CHAPITRE 4


                            ELIAS

Il avait eu besoin presque d'un mois pour cesser de se comporter comme un animal perdu quand il venait me voir. J'avais fait semblant d'oublier qu'il se cachait de moi le jour de notre arrivée dans le quartier. Lui, faisait celui qui ne donnait aucune importance à son comportement. Je n'avais aucun ami ici, et doutais d'en avoir avant l'entrée au lycée et Levy était le seul avec lequel j'avais des contacts.

Il était d'une intelligence rare, et avait une capacité hallucinante à imaginer des choses. Il m'avait aidé à emménager ma chambre en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire et m'avait fait visiter le quartier. Je jouais de la guitare un après-midi dans ma chambre quand il ouvrit la porte. Il avait les mains derrière le dos et je voyais dépasser un étui qui semblait contenir un instrument de musique.

— Qu'est-ce que tu caches, lui demandai-je en penchant la tête pour tenter de voir.

— Moi aussi je fais de la musique, mais tu vas trouver ça ringard.

Je le regardai fixement en souriant.

— Tu joues d'un instrument et tu ne m'as rien dit depuis un mois que je suis là ?

— Euh... c'est un vieil instrument, mon grand-père m'en a fait cadeau pour mes huit ans. Tu ne vas pas te moquer ?

— Levy, tu m'énerves à la fin ! montre-moi ça ! pourquoi devrais-je me moquer d'un musicien ?

— Parce que je ne suis pas très populaire dans mon lycée, pas populaire du tout. Et j'en ai assez qu'on se fout de ma gueule. Je peux compter les amis sur les doigts d'une main et ce sont ceux qui font de la musique avec moi. À l'école je n'ai personne, et ils me font la vie impossible. Je ne suis pas sûr de vouloir te le montrer.

Je me demandais la raison pour quelle il avait des problèmes à l'école. Il n'avait pas l'attitude de quelqu'un de marginalisé. Je supposai que c'était dû à son aspect physique, à sa stature en dessous de la moyenne de son âge et à l'expression apeurée de son visage qu'il affichait à toute heure.

— Quand nous entrerons au lycée, je te garantis que s'ils te font la moindre réflexion je leur pète un bras, OK ? J'irais les prévenir d'entrée. Peut-être que nous serons dans la même classe de seconde. Allez, montre-moi.

Il hocha la tête en mordillant sa lèvre inférieure et posa l'étui sur la chaise de mon petit bureau pour l'ouvrir lentement, me demandant s'il comptait me faire attendre jusqu'à Mathusalem.

— Voilà, murmura-t-il en tenant dans ses mains la plus belle cornemuse que j'avais jamais vue.

Elle était vraiment magnifique. Le sac de l'instrument était recouvert d'un tissu de tartan rouge et quadrillé de trois lignes vertes. Le grand, et les petits bourdons ainsi que le tube d'insufflation étaient noirs et paraissaient neufs.

— Elle est belle ta cornemuse Levy.

— Mon papy m'en a fait cadeau avant de mourir. Je l'accompagnais tous les ans à Culloden rendre hommage à ses ancêtres. Tu veux que j'en joue un peu ?

— Ah oui ! Fais-moi voir ce que ça donne.

Il se plaça devant moi les jambes écartées, et cala la poche sous son bras. Il plaça le porte-vent entre ses lèvres et commença à souffler et à pianoter sur le chanter. Il ferma les yeux. Le son se répercuta contre les murs de ma chambre. et je souris hypnotisé par la musique enivrante et le garçon aux cheveux bruns ébouriffés. Il avait l'air d'un ange même avec son short passé de mode et son polo bleu qui avait connu des jours meilleurs. Je fermai les yeux pour écouter la mélodie. Moi qui n'écoutais que les groupes de rock qui pétaient les oreilles, je me surpris à apprécier cette musique qui prenait aux tripes, qu'il m'offrait comme un cadeau, et qui sortait d'un autre temps. 

Il ouvrit les yeux et sortit la flûte de sa bouche. Mon regard resta figé sur son visage qui affichait une expression sereine.

— Alors ?

— C'est beau Levy, tu en joues très bien.

— J'en joue depuis l'âge de huit ans. En fait j'étais venu te demander si tu voulais nous accompagner à Cairn ce week-end. Ma mère a trois jours de repos et elle n'aime pas y aller. C'est la maison de mon grand-père elle est super tu verras, j'adore cet endroit.

— C'est loin ?

— Non, à trente minutes à peine et derrière la maison il y a la mer. Tu peux emmener ta guitare si tu veux, lança-t-il.

Je ne pouvais pas refuser. La mer ! Je souris en le voyant gesticuler pour me détailler d'une voix enthousiaste la vieille maison et les alentours, qui à l'écouter ressemblaient au paradis sur terre. Et puis ce n'était pas comme si j'avais autre chose à faire n'est-ce pas ?

— Je viens si mes parents m'y autorisent.

Il commença à tourner sur lui-même les bras levés. Je me demandais s'il n'avait pas un pet au casque finalement. J'éclatais de rire sans pouvoir m'arrêter.

***

Nous marchions sur le bord de la falaise comme des équilibristes. Il n'avait rien exagéré. Le paysage était somptueux et la maisonnette ancienne avec ses vieilles pierres était vraiment jolie. Nous rentrâmes après m'être fait une frayeur en allant voir de près un enclos où broutaient paisiblement quelques bœufs des highlands spécifiques de la région.

Nous étions là depuis la veille, et n'avions vu sa mère que le matin au petit déjeuner. Elle était partie avec sa voiture en début de matinée en laissant le repas du midi et du soir dans le frigidaire à réchauffer.

— Ta mère compte rentrer quand ? Demandai-je étonné alors que nous rangions la vaisselle du dîner.

Je me demandais si Levy était toujours laissé à l'abandon et je l'enviais presque. Moi j'avais toujours mes parents sur le dos et ce n'est que sur l'insistance d'Abby, sa mère, qu'ils avaient finalement cédé et permis de les accompagner.

— Elle ne rentrera pas. Elle a dû partir avec sa copine Florie, elle fait toujours comme ça. J'ai l'habitude. Ça te dirait de monter au grenier pour voir ce qu'on peut trouver ? Proposa-t-il.

— Si tu veux, mais comment va-t-on monter là-haut ?

L'habitation était de plain-pied. Il claqua la langue et sortit en courant. Quelques minutes plus tard, il entra avec un manche surmonté d'un crochet. Je le suivis et le regardai tirer sur la trappe du plafond de la chambre qu'occupait sa mère avec la longue tige crochue pour l'ouvrir. Il tira sur un escalier télescopique qui semblait neuf et posa le bâton avant de commencer à monter les marches en me faisant signe de le suivre. J'hésitai quelques secondes, mais Finalement, l'endroit ne faisait pas si peur que ça une fois la lumière allumée. L'espace était réduit, mansardé et le plafond très bas suivait la forme en V du toit. Sur les côtés se trouvaient diverses étagères remplies de livres. Un peu plus loin, un vieux canot avec une rame et un rouleau de corde posé sur un meuble avec des tiroirs. Je m'installais par terre avant de me faire mal au dos à force de marcher accroupi alors qu'il se laissait tomber à genoux devant moi. Je pris le premier album photo que je trouvais à ma portée alors qu'il tentait de me le sortir des mains.

— Pas question, lui dis-je. Je t'ai suivi, je regarde, j'insistai en cachant l'album derrière mon dos.

Il ne dit rien, se contentant de secouer la tête et de souffler de cette façon adorable que je voyais depuis quelques semaines.

J'ouvris. Il y avait beaucoup de photos. Un couple de mariés, ses grands-parents sans doute, quelques photos d'eux en compagnie d'une fillette. Je tournai les pages et tombai sur une photo de classe. 1996 dis-je à haute voix. Je reconnus son visage, ses yeux bleus et ses joues rosées. Ses traits montraient l'expression de lassitude de quelqu'un qui était fatigué de vivre. La seule différence étaient ses cheveux coiffés en avant.

— Tu étais mignon, m'exclamai-je même si son air attristé m'interpellait.

Je me grattai la gorge en levant les yeux. Il me fixait, les yeux plissés. Je ne comprenais pas pourquoi. Ou peut-être que si.

— Je ne voulais pas dire... euh... tu étais très... maintenant aussi, je veux dire...

— C'est bon ? Tu as fini ? Tu peux lâcher ça et regarder autre chose ?

Je compris que ce n'étaient pas mes paroles qui l'avaient gêné. Ce qui l'inquiétait était l'album encore ouvert devant mes yeux. Je baissai à nouveau le regard sur la photo et je vis sa jambe et la couleur de son genou. Un bleu énorme recouvrait toute la zone de la cuisse. Et en regardant bien, il en avait une autre similaire qui dépassait du col de sa chemise.

— Que t'est-il arrivé ?

— Rien, je suis tombé, me répondit-il en baissant le regard. Les idiots tombent tout le temps.

Je fermai l'album et me redressai pour m'accroupir devant lui.

— Nous tombons tous Levy.

Je lui montrai la marque que j'avais sur la cuisse en relevant mon bermuda, et celle sur ma poitrine. Il dirigea son regard vers mon pectoral gauche en levant sa main pour suivre de son doigt la ligne de ma cicatrice, loin de ma peau. Comme s'il suivait un tracé imaginaire.

— Et tu n'es pas un idiot, d'accord ? J'aimerais être aussi intelligent que toi, lui affirmai-je.

Je le pensai réellement.

— Non, c'est moi qui voudrais être comme toi, me répondit-il le regard plein de larmes contenues.

— Tu ne sais pas ce que tu dis Levy, crois-moi, tu n'aimerais pas être comme moi.

Il se résigna en haussant les épaules. Je ressentais le besoin de le prendre dans mes bras, mais apparemment, les garçons ne faisaient pas ces choses-là. Je ne tenais pas à reproduire ce qui s'était passé avec Callen. Je ne commettrais pas deux fois la même erreur en croyant qu'une connexion existait entre nous.

J'avais envie de lui crier de changer sa façon d'être, que rien n'était facile dans la vie. Mais je devrais commencer par être capable d'appliquer ces conseils pour moi-même. Je n'avais rien fait de mal, et pourtant je devais continuer de feindre et cacher ce que j'étais réellement. Peut-être que j'optais pour un changement facile et radical en me disant qu'à mes dix-huit ans, je serais libre de vivre ma vie. Levy essuya les larmes qui coulaient sur ses joues avec le revers de sa manche en me demandant de ne pas dire à sa mère qu'il avait pleuré.

— Promis, allez, descendons de ce grenier.

— Attends, me dit-il en tirant sur ma manche. Pourquoi es-tu mon ami ?

—Pourquoi ne le serais-je pas ? répondis-je, étonné par sa question qui me semblait idiote.

— Parce que nous n'avons rien en commun. Que se passera-t-il quand nous commencerons le lycée et que tu connaîtras d'autres personnes ?

Je ne voyais pas où il voulait en venir. Je comprenais encore moins ce qu'il pensait dans sa tête pour se dévaloriser avec autant de force, comme si quelqu'un lui avait dit qu'il ne valait pas la peine qu'on s'intéresse à lui. J'étais son ami depuis presque deux mois, et je n'avais jamais connu quelqu'un comme lui. J'étais un mec populaire au lycée de Belfast, mais jamais je n'avais eu autant d'affinités avec aucun de mes amis, en si peu de temps du moins.

— Il y a des choses que tu ne sais pas, lançai-je. Si tu les savais, ce serait peut-être toi qui cesserais de me parler.

— J'en doute, répondit-il fermement.

Il esquissa un sourire et je lui donnai une poussée amicale pour le faire tomber. Je marchai à quatre pattes par-dessus lui pour le prendre par le bras et le traîner jusqu'à la trappe. Il trépignait, mais se laissa glisser en riant quand je le menaçai de descendre et de l'enfermer dans le grenier.

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