Chapitre 4 - Souvenirs d'une histoire
Thomas
Je ne vais pas la voir.
Même si je veux la voir.
Elle me manque.
Allongé dans mon lit, la couette tombée sur le côté recouvrant à moitié mes pieds nus, je pense à elle tout en contemplant le plafond de ma chambre. J'ai l'impression que la couleur blanche qui le recouvre symbolise le vide de sa mémoire. Je sais que c'est une comparaison stupide mais je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement. Mon esprit ne s'est toujours pas remis du choc : elle ne se souvient pas de moi ni d'aucuns de nos moments passés. Et pourtant il y en a tellement ! Je la connais depuis que nous sommes enfants et je l'aime depuis ce temps également. Je n'ignore pas le nombre de petit ami qui m'a précédé mais j'avais toujours cet espoir qu'un jour je sois celui qui la fasse sourire. Et quand je l'ai été, il y a deux ans, j'ai été comblé. June a été mon bonheur pendant si longtemps ! Je me souviens encore de notre premier rendez-vous.
-Flash-back-
Je l'attends assis sur un banc du parc qui a bercé nos deux enfances. Quand je lève la tête au ciel il fait beau, je vois les nuages vaporeux qui cachent quelques coins d'un bleu azur rêvé pour une journée de printemps de ce premier jour du mois de juin de 2013. Je sais qu'elle va venir et cela suffit à faire monter un sourire sur mon visage. J'ai l'impression que tout le paysage est joyeux et idyllique pour un premier rendez-vous avec elle. Les oiseaux chantent une douce mélodie et les arbres en fleurs prêts à faire murir leurs meilleurs fruits resplendissent de leur verdure. Les haies rosies des pétales des bourgeons en éclosion annoncent l'arrivée d'un nouvel amour. Et je sais qu'il m'est destiné car enfin j'ai osé lui proposé une date pour un rendez-vous et non pas pour une sortie entres-amis que l'on s'organisait si souvent. Pour l'occasion, je n'ai cependant pas su quoi mettre, alors j'ai opté pour un pantalon en toile marron et un tee-shirt blanc avec de multiples inscriptions inscrites. J'avoue avoir passé pas mal de temps dans ma salle de bain et j'ai eu l'impression de lui ressembler. Etant son meilleur ami, j'avais pu la voir passer dans la sienne pas mal de fois durant les jours où elle m'invitait. Aujourd'hui c'est moi qui l'invite et ailleurs que chez moi. Quand je lui ai demandé, elle a rougit, a accepté et... Elle a souri. Magnifiquement.
Je suis coupé de mes pensées par deux mains qui se posent sur mes yeux et me coupent la vue. J'entends sa voix angélique qui me demande :
-Devine qui c'est ?
Je me sens sourire.
-June ?
Elle retire ses mains pour les poser sur mes épaules et me dépose un baiser sur la joue qui me donne des frissons de celle-ci jusqu'aux pieds.
-Gagné. Murmure-t-elle.
Elle fait le tour du banc pour s'assoir à mes côtés et je ne peux m'empêcher de l'examiner de la tête au pied. Elle est très belle. Et c'est pour moi qu'elle s'est vêtu ainsi. Elle porte une jupe à volants bleus fleuris de roses blanches qui lui arrive au-dessus des genoux qu'elle a recouverts d'un pull gris clair aux manches trois-quarts laissant voir ses épaules par-dessus un débardeur blanc. Ses cheveux noirs, lisses et soyeux sont détachés et elle a enfilé autour de son cou un pendentif où pendent des ailes d'anges argentées. Des créoles de même teinte sont attachées à ses oreilles ainsi qu'une chainette à son poignet. A ses pieds elle a chaussé des Victoria bleu-marine. Et ainsi elle resplendit. Je mets tellement de temps à l'observer qu'elle passe plusieurs fois sa main devant mes pupilles avant de je me réveille de mon état.
-Thomas ?
-Euh... J... Je...
Elle éclate de rire.
-Hey ! Tu baves pas trop ?
Je me sens rougir.
-Je... Tu... Tu es jolie.
Je lâche.
Ses joues prennent un peu plus de couleurs mais elle n'en est pas gênée pour autant.
-Toi aussi tu es... pas mal.
-Hey !
Je lui donne un léger coup de coude tandis qu'elle me tire la langue d'un air moqueur néanmoins je ne peux qu'affirmer ses propos ; elle s'est vraiment mise en beauté comparer à moi. Je me lève alors du banc, oubliant quelconque gêne et je ne pense qu'à passer un bon moment en sa compagnie. Alors je lui tends la main dans un sourire charmeur :
-Mademoiselle.
Elle rit et la saisit, me faisant ressentir une vague de chaleur qui réchauffe mon être. Puis elle se redresse en bondissant et en concentrant un regard intense composé d'un bleu s'inspirant à la fois des couleurs du ciel, de la mer et de l'espace dans le mien avant de me répliquer sur un ton semblable au mien :
-Monsieur.
Il se passe cinq à dix minutes où rien ne se passe. Puis je déclare joyeusement :
-On y va ?
Elle acquiesce.
Sa main dans ma main, elle me procure un sentiment de bien-être tellement fort que je ne peux m'empêcher de siffloter dès les premiers pas que nous effectuons tous les deux. Elle tourne sa tête dans ma direction afin de me regarder et je fais de même. Alors, sans prévenir, elle se blottit contre moi, passant un bras autour de mon corps et posant sa tête sur mon torse tout en continuant de marcher. Je la serre moi aussi de la même façon et je m'émerveille de sa présence à mes côtés. Quand avais-je conquis son cœur ? Quand étions-nous devenus aussi proches ? Mes questions n'ont pas de réponse mais cela ne me dérange pas. Durant la promenade nous sommes bien. Nous nous taquinons et trouvons des sujets de discussions pour le moins étrange mais qui nous font rire merveilleusement. Nous observons les bateaux qui voguent au gré d'un vent doux et l'immensité de l'horizon.
Et les bleus, qui, à l'unique intersection du ciel et de la mer, se recoupent et se confondent.
Je vis ce moment tel l'un des plus beaux de ma vie.
Après notre petite ballade, nous nous sommes assis sur le mur de pierre en face des vagues bleutées qui caresses nos orteils. June aime ce paysage. Elle aime sentir l'air frais et revigorant d'une étendue d'eau salée et ressentir les mouvements de celle-ci sur ses pieds. Elle aime se poster devant ce spectacle de nature et de beauté et contempler les reflets argentés des ondulations de la surface qui recouvre le sable. Elle aime observer le soleil se coucher sous son lit de coraux éternels. Elle aime le théâtre qu'offre la mer.
Je le sais car je l'épie du coin de l'œil. Dans ses yeux reflètent sa passion de ses objets si extraordinaires. Cependant, ma discrétion n'est pas au point car elle le remarque et me le signale de ses paroles :
-Pas la peine d'espérer, Tom. Tu sais très bien que je n'embrasse jamais la première fois.
Je souris alors qu'elle continue de regarder les flots.
-Je sais.
Elle pivote en ma direction et s'approche un peu plus de moi jusqu'à ce que nous ne soyons qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Je baisse légèrement la tête de façon à ce que nos fronts se touchent. Nos pupilles sont en contact permanent et je commence à me perdre dans ses iris bleus quand elle me susurre doucement.
-Alors tu sais que pour toi je vais faire une exception.
Tout d'abord, nos lèvres se frôlent juste. Avant de se fondre l'une dans l'autre dans un baiser passionné qui me retourne l'abdomen. Je sens des papillons qui battent des ailes en mon être et mon âme qui prie pour ne pas que ce sentiment ne prenne jamais fin... Lorsque nos bouches se détachent l'une de l'autre, nous recollons nos fronts ensembles et nous nous faisons face. Je résiste durant une trentaine de seconde avant de lui donner un nouveau baiser.
Et nos lèvres fusionnent une autre fois encore.
June.
Toi seule peux me procurer cette sensation.
-Fin du Flash-Back-
Me remémorer ce premier échange ne fait que raviver la plaie qui chaque jour s'ouvre un peu plus profondément. Les remords me rongent.
Si seulement il n'y avait jamais eu de dispute.
Si seulement j'avais su l'arrêter.
Si seulement il n'y avait jamais eu d'accident.
Mais... Avec des ''si'' on refait le monde. Je ne me souviens jamais de qui de mes proches à en premier prononcer cette expression cependant, j'arrive toujours à la ressortir dans les moments où mon esprit se questionne. Elle possède un sens tout à fait véridique qui m'écorche le cœur dans les instants où je songe que si cela n'était pas vrai je pourrais vraiment recréer cette dispute. Elle ne serait pas si meurtrie. ''Si'', ''si'', j'ai réellement l'impression de n'utiliser que ce terme.
Toujours confortablement installé sur mon matelas je n'entends pas tout de suite ma mère qui d'en bas des escaliers se casse la voix à énoncer mon prénom.
-THOMAS ! DESCEND ! DIXIEME FOIS ! ET JE COMPTE !
Je sursaute. J'étais sans doute trop occupé par le souvenir de June. Je me dépêche de m'habiller en regardant l'heure sur le réveil poser sur ma table de nuit : 7h30 ! Mon car passe dans cinq minutes et je n'ai ni pris de déjeuner, ni fait quelconque toilette ! Car même si June loge à l'hôpital et est dispensée de cours, moi je me dois bien de m'y rendre. Maman sait bien entendu que je suis affecté par son accident, toutefois quand elle a ouïe le fait que celle-ci ne soit pas morte, elle a décidé de me forcer de poursuivre mes études malgré mon chagrin. Je ne lui ai bien sûr pas précisé qu'elle avait perdu la mémoire. Elle la croyait donc en parfaite santé et en possession totale de ses souvenirs. Elle avait d'ailleurs l'idée de lui rendre visite demain après-midi pendant mes heures de cours. June était très proche de ma mère mais je doute qu'elle est mémoire de l'avoir ne serait-ce que déjà vue.
Dévalant les quelques marches qui me séparent du rez-de-chaussée, j'enfile un tee-shirt sans dégringoler et attrape mes chaussures en passant dans le couloir. Alors que je m'apprête à franchir la porte, celle-ci me retient par la bride de mon sac.
-M. Patterson !
Je serre les dents. Elle me donne une gentille tape sur la tête.
-Tu oublies ton déjeuner mon pauvre fils ! Déjà que Benjamin n'a pas pris le sien tu vas me faire le plaisir d'au moins grignoter quelque chose !
Le concerné, occupé à lasser ses chaussures, laisse échapper un soupir sous-entendu à ma mère qui lui lance un regard noir. Il se rapetisse en continuant sa tâche et ne dit plus rien tandis que ma maternelle me tire avec force dans la cuisine. Emilie Patterson est une femme forte et dans un âge où elle ne craint rien ni personne. Quant à mon frère aîné, étudiant en droit, Benjamin Patterson, il est d'une maturité surprenante du haut de ses vingt ans malgré son sens étroit du désordre. Par contre, je n'ai pas de père. Du moins je refuse de le reconnaître comme tel même si je suis forcé de porter son nom. Philippe Patterson était un coureur de jupon qui a fréquenté deux ans maman, la mettant enceinte deux fois avant de déguerpir pour ravir une autre femme. Je ne l'ai jamais connu mais c'est la description que tous les amis proches de ma mère m'ont faite. Autant dire que je le déteste tout simplement et que c'est sans doute pour cela que je suis amoureux de la même fille depuis maintenant plus de douze ans !
Je déjeune vitesse éclair et après avoir déposé un baiser sur la joue de ma mère, je quitte la maison en courant. J'ai dû perdre plus de trois minutes et j'espère sincèrement que le car n'est pas encore passé sinon je devrais faire une course de sept kilomètre jusqu'au lycée pour arriver avant la sonnerie. Heureusement pour moi, le chauffeur est sympathique et quand il me voit arriver en courant, il attend gentiment une petite minute pour que je puisse monter dans son véhicule.
-Bonjour jeune homme !
Il ne me réprimande pas de mon retard tandis que je cherche ma carte dans mon sac. Mais je suis arrêté par sa main qui se pose sur mon poignet. Je relève les yeux pour croiser un regard rempli d'une profonde tristesse et de pitié.
-C'est bon passe mon p'tit. C'est gratuit pour toi aujourd'hui !
Il ne lâche pas son emprise avant d'annoncer, comme fautif :
-Je suis désolé pour...
Je comprends aussitôt :
-Elle va bien, merci de vous inquiéter.
Et je vais prendre place sur l'un des sièges alors que des regards déplorant me fixent le long de ma traversée. Le conducteur attend même que je m'assois avant de démarrer son bus. Je ne tiens pas à informer la population de son état plutôt critique alors je persiste à dire à tous ceux qui demandent de ces nouvelles qu'elle va très bien et qu'elle reviendra sous peu. Chose que bien sûr j'ignore totalement et ne pense pas que ça arrive. June est aimée. Très aimée. Elle possède beaucoup d'amis et très peu d'ennemis. Mais elle est tellement sympathique et heureuse de vivre que même ceux-ci finissent par me demander comment elle se porte. Je leur réponds comme à tous la même chose. Cependant, lorsque je vois Clara, sa meilleure amie, s'avancer, j'hésite à lui mentir. C'est sans doute ce qui fait que quand je le fais, elle me rétorque :
-Thomas, ça marche peut-être sur certains mais pas avec moi. Dis-moi la vérité ! Elle est ma meilleure amie.
''Et la mienne aussi'', ai-je envie de lui répondre. Je ne veux pas que June souffre parce qu'elle ne reconnait pas son amie et j'aimerai cacher à Clara ce problème néanmoins ses yeux insistants m'en dissuadent totalement.
-Viens.
Je la traine dans un coin, l'éloignant des potentiels espions. Mon meilleur ami et aussi le petit ami de Clara, Kilian, nous rejoins tout de même. Clara clarifie les choses immédiatement :
-Que ce soit clair : je veux le récit du début à la fin sans interruption Thomas.
Tous deux semblent extrêmement inquiets, ce qui est parfaitement justifier vu l'affection que ceux-ci lui porte. Je m'exécute donc, leur exposant la situation en commençant par le commencement :
-Bien. Nous nous disputions...
-Pourquoi ? m'interrompt Clara.
-Clara ça ne te regarde pas, intervient Kilian. N'est-ce pas toi qui viens de dire sans interruption ?
Celle-ci, frustrée, se tait définitivement.
-Merci, Kilian. Donc, j'insiste en fixant Clara. Nous nous disputions et elle s'est enfuie. J'ai tenté de la rattraper mais en vint ! J'avais saisi son bras mais il a glissé et elle ne regardait pas où elle allait et...
-Doucement !
-...Et la voiture la renversée.
A ses mots, Clara retient sa respiration et se plaque les mains sur la bouche tandis que Kilian, en petit-copain protecteur, l'entoure de ses bras. Je m'empresse de rajouter devant leur mine décomposées :
-Mais elle va bien !
Je rectifie :
-Elle va... mieux.
Les larmes perlent aux yeux de Clara mais elle les essuie d'un revers de main. Elle me fixe et son esprit clairvoyant devine que je ne lui dit pas tout :
-Et la suite, Thomas ?
J'hésite. Le regard insistant de Kilian me décide.
-... Elle a perdu l'usage de ses jambes...
Clara essaie de retenir ses larmes mais la prochaine phrase l'en dissuade et elle se blottit contre le torse de mon meilleur ami, choqué.
-... Et une partie de la mémoire. Il est possible qu'elle ne vous reconnaisse pas...
J'ajoute dans un murmure :
-Elle ne m'a pas reconnu.
Kilian, de sa main libre, me tape plusieurs coups amicaux sur l'épaule pour me rassurer alors que Clara, dans ses bras, est effondrée. Ma mélancolie remonte lentement dans mes membres et je me sens soudainement fatigué et triste. Je ne sais pas comment va se passer la journée de cours mais je sens que nous trois n'allons pas la tenir.
La sonnerie retentie.
June
Il n'est pas revenu.
C'est tout ce que j'avais en tête. Même quand le docteur m'a annoncé la vérité que je redoutais temps ; je ne pourrais plus jamais marcher. Je n'avais pas pipé mot. Bizarrement je repensais à lui et à notre scène de dispute. J'espérais réellement qu'il revienne. Je voulais éclaircir le mystère sur son identité.
On m'avait annoncé ma paralysie en début de journée.
Il est tard désormais. Un peu plus de dix-huit heures trente.
Personne n'est passé me voir.
On m'avait apporté un fauteuil.
J'avais refusé de monter dedans.
''Quatre roues, deux accoudoirs, un dossier et un siège ne seraient pas mes nouvelles jambes.'' C'est ce que j'avais clairement articulé à l'infirmière et au docteur qui attendaient que je me décide. Ils avaient soupiré et m'avait laissée en plant, là, sur mon lit. Soit.
Je n'avais pas reçue de visite de sa part depuis l'autre jour où il m'a avoué qu'il n'était pas innocent dans cet accident et que, malgré le regard froid que je possédais, il me trouvait jolie. J'ai tout de suite pensé que je ne me rappelais plus à quoi je ressemblais. J'ai alors essayé de me souvenir mais aucune mémoire n'est revenue.
Je lorgne le fauteuil sur ma droite. Il m'attend. Il semble me dire de venir, de lui faire confiance. Il y a une glace en face de la porte de ma chambre. Si je parviens à me hisser dans le fauteuil et que je... Non ! Hors de question que je prenne place là-dedans ! Il en va de ma fierté. Je détourne ma vue. Une minute s'écoule. Puis deux. Au bout de cinq la curiosité l'emporte et à l'aide de mes bras, je me soulève difficilement du lit d'hôpital où je siège. Mes muscles sont tendus... et également épuisés ! Ce n'est qu'après dix minutes plus une minute d'hésitation que mes fesses atterrissent sur le siège. Mes pieds encore sur la couette, je m'en empare de mes mains pour les positionner sur l'appui du fauteuil. Le contact est glacial ; je ressens mes mains et le froid qu'elles rencontrent lorsqu'elles se posent sur mes cuisses. Mais je ne sens rien de la chaleur de mes paumes sur celles-ci, ni des poils apparents qui changent de sens à leur contact. Je ne ressens plus rien de mes jambes. Oubliant cet affreux sentiment je fais rouler le fauteuil jusqu'à la glace non sans difficultés et une fois en face je la vois.
Je me vois.
Et je ne suis pas du tout jolie à voir.
Des cheveux noirs corbeau livrent bataille sur mon crâne tandis que sur le côté droit une immonde cicatrice encore rouge de sang surmontée par un pansement qui s'échappe me fait signe. Mes sourcils sont parsemés de trous et des égratignures recouvrent front. Une vilaine balafre recousue par quelques fils tire sur mon arcade sourcilière gauche. Mes lèvres sont seulement ensanglantées et mes joues paraissent maigres. Je porte l'attention sur mon corps ; je le distingue presque entièrement car je ne suis vêtue que d'une chemise d'hôpital. Mes bras regorgent d'écorchures et mes jambes toutes entières forment un hématome gigantesque. Je soulève mon habit ; mon ventre est intact mais ma poitrine est agrémentée de brûlures sûrement dues à la réanimation. Je baisse mes vêtements.
Je suis horrible.
Néanmoins, le plus frappant reste cette lueur éteinte dans mon regard. Je ne ressemble pas à une fille vivante ; il semblerait que la folie ait pris la place du souvenir et de la joie. Ses yeux si bleus pourraient rayonner mais ils ne reflètent que le monde glacé où je suis prisonnière.
Je n'aime pas ma vision.
Je déteste mon apparence.
Je me hais.
En plus je ne possède que la moitié de ma mémoire et tous mes proches me dévisagent avec de la pitié dans le regard. Même Alexia. Même Maxime. Même lui.
Je me hais.
Une larme coule sur mon visage. Puis deux. Puis vient un flot qui me submerge totalement. Ma vue se brouille. Mon ouïe est couverte par mes gémissements. Je n'entends pas et ne vois pas la porte qui s'ouvre derrière moi. Je ne ressens sa présence que lorsque ses bras m'enlacent, et je me laisse faire, inconsciemment.
-Flash-Back-
Lorsque j'arrive au lieu du rendez-vous il est assis sur banc et je ne distingue toujours pas son visage. Pour ne pas arranger, je me poste derrière et en prenant mon courage à deux mains je pose celles-ci sur ses yeux avant de lui demander d'un air de malice :
-Devine qui c'est !
Je sens son visage se plisser : il sourit.
-June ?
J'enlève mes mains, les posant sur ses épaules avant de lui donner un bisou sur la joue qui le fait frissonner. Je me penche à son oreille et en espérant le séduire de mon charme, je lui murmure, le souffle bas :
-Gagné.
Mon cœur bat au moins à cent à l'heure lorsque je contourne le banc pour m'assoir à côté de lui. J'attendais ce moment depuis tellement longtemps que j'en oublie presque de respirer. Je sens son regard qui se pose sur moi pour me détailler et j'attends gentiment qu'il observe à quel point je me suis dépassée pour ce rendez-vous. Je veux à tous prix qu'il comprenne que je tiens à lui autant qu'il tient à moi et que moi aussi j'espère plus qu'une amitié entre nous deux. Quand je repense au moment où il m'a invité ! Il était tout bégayant et je ne m'y attendais tellement pas que j'ai rougis fortement avant d'accepter. Néanmoins mon cœur dans ma poitrine avait menacé d'exploser à l'instant même mais je l'avais retenu : il avait laissé écoulé sa joie à la maison dans un long cri et de longues embrassades de toute la famille !
Je prends conscience au bout d'un certain temps que Thomas ne détache plus ses yeux de moi. Il a l'air éberlué. Et j'en suis bien contente. Toutefois je me vois forcer de le réveiller de cet état septique. Je passe plusieurs fois ma main devant ses yeux avant qu'il ne se rende compte que je l'interpelle :
-Thomas ?
-Euh... J... Je...
Je ne peux m'empêcher de rire tout en blaguant :
-Hey ! Tu baves pas trop ?
Il rougit.
-Tu es jolie.
Malgré ma totale maitrise sur moi-même, je sens bien que mes joues rougissent. Stupides joues ! Mais sa moue laisse penser qu'il trouve cela mignon et ça me rassure presque immédiatement. Je plaisante :
-Toi aussi tu es... pas mal.
Il prend un air blessé tout en me donnant un léger coup de coude :
-Hey !
En réponse je lui tire la langue et il semble se détendre. Thomas a toujours été un peu stressé par les rendez-vous et je suis surprise qu'il m'ait enfin demandé ! Quand il le veut il est vraiment adorable surtout quand il ne se coince pas pour rien. Bon... C'est un grand séducteur auprès de ses dames mais quand il aime réellement quelqu'un, il est vrai qu'il émet les symptômes d'une personne timide. Il me tire de mes pensées quand il se lève soudainement pour tendre sa main vers moi et demander avec moins de gêne :
-Mademoiselle.
Amusée, je lui souris en riant avant de prendre joyeusement sa main. Je me redresse en bondissant du banc et je reste figée dans son regard. J'ignore totalement combien de temps s'écoule entre ce moment et celui où il parle enfin mais ses yeux m'absorbaient totalement. Néanmoins bien sûr, je ne sais absolument pas à quoi ceux-ci ressemblent car dans ma mémoire tout son visage est flouté. Je sais seulement que je suis heureuse.
-On y va ?
Je lui fais signe que oui d'un hochement de tête.
Nous sommes mains dans la main et j'avoue que cela me procure énormément de bien-être. Dans un élan de joie, je me blottis contre lui, passant mon bras derrière son dos tout en marchant et il m'imite. Je me sens bien. Lui aussi apparemment car il sifflote en essayant d'imiter deux ou trois oiseaux qui passent. Je le regarde faire, attendri. Durant tout le long du trajet je suis aux anges ; notre rendez-vous se passe à merveille et nous nous parlons de tout et de rien. Aucun sujet triste ne vient gâcher ce moment et je ne peux que le savourer plus encore. Nous examinons tout ce que nous voyons comme une barque qui vogue sur l'eau. En fin de journée ma vue est inexorablement attirée par la mer et je lui demande de nous assoir sur un muret qui fait face à celle-ci. Il accepte et pendant quelques minutes ma vision est focalisée sur les flots bleus que les vagues font onduler.
Puis je pense à lui.
L'homme assit à mes côtés sera sans doute celui qui partagera ma vie plus tard. Je n'ai jamais aimé quelqu'un ainsi et même si j'ai eu quelques petits amis je n'éprouve jamais la même sensation que quand je suis avec lui. Depuis le début, Thomas est plus que mon meilleur ami. Sauf que j'ai du mal à l'admettre et c'est sûrement ce fait qui a décidé pour nous notre relation tardive.
Thomas.
Je le connais depuis si longtemps ! Et j'espère que notre amitié, que notre possible amour, dure encore pour une éternité. Habituellement je ne suis pas romantique mais dans cette histoire, dans mon histoire avec lui, tout me faisait le devenir. Moi, June, suis plutôt jeux-vidéos et films d'horreur, ce qui n'est vraiment pas romantique. Alors quand il en s'agit... Je ne suis pas une fille à l'eau de rose qui se gave d'histoire d'amour le soir en rentrant -bien que j'en lu quelques-unes- alors il faut imaginer à quel point Thomas a de l'influence sur moi pour me faire sentir gaga à chaque parole qu'il m'adresse mais également vouloir qu'il m'invite au restaurant ou encore nombre de projets vraiment romantiques !
Soudainement je le perçois qui m'épie du coin de l'œil. Je ne peux m'empêcher de sourire discrètement avant de prendre mon courage à deux mains et mon air séducteur tout en regardant la mer avant de déclarer :
-Pas la peine d'espérer, Tom. Tu sais très bien que je n'embrasse jamais la première fois.
Il sourit et je continue d'observer les ondulations.
-Je sais.
Je souris de plus belle et pivote mon corps vers lui puis je m'approche pour être juste à quelques centimètres de lui. Il laisse tomber sa tête sur la mienne et nos fronts sont désormais liés. Je rougis mais il ne semble pas s'en apercevoir car son regard est concentré dans mes yeux, tout comme le mien désormais. Je vois ses iris, du moins floutés par le manque de mes souvenirs. Je crois distinguer du vert et du bleu mais je n'en suis pas sûre. Lui me regarde comme si j'étais la huitième merveille du monde. Doucement, sur un ton qui laisse entrevoir mon désir, je susurre :
-Alors tu sais que pour toi je vais faire une exception.
Je lance mes lèvres vers l'avant jusqu'à ce qu'elles rencontrent les siennes puis nous nous embrassons sans nous soucier du reste. Je ne sens plus rien de mon corps tellement il devient léger. Alors que ce baiser m'électrocute jusqu'au bout des ongles j'entends ma conscience qui en réclame encore et lorsque j'enlève ma bouche de la sienne, celle-ci soupire amoureusement. Front contre front, je le fixe comme ma seule convoitise et mon seul désir est de reposer mes lèvres contre les siennes. Il exauce se vœux et je ferme les yeux pour accentuer ce délice.
Thomas.
Un jour tu me feras perdre la tête.
-Fin du Flash-back-
Mes paupières sont lourdes et lorsque je les soulève lentement je le vois. Il est revenu. C'est lui qui m'a serrée tout à l'heure et qui m'a déposé... Où suis-je ? J'aperçois le fauteuil à côté du lit, la porte de l'hôpital et je lève les yeux au ciel pour rencontrer son plafond : je suis bel et bien de retour sur mon matelas. Le garçon réalise alors que je suis éveillé et m'offre un beau sourire.
Je prends conscience que j'ignore toujours son nom et que pour moi il est toujours l'inconnu qui a causé cet accident. Mais cette fois je ne veux pas le faire fuir. Je veux discuter.
-Salut. Me lance-t-il avec un sourire en agrément.
-'Lut.
Je minaude.
Le ton cassant sur lequel j'ai prononcé le mot me laisse perplexe. Ne puis-je donc pas être un minimum aimable ? Apparemment deux parties s'opposent en moi : celle qui lui en veut fortement et celle qui veut seulement comprendre qui il est et d'où il sort. Mais surtout pourquoi il est si gentil à mon égard. C'est vrai ! J'ai dû le blesser plus de vingt fois depuis la première fois qu'on s'est vu néanmoins il est toujours revenu ! J'essaie de prendre un ton plus doux avant de demander :
-Dis, tu ne m'as jamais précisé comment tu t'appelais.
Celui-ci ne semble même pas étonné contrairement à ses habitudes où il parait confus de savoir pourquoi je ne le connais pas. Il me questionne calmement :
-Tu veux savoir ?
Cette question à un double-sens et je ne le perçois pas. Ne veut-il pas me le dire ou a-t-il peur que je sache qui il est vraiment ? Est-il lié à moi pour avoir toutes ses réactions ? Je ne sais pas mais je veux savoir.
-Oui.
J'ajoute :
-S'il te plait.
Il ouvre alors la bouche et le prénom sort de ses lèvres.
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