Chapitre 3


                                     LEVY

— On doit mettre des rideaux à ma fenêtre !

Je n'avais pas de temps à perdre après m'être ridiculisé et m'être tapé la honte un peu avant. Mettre une barrière entre mon voisin, moi et mon intimité me paraissait urgent. Ce mec avait le chic pour me surprendre dans les pires situations, comme ma mère. Avec lui, je n'avais pas l'excuse de dire "ce n'est pas ce que tu croies". Ce qu'il avait vu était réel et je ne devrais pas donner autant d'importance à cela, car à mon sens, je n'avais rien fait d'anormal. Mais j'avais déjà accumulé plusieurs situations similaires et je n'étais plus objectif.

— Et pourquoi ça ? Le soleil te gêne l'après-midi ? Me demanda ma mère en posant son sac  d'une voix exaspérée et fatiguée. Tu n'as plus de rideaux depuis...

Elle laissa sa phrase en suspens, mais c'était trop tard, ma tête voyageait déjà vers un passé que j'aurais préféré ne pas vivre.

— Non ! Mais il y a les nouveaux voisins. Je suis certain que depuis chez eux on voit tout dans ma chambre, répondis-je, essayant de ne pas montrer qu'après avoir passé des mois sans donner d'importance à un morceau de tissu, je souhaitais retrouver un peu d'intimité.

— Les voisins ! j'avais complètement oublié !

— Nous n'avons eu à souffrir d'aucune victime pâtissière, l'interrompis-je. Le gâteau est dans la cuisine.

Elle remit ses chaussures et redescendit les escaliers. Je revins vers ma fenêtre pour regarder discrètement vers la chambre d'en face. Le lit était plein de linge en vrac et une ombre se reflétait contre le mur, immobile. Je fouillais dans ma commode à la recherche du seul cadeau que m'avait fait mon père et dont il se servait plus que moi, mes jumelles. Je les prit avant de me poster devant la vitre pour observer de plus près à l'intérieur de la chambre d'en face. Je balayai la pièce de gauche à droite, vis une étagère avec des CD, des vinyles, une chaîne hi-fi et... le visage du voisin qui regardait... vers moi.

Merde !

Je ne savais pas si j'avais été suffisamment rapide en me baissant.

— Levy ! Descends ! cria ma mère.

J'avançai en rampant de nouveau parterre, cette fois-ci dans ma chambre. Parce que toutes les précautions étaient bonnes à prendre pour arriver jusqu'au couloir sans me faire voir. Je me levai et me retournai trouvant ma génitrice aux pieds des escaliers avec un plateau dans les mains.

— Qu'est-ce que tu fais parterre ?

Elle secoua la tête et mit les yeux en blanc sans attendre de réponse, elle prit ses clés et me fit signe de la suivre.

— Accompagne-moi saluer les Walsh.

J'ouvris les yeux grands comme des soucoupes. À mi-chemin entre surprise et terreur, je m'accrochai à la rampe en secouant la tête. Je n'avais pas l'intention de lui expliquer ma situation avec le voisin, elle n'aurait pas compris. Moi-même, je me demandais comment j'avais pu me ridiculiser autant de fois en quelques heures. Elle insista, et finalement, je descendis pour la suivre jusqu'à la maison voisine en rangeant mes mains moites dans les poches de mon short.

Pourvu que le voisin ait perdu la mémoire...

Je serrais la mâchoire me demandant s'il ne deviendrait pas un autre de mes harceleurs dans le collège "s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît". La femme que j'avais aperçue quelques heures plus tôt ouvrit la porte en saluant ma mère comme si elles se connaissaient déjà. Ce qui devait être le cas puisqu'elle savait qu'ils arrivaient ce jour-là. Son mari apparut derrière elle. Leur maison semblait presque identique à la nôtre, mais le papier aux murs était plus moderne et le parquet en meilleur état. Le salon était un désastre avec des emballages éparpillés de toutes parts. Ma mère tendit le plat à la voisine qui répondit avec la phrase typique : Tu n'aurais pas dû te déranger !

J'entrai à pas lents derrière ma mère comme un petit chien peureux.

—C'est mon fils Levy, annonça-t-elle, en tendant le bras en arrière pour s'assurer que j'étais bien là. Il entre au lycée cette année.

Je me limitai à hocher la tête en me forçant à sourire. Les deux voisins me saluèrent tour à tour gentiment.

— Je suis Pharell, me dit l'homme en me tendant la main tout en regardant vers le couloir de l'étage. Elias aussi entre au lycée. ELIAAAS !

Je lâchai la totalité de l'air que contenaient mes poumons et la main de monsieur Wash avant de commencer à transpirer. Je fermai les yeux, me demandant comment disparaître. Avoir autant d'imagination ne me servait à rien si j'étais incapable d'échapper à certaines situations. Trop tard ! le couloir s'éclaira avec la lumière d'une chambre et avant que je n'ai trouvé une échappatoire, le garçon devant lequel je m'étais ridiculisé descendait les escaliers en sautant presque, passant les doigts dans ses cheveux bruns pour les placer derrière l'oreille.

— Elias, ce sont nos nouveaux voisins, lança sa mère.

— Je crois que les nouveaux c'est plutôt nous, lui répondit-il sarcastique.

Sa voix était grave et suave, légèrement aphone. Maintenant que je l'avais devant moi, je le détaillai discrètement. Des yeux noirs immenses et pétillants se posèrent sur moi. Une mèche sauvage recouvrait son front. Sa bouche souriante laissait voir une rangée de dents blanches et parfaitement alignées. Je repérai aussi le petit creux au milieu de son menton. Un signe de force et de courage, d'après ce que j'avais lu dans une revue scientifique qui parlait de l'hérédité génétique dans la salle d'attente du dentiste.  A quelque chose près, il devait avoir mon âge. Sauf qu'il était beaucoup plus grand et charpenté que moi. 

— Bonjour, je suis Elias, me dit-il en me tendant la main.

— Euh... bo... bonjour. Les paroles bloquaient sur ma langue. Je su... suis Levy.

Je serrai la main qu'il me tendit. L'instant dura deux secondes, mais j'étais tellement nerveux que j'avais l'impression de l'avoir gardée des heures entre la mienne.

— Elias, pourquoi ne prends-tu pas une pizza et monter dans ta chambre avec Levy ? Je suis certaine qu'il appréciera de connaître Paméla.

— J'ai droit de manger la pizza aujourd'hui ?

— Exceptionnellement oui, tu reprendras une alimentation normale demain. 

Il se retourna, attrapa une boîte posée sur la table et me fit signe de le suivre. Mon cerveau commença à divaguer. Je me demandais si Paméla était une rate, un furet ou un iguane. Ou bien le nom de sa copine. Non ! Je n'avais vu que 3 personnes descendre du véhicule... Bref ! À mesure qu'il montait les marches, j'observais son dos, hypnotisé par ses longues jambes en suivant le rythme de ses pas. Je l'enviais, moi à part mes yeux bleus, je ne ressemblais à rien.

Il referma la porte derrière nous en avançant sans savoir quoi faire ou dire. Il m'intimidait d'une manière surhumaine. Si je réfléchissais bien, Il avait sûrement déjà embrassé des filles lui, et peut-être même un peu plus.

     Avec un air de chien battu, j'attendais de voir s'il disait quelque chose.

— Tu n'as plus peur de moi ?

Je secouai la tête de gauche à droite.

— Tu es un peu spécial comme gars ? reprit-il en s'installant au bord du lit avec la boîte à pizza.

— Euh, ne crois pas ça ! je ne suis pas l'idiot du village ! répliquai-je.

— OK ! Excuse-moi, mais entre tes réactions de cet après-midi et ton attitude de ce soir je me demandais.

—Écouter de la musique dans sa chambre est une affaire d'attardés ? Lui demandai-je d'un air indigné.

— Tu dansais aussi, ajouta-t-il alors que mes joues se coloraient de rouge.

Je fixai du regard les lattes du parquet, mort de honte.

— Alors qu'est-ce que tu veux dire par cet après-midi ? demandai-je.

— Quand tu m'épiais par la fenêtre de ta cuisine.

Un rire involontaire qui semblait sortir du plus profond de ma gorge m'échappa.

— Je ne t'épiais pas, j'étais curieux.

— Alors pourquoi tu rampais par terre ?

J'ouvris les yeux en grand et je souris. Je ne percevais aucun ton moqueur ou offensant dans sa voix, au contraire, il souriait.

— Tu ne penses pas que je t'épiais quand même ? Et pour les jumelles...

— Quelles jumelles ?

Je fermai la bouche d'un coup.

— Non, euh... rien. Si tu veux, je peux t'aider à ranger ta chambre.

Il haussa les épaules.

— Demain si tu n'as rien de prévu.

— D'accord, et Paméla, c'est qui ?

Il posa la boite en carton sur son lit, se leva et s'avança vers moi en souriant. J'étais hypnotisé par ses traits, alors qu'il penchait légèrement la tête et que son visage se rapprochait du mien. Je le fixais, perplexe, sans bouger. Je me crispai comme une statue de pierre alors que ses yeux étaient trop proches des miens. Nos lèvres à quelques centimètres, je pouvais sentir la chaleur de sa respiration. Quelque chose d'étrange que je n'avais jamais ressenti jusqu'alors picota dans mon ventre. Je reculai mon visage et son bras se tendit pour passer derrière moi et prendre une guitare posée près de ma jambe.

— Paméla, c'est cette beauté !

Je soupirai, tentant de respirer calmement pour calmer les battements de mon cœur. J'acquiesçais avec un léger sourire. Il ne s'était rien passé de bizarre. Elias n'avait pas de copine, pas de rate et pas d'iguane. Paméla était une guitare. Et il n'allait pas m'embrasser. Non, non !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top