Chapitre 10 - Reprendre racine
Dédicacé à @MaylineOsera
June
Thomas est parti juste après mon aveu. Jack m'a ramené dans ma chambre sous un silence mortel. Et personne, hormis les quelques visites de mes parents, n'est venu me rendre visite depuis une semaine. La plus dure des absences ne fut pourtant pas celle de Thomas durant ses longues journées mais celle de Jack. Il s'est éteint hier. Malgré le peu de temps où nous nous sommes vus j'ai appris à l'aimer, lui et sa bonne humeur. Je ne l'ai pas vu depuis une semaine entière car il est mort et avant parce qu'il ne voulait pas me faire partager sa souffrance. J'ai essayé. J'ai frappé à sa porte plus de cinquante fois mais l'infirmière qui se trouvait tout le temps derrière m'a dit au bout de toutes ces tentatives de laisser tomber. C'est ce que j'ai fait hier et quand j'y suis allée ce matin... Il était allongé sur son lit. Les yeux clos. Il ne bougeait plus et je me suis sentie coupable. Coupable de l'avoir laissé tomber le jour d'avant. Il avait attendu d'être seul pour mourir. L'infirmière s'était absentée quand il lui a dit qu'il se sentait mieux et elle n'est pas revenue de la nuit alors c'est moi qui l'ai découvert à quatre heure du matin. Le tee-shirt ensanglanté couvert de crachas de sang remontant jusqu'à sa bouche. Hier encore, il souriait. Aujourd'hui, seules les ruines d'un sourire apparaissent sur un visage désormais paisible dans la mort. Je donnerai n'importe quoi pour revoir ses prunelles grises et jaunes... Je les aies vues : sur sa mère. C'est la première fois que je la voyais et pourtant elle m'a immédiatement fait penser à son fils de par ses yeux si exceptionnels. Elle m'a adressé un bonjour dans sa tristesse et m'a invitée à venir à l'enterrement en sachant que j'avais découvert le corps et que j'étais une amie à lui. Alors j'ai demandé à Killian de m'y emmener. C'est le seul sur qui je peux encore compter après tous ces évènements, et, je l'avoue, il me fait penser à Jack avec sa bonne humeur communicative. Car, même si je suis triste de ne plus le voir, je veux à tous prix me rappeler de lui maintenant et encore demain à travers les gens qui m'entourent, comme pour me prouver qu'il n'est pas réellement mort. Il est donc venu dans l'après-midi pour me prendre et m'a déposée à l'enterrement tout en m'adressant ses condoléances à mon égard. Je n'ai pas répondu.
Désormais, je suis dehors, devant sa tombe et je lève la tête vers le ciel au moment où passe un oiseau gris/jaune, avec de toutes petites ailes mais bien réelles et curieusement cela me fait sourire : tu pouvais voler Jack ! Tu le pouvais. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le temps n'a rien de pluvieux contrairement aux films, il fait un grand soleil rayonnant. Je sens les larmes couler sur mes joues et je les laisse se déverser. Jack aurait aimé qu'il fasse beau. La pluie ne le concernait pas puisque tous les jours en sa compagnie semblaient aussi bleus qu'aujourd'hui. Jack... Ton prénom cessera-t-il un jour de me hanter ? Non, puisque je t'ai promis que celui resterai gravé dans le cœur de tes proches. Je te l'ai bien dit non ?
-Mademoiselle ?
Je redresse la tête vers l'inconnu qui m'interpelle.
-C'est terminé, mademoiselle. Me dit-il avec un air inquiet.
Je hoche la tête lentement. Je n'ai rien vu passer, Jack, rien, comme quand j'étais en ta compagnie je ne voyais pas le temps défiler. Tu étais un très bon ami. L'homme qui m'a interpellée finit par s'en aller et je reste sur place, paralysée comme toujours devant la tombe d'un ami. Je remarque sur le côté ce qui doit être sa famille qui reste elle aussi devant la sépulture et je me rends soudainement compte que je ne les comprends pas. Comment peuvent-ils pleurer et se morfondre alors qu'ils ignoraient tout du mal de leur enfant ? Je ne les aies pas vus une seule fois venir lui rendre visite alors qu'il souffrait ! Jack souffrait et son manque de surveillance se démontrait par les cigarettes qu'il fumait. Ils n'étaient même pas là quand celui-ci a rendu son dernier souffle. Après une dernière tape dans le dos de sa femme, le mari et elle s'éloignent sans prendre attention à la fille en fauteuil qui stagne devant les restes de leur fils. J'attends qu'ils soient loin, très loin pour enfin ouvrir la bouche de la journée. Mes premières paroles du jour, je les conservais pour lui :
-Alors c'est comme ça. L'oisillon meurt sans avoir pu prendre son envol, c'est ce que tu m'aurais dit n'est-ce pas ? Et tu aurais eu raison.
Des larmes s'écoulent sur mes joues et je peine à reprendre mon air mais je continue tout de même après une petite pause.
-Cependant je suis sûre que tu as eu une vie remplie Jack. Bien avant ton malheur je suis persuadée que tu as été ne serait-ce qu'une seule fois heureux. Dans notre souffrance nous étions certainement les meilleurs amis... Certes nous nous sommes vus peu de fois mais cela a suffi pour que tu comptes pour moi. Quand je repense à cette semaine où tu ne sortais même plus pour t'évader dans les vapeurs de tes cigarettes, je suis triste. Et je n'ai pas honte de le dire devant toi ! Je suis triste, merde ! Tu n'avais pas le droit de m'abandonner comme ça !
L'eau brouille ma vision et je m'essuie rapidement d'un revers de la main. Je n'ai plus rien à dire. De toute façon rien ne le ramènera et je me sens de plus en plus idiote de parler à une tombe qui ne peut même pas me répondre de sa voix. Malgré tout mes mains refusent de tourner ce fauteuil pour partir et ne désirent pas bouger de mes genoux. Alors je fais face à la vérité, tremblant de mes sanglots. Je ne sais combien de temps je reste devant la sépulture mais lorsque je m'assoupis, j'ai eu le temps de voir passer deux fois la pluie, intercalée avec les rayons du soleil qui maintenant éclaire l'horizon d'une lueur rosée. Sur la petite colline où mon ami prend racine, je m'endors tout doucement, les larmes sur mes joues séchées par les vents et non-renouvelées car je n'en ai tout simplement plus. La dernière chose que je distingue avant de sombrer dans le sommeil, c'est son nom gravé sur la pierre. Jack.
Thomas
Les cours sont ennuyeux. Les matières en elles-mêmes ne me plaisent plus et celle pour laquelle je suis venu aujourd'hui m'exaspère plus encore : bienvenue en SES. Les ''Sciences Expérimentales du Sommeil ou de la Sieste'' comme l'a rebaptisé Lara, une amie de notre groupe de potes bien sympathique qui pendant longtemps a été une confidente pour moi et pour elle qui nous faisait bien rire. Mais nous n'avons plus aucunes nouvelles depuis décembre ; elle a des problèmes de genou mais aussi avec son ex. Nous savons juste qu'elle va bien d'après nos récentes discussions. Enfin... Pour l'instant ce n'est pas elle qui me reste en tête mais bien June. ''Je suis séropositive'', cette phrase résonne en mon être depuis une semaine maintenant et j'ai beau essayé de penser à autre chose en faisant des activités ou autre, je n'arrive pas à me l'enlever du crâne. Je pensais également que m'éloigner de June me ferais du bien mais encore une fois j'ai eu tort : je me pointe régulièrement tous les soirs devant les portes de l'hôpital pour finalement repartir aussitôt. Je me sens nul de faire ça mais je ne parviens jamais à les franchir de peur de ce que je vais trouver derrière. Finalement, toute cette histoire a provoqué en moi une phobie de l'hôpital que je ne peux affronter.
-Monsieur Patterson, vous êtes avec nous ou bien...
Je me redresse sur ma chaise, surpris par son intervention et je regarde autour de moi ; tous me dévisagent avec un air de pitié, de moquerie ou de haine dans le regard. Oui. Je ne suis plus autant apprécié depuis l'accident de June. Ceux qui l'adorent et me voient d'un mauvais œil pensent que tout est de ma faute, alors que ceux qui m'apprécient sont rongés par l'inquiétude envers moi. On peut dire que je suis chanceux. Je reporte mon attention sur le professeur, conscient de le faire attendre puis en distinguant le même regard pathétique dans ma direction que mes camarades, je n'en peux plus. Je regroupe mes affaires sous les yeux éberlués des spectateurs, me lève et sors avec grandiose de la salle en claquant la porte. Non, je ne peux plus tenir.
Je sors dans le grand hall et longe les casiers jusqu'au mien que j'ouvre avant de lancer violemment mon sac à l'intérieur tandis que j'entends la voix de Killian au loin qui m'appelle. Il court vers moi, j'entends ses pas résonner dans la galerie mais je ne prends pas attention et je referme d'un coup sec le casier avant de lui tourner le dos pour me diriger vers la sortie, les mains dans les poches de mon jean.
-Eh mec ! Arrête-toi s'te plait !
Enervé, je me retourne brusquement et manque de me prendre Killian qui arrête heureusement sa course juste avant. Il n'a pas l'air épuisé d'avoir couru et se contente de me dévisager longuement avant de parler. Je souffle avant qu'il n'est pu prononcer un seul mot puis je repars, lassé et déboussolé à vrai dire. L'attitude de quelconque personne me ramène toujours à elle en ce moment. Je revois le souffle rauque qui s'échappait de son corps quand nous nous trouvions dans le camion de pompier filant à toute vitesse à travers la ville et je le compare à celui posé et calme de mon meilleur ami. Comment peut-il se tenir en si bonne état devant moi alors qu'elle ne va pas bien ? Alors qu'elle souffre ? Je n'en peux plus.
-Oh Thomas ! Calme-toi mec, OK ?
Il se positionne face à moi et me saisit par les épaules. Rien que ce geste augmente mon degré de nervosité et donc ma colère. S'il reste là je ne sais pas combien de temps je tiendrai, cependant pour elle je me force à reprendre de l'air. L'airqui lui manquait ce jour ci.
-Je sais que ça va pas en ce moment et que ton double diabolique est prêt à refaire surface mais tu resteras dans cet état autant de temps qu'il t'en faudra pour la voir, je sais que tu en es conscient.
Devant mon manque de mots, il ajoute en soupirant, l'air fatigué de mon comportement :
-Je ne sais pas combien de fois je te le répète cette semaine mais va la voir !
J'explose en le poussant violemment par les épaules :
-Mais je ne peux pas ! Tu ne comprends pas Killian, cet hôpital me fou la nausée ! J'en peux plus d'y aller pour qu'on m'annonce tous les problèmes qui ne font qu'empirer ma vie ! Je...
-Parce que tu crois qu'elle non plus n'en a pas de problèmes ! Crie-t-il à son tour. Et sans doute des plus importants que les tiens !
-Mais elle ne connaîtra jamais le fait de perdre quelqu'un Killian ! Parce qu'elle mourra avant ! Et c'est ce qui rend mes soucis plus gros que les siens...
Je murmure presque la dernière phrase comme pour justifier mon immobilité à moi-même. Mon meilleur ami me dévisage tel un Tiran sans cœur et je ne le comprends pas. Non je ne parviens pas à comprendre.
-Elle souffre tout autant que toi, sache-le.
Il passe à côté de moi en me bousculant l'épaule et je le trouve très immature soudainement de faire ses gestes si enfantins pour me faire réagir. Mais bien sûr, le plus immature de nous deux c'est moi. Je le comprends juste quand il pivote pour achever finalement notre dialogue sur une seule phrase :
-Et ne dit plus jamais qu'elle ne pourra jamais connaître la mort d'un être cher.
Je passe le reste de la journée à retourner ses paroles dans mon esprit. Je ne vois qu'une seule réponse à toutes les énigmes qui se créent : Jack est mort. Sa foutue leucémie l'a vaincu et Killian était au courant. J'en suis presque sûr mais je ne veux pas encore me prononcer sur ce fait. A deux heures je décide de revenir en cours, ayant trainé tout le matin dans les couloirs d'un lycée silencieux. Je me trouve donc dans le cours de SVT avec une voisine de table ayant horreur des dissections et me regardant avec pitié. Sauf que cette pauvre grenouille doit être disséquée. Nous avons un prof un peu fou pour cette dernière année de terminale, et il a carrément refait le programme de seconde ; autant dire que je n'ai rien appris. Cependant, cet homme est un vrai puit de science et quand je lève la main pour poser ma question, fier, il y répond presque immédiatement sous le regard étonné de tous les autres élèves.
-Le SIDA et la leucémie Thomas ? Tu voudrais savoir comment ces faucheuses fonctionnent ? Bien et bien notre grenouille va passer à la trappe. Abordons le sujet. Tout d'abord est-ce que quelqu'un sait la signification de ces lettres ?
Une élève lève la main pour répondre.
-Katie ? L'interroge monsieur Becker.
-Le Syndrome d'Immunodéficience Acquise, monsieur.
-Bien, très bien Katie. Et que fait-il ?... Katie encore.
-Il détruit les cellules du système immunitaire.
-Parfait Katie, parfait !
Tandis que l'on entend les ''fayotte'' ou ''lèche-cul'' s'élever dans la classe, notre professeur ramène le calme avant de continuer ses explications sous le plus grand silence à mon grand étonnement.
-Donc, le SIDA chez l'homme est la transmission d'un virus appelé VIH qui peut être par voie sexuelle, voie sanguine ou d'une mère à son enfant. Il n'existe aucun vaccin efficace contre ce qui est maintenant devenu une pandémie mais on peut plus ou moins retarder la mort par la prise de traitements antiviraux qui restent cependant très peu fiables. De par le manque de cellules immunitaire le corps peut alors succomber à n'importe quel petit rhume. Il faut savoir que les premiers signes de l'épidémie due au SIDA sont apparus dans les années soixante-dix aux Etats-Unis...
Le reste ne m'intéresse plus. Bien sûr, je sais déjà toutes ses informations, nous l'avons vu en troisième mais je voulais être sûr de ce que cette maladie représente pour nous deux mais surtout pour elle. Je n'hésite pas une seule seconde à interrompre le professeur dans son récit pour demander le résumé de la maladie que je connais le moins ; la leucémie.
-Je comprends votre empressement dû à la soif de savoir monsieur Patterson cependant il est impoli d'interrompre un professeur. Cependant si vous insister la leucémie est une maladie existante sous deux formes ; la leucémie lymphoïde chronique et la leucémie myéloïde chronique. Nous étudierons d'abord la deuxième. Celle-ci évolue lentement et reste pour le moins longtemps insoupçonnée par le patient et les médecins car généralement on la découvre au hasard par une prise de sang. L'identification de cette sorte de leucémie restera un point que nous n'aborderons pas, par soucis de temps. Pour information, c'est une présence de cellules jeunes immatures de la moelle osseuse dans le sang et elle est découpée en trois stades ; la phase chronique qui est stable durant plusieurs années où moins de six pour cent des cellules sont anormales. La phase accéléré où on en compte de six à trente pour cent et où ces cellules commencent à perturber les autres et enfin la phase blastique qui est atteinte à plus de trente pour cent de cellules anormales.
-Monsieur qu'arrive-t-il après la troisième phase ? L'interrompt un garçon intéressé par le sujet.
-Et bien mon petit, on reprend racine.
Quand j'arrive devant les portes de l'hôpital à six heures du soir, j'hésite encore à les franchir, craignant encore de devoir affronter la vérité, la maladie de June. Voilà une semaine précisément que je me pointe face à l'établissement tous les jours à la même heure et que je n'arrive pas à franchir l'entrée. Les portes coulissantes closes elles-mêmes semblent me dire de renoncer mais je sais que derrière elles, se trouve le rayon de soleil que j'ai laissé et qui me manque inévitablement. Cependant j'ai peur qu'il s'éteigne lui aussi tout comme mon âme s'est éteinte il y a une semaine. Je crains qu'une fois les portes franchis je ne la trouve plus, qu'on me dise qu'elle est morte et qu'ils l'ont enterrée au bord de la mer sur la falaise où elle aimait tant aller car elle voyait tous les reflets de l'eau pure. J'ai peur, et inéluctablement, je ne passe pas la porte et je repars encore une fois, le cœur plein de remords mais aussi apaisé de ne pas avoir à découvrir ce qui reste d'elle derrière ses murs. June. Es-tu encore vivante ? Je ne peux plus attendre de le savoir mais rester dans l'ignorance calme mon âme comme jamais. Cependant je te promets qu'un jour, que dans quelques jours, je reviendrais. Je serais là pour te consoler de sa mort et de ce qui te ronge.
Je prends ma voiture, et je démarre le moteur sans un regard pour le bâtiment derrière moi. La dernière fois que je l'ai vue j'ai fui comme un lâche et je réitère chaque semaine l'opération. J'ai honte mais cette peur est devenue plus forte que moi et alors que je roule sur l'autoroute, les pensées ailleurs, je manque de dévier quand je l'aperçois sur la colline du cimetière à ma gauche. Mais elle semble... Endormie ? Je bifurque à la prochaine sortie et je traverse sur le pont de l'autoroute avant de garer ma voiture à la première place que mes yeux distinguent. Mes pieds effectuent alors une course vers elle et je pénètre dans le cimetière. Je bifurque dans les allées toujours dans sa direction et j'arrive enfin ; je manque de heurter son fauteuil et au lieu de ça j'en fais le tour tout en gardant mes mains posées dessus comme si j'avais peur qu'il ne s'envole. Puis je reporte celles-ci sur les siennes ; elles sont glacées. Je fixe alors son visage ; il est rouge, couvert de larmes séchées et elle transpire de chaleur sous ses cheveux mouillés. Oh non ! Je porte ma main à son front et découvre qu'elle est bouillante.
-June ! June !
Je crie plus fort.
Mais elle ne me répond pas et je commence à paniquer. Je la saisis dans mes bras et j'entame un sprint jusqu'à mon véhicule ou je la dépose sur le siège passager, lui attachant sa ceinture avant de démarrer à toute vitesse. Je crois que je ne respecte pas les panneaux de signalisation ni les feux dans ma folle course et cette fois, quand j'arrive à l'hôpital je ne me fais pas prier pour entrer et je hurle :
-Un docteur ! Vite ! Un médecin ! A l'aide !
On me la prend des bras à vive allure et on l'emmène loin de moi sans que je puisse la suivre car je suis arrêté par des bras musclés qui m'en empêchent. June. Reviens-moi je t'en prie ! J'ai l'impression de revivre ce jour de malheur ; le jour de l'accident se reproduit sous mes yeux.
June
Quand je me réveille je sens une présence à mes côtés et la chaleur d'une main qui me tient. J'ouvre les paupières pour trouver un Thomas à ma droite endormi sur mon lit, la tête appuyée sur le côté de mes cuisses. Plissant les yeux pour mieux distinguer le monde qui m'entoure je perçois Maya à ma gauche sur les genoux de Maxime, tous deux endormis également tandis qu'à côté se situe Alexia qui bave sur l'épaule de mon frère. Je ris doucement pour ne pas les éveiller et je continue mon inspection ; ma mère et mon père son côte à côte au pied de mon lit, somnolant eux aussi et Killian et Clara se tiennent par la main affalés à côté de la porte. Il ne manque plus que Jack. Tout mon petit monde dort et je suis émue car tous sans exception ont la tête tournée vers moi comme pour surveiller mon état. Attendez ! Que s'est-il passé au juste ?! Comme s'il avait senti que je posais une question, Thomas ouvre lentement les paupières et dès qu'il m'aperçoit, il se redresse d'une vitesse surprenante et me prend dans ses bras ;
-J'ai cru que tu allais mourir. Murmure-t-il.
Je sens une larme qui s'écrase dans mon dos et des sanglots qui l'agitent violemment tandis qu'il ne cesse de se fondre en excuses. Je ne sais plus quoi faire ! Néanmoins les larmes montent à mes pupilles seules et se déversent sur mes joues tandis que je lui rends son étreinte d'abord faiblement puis le serrant de plus en plus fort. Il ne me relâche qu'après beaucoup de temps alors que les autres sont toujours endormis. Je m'adresse alors à lui tout bas alors qu'il replace sans cesse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille en me fixant de ses yeux trempés d'eau salée.
-Que s'est-il passé ?
Il me sourit d'un air triste puis m'embrasse tendrement et je comprends que je suis passée à deux doigts de la mort sans avoir rien vu venir. Ses lèvres sont humides et témoignent d'une tendresse subtile et tellement gouteuse que lorsqu'il s'écarte pour me laisser de la place, c'est moi qui l'embrasse à nouveau pour replonger dans un bonheur exquis. Il s'éloigne finalement en essuyant ses larmes d'un revers de la main sans pour autant lâcher la mienne puis m'apprend :
-Tu es restée un peu trop longtemps sur la colline et tu as attrapé froid. Une grippe qui t'a fait dormir pendant plus d'une semaine. Les rares fois où tu te réveillais tu ne te souvenais plus de rien et tu te rendormais aussitôt.
Je reste muette sous le choc de la nouvelle information.
-Heureusement que le virus du VIH n'a pas encore beaucoup évolué car tu serais morte à l'heure qu'il est. Ajoute-il.
Je comprends soudainement la fatigue qui se lit sur ses traits ; il n'a pas du beaucoup dormir cette semaine avec l'inquiétude qu'il devait se faire à mon sujet. Thomas, je t'aime plus que tout et maintenant j'en suis persuadée.
Année 2016, Mars.
Les autres se sont réveillés une demi-heure après et nous avons eu le temps de discuter longuement de tout et de rien. Cela m'a fait du bien et durant un instant j'ai oublié Jack pour la présence de Thomas. A vrai dire, c'est mon éclat de rire à une de ses blagues pourries qui les a tous fait sursauter pour au final me rejoindre en m'enserrant de leurs bras ou pour pleurer ensemble à l'agonie. C'était parfait et j'ai eu l'impression d'avoir une vraie famille qui s'inquiète pour moi. Du coup, tous sont au courant pour le SIDA et à vrai dire je ne suis pas du tout rassurée par la tournure que tout cela va prendre.
Voici maintenant cinq mois que je suis sous traitement pour le syndrome du VIH et six depuis l'accident. Je sais, le temps passe vite. Cependant je suis en bonne santé ''pour l'instant'' comme me rappelle sans cesse mon médecin. Les mois qui se sont écoulés ont été calmes et sans rebondissements. Thomas est venu chaque jours me rendre visite et quelques fois en compagnie de mes amis. J'ai pu également revoir Lara que je n'avais plus vue depuis juin passé. Bien sûr j'ai raté la moitié de l'année scolaire en sachant que l'accident qui m'a emmené ici s'est déroulé en septembre et que nous sommes donc fin Mars 2016. J'ai donc dit depuis longtemps adieu à l'espoir d'avoir mon bac. De toutes manières, ma vie a changé et je ne peux que l'admettre. Je ne me suis pas habituée au fauteuil et ça n'arrivera peut-être jamais mais je m'en accommode. Je n'ai toujours pas retrouvé l'intégralité de ma mémoire et il m'arrive d'avoir des divagations mais ce qui me fait avancer c'est Thomas. Je suis totalement retombée amoureuse de lui. Et aussi ; dans deux mois c'est mon anniversaire. Je suis née le trois juin et j'attends impatiemment cette date qui annonce aussi la sortie de l'hôpital. En attendant je vis une vie assez tranquille dans celui-ci en évitant de penser à ma mort et de rendre visite à mes voisins qui sont tous eux aussi mourants. Quand à Jack, je ne l'oublie pas mais j'apprends à faire avec sa mort. Un jour, je mourrai moi aussi. Parce que, tout le monde redevient racine, non ?
Année 2016, Juin, 3.
-Et voilà mademoiselle Carter. Vous pouvez sortir.
J'avance mon fauteuil dans le hall d'entrée de l'hôpital et je contemple les portes coulissantes et au-delà, le dehors et ma liberté. Aujourd'hui c'est mon anniversaire et je sors enfin de cet endroit que je croyais sans issue. Thomas me tient la main et la presse. Je savoure ce contact qui se veut rassurant avant de la lâcher et de me faire rouler jusqu'à la sortie. Là, les portes s'ouvrent et un air de vent frais caresse mon visage comme pour me dire : ''Hey ! Bienvenue dans la vraie vie !''. Je respire un grand coup et sans me retourner je franchis le seuil qui me sépare de ma nouvelle vie de séropositive accidentée épanouie.
Et aussitôt, je me sens bien.
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