provenant du couloir me permit de juger la laideur. Le temps ralentit. Il s'était aussi figé comme si mon apparence l'avait mis dans le même état de choc que moi ; ce qui me troubla quelque peu.

Perchée sur le fauteuil, j'oubliai tout ce que j'avais prévu tandis que l'armoire à glace soufflant comme un buffle, continuait de me détailler avec autant de curiosité que de confusion. Ce fut son mouvement vers son dos qui me ramena à la réalité. Je lui jetai aussitôt les draps qui par chance le couvrirent comme un filet.

Sans faire fi de ses grognements de rage, je hissai la chaise et serrai les dents pour la basculer derrière ma tête avant de l'écraser sur son crâne dans un bruit sourd. Il laissa tomber les draps et se raidit, sonné par l'impact, mais ne tituba pas comme je l'espérais. Merde ! Sur le point de charger la chaise de nouveau, il me l'arracha des mains, manquant de me faire perdre l'équilibre.

— Salope ! siffla-t-il ! Je vais t'emmener à Igor et il va te découpera en morceaux.

Je sautai de l'autre côté du fauteuil pour foncer vers la chambre et m'y verrouiller. J'ignorais qui était Igor et pourquoi quelqu'un d'autre voudrait me découper après le monstre. Mais poser des questions n'était pas en tête de mes priorités. Il était hors de question que cet homme m'attrape et que je change de bourreau à nouveau ! J'avais presque atteint la porte, lorsque coup de bol, je l'entendis s'étaler en me poursuivant, piégé par la chaise à trois pieds et la carcasse de la télé.

Reprenant espoir, je fis demi-tour pour ne pas lui laisser le temps de se lever. Il était déjà à quatre pattes lorsque je l'atteignis. Réfléchissant plus rapidement que la normale, je saisis aussitôt l'écran plat détruit et le frappai à la tête. Il ne s'écroula qu'au bout de mon deuxième attentat. Alors je frappai, frappai, frappai jusqu'à ce que de la sueur me tombe dans les yeux ; jusqu'à ce que je m'écroulai à mon tour, à bout de souffle et de force.

J'ignorais s'il était mort. Je doutais que non. Je ne voulais pas vérifier. Je ne pouvais pas m'accorder le luxe de réfléchir à ce qu'un meurtre éveillerait chez moi.

— Relève-toi !

J'avais parlé, encore. Je ne comprenais toujours pas le fonctionnement de mon cerveau, juste mon envie de vivre. Je rampai jusqu'aux poches du géant, fouillai, mais ne trouvai rien d'autre que son téléphone et son flingue que je ne m'attendais pas à être aussi lourd. Pourquoi diable, n'avait-il pas de clés ? J'allais devoir m'en sortir sans. Armée de mes nouvelles possessions, je me levai, puis sortis dans le couloir en titubant. Lorsque la lumière m'inonda, je m'accordai quelques secondes pour souffler, puis laissai quelques larmes de soulagement m'échapper. J'avais réussi !

Le couloir comprenait à chaque bout deux issues et au milieu six portes d'appartements semblables à celle que je venais de franchir. Je choisis le portail en fer forgé à l'ascenseur. Derrière, il y avait un royaume d'escaliers qui me rappelait moins ma prison que la boîte en métal. Toutefois, un gros cadenas me séparait de la liberté. Je poussai le métal malgré tout, en quête d'espoir. Les épaules lourdes, je faillis pleurer face à mon échec quelques secondes plus tard.

Avant de perdre face à mes larmes, je redirigeai mon attention vers le téléphone et le flingue. Après réflexion, j'éloignai le premier de mon champ de vision, car ça me ferait plus de mal que de bien d'espérer un sauveur ou essayer de me rappeler un numéro.

J'étudiai l'arme dans ma paume moite. Que se passerait-il si je tirais sur le cadenas ? Plein de scénarios se déroulèrent derrière mes yeux noirs où je réussissais, mais il y avait d'autres aussi où le bruit alertait des gardes supplémentaires qui n'en feraient qu'une bouchée de moi. Je choisis alors l'ascenseur. Pourtant j'hésitai encore à mi-chemin à la réalisation que la sortie la plus accessible serait logiquement la plus gardée. Je devais emprunter les escaliers.

Retour à la case départ. Cependant deux pas dans la direction du portail, je me statufiai suite à un ding annonciateur de malheur. Je sentis les portes de l'ascenseur s'ouvrir dans mon dos et le mal pur me fit une caresse glacée comme des tentacules invisibles de l'homme qui émergea d'un pas lent.

Des chairs de poule me recouvrirent tandis que je luttais pour déglutir. Je voulus bouger, mais en fus incapable. Seule ma main qui tenait l'arme tremblait. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais plus rien, comme si j'avais perdu tout ce qui constituait mon être à part la peur. Ma motivation, ma rage...toutes étouffées par la noirceur du monstre.

— Sais-tu quelle différence une seule seconde peut jouer dans le destin de quelqu'un ? envoya-t-il avec une pointe d'amusement dans la voix.

Me rappeler que tout ceci était un jeu pour lui me fit voir rouge. La vie que je m'efforçais de préserver ? Juste une cartouche d'adrénaline pour un malade. Ce connard était aussi doué pour éteindre ma flamme que l'allumer. Je me retournai le regard incendiaire pour croiser son arme pointée à environ deux mètres de mon crâne. Je haïssais ce taré et son air moqueur. Je le haïssais de toutes mes tripes. Et ma haine l'emporta sur la peur. En une seconde, toutes mes pensées rationnelles et diverses se turent pour n'en laisser qu'une seule.

Je levai le bras, visai son cœur et deux coups de feu retentirent.

08/05/22

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