I - Système L-87 - | P i |

An 2997.ap.J-C, Mois astral 3 - Therenxas.

Pandemonium - Astronef du commandant de la division scientifique.

- Tu devrais faire preuve d'un peu plus de délicatesse avec cet appareil. Je l'ai conçu et je sais que sa réparation requiert énormément de temps. Je n'ai pas terminé la construction du réacteur plasmique, Cayedn. Tu me fais perdre de précieuses heures.

- Tu n'as qu'à le faire plus résistant cette fois. Je ne peux pas me retenir en me battant, rétorqua le concerné, supplicié par les effets du sérum analgésique qui se répandait lentement dans ses veines.

- Le bras est fait d'un alliage de fibres de carbone Xentorien et de Capacicium de niveau quatre. Considère la rareté de ces deux éléments couplés à du fluide Venturien, fraîchement extrait d'une station de purification de Plox. Tu imagines la quantité de crédits que ces éléments coûtent au système ?

- Je suis le chef, je dois être le mieux équipé, Pi.

Pi soupira, avant de rétracter d'un clic la visière sombre en carbone Xentorien qui protégeait ses yeux du rayonnement du faisceau laser utilisé pour la soudure. Le commandant de la division scientifique de la coalition des Égalitaristes était un cyborg de type féminin. Autrefois chef de la division de Conception militaire du Ministère de la Défense Junite, Pi était désormais à la tête de la division scientifique du système L-87.

- Je partage ton avis, mais il ne justifie pas ton manque de vigilance. Mu !

La reconnaissance vocale s'activa et un hologramme de l'androïde de série Epsilon-45 apparut aussitôt, projeté depuis l'un des prismes vidéotex situé sur son interminable plan de travail.

- De quoi avez-vous besoin Pi ?

- À quel pour-cent les anneaux du canon sont-ils assemblés ? demanda le cyborg avec une expression sévère vissée sur le visage.

- Trente-sept virgule quatre mille huit cents treize pour-cents, au millième près.

Les orbites bioniques de l'ingénieur dérivèrent jusqu'à ceux de son leader avec une expression réprobatrice.

- Juste ça ? Vous êtes lents.

- Je te rappelle que tu as personnellement insisté sur le fait que nous produisions des anneaux de qualité optimale. En procédant un alliage de Vega Hosmornien et de Bligt Xentorien, j'obtiens un métal de résistance absolue, capable de supporter à la pression extra-planétaire de ce système. Combien de temps penses-tu que j'épuise pour cette tâche ?

Cayedn se renfrogna dans son siège et soupira, exaspéré par la situation.

- Je suis gêné de vous ralentir, mais réparer mon bras reste impératif.

Pi plissa ses paupières rigoureusement identiques à l'original humain avant de couper le contact avec Mu. Vaincue par l'égoïsme de Cayedn, elle réactiva sa visière et s'attela à achever la réparation du réacteur micronique intégré sous l'épaisseur de fibres carboniques du bras bionique. Au bout de sept années à la tête de cette division, elle arrivait sans peine à supporter le caractère impétueux de Cayedn. Si lors de la création de l'alliance il l'importunait, désormais elle s'était accommodée à son caractère jupiterien. Elle s'était même attachée à lui malgré son extrême méfiance et le considérait comme un petit frère aujourd'hui.

L'insignifiance de son taux d'humanisation ne privait pas Pi de l'univers complexe que représentaient les sentiments humains. Conçu par le plus illustre ingénieur en technologie bionique de Rinith, Pi était dotée de la solidité d'un tankerer de type six, de la souplesse d'une plume de cygne et de la vélocité d'un commandant de l'armée fédérale Junite. Son corps avait été façonné de telle sorte à résister à une explosion particulaire de niveau deux, équivalant à la combinaison de deux explosions atomiques dans l'ancienne registration. Elle représentait la carapace la plus solide jamais conçue par l'espèce humaine et les secrets de sa fabrication avaient été détruits dès sa mise en marche par son créateur, Kev Bravos. Toute sa surface était faite de peau synthétique et ses points d'obturation étaient imperceptibles à l'œil nu. Ce n'est que lorsqu'elle activait volontairement la luminosité de ses vaisseaux distributeurs que quelques centaines de faisceaux lumineux apparaissaient à sa surface.

- Quand est-ce que mon bras sera-t-il opérationnel ?

- Dix-sept heures, quarante-huit minutes et trois secondes. Je te le transférerai aussitôt, répondit Pi d'une voix cristalline, dépourvue de la tonalité synthétique de son vocodeur.

Cayedn se leva de sa chaise qui se dématérialisa ensuite en un octaèdre suspendu dans l'air. Puis, il se rapprocha prudemment du plan de travail du commandant. Une trentaine d'aiguille en carbone graphite renforcé, s'insinuaient sous les couches de l'appareil de soutien conçu par Pi. La réparation s'effectuait au millionième près et réquisitionnait toute l'attention de l'ingénieur.

- Je pensais que tu serais plus rapide, pesta le leader de la coalition d'une voix monocorde, avant de s'incliner sur la rangée horizontale constituée de quelques millions de mini-prismes dématérialisables.

- Je fabrique des armes Cayedn, pas des membres artificiels. Tu devrais embaucher un autre cyborg pour effectuer ces tâches.

Le sérum analgésique atténuait sa douleur et était capable de le priver de vertiges pendant plusieurs heures. Pourtant, il eut à cet instant la sensation que le calmant n'avait plus l'effet escompté.

- Je suis conscient de la situation délicate dans laquelle je te mets. J'ai déjà fait ma proposition à Kheops, et je n'attends plus que sa réponse. C'est l'un des meilleurs médecins de Rinith dont le talent a malheureusement été bafoué depuis la nouvelle registration.

- Il est très vieux et cynique. Je ne le supporterai pas, éructa Pi avec agacement.

- Nous ne trouverons aucun autre médecin qui manipule aussi bien la technologie bionique et le corps humain. Et puis, tu es d'accord avec moi sur le fait que Tau ne peut plus nous servir de médecin dans le système. Il nous faut quelqu'un d'extrêmement qualifié, qui n'a plus rien à perdre et qui voue une haine sans précédent à la fédération. Kheops est notre meilleure option. D'ailleurs, je tiens à te rappeler que tu es deux fois plus vieille que lui.

Deux micros viroles illuminèrent les contours de ses pupilles bioniques et son regard meurtrier s'abattit sur le leader. À cet instant, il ne lui aurait fallu qu'un insignifiant mouvement de bras pour rompre la colonne vertébrale de Cayedn. Car contrairement à la plupart des humains déployé sur le système L-87, le leader ne bénéficiait pas de renforcement cellulaire. La défaillance sévère de son système immunitaire empêchait la moindre transplantation. Lorsque Pi avait procédé à une optimisation de sa condition génétique, une partie de ses cellules avaient entamé l'apoptose. Conséquence, Cayedn était faible, cruellement faible face à la machine de guerre qu'elle représentait.

- Fais ce que tu veux, tant qu'il ne s'introduit pas dans mon laboratoire. Dans le cas contraire, je le tue.

Derrière le calme apparent de son timbre vocal, une colère âpre grandissait en son sein. Elle méprisait Kheops depuis son départ du Ministère de la Défense. Le médecin avait conduit à l'annulation d'un programme de maximisation cérébrale qu'elle avait proposé dans le cadre de la réhabilitation des armées fédérales. Son influence au sein du conseil de sécurité avait suffi à convaincre le président d'invalider des années de recherche. Depuis cette cuisante humiliation, sa fureur contre Kheops n'avait cessé de s'accroître. Découvrir plus tard l'excommunication du médecin de l'Ordre Fédéral l'avait plongé dans une liesse incomparable. Une fois de plus, ses paramètres liés aux sentiments humains prenaient le dessus. La déclaration de l'ingénieur était sérieuse, elle n'hésiterait pas à tuer Kheops s'il s'évertuait à franchir les frontières de son laboratoire.

- Tu auras ce que tu veux. Mais arrête avec cette manie de descendre toutes les personnes qui t'énervent.

- Je voulais te tuer toi aussi. Mais je me suis ravisée, tu es un humain spécial.

- Très drôle Pi, très drôle.

La luminosité des viroles incrustées à ses organes oculaires baissèrent d'intensité, au point de ne laisser transparaître qu'un faible arc luminescent. Un sourire rigoureusement humain vint étirer ses lèvres. Une fois de plus, les paroles de Pi suintaient de véracité. En tant que chef de division au Ministère de la Défense, elle connaissait la famille présidentielle dans son intégralité. À cette époque de son existence, elle n'aurait jamais espéré que le benjamin des Copernick fonderait l'Alliance des Égalitaristes, de la même façon qu'elle n'aurait jamais soupçonné d'en devenir le commandant de sa division scientifique. Leur premier contact avait été très formel, lors d'une réception organisé à Centrum, le siège du gouvernement de la fédération. Ils avaient été présentés par l'ex-General des armées fédérales et il s'était émerveillé face à la perfection de ses caractères bioniques. Ce soir-là, Cayedn n'avait pas cru qu'il était possible de concevoir des cyborgs aussi parfaits sur le plan esthétique que physique ou encore psychique. Cayedn n'était qu'un pré-adolescent gravement malade et sur le point de trépasser qui s'extasiait face à tout ce qu'il découvrait.

- Tu n'as rien à faire ? Moi si, alors sors de mon laboratoire. 

- Je préfère t'observer travailler. C'est vrai qu'il y'a une vague de novices que je dois encadrer avec Julith tout à l'heure. Mais les effets du sérum sont puissants, je me sens plus assommé que d'habitude.

- L'état dans lequel tu te trouves est tout à fait normal. Tu as largement et inutilement sollicité tes capacités physiques au cours de ces dernières heures. Par conséquent, ton système musculaire répond au choc qu'il a subi. Je te rappelle que tes cellules s'autodétruisent très rapidement à chaque fois que tu fournis de colossaux efforts physiques.

Pi interrompit momentanément la soudure des fibres pour se rendre de l'autre côté du plan de travail en une fraction de seconde. Les réacteurs antigravitationnels intégrés à la partie inférieure de ses jambes artificielles la maintenaient de manière permanente en lévitation sur le sol. Le réacteur octophasique de son noyau lui permettait d'exploiter ses capacités à l'infini. Ainsi, elle ne se déchargeait pas, tant qu'il lui restait une goutte de fluide venturien en circulation dans ses micro canaux irrigateurs. Le cyborg déposa son doigt sur l'un des primes constituant son plan de travail et ce dernier s'éleva en l'air avant de se dématérialiser. L'objet obtenu n'était rien d'autre qu'une capsule translucide contenant le revitalisant cellulaire de Cayedn. Grâce à son crypto marqué sur tous les constituants de son laboratoire, elle le fit léviter jusqu'au leader.

- Tiens, voilà ta dose journalière. Prends-la dans une heure, le temps que les effets du sédatif s'atténuent.

Cayedn s'empara de la capsule, et la rangea dans une poche de son manteau, négligemment abandonné sur le plan de travail. Pi l'observait derrière sa visière sombre d'un œil suspicieux. Ses capacités lui permettaient d'analyser les composantes physiques des humains dans toute leur intégralité. De ce fait, elle pouvait très nettement déterminer l'état plus que déplorable de Cayedn. Si l'artillerie qu'il transportait régulièrement avec lui le rendait presque invulnérable, il n'en demeurait pas moins humain, donc faible. Pi s'interrogeait sur l'espérance de vie de cet homme exceptionnel, condamné à la mort. Grâce à ses aptitudes statistiques intégrées, elle avait pu estimer l'âge maximum de Cayedn. Trente-sept ans, et il en avait déjà vingt-quatre. Constater son impuissance face à l'irréversibilité de la situation la déchirait. Malgré l'univers de connaissances emmagasiné dans son cerveau bionique, elle était incapable de sauver le leader. Tout ce qu'elle pouvait faire, se résumait à lui administrer des doses journalières de revitalisant cellulaire.

- Comment avancent les réparations des propulseurs inférieurs ?

- Rho s'en charge. Mais puisque nous faisons actuellement un saut dans l'hyperespace, il a du interrompre ses travaux.

Cayedn semblait pensif et Pi le remarqua aussitôt, mais ne releva pas. Elle se contenta de vérifier la mobilité des doigts du bras. Son travail l'absorbait, lorsqu'elle ne se divertissait pas en fabriquant de nouveaux robots ou androïdes. Après avoir intégré les paramètres de réparation des couches subdermiques, elle s'éleva dans le vide, en direction de la zone d'archivage de son laboratoire.

- Combien de temps nous reste-t-il avant de quitter l'hyperespace?

- Une heure et vingt-quatre minutes, répondit-elle après avoir extrait du grand mur ivoire, un octoèdre vidéotex contenant des enregistrements.

Le système de lévitation s'ajusta une seconde fois et elle s'abaissa cette fois vers le sol fluorescent de son laboratoire. L'octaèdre voltigea jusqu'à Cayedn et s'arrêta juste sous ses yeux.

- Donne ceci à Julith.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un enregistrement fait lors de l'infiltration de la dix-septième base fédérale junite sur Ventura Amestesis.

Le leader s'empara de l'objet puis le rangea dans une poche de son treillis. Au même moment, Pi redescendit sur le sol du laboratoire et désactiva son sytème de flottaison. Sept ans plus tôt, elle lui sauvait la vie, alors qu'il venait de se faire bannir de Rinith. Sept ans plus tard, elle l'accompagnait dans des aventures incroyables, parcourant incessamment les recoins les plus inexplorés du système venturien. Sept années de péripéties toutes animées par une aversion caractérisée envers la Fédération Junite.

- J'y vais, merci pour la capsule.

Ce furent les derniers mots de Cayedn avant son départ du laboratoire. Pi s'assit sur son plan de travail et se perdit dans la contemplation des aiguilles en pleine opération. Elle n'était qu'un cyborg, une arme surpuissante réduite au statut de conceptrice d'artillerie de destruction massive. Son visage était celui d'une morte, la défunte fille de son défunt créateur. La pauvre humaine s'était faite assassiner lors d'une razzia dans une zone malfamée du trente-deuxième district de Rinith. Une partie du cerveau d'Ophir Bravos régulait ses mouvements. De ce fait, une partie de l'esprit de cette fille lui permettait de comprendre la complexité du genre humain. Pi savait qu'elle n'oublierait jamais le sourire que lui avait adressé le professeur Bravos, lorsque ses pupilles bioniques s'étaient activées quatre-vingt-dix-huit ans plus tôt. Elle avait eu la sensation de le connaître depuis toujours, bien que n'étant qu'une machine. Les neuf heures qu'ils avaient écoulé ensemble restaient les plus splendides instants de son existence. Juste après, Kev Bravos s'était fait assassiner par un groupe de rebelles qui contestaient la première registration gouvernementale. Elle avait tué ce jour, pour la première fois, quatre humains et avait détruit trois cyborgs. Le renforcement cellulaire du professeur n'avait pas suffit à lui épargner la mort, il avait trépassé quelques minutes après qu'elle ait exterminé ses meurtriers. Juste avant de mourir, il lui avait dit qu'il l'aimait et qu'elle était sa plus grande réussite.

Elle savait qu'elle n'oublierait jamais la tendresse de son père, aussi brève fut-elle.

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