VIII - Jupiter - | V a i l l a n t |.pt.1

An 2997.ap.J-C, Moi Astral 3 - Therenxas.

Jupiter, Rinith, Centrum - Quartier Général du gouvernement de la Fédération Junite.

Debout face à l'immense baie vitrée de son bureau donnant sur Point Central, Vaillant observait des junites en mouvement sur le sol luminescent de la capitale. Il se sentait accablé, légèrement. Mais il ne parvenait pas détecter l'origine de cette gêne. La météo était idéale pour une parfaite exploration des sites historiques de Rinith et le stabilisateur gravitationnel était plus opérationnel que jamais. Les cellules scientifiques de l'armée étaient parvenues à localiser le Pandémonium, qui se trouvait près de l'étoile rouge Zhexavis. Un ordre de sa part, et des centaines de pourfendeurs fédéraux s'élançaient dans l'espace en direction de la position actuelle du vaisseau ennemi. Pourtant, il ne cessait de s'interroger ; il avait un mauvais pressentiment. Par conséquent, il avait préféré prendre du recul sur toutes les informations dont il disposait.

C'était pour cette raison qu'il s'était dirigé vers son unique sœur, Novakeith. Mieux que quiconque, il connaissait la relation fondamentalement affectueuse qui liait cette dernière à son déluré de frère. Elle était la seule qu'il ait jamais aimé dans la famille, la seule qui ait jamais touché sa sensibilité. Novakeith était donc l'appât idéal, pour briser une ultime fois la vigilance de Cayedn. Vaillant, du haut de sa quarantaine d'année, maîtrisait parfaitement l'instabilité affective de son jeune frère, tout comme celle de sa sœur. Il était parvenu à formater le cerveau de la ministre de la planification territoriale en quelques années, avec une facilité déconcertante. Car après le départ de Cayedn, il était inconcevable pour lui de perdre un autre membre de sa famille.

Les convictions et les intérêts capitalistes de son père avaient primé sur l'essence même d'une famille. Ce changement substantiel ne le perturbait pas singulièrement, au contraire. Le bannissement de Cayedn avait fortifié de nouveaux Copernick, plus grands, plus puissants, plus insatiables que jamais. Cayedn leur avait aussi fait comprendre l'importance de nouer des liens forts entre eux : des liens d'intérêts. Abandonner leur affection les uns pour les autres était le prix à payer.

Le général clôt ses paupières puis craqua ses phalanges avant de soupirer longuement. Lorsqu'il ouvrit ses yeux, le visage sombre de son jeune frère était affiché sur tous les holoécrans, holoplanneurs et bâtiments de Point Central. Ses sourcils se froncèrent et son visage se crispa aussitôt. Le phénomène était identique dans son bureau ; les holoplanneurs qui s'y trouvaient retransmettaient le visage de son frère cadet. Bien qu'installé au cent douzième étage de Centrum, il pouvait identifier les Junites qui se déplaçaient sur le sol luminescent du centre ville. Ses améliorations biologiques étaient impressionnantes et lui conféraient des aptitudes bien plus surhumaines que les autres dirigeants de Jupiter. De ce fait, il était capable d'augmenter la vergence de ses yeux afin de mieux discerner certains objets, tant qu'ils restaient dans son nouveau punctum remotum. Les doutes de Vaillant se concrétisèrent : tous avaient les yeux rivés sur les écrans.

Son frère se mit à parler et les révélations de ce dernier ne choquèrent pas Vaillant. Il connaissait Cayedn ; il n'avait juste pas prévu qu'il fasse une apparition publique de cette trempe.

« Une nouvelle raison de croire en un avenir différent de celui que le gouvernement idéalise » ?

— Tu as définitivement perdu la tête mon frère, souffla-t-il à voix haute.

Mazent Ossax, son plus fidèle auxiliaire surgit aussitôt dans son bureau, l'expression grave.

— Mon général...

— Oui Mazent, mon frère est plus fou que jamais.

«Un autre groupe, le plus grand d'ailleurs, me considère comme l'ennemi premier de Jupiter, le mal incarné, animé par des intentions destructrices et substantiellement belliqueuses.»

— Que devons-nous faire général ? questionna prudemment Mazent, qui venait à peine de quitter le seuil de la porte coulissante.

Une colère noire s'emparait de l'esprit de Vaillant ; il ne cessait de s'interroger sur les moyens employés par son frère pour s'infiltrer dans les serveurs.

— Je veux qu'on me retrace la position du point d'émission maintenant. Contacte les cellules scientifiques et n'interrompez pas la diffusion. Il faut que tous les Junites découvrent notre ultime raison d'anéantir cette bande d'anarchistes.

Mazent pianota rapidement sur son holotablette avant que Vaillant ne reçoive un appel du cabinet de la présidence. L'auxiliaire donnait des directives aux chefs des cellules scientifiques depuis son émetteur sécurisé tandis que Vaillant se préparait avant l'échange avec son père.

— Général Copernick, ceci est un appel direct du Président et de la Vice-présidente de la fédération, entonna synthétiquement le cyborg en tête du cabinet civil junite.

Juste après, un hologramme des hauts dirigeants apparut dans le bureau de Vaillant. Les traits du président Copernick étaient serrés, son visage plus stoïque que jamais. Le général pouvait palper l'insatisfaction de son père malgré la distance, et il se frappa intérieurement de se retrouver dans cette situation. Si cet incident était survenu il y a dix ans, il aurait détourné les yeux face à son père, frappé de plein fouet par l'autorité parentale. Désormais, il affrontait les prunelles sombres de Leeroye Copernick sans la moindre appréhension. Il était son fils après tout. Près de lui, assise sur un siège prismo-dématérialisable, Desree Vilaji affichait un air dédaigneux, si caractéristique de sa personne.

— Qu'est-ce que cela veut-il dire Vaillant ? tonna froidement son père.

— Il me semble que ce traître s'attaque directement au gouvernement central cette fois.

« Si les mots n'ont pas suffit, le sang suffira.»

Leeroye Copernick plissa ses sourcils et adressa un regard réprobateur à son glorieux fils.

— Comment a-t-il réussi à infiltrer les serveurs nationaux ? Le message n'est pas uniquement diffusé à Rinith, mais sur toute la surface de Jupiter, tout comme sur tous les vassaux et satellites. Comment justifies-tu la fébrilité du système de défense numérique ?

Vaillant bloqua sa respiration ; c'était rare que son père lui pose autant de questions en une seule phrase. Le président était mécontent, profondément agacé par cette situation car mieux que quiconque, il mesurait la portée des déclarations de l'égalitariste. L'aîné des Copernick ne su pas quoi répondre à cet instant, son assurance se fragilisait peu à peu. Pourtant, il devait conserver ses positions tout d'abord pour se rassurer intérieurement, mais aussi pour rassurer son père.

— Vous êtes sans doute déjà au courant de l'existence du dispositif de traçage interstellaire, mis au point par les cellules scientifiques des armées fédérales. Grâce à lui, nous avons pu localiser la position du vaisseau ennemi qui se trouve dans le système Zhexavis. En estimant le temps de recharge d'un mastodonte galactique de cette envergure, en trois jours ils n'ont pas pu à nouveau entrer dans l'hyperespace. Par conséquent, nous pensons que le Pandémonium se trouve encore près de l'étoile rouge.

Les explications de Vaillant suintaient de véracité, il était plus que confiant sur ce point. Cependant, son père, en éternel insatiable, ne parvenait pas à se rassasier des justifications de son fils.

— Peux-tu confirmer que le signal a été émis depuis leur vaisseau ? Quelle station galactique se retrouve dans ce système ?

Les questions du president étaient légitimes ; rien ne prouvait que le signal provenait effectivement du Pandémonium. Seules les cellules scientifiques pouvaient confirmer les theories de Vaillant. Il se tut un moment et jeta un regard impatient à Mazent qui n'avait pas quitté son bureau, en plein échange avec les chefs de cellules.

- Général, les divisions n'arrivent pas à tracer l'origine du signal. La position du Pandémonium quant à elle est identique ; ils se trouvent toujours dans un rayon de cent cinquante mille kilomètres en partant de la surface de Zhexavis. De plus, les capteurs du vaisseau ne semblent pas encore avoir détecté les émissions ultrasoniques du dispositif de localisation. Les radars fédéraux sont toujours invisibles.

La voix de Mazent tonna assez haut pour que Leeroye Copernick assimile les informations retransmises par les divisions scientifiques fédérales. Le president dévisageait son fils ; Vaillant n'arrivait pas à scinder l'esprit de son père.

Il n'avait jamais su le faire.

- Si vous avez localisé le Pandémonium pourquoi vous ne l'attaquez pas ? Au bout de trois jours les pourfendeurs auraient déjà détruit le vaisseau, commença Desree Vilaji qui s'était effacée depuis le début de l'appel.

Vaillant réprima une grimace de dégoût face à la sempiternelle voix serpentine de la vice-présidente de la fédération junite. Il l'exécrait toujours avec la même intensité mais face à son père, il ne pouvait pas extérioriser son aversion contre elle.

- Nous leur avons adressé un cadeau empoisonné. J'attends leur réponse.

- Vous me dites que vous êtes entré en contact avec la Coalition des Égalitaristes ? s'étonna Desree face au calme apparent de Vaillant.

Son regard dériva jusqu'à celui de son père qui se murait dans une placidité incomparable. Même si la question venait de Desree, il savait que son père s'interrogeait aussi sur son inactivité militaire.

- Entrer en contact c'est grand, puisqu'ils n'ont pas encore donné suite à mon message. Mais le lien devrait s'opérer dans peu de temps.

- Quelle est la nature de ce message ? renchérit aussitôt Desree, intarissable.

- Une faille majeure de Cayedn.

Vaillant s'autorisa enfin à prononcer le prénom de son jeune frère. C'était rare, même son père avait réagit suite à ça en fronçant ses sourcils. Le général avait la sensation d'avoir reçu de l'acide sur la langue après avoir identifié son frère dans sa phrase. Même le nom «Cayedn» le rebutait désormais.

— Très bien, coupa Leeroye de son expression inflexible.

Le président clôt ses paupières un instant avant de reprendre de sa voix perçante.

— Ceci est un outrage sévère au gouvernement central. Je devrais probablement prendre la parole ce soir en direct de Media Central pour répondre à cette provocation. Par conséquent, j'accorde trois heures à toutes les structures gouvernementales spécialisées pour me retrouver ce vaisseau ou l'origine du signal. Il n'est pas question de semer la discorde dans la nation, pas à l'aube des élections législatives. L'attention de chaque Junite doit être focalisée sur le gouvernement central durant les trois mois à venir.

Au même moment, Vaillant reçu un appel du ministre de la défense Morpheus Aabrahan. Il joignit la fréquence du ministre à celle du cabinet civil pour qu'ils échangent tous en temps réel.

— Monsieur le président, Madame la vice-présidente, salua respectueusement le ministre de la défense.

— Morpheus, vous savez ce qu'il vous reste à faire, entama Leeroye.

Vaillant observait chacun des dirigeants, légèrement absent. Il n'avait pas encore totalement digéré la provocation de Cayedn et il se sentait insulté.

- Bien entendu. Les pourfendeurs les plus rapides sont déjà opérationnels. Nous n'attendions plus que votre approbation, renchérit Morpheus, émoustillé à l'idée d'en finir avec la Coalition des Égalitaristes.

- Très bien, conclut le président.

Vaillant détaillait son père, il se résolut à discuter avec lui plus tard, avant son discours en direct de Média Central. Desree ne dissimulait pas sa liesse, elle se réjouissait de l'affrontement imminent. Personne n'était aussi fasciné par la guerre que cette femme à la beauté surhumaine. L'ainé des Copernick était soulagé à l'idée de se débarrasser se son frère. Mieux que quiconque, il savait que la déchéance du système L-87 était proche. Pourtant, ce sentiment d'inconfort ne le quittait pas.

- Qu'en est-il des populations ? Les gouverneurs ne tarderont pas à nous contacter. Comment seront gérés les remous causés par le message du camp ennemi ? demanda Morpheus après une minute de diligence.

- Nous allons laisser tarir l'effervescence. Le discours du président viendra trancher les opinions dans quatre heures, répondit Desree inondée de confiance.

Tous échangèrent des regards circonspects avant de rompre le contact depuis leurs prismes videotex. Vaillant soupira et réorienta son attention sur Mazent qui s'était installé dans un coin sombre de son bureau. Il se passa une main sur le visage avant de se diriger vers la porte coulissante qui menait à l'extérieur de son compartiment.

- Que comptez-vous faire Général ?

- Mener l'assaut, déclara Vaillant d'une voix cinglante, déterminé à mettre un terme à la rébellion de son frère.

*

- Demande de scan corporel et verification du codex individuel.

La voix du cyborg à la tête du cabinet civil résonna dans le SAS de purification de la présidence. Le général était amusé de constater qu'au bout de plusieurs années, les mesures de sécurité appliquées n'avaient pas faiblit en intensité. Vaillant avait passé une grande partie de son existence au cœur de ces fortifications ultra sécurisées aux côtés de son père, sa défunte mère, sa sœur et ses frères. Il maîtrisait parfaitement l'emplacement de tous les accès de sortie secrets réservés à l'exfiltration de la famille présidentielle en situation de crise. Alors qu'il venait à peine d'avoir seize ans, il avait dressé un plan exact du domaine présidentiel. C'était un défi qu'il s'était volontairement imposé, dans l'unique but de tester ses aptitudes et son renforcement biologique.

Chaque fois qu'il franchissait le seuil du SAS de purification, il se laissait submerger par une brève nostalgie, avant de revêtir son masque invulnérable.

- Identification terminée : bienvenue Général Copernick.

Il ne répondit pas à la salutation du cyborg et traversa le long corridor conduisant au centre du domaine d'un pas pressé. La décoration de la présidence n'était pas fantaisiste, mais pas pour autant négligée. L'intendance veillait à ce que le domaine retransmette le pouvoir de son président, le pouvoir de la civilisation junite. Les bâtiments et compartiments étaient façonnés avec du Bligt Xentorien, un acier d'une résistivité absolue. Doré, blanc et gris s'uniformisaient sous les éclairages des pavillons. À côté de cela, de grandes baies vitrées offraient un panorama incroyable sur les jardins présidentiels, soigneusement entretenus par des ingénieurs en maintenance écologique d'exception. Fontaines et parterres de fleurs rarissimes s'harmonisaient gracieusement dans cet espace violemment assujéti aux désirs de son père.

Vaillant emprunta un ascenseur qui conduisait aux appartement de son père, après avoir reçu les salutations de quelques membres de l'intendance, ou de fonctionnaires présent dans le domaine. Il était habitué à cette catégorie traitement : il était le fils aîné du vénéré Leeroye Sazx Copernick après tout. Avant de devenir Général des armées fédérales, il était le fils chéri du président, illustre héritage d'un homme puissant.

Les battants de l'ascenseur coulissèrent une seconde fois et il s'introduisit dans le pavillon de Leeroye. Le compartiment exsudait le luxe digne du président. On y retrouvait des fauteuils uniques, en cuir pur. Cette catégorie de matériaux était quasiment introuvable sur Jupiter car les progrès technologiques avaient bafoué l'industrie du tannage.

Vaillant marcha encore et traversa le bureau de son père pour se rendre dans son jardin privé. Cette portion du parc était exclusivement réservée au président, isolée des œils trop curieux. Le général y retrouva Leeroye, debout face à une fontaine, sous le ciel Junite illuminé par Ventura.

— Ventura est haut aujourd'hui.

— Je dois vous parler, père.

— Que veux-tu me dire que j'ignore ?

Leeroye se tourna vers son fils avec une lassitude palpable. Il était déçu, et il le montrait bien à Vaillant.

— C'est à propos du vol effectué sur Plox...

— Ils ont dérobé un noyau Carssax à la fédération, je le sais Vaillant.

L'ainé des Copernick faillit s'étrangler avec son propre oxygène, il redoutait les prochains mots de son père. Pourtant il était toujours posté face à lui, prêt à écouter ses déclarations.

— Tu pensais que je ne le découvrirais pas ? Je suis le président, fils.

— Nous allons le récupérer père ! J'ai personnellement vérifié les paramètres des pourfendeurs tout à l'heure et ils sont déjà dans l'hyperespace en direction de la première galaxie intermédiaire.

Le ton de Vaillant était moyennement calme, il voulait se donner raison face à son père du mieux qu'il pouvait. Mais c'était difficile ; son manque de réactivité après la géolocalisation du Pandémonium avait conduit à cette situation.

— D'après toi, pourquoi ai-je été élu président ?

Il ne comprenait pas la raison de cette question ; il ne parvenait pas à établir un lien entre elle et le problème des égalitaristes. Mais il tenta tout de même une réponse.

— Vous êtes l'homme qui hissera Jupiter au sommet de son existence. Le dirigeant le mieux habilité à manœuvrer les civilisations junites pour atteindre un développement intégral. Vous êtes le vecteur de progrès.

Vaillant était sincère, il pensait et croyait véritablement en ses déclarations. Pour lui, aucun autre homme ne pouvait occuper la place de président en dehors de son père. Leeroye Sazx Copernick était l'espoir que l'humanité était en train de perdre. Son père était le commandant suprême dont Jupiter pouvait rêver.

- Rien que ça ?

- Que devrais-je dire d'autre ?

Leeroye soupira et s'avança jusqu'à son fils. Il était aussi grand que lui, aussi corpulent que lui, aussi terrifiant que lui. Vaillant était une réplique presque exacte de son père, à la seule différence que le président avait une peau noire uniforme et des prunelles sombres. Le général avait un peau laiteuse et le bras recouvert d'une série de tatouages numériques : des codes qui indiquaient ses échelons militaires en partant de son introduction dans l'armée.

— Si j'ai été élu c'est aussi parce que je suis impitoyable et que je sais prendre des coups d'avance sur mes adversaires. Je vais te révéler la raison pour laquelle j'étais absent lors du dernier conseil de sécurité.

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