An 2997.ap.J-C, Moi Astral 3 - Therenxas.

Jupiter, Rinith, Média Central - Siège de la chaîne télévisée mondiale.

Vaillant marchait avec la sensation de ne pas fouler le sol de ses pieds. Son corps était léger, il avait l'impression d'être aussi délicat qu'une plume. Paradoxalement, son expression faciale était toujours aussi sombre. Le général des armées fédérales se murait dans un silence inquiétant, très caractéristique de sa personne.

Tandis que des cyborgs vérifiaient les connections hertziennes des postes d'émission holographiques, le président Copernick exsudait une sérénité incomparable. Aussi calme que le plus assidu des soldats des armées fédérales, à l'aube de l'affrontement final.

Vaillant ne s'étonnait plus face au self-control de son père adoptif : tout en cet homme âgé d'une quatre-vingtaine d'année transsudait le pouvoir. Chaque cellules de Leeroye Copernick représentait inéluctablement l'humain singulier qu'il incarnait.

Un homme fait pour diriger.

L'espoir de Jupiter.

Vaillant s'installa sur un siège prismo-dématérialisable, le cœur lourd et léger à la fois. Les révélations de son père l'avaient bouleversé, aussi bien positivement que négativement. Il avait du mal à croire le président, il était trop rationnel pour accepter cette vérité. Pourtant, Leeroye était profondément sincère à cet instant.

- Paramétrage des capteurs sonores effectué. Connection des émetteurs holographiques effectué. Le president est en direct sur Media Central dans trente secondes.

Le cœur de Vaillant pulsait rapidement, son esprit était toujours troublé. Il se noyait dans une confusion sans pareille.

Dix. Neuf. Huit.

Il passa nonchalamment sa main sur son visage pour enfin grater délicatement le bout de son nez.

Sept. Six. Cinq.

Vaillant expira l'air contenu dans ses poumons capables de supporter une immersion totale dans une dihydrogène pendant une dizaine de minutes.

Quatre. Trois. Deux.

Les regards du père et du fils se croisèrent une dernière fois avant que l'émission ne débute.

Un.

- À toutes les civilisations Junites, vassaux et satellites de Jupiter, mon apparition de ce soir porte sur la récente provocation adressée par la coalition des égalitaristes à l'encontre du gouvernement central. La menace est là, le chaos se prépare à frapper Ventura Amestesis. Vous avez tous été témoins des intentions destructrices du camp opposé il y a quelques heures. Les anarchistes sont résolus à anéantir notre belle et prospère planète. En tant que président de la fédération Junite, commandant suprême des forces militaires planétaires et Keritan des vassaux junites, je m'adresse solennellement aux peuples de Jupiter. Depuis plusieurs siècles, les civilisations junites se démarquent par leurs procédés technologiques révolutionnaires et leur aptitude à optimiser leurs rendements industriels, aux quatre coins de la galaxie Khôl. Au cours de ces même siècles, elle a su terrasser toute forme de répression anti-gouvernementale avec une précision infaillible. Je ne compte plus le nombres de tentatives de renversement instiguées par les opposants du gouvernement central...Tout comme je ne compte plus le nombre d'interventions salvatrices des armées durant ces siècles. L'ultime devoir de notre gouvernement est la préservation de la paix sur Jupiter, comme sur Ventura Amestesis. Chacune des actions de chacun des fonctionnaires de cette planète converge vers cet objectif et personne ne viendra juguler cette entreprise mondiale.

Le président marqua une pause dans son discours avant de reprendre.

- En qualité de président, je vous exhorte à placer une confiance absolue en le gouvernement central. Les cellules militaires et scientifiques de Jupiter sont prêtes, Jupiter est prêt. L'affrontement avec la Coalition des Égalitaristes ne voit pas le jour aujourd'hui, le conflit est ancien et vous ne l'ignorez pas. Mais plus que jamais, il est temps d'annihiler les intentions belliqueuses du camp adverse. À la provocation des anarchistes, je réponds en votre nom, au nom de toutes les civilisations junites : l'affrontement final est imminent. Je lance un appel à chaque individualité, à tous les peuples de Jupiter et à tous les membres de l'Alliance Junite : mobilisons-nous ensemble contre l'ennemi commun. Allions nos acquis afin de former des unités plus solides et plus puissantes. Dès aujourd'hui, que chacun de nos agissements converge vers notre ultime objectif : la prospérité de Jupiter. Plus que jamais, formons un réseau de partage d'informations entre Jupiter. Les interventions des armées dépendent aussi de vous, des efforts que vous consentirez à faire pour la paix sur Jupiter. C'est pour cette raison qu'au terme de ce message, mille trois cents cellules scientifiques seront affectées à tous les districts de notre Fédération, en complément à celles déjà délocalisées par le gouvernement. Le nombre de drones chargé d'assurer la surveillance permanente des cinq grandes villes triplera. Et par dessus tout, la chasse interstellaire de la coalition des égalitaristes prendra fin. Le progrès est notre ultime objectif, envers et contre tout. Envers et contre tout, Jupiter est resté fort. Envers et contre tout, Jupiter a vaincu. Envers et contre tout, Jupiter Vaincra.

C'était sur ces dernières paroles que le président acheva son message. La transmission s'interrompit et les connecteurs holographiques de désactivèrent. Leeroye quitta le piédestal prévu pour lui et quitta la salle après avoir brièvement échangé avec le rédacteur en chef de Média Central.

Vaillant lui aussi rejoignit son véhicule officiel, garé dans le parking privé de la chaîne de télévision, parking réservé aux autorités administratives. Près de l'automobile surpuissante, Mazent Ossax se tenait imperturbablement droit.

- Que faisons-nous maintenant ?

- Nous allons voir ma sœur.

Les deux hommes s'engouffrèrent dans l'engin et il quitta aussitôt le parking. L'alimentation de la machine à du fluide venturien rendait son moteur trois fois plus puissant que la norme. Taillé dans de l'acier Xentorien et recouvert d'une bicouche d'enduit en Capacicium de niveau deux, le véhicule de Vaillant était capable d'encaisser une pluie de faisceaux laser pendant une heure sans se rayer.

Vaillant ne disait rien, il préparait minutieusement les arguments qu'il allait employer pour décrire la situation à sa sœur.

- J'ai préféré écarter Ashtark de cette discussion. Comme moi, tu sais à quel point il peut faire preuve d'immaturité.

- Tu es bien sévère Novakeith...

- C'est l'hôpital qui se fou de la charité. Ne me répète plus jamais ça.

Novakeith se tourna brièvement vers son frère, non sans lui adresser un regard fortement réprobateur. Mieux que quiconque, elle connaissait la sévérité de Vaillant. Au bout de trente neuf années d'existence, dont vingt-neuf aux côtés de Vaillant, elle maîtrisait parfaitement le comportement du général.

Un pas après l'autre, elle vint se positionner face à son frère, installé dans l'un canapé du bureau du ministre. Les cheveux noirs et rutilants de Novakeith étaient lâchés, lissés à la perfection. Cette masse capillaire sombre se mouvait somptueusement avec ses vêtements sobres et hors de prix, tendances actuelles de la capitale. Elle dévisageait son frère, l'air grave, impatiente de découvrir les informations possédées par son frère

- Pourquoi père t'informe toujours en premier ? Je suis sa favorite pourtant.

- Je pensais que nous avions franchi cet âge, et je suis le général des armées fédérales. C'est tout à fait naturel qu'il communique directement avec moi, rétorqua Vaillant, avant de replonger dans sa contemplation de la maquette tridimensionnelle de l'astroport de Rinith.

- Peu importe. Que t'a-t-il dit ?

- Quelque chose qui va radicalement changer l'issue de ce conflit avec le mourant.

Les pupilles de Novakeith scintillèrent un instant, puis elle se rapprocha légèrement de son frère. Ses jambes interminables donnaient plus d'allure à sa silhouette. Tandis que la blancheur cadavérique de sa peau renforçait l'inexpressivité de ses traits.

- Je ne suis pas sûre de comprendre...

- Je te rassure que moi aussi, j'ai du mal à croire à ce que père m'a révélé.

Novakeith ne dit rien, elle observait son frère.

Vaillant se sentait exalté, il aurait pu sourire à sa sœur à cet instant. Repenser aux propos de son père le mettait dans un état d'allégresse particulier. Néanmoins, son statut ne lui permettait pas de se laisser aller à certains types de réactions. Par conséquent, il dû réprimer son rictus.

- Que sais-tu des galaxies jumelles ? entama Vaillant d'une voix grave.

- Peu de choses, comme la plupart des plus érudits de Jupiter.

- Je te l'accorde. J'ignore aussi les potentialités de cette portion de l'univers.

- Alors, pourquoi me poses-tu cette question ?

Au même moment, un gigantesque astronef passa au-dessus de l'immense baie en plexiglass surplombant le bureau de Novakeith. La pièce fut plongée dans l'ombre de l'appareil un instant avant de retrouver toutes ses couleurs.

Vaillant invita sa sœur à s'asseoir et cette dernière s'exécuta sans broncher. Il estimait que la suite pourrait la choquer, et il n'était pas d'humeur à la rattraper si jamais elle vacillait.

- Je vais dérouler les informations dans leur entièreté pour limiter les questions à la fin.

- Fais comme tu veux.

Vaillant soupira et croisa ses jambes avec élégance.

- Des recherches effectuées sur les réelles configurations chimiques des galaxies jumelles, ont révélé des éléments intéressants aux cellules scientifiques fédérales. Le pont intergalactique n'avait pas fini de nous émerveiller, que nous découvrions déjà les merveilles dont regorgeaient ces bouts d'univers. Après avoir vaincu la contrainte de la distance, nous devions nous rapprocher de toutes formes de vies développées dans les systèmes planétaires constellant ces galaxies. Comme moi, tu sais que les tentatives de contact se sont soldées par des échecs. Les sondes Junites ont dû rebrousser chemin au bout d'une décennie d'exploration.

Vaillant marqua une pause. Cette fois, ses prunelles étaient rivées vers celles de sa sœur cadette.

- L'échec du projet GJ-1 a coûté cher à l'Accréditation Fédérale, et aucune sonde n'a plus jamais été envoyée aussi loin dans l'espace depuis. Cependant, la totalité des informations n'a pas été révélé aux membres du gouvernement de l'époque.

- La totalité des informations ?

- Exact. Une sonde aurait réussi à établir le contact avec Ced-23, la troisième planète du système Leuhrer de J-1.

- Ces informations sont incohérentes avec celles des documents historiques de Jupiter. Pourquoi aurait-on dissimulé ça ? Tous les jeunes junites admis en cycle d'enseignement étudient l'histoire de Jupiter. Je me rappelle très clairement de l'existence d'une unité d'enseignement dénommée Introduction à l'histoire extragalactique de Jupiter. Et jusque là, il est marqué qu'aucun échange n'a pu être effectué entre Junites et civilisations des galaxies jumelles.

Vaillant percevait le trouble de sa sœur ; lui aussi émergeait à peine de la confusion. Il comprenait l'état dans lequel ces informations mettaient Novakeith. Car si ce n'était pas son père qui lui avait révélé que Jupiter était parvenu à communiquer avec Ced-23, il ne l'aurait jamais cru.

- En effet, elles sont incohérentes et elles datent de près de cent cinquante ans. L'archivage des rapports de sonde du projet GJ-1 a conclu tout débat sur cette exploration. De plus, ni toi ni moi existions déjà pour creuser à l'intérieur, expliqua Vaillant plus lentement, afin d'anticiper les prochaines questions de sa sœur.

La brune opina et se rangea plus confortablement dans son siège, scotchée aux lèvres de son frère.

- Il s'avère cependant que le project GJ-1 ne se soit pas soldé par un échec total. Père m'a avoué qu'une seule des cent sondes expédiées dans les confins des galaxies jumelles est parvenue à établir un lien.

La confusion de Novakeith était palpable ; elle peinait de moins en moins à croire Vaillant.

- Cette sonde était destinée à Ced-23, d'après les rapports d'expédition et elle aurait franchi l'ionosphère de la planète vingt-cinq jours après son entrée dans le système. Ce n'est qu'au bout de deux semaines en temporalité venturiene que les premiers enregistrements de la sonde ont été effectués...

- Tu veux me dire qu'il y a des images de Ced-23 dans les bases de données fédérales ? coupa aussitôt Novakeith, alertée par les déclarations de Vaillant.

Vaillant lui adressa un regard froid, agacée par l'excès de spontanéité de sa sœur. 

- Oui, et c'est de là que vient le problème. L'analyste à la tête de la sonde S-56 n'était personne d'autre que Kev Bravos. Ses aptitudes sont toujours aussi remarquables jusqu'à ce jour et j'ai bien compris pourquoi. Il aurait établi le lien avec Ced-23 pendant cinq ans, en temporalité venturienne. Et au bout de ces maigres années, il aurait acquis des connaissances technologiques révolutionnaires, bien plus avancées que celles des civilisations junites.

La mâchoire de Vaillant se crispa automatiquement. Il connaissait la vérité mais l'admettre de vive voix le rebutait totalement. Pourtant, il ne pouvait plus cacher la vérité à sa sœur ; elle le harcèlerait jusqu'au bout.

- Après tout ce temps sur Ced-23, il aurait quitté le système Leuhrer, unique survivant de son régiment d'exploration. Quelques années plus tard, Bravos est revenu sur Jupiter V., plus vieux et plus érudit que jamais, avec un projet colossal en cours.

- Ne me dis pas que...

- Oui, c'est exactement de ça qu'il s'agit, renchérit Vaillant avec dédain.

Il était dégoûté et en colère en même temps. Repenser à la machine l'agaçait, en dépit du fait qu'il l'affrontait incessamment.

- Combien de personnes savent que Pi est conçue à base de technologies de Ced-23 ?

- Père, toi, moi, des ingénieurs aussi...c'est tout ce que je sais pour le moment.

- Quels sont les autres résultats de cette expédition ? J'imagine que Pi n'est pas la seule chose que Bravos ai conçu. Au bout de ces années il a du ramener d'autres trouvailles, suggéra Novakeith, plus que jamais saisie par la tournure que prenait la discussion.

Vaillant clôt ses paupières et observa une minute de silence dans l'atmosphère corrosive du bureau de sa sœur. Ce qu'il se préparait à annoncer bouleverserait tous les préconçus actuels de Novakeith. De ce fait, le général préféra restituer les propos de son père dans leur intégralité.

- Je vais te citer ce qu'il m'a avoué : « Il y a dix ans, j'ai ordonné la réouverture des rapports de sonde de S-56 par une unité scientifique spécialement confectionnée par mes soins. Cette unité était sensée décrypter les codes de sécurité des documents confidentiels de Bravos. J'espérais qu'il existait encore des copies des plans de construction de Pi dans ses archives. Ainsi, ce n'est qu'au bout de six ans qu'ils sont parvenu à lever les barrières érigées autour de ces documents. Tous les plans étaient rangés dans la mémoire, toutes les notes et modifications de Bravos. Aussitôt, j'ai fait venir des ingénieurs d'exception des quatre coins de Khôl, mais aussi des galaxies environnantes. J'ai réuni toutes les pièces nécessaires à la confection de la machine dans les plus brefs délais. Ils ont joint leurs connaissances afin de procéder à l'assemblage de toutes les pièces requises. À l'instant où je te parle, ils effectuent le calibrage de la machine dans l'un des laboratoires secret du gouvernement. Plus puissante, plus résistante, plus parfaite. Contrairement à Pi, elle est doté de trois noyaux Carsaxx condensés. Une machine doté d'un noyau général décaphasique...»

Cette fois, Vaillant ne pu réprimer son rictus. Il bouillonnait d'extase ; la transition de la colère à la joie avait été très rapide. Fournir des explications à sa sœur l'avait mis en confiance ; désormais il était convaincu par les révélations de son père.

- Vaillant...

Vaillant réorienta une ultime fois son regard vers celui de sa sœur. Le visage de Novakeith brillait d'une lueur macabre, sinistre. Un sourire carnassier étirait ses lèvres ; elle n'avait pas besoin de communiquer par télépathie avec son frère pour comprendre la conclusion de cette échange.

Le général savait parfaitement où il fallait frapper pour anéantir le camp ennemi. Briser les maillons forts afin de déstabiliser le système L-87. Priver son frère cadet de son plus gros atout au moment auquel il s'attend le moins. Exterminer la rébellion d'un coup en la frappant par son pire cauchemar.

- Père a conçu Pi 2.0.