4. Soju & Suicide
De nos jours...
Jungkook et moi nous installâmes à une table dans un coin tranquille du restaurant, il était tout excité et tout sourire. Je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir le même sourire malgré moi, il parait qu'on imite inconsciemment les gens qu'on apprécie. Si c'est vraiment le cas, je me disais que j'allais finir par devenir une bonne personne à force de traîner avec lui.
Il y avait une étrange complicité entre nous, vous savez ce moment quand vous rencontrez une personne et que vous savez qu'elle fera partie de votre vie ? Je l'avais ressenti dès le premier jour, ce sentiment qu'on se connaissait déjà, une familiarité agréable.
Jungkook était en train de me parler d'Halloween qui arrivait à grands pas et de la soirée qu'il comptait organiser pour l'occasion. Quand j'y repense, cette soirée d'Halloween fut le début officiel de notre relation, et qu'est-ce qu'il était beau dans son costume... Mais je m'égare.
— Je pensais au classique américain tu sais. Des bonbons, de la déco flippante, une musique d'ambiance et des jeux pour s'amuser !
— Un retour en enfance, dis-je avec un sourire mélancolique.
J'adorais Halloween, même si ça finissait toujours en concours entre moi et mon frère du meilleur déguisement. Je voulais qu'on fasse des costumes assortis, mais lui n'était jamais d'accord, toujours à vouloir se démarquer de son frère jumeau.
— C'est peut-être trop enfantin ? se demanda Jungkook, incertain devant mon silence.
— Nan, il n'y a pas d'âge pour ça ! Et tu as invité qui d'autres ? A moins que je ne sois le seul à avoir reçu une invitation ?
Je fis jouer mes sourcils comme pour le faire passer aux aveux.
— Haha... Ouais, je n'ai encore demandé à personne d'autre.
— Tu prévoyais un tête-à-tête ?
— J-je, et bien... Ce serait chouette.
— Ce serait chouette, acquiesçais-je.
Il sembla soulagé, ce qui me fit sourire intérieurement, j'étais heureux de voir que notre premier rendez-vous se passait si bien qu'il préparait déjà le deuxième.
— Tu aimes bien te déguiser ?
— J'adore ! Tu as une idée de déguisement pour toi déjà ? demandais-je.
Il eu l'air un peu gêné d'un coup, ses baguettes jouaient distraitement avec ses nouilles.
— Bah... ça va te paraître contradictoire, mais j'aime pas trop les trucs flippants en fait. Depuis tout petit je me déguise en super-héros ou en truc drôle. C'est un peu... naze, non ?
J'essayais de retenir un grand sourire, pourquoi ça ne m'étonnait pas venant de lui ? Il était comme... un lapin ! Adorable, gentil, doux, incapable de faire peur même s'il essayait, mon petit herbivore.
— Je trouve ça adorable, avouais-je.
— Q-quoi ? C'est pas un compliment ça... se plaint-il alors que ses joues s'empourpraient.
— Je t'assure, c'en est un !
Nous buvions quelques verres de soju en parlant boulot, mais ce n'était pas aussi chiant que ça en a l'air dit comme ça. Nous avions fait de notre passion notre travail après tout. J'aurais pu parler d'acting et de cinéma toute la soirée, et je sentais que Jungkook aussi. Le feeling passait tellement bien que je ne vis pas les minutes passer, jusqu'à ce qu'elles se changent en heures.
On rigolait, on parlait de nous sans aller trop en profondeur, en restant léger. J'évitais de trop parler de ma famille pour me concentrer sur le positif. Par exemple tous les supers films que j'avais tournés, j'en profitais pour lui donner un conseil ou deux, et parler de quelques rôles qui m'avaient bien fait rire aussi.
Mes débuts n'étaient pas glorieux, mais je ne les regrettais pas, j'en étais ici aujourd'hui grâce à toutes mes erreurs et les obstacles que j'avais surmontés. Il va de soi que j'avais laissé de côté la partie "coucher pour réussir" de ma carrière.
— Et sinon, tu as de la famille ? me demanda Jungkook.
Evidemment ce sujet allait bien finir par être inévitable, probablement la partie que je détestais déjà le plus même quand les choses se résumaient encore à "je les déteste". Maintenant je devais expliquer que mes parents s'étaient fait tuer par mon frère jumeau psychopathe, et ça n'était franchement pas mieux.
— Je ne suis pas très proche d'eux, résumais-je.
— C'est vrai ? Moi j'adore mon frère, ça me manque l'époque où je vivais avec lui, dit-il avec nostalgie.
— Ah, et bien le mien ne me manque pas.
— J-je vois...
Jungkook eut l'air un peu déçu, j'avais fait de mon mieux pour ne pas être froid avec lui, ce n'était pas de sa faute si ce sujet était sensible, mais j'avais peut-être été un peu sec. Je m'apprêtais à m'excuser quand mon téléphone se mit à sonner.
Erreur de ma part, j'aurais dû l'éteindre pour qu'on soit tranquille, c'était malpoli. J'hésitais devant le numéro inconnu, c'était peut-être quelque chose d'important à cette heure-là.
— Vas-y répond, je t'attends, me rassura Jungkook avec un sourire qui balaya mes inquiétudes.
— Désolé, je vais essayer d'être rapide, dis-je en me levant.
Je décrochai tout en sortant précipitamment du bar-restaurant, une fois dehors je mis enfin le téléphone à mon oreille.
— Allô ?
— Monsieur Kim Taehyung ?
— Oui, qui est-ce ?
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les choses les plus importantes de votre vie se dérouleront toujours avec une simplicité affligeante et brutale, quand vous vous y attendez le moins. Un simple coup de fil, quelqu'un qui toque à votre porte, un nouveau collègue... Des choses qui arrivent assez souvent et qu'on qualifierait du quotidien, derrière lesquelles se cachent pourtant les plus grandes révélations de votre vie.
Quand j'étais revenu m'asseoir en face de Jungkook, blanc comme un linge, il ne fallu pas longtemps pour que ses questions aient raison de moi. Je répétais les mots que l'on m'avait dit, encore loin de réaliser leur poids.
— Mon frère... est mort.
Qu'aurais-je dû ressentir à ce moment-là ? De la tristesse sûrement, pourtant la majeur partie de mon être ressentait un immense soulagement, et avec ce sentiment venait une certaine culpabilité. C'était mon frère jumeau, et j'étais quand même un peu triste parce qu'il n'était pas né un monstre, il l'était devenu, je n'avais pas su l'empêcher et je l'avais abandonné.
Jungkook était choqué, je venais de lâcher une bombe avec autant de facilité qu'on me l'avait annoncé après tout, et ça en plein milieu d'un rencard. Mais il m'était impossible de faire semblant que tout allait bien, je venais de perdre une partie de moi, aussi pourrie soit-elle.
— On t'a annoncé ça par téléphone ? s'indigna-t-il. Je suis tellement désolé... Est-ce que tu veux... rentrer ?
Je plongeais mes yeux dans ses pupilles, ils étaient d'un noir profond, similaires aux miens, mais brillaient d'une infinie bonté. J'avais alors la certitude que Jungkook serait là pour moi si je le lui demandais.
Ce bar était trop bondé, j'avais l'impression de suffoquer, comme si mon cœur meurtri était devenu incapable de bloquer les autres. Ma respiration se faisait plus rapide, j'étais proche de la crise de panique. Une chose qui ne m'était pas arrivé depuis que ma carrière d'acteur avait débuté, il y avait des années de cela, depuis que j'avais pris mon envol. J'étais incapable de demander de l'aide, de mettre des mots sur ce dont j'avais besoin.
Heureusement, Jungkook vola à mon secours tel l'ange qu'il était. Il se leva précipitamment et alla régler notre note, me laissant sur ma chaise dans un état de léthargie étrange. Tout me paraissait distant, j'étais en train de me dissocier de l'instant présent, sûrement pour me préserver d'un trop plein d'émotions ingérables.
Jungkook réapparu alors, je n'aurais su dire si ça lui avait pris quelques minutes ou une heure, le temps n'avait plus vraiment de sens.
— Allez viens, je te ramène à la maison.
Sa voix était d'un ton si rassurant que je me demandais s'il allait m'amener dans mon appartement ou aux portes du paradis.
Alors que nous marchions vers le parking, j'étais étonnamment lucide des choses du quotidien. Je me souviens lui avoir demandé comment j'allais faire pour ma voiture si on prenait la sienne, étant donné qu'on s'était rejoint ici. Mon esprit semblait adorer se concentrer sur des problèmes inutiles ou bien il s'accrochait à la normalité, tentant de m'ancrer dans le réel.
— On reviendra la chercher ensemble demain, me rassura-t-il.
Jungkook était incroyablement patient et compréhensif, à tel point que me demandais s'il n'avait pas déjà perdu des proches. Son frère lui manquait, je n'avais même pas pensé à la possibilité qu'il n'était peut-être plus de ce monde.
Il n'alluma pas la radio, pensant sûrement que j'avais besoin de silence pour organiser mes pensées, seulement je n'en avais aucune. Ma tête était vide pour le moment, et je profitais de ce répit car je savais que demain on allait en attendre beaucoup de moi.
Les questions de la police, son enterrement... Mon Dieu, son corps. Meurtri et méconnaissable, brûlé par les flammes. Mon esprit refusait d'aller plus loin dans cette pensée, heureusement la voix de Jungkook me sortit de ma torpeur.
— Je t'accompagne, d'accord ?
Je hochais la tête et sortis de la voiture. Machinalement j'entrai la clé dans la serrure et la tournai pour rentrer chez moi. Jungkook resta sur le pas de la porte, hésitant à me laisser seul, mais j'étais trop préoccupé pour le voir sur le moment.
Une fois dans cet appartement que j'appelais chez moi, j'avais réalisé que ça n'avait rien d'un chez moi. Une imposture impersonnelle que je n'avais jamais décorée à mon goût. Je passais tellement peu de temps ici qu'on aurait dit que le salon sortait d'un magazine Ikéa, agencé en une perfection inhumaine pour maintenir des apparences inutiles, puisque personne ne venait ici à part moi.
— ça va aller ? me demanda Jungkook.
Je me retournai vers lui et pris enfin conscience qu'il était sur le point de partir. Il pensait certainement que j'avais besoin d'être seul, que je n'étais pas d'humeur pour continuer notre rendez-vous, que je ne voulais pas lui faire porter un fardeau qui ne le regardait pas vraiment. J'aurais dû penser tout ça, c'est vrai. Surtout la dernière partie, Jungkook n'avait pas à devoir gérer ça avec moi, on ne se connaissait que depuis une dizaine de jours, c'était trop personnel.
Pourtant, ce n'était pas ce que je ressentais.
— Reste un peu ! m'exclamais-je. S-s'il te plait...
J'avais presque haussé la voix, de peur qu'il n'entende pas, qu'il n'écoute pas. Non, j'étais incapable de rester seul dans ce chez moi hypocrite, l'illusion du Taehyung que j'aurais aimé être, confiant et charmeur. Toutes les qualités que j'admirais chez mon frère sans ses travers. Mais ce jour-là, j'étais redevenu Tae le pleurnichard.
Je n'avais même pas réalisé que je pleurais avant de me retrouver dans les bras de Jungkook, son étreinte un savant mélange de délicatesse dans les gestes et de force dans les muscles.
Et son odeur, mon Dieu. Je n'aurais pas su la décrire, mais s'il y avait un chez moi, alors je l'avais trouvé.
— Je suis là, je serais toujours là, murmura-t-il.
Jungkook caressa mon dos et les bouclettes de mes cheveux tandis que je pleurais maintenant à chaudes larmes contre son épaule. La sensation était terrible, mon cœur avait tellement gonflé d'émotion qu'à présent il s'épongeait en se tordant comme un chiffon qu'on essore. C'était douloureux mais nécessaire, alors je pleurais jusqu'à me sentir vidé, au sens propre et figuré.
Un long moment pendant lequel Jungkook ne me lâcha pas d'un pouce, son étreinte rassurante me rappelait tous les câlins que je n'avais jamais eus, l'amour que je n'avais jamais reçu. Ça avait été facile de faire semblant que Daehyun n'existait pas, mais c'était différent de savoir qu'il n'existait plus.
Qu'avait-il ressenti dans ses derniers instants ? De la peur ? Du désespoir ? Du regret ? La police semblait penser qu'il s'agissait d'un suicide. Dans quel genre d'état d'esprit fallait-il être pour choisir de s'immoler par le feu, une mort atrocement douloureuse en comparaison à toutes les options qui s'offraient à lui... Peut-être avais-je jugé mon frère trop vite, derrière sa cruauté se cachait une détresse que je n'avais pas su déceler.
Et Jungkook dans tout ça, qui ne savait encore rien de ce qui se passait, des antécédents de mon frère, de notre vie de jumeaux et de ce qui avait conduit à ce résultat. Pourtant il resta avec moi, me borda dans mon lit comme un enfant, mais je n'avais pas l'énergie de paraître fort.
— Je suis désolé, il est tard tu dois être fatigué...
Ma voix était un peu enrouée, j'étais proche de m'endormir, détendu par sa présence et par le vide que je ressentais à présent dans ma poitrine.
— Ne t'excuse pas...
— Mais ce rendez-vous est un fiasco, ricanais-je sans humour.
J'avais tout gâché, j'aurais dû prendre sur moi le temps de lui dire au revoir, écourter notre soirée et le laisser dans une ignorance bienheureuse. Au moins le temps que je sois capable d'en parler.
— Je ne trouve pas, sourit-il.
Dans la pénombre de la chambre, j'arrivais encore à voir briller ses yeux de bonté. Jungkook allait devenir mon pilier sur lequel j'allais reconstruire ma vie délabrée, avec lui je pouvais avancer, guérir. Le problème quand on se repose sur un seul et unique pilier, c'est que c'est toute votre vie qui s'effondre le jour où il cède.
— Allez dors, je vais squatter ton canapé, si ça te dérange pas.
— Merci de rester Jungkookie...
— Je t'en prie, ce n'est rien ! Essaye de passer une bonne nuit, OK ? A demain Tae~
Tae... Dieu que je détestais ce surnom, tout mon corps avait réagit et je fis une grimace qu'heureusement Jungkook ne vit pas. Je supposais que pour ce soir, j'étais en effet Tae, donc je ne fis aucune remarque. Je décidai de tout lui expliquer le lendemain, il méritait de savoir avant de choisir de tenter sa chance avec un gars comme moi. Mais ce soir, j'étais trop crevé...
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