10. Le délai

Serena
Présent


Je me réveillai avec un mal de tête atroce au point de porter ma main la moins pesante à mon crâne en quête de blessures. Le mouvement réveilla aussitôt d'autres douleurs dans ma trachée, puis entre mes côtes qui me firent geindre, les paupières crispées. Que m'avait-on fait ? Où étais-je ? Les souvenirs n'émergeaient pas assez vite de mon cerveau brumeux.

Je me redressai sur le lit, les dents serrées à cause de tous les points de souffrance dans mon corps. Au moins, il n'y en avait aucun entre mes jambes, essayai-je de me consoler. Mes pieds hésitants ayant reconnu une moquette, mes yeux fouillèrent l'obscurité en quête d'autres informations sur mon environnement.

Le monstre aux yeux gris. Je commençais à me souvenir. C'était lui le responsable. Je touchai la soie de la robe que je portais lorsqu'il avait failli me tuer, avant de me cogner pour m'assommer. Maintenant je me réveillais dans cette... chambre. Ma vision s'habituait peu à peu à la noirceur ambiante. Je repérai une porte et m'y rendis en grognant à chaque pas.

Ce n'était pas une sortie, mais une salle de bain. Je longeai alors le béton des murs de la chambre en quête d'un interrupteur, oppressée par autant de ténèbres. Après m'être cognée dans une commode vide, je touchai le morceau de plastique salvatrice, l'actionnai, mais rien ne se passa.

Une vague d'anxiété recouvrit aussitôt mon corps d'une couche de sueur glacée. Pourquoi avait-il coupé le courant ? Pour pouvoir me désorienter et me torturer quand ça lui chantait ?

Bravache, je déglutis et avançai vers l'autre porte avec l'infime espoir de m'échapper pour aller je ne savais où. Je ne connaissais même pas mon nom. J'étais blessée. J'ignorais dans quel pays j'étais, ni celui duquel je venais. Toutefois, peu importait ce qui m'attendait dehors, je doutais que ce fût aussi éprouvant que ce que me réservait le monstre.

C'était ma chance. Il devait m'avoir laissée sans surveillance. Seule ma respiration erratique troublait le silence noir, mais c'était loin de me rassurer. Pourquoi m'avait-il emmenée ? Que comptait-il me faire dans l'obscurité ? La chambre débouchait sur un petit couloir où je me figeai lorsque la poignée de l'entrée cliqueta non loin.

Tendue comme un arc, un couinement involontaire m'échappa en reconnaissant la silhouette qui passa la porte. C'était lui. Mon cœur réagit si fort que mes nerfs disjonctèrent un moment. Jamais je n'avais ressenti une telle frayeur. Mes hanches heurtèrent brutalement le parquet après que mes jambes eurent échoué à reculer vers la chambre et courir dans le sens opposé en même temps.

L'intrus referma derrière lui sans se presser et me fit face dans le noir. De ma position, il me semblait immense. Le manteau jeté sur son avant-bras, il possédait des contours si... virils, de ses épaules larges à ses jambes toniques moulées sous le même genre de col roulé et de pantalon qu'il portait lorsqu'il avait failli m'étouffer rien qu'avec ses mains.

Bien qu'il ne bougeait pas et que le silence pénible s'éternisait, il n'était pas difficile de deviner la raison de sa présence : En finir. Le pouls assourdissant à m'en faire perdre la tête, je trouvai quand même une once de jugeote alimentée par mon instinct de survie et reculai aussi vite que je le pouvais sur mes fesses.

Cependant il ne se jeta sur moi, ni ne me chassa. Au contraire, il se rendit dans la direction opposée, me poussant à ralentir avant de complètement m'immobiliser de confusion.

La lumière vint tout à coup comme si le démon la contrôlait. Le front plissé, je découvris au bout du couloir un séjour composé d'un canapé près de la porte face à une télé, puis un fauteuil au centre des trois fenêtres qui longeaient le mur du fond. Je remarquai qu'elle étaient tous fermés, volets rabaissés. Le monstre posa son manteau sur le dossier du fauteuil et s'y laissa tomber. La tête basculée en arrière, les bras reposant sur l'accoudoir, il semblait... dormir. C'était quoi ce cirque ?

Suspecte, mes yeux naviguaient entre lui et la porte d'entrée. Était-ce un test ? Un défi ? Un jeu pervers ? Mon instinct me hurlait de me lever et de foncer vers la poignée, mais j'hésitais. Il ne bougeait toujours pas. Je découvris ses doigts tatoués de runes et de racines desséchées sans ses gants pour les cacher. Était-ce à ça que servaient ses gants ? Ou son col roulé et ses vêtements de luxe ? Combien de tatouages devait-il cacher là-dessous ? En avait-il honte ? Et en quoi était-ce mon problème, nom de Dieu ? Ce malade voulait me tuer !

Mon bon sens me réintégrant comme un coup de fouet, je fonçai vers la porte, le cœur tambourinant. Je le sentis cependant manquer un battement lorsque la poignée me résista aussi près du tueur. Je m'acharnai de toutes mes forces. Mais lui comme la porte demeurèrent immobiles. Toutefois, je ne perdis pas de temps. Je m'empressai vers la salle à manger que le couloir séparait de la chambre. Au fond, il y avait une cuisine, j'espérais y trouver de quoi me défendre pour peu importait la seconde partie de son plan.

À ma grande frustration, les tiroirs et les cabinets étaient tous vides. J'étais une boule de nerfs qui enflait à mesure que j'enchainais mes recherches vaines. Je savais que je n'aurais aucune chance en l'attaquant à mains nues. Et il pouvait à tout moment se jeter sur moi alors que j'étais aussi vulnérable. Je tremblais rien que d'y penser. Mon corps douloureux se rappelait un peu trop de son contact venimeux. D'ailleurs combien de temps s'était-il écoulé depuis son attaque ? Un... deux jours ? Je n'avais aucune notion du temps. Xavier au moins me laissait regarder par la fenêtre. Lui contrôlait même la lumière que je recevais. J'étais au bord de la crise.

En effet, je ne tardai pas longtemps avant de craquer. Je cognai les portes des cabinets en grognant de haine, arrachai les tiroirs, puis m'attaquai aux chaises rembourrées que je frappai au sol encore et encore dans l'espoir d'en casser un foutu pied qui s'obstinait.

— Ça suffit, souffla le tueur de l'autre côté de la pièce, sans ouvrir les yeux.

Il n'en avait pas besoin. Ni ça, ni hausser le ton. Il possédait naturellement cette voix profonde annonciatrice de châtiments qui poussait à l'obéissance. Sauf que dans mon cas, elle décupla ma rage. Je criai et voltigeai la chaise dans sa direction. Elle échoua près de la première fenêtre, le manquant de peu. Il se redressa alors et me mitrailla de ses billes d'acier. Je gardai le menton levé grâce à l'adrénaline, mais sentis quand même mes muscles se crisper suite à l'ostentation de son aura noire.

Ce fut plus fort que moi. Malgré tout, je me demandai comment un monstre pouvait avoir un si beau visage.

Il rasait ses cheveux bruns, donc aucune mèche ne venait barrer ses sourcils droits et fournis ombrant sur des yeux gris enfoncés. Il avait l'air d'un prédateur analysant sa future proie en permanence. Sa mâchoire puissante et son nez grec ajoutaient la touche finale à sa beauté sauvage. Et puis, il y avait sa bouche. Différente du reste. Délicate. Si rose...  Au point que ça me laissait confuse que des atrocités pareilles en sortaient :

— OK, vermine. Avant que tu ne m'obliges à t'étriper. Je vais t'expliquer l'unique raison pour laquelle t'es encore en vie. J'ai apprécié que tu me surprennes. Or j'apprécie peu de choses. J'ai envie que tu recommences. Sauf que je ne tolérerai aucun échec. Atteins-moi et tu seras récompensée à chaque fois. Et si tu me tues, tu trouveras le commutateur pour contrôler la lumière et les portes dans ma poche. Tu pourras partir et reprendre ton existence minable. Mais si je ne suis pas mort d'ici une semaine, je ne perdrai pas plus de temps avec toi. Je te tuerai, puis remplirai au moins deux carnets des techniques que j'aurai inventées pour ton agonie.

Son sourire sadique à une fossette quoique furtif, me fit encore plus flipper que son regard assassin. Je n'appréciai pas du tout le drôle de courant qu'il envoya sous ma peau. Aussi beau qu'il pouvait être, ce type était malade. Ce qu'il racontait n'avait aucun sens. Ou plutôt je refusais de le saisir. Une migraine lancinante était à deux doigts de m'exploser le crâne. Je ne connaissais même pas le péché qui m'avait condamnée sous les griffes de ces démons. Je refusais d'accepter que c'était ça ma réalité.

Le taré se leva du fauteuil et attrapa son manteau. Je déglutis et reculai instinctivement d'un pas. Une main glissée dans la poche de son pantalon, il réinstaura notre contact visuel désagréable et annonça avec un certain amusement :

— Il n'y a que deux façons de quitter cet appart. En mourant ou en me tuant. Alors ne gaspille pas le temps précieux que tu as pour improviser un moyen de me blesser, à hurler ou essayer de t'échapper. Tu n'y arriveras pas et personne ne viendra te sauver.

Alors je mourrais. J'ignorais peut-être qui j'étais, mais je savais ce que je n'allais pas devenir : la stupide marionnette d'un cinglé sadique en manque d'adrénaline. Jouer au chat et à la souris pendant une semaine avant de recevoir le coup de grâce. Qu'avais-je fait pour mériter ça ? Tuer ou me faire tuer. Je ne gagnerais pas, peu importait à quel point je voulais que cette ordure crève. Il était une montagne comparée à moi. Il voulait juste me voir essayer parce que ça l'amuserait. Ma survie... l'existence d'un être humain se résumait à un jeu pour lui. Mes tripes bouillaient de rage. Le sentiment d'injustice embua mes yeux et me fit serrer les poings.

Alors tu attendras qu'il te tue ?

Ma main était tombée sur la fourchette par hasard. Je n'aurais pas la même chance deux fois. Et même si je me trompais, chercher un moyen c'était rentrer dans son jeu. Car ce salaud n'envisageait pas vraiment de mourir. Qui mettrait sa vie en péril juste pour quelques frissons ?

Un psychopathe. Et c'était bien ce qu'il était.

Je ne devrais pas avoir à choisir. C'était injuste. Je voyais rouge, tandis que son regard à lui pétillait. Il sortit même un paquet de sucreries collantes de sa poche et en engloutit plusieurs sans rompre notre contact visuel.

Vibrante de haine, je m'emparai d'une autre chaise destinée à sa gueule. Je ne réfléchissais pas, je voulais juste qu'il souffre d'une façon ou d'une autre. Cependant, Il leva un doigt d'avertissement tandis que je le visais et étrangement ça me fit hésiter malgré ma fureur.

— Réfléchis bien ! dit-il. Si j'évite ton coup ou qu'il m'atteint sans me blesser, il ne fera que m'agacer. Et je te promets de te le faire payer. Je ne te tuerai pas avant une semaine, mais je peux te donner envie de mourir tout le long. T'as compris, vermine ? Tu te plantes, je te plante. Tu n'essaies rien, je te plante. Si je ne suis pas mort dans une semaine, je te plante et cette fois, tu crèves.

S'il perçut toute ma rage et mon chaos intérieur sur mon visage torturé, ça ne lui arracha aucune réaction. Ma poigne tremblait sur mon arme improvisée. On s'affrontait du regard. Sa froideur l'emportant sur ma flamme, griffant mon âme.

Au bout d'une minute de torture, un soupir, puis une larme de lassitude m'échappa en même temps que la chaise tombait dans un bruit sourd. Je n'avais plus de force. Rien que le confronter m'avait vidée, je n'avais aucune chance. Je le savais. J'étais déjà morte. Il claqua la langue.

— Les larmes aussi ça m'agace. En fait, tout ce que tu feras risque de m'agacer. Je ne comprends toujours pas ce que Xavier vous trouve. Mais ça n'a plus d'importance. Pour info, il ne te cherchera pas. Il est habitué à ce que je casse ses jouets. Essaie juste de me tuer à nouveau et n'échoue pas. Trouve une façon à laquelle je ne m'y attendrais pas. Tu auras gagné mon respect et mériteras ta vie.

Il rempocha ses bonbons et bougea pour partir.

— Je reviendrai quand j'en aurai envie. Et ne touche pas à ta vie ! Elle m'appartient. Si tu te fais du mal, je retrouverai toutes les personnes auxquelles tu tiens et leur ferai descendre de l'acide à la paille.

La tête baissée, j'entendis ses pas s'éloigner. Ensuite, la porte claqua derrière lui et je fus de nouveau plongée dans le noir et le désespoir.

25/04/22

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